Un des arguments qui me choquent le plus dans la défense des clients prostitueurs, c’est celui qui consiste à dire : en quoi est-ce différent de vendre « des services sexuels » (je mets des guillemets parce que pour moi c’est un terme qui cherche à normaliser la vente de son corps, concept plus difficilement acceptable que celui de service et qui vise à le mettre sur le même plan que n’importe quel service) que de vendre son cerveau ou ses bras ?
C’est simple. Les personnes prostituées sont avec celles qui ont subi la torture ou des crimes de guerre celles qui souffrent le plus de décorporalisation, de syndrome de stress post-traumatique permanent, et qui sont le plus exposées à l’autodestruction.
Les ouvrier-es qui travaillent 35 heures ne sont certes pas forcément dans une situation enviable. Mais à moins d’être victimes de harcèlement, ils ne se décorporalisent pas et ne sont pas dans une situation de stress post-traumatique. Les personnes qui vendent leurs capacités intellectuelles pour gagner leur vie ne subissent pas un viol à chaque fois qu’elles écrivent un rapport à leur patron.
Certaines personnes qui contestent l’abolitionnisme ne se disent pas pour la réglementation mais pour un « statut » de la personne prostituée. Je pense que n’importe quel membre de la société doit avoir un statut qui lui permette d’avoir accès aux droits sociaux. Et les personnes prostituées en premier lieu. En revanche, on ne peut pas donner un statut à cette pratique ni la reconnaître comme un travail. Ou alors, il faudrait mettre des règles de droit du travail. Vous imaginez les règles en matière de prostitution ?
35 heures ? Combien de passes par heure ? Quelle formation ? Toutes les pratiques sexuelles sont-elles autorisées ?
Le client pourra-t-il porter plainte si le service promis n’est pas ou mal rendu ? Pôle emploi obligera une personne à ne pas refuser plus de 2 offres de services sexuels ? Vous imaginez ce que cela veut dire en terme d’assignation des femmes à la fonction « servir à donner du plaisir aux hommes » ? Quand déjà, en 3ème, on oriente les femmes, et le plus souvent les migrantes ou d’origine immigrées, vers coiffeuse ou esthéticienne, on les orientera vers les services sexuels ? Parce que bien sûr, ce métier enviable, qui se retrouvera avec la « liberté » de le faire ? L’homme blanc de milieu favorisé ?
Bref, tout va à l’encontre de ce pseudo argument de la liberté de choix de se prostituer. Le choix, le consentement, ce n’est pas ça : c’est la liberté de dire NON. Non à un rapport sexuel, à n’importe quel moment, et quel que soit le contrat passé : mariage ou autre. Si je dis mariage, c’est parce qu’il a fallu des siècles pour que le droit de dire non dans le mariage soit enfin mis dans la loi et considéré comme circonstance aggravante au viol.
Alors si je me penche 5 minutes sur le délire de contractualiser le sexe, je vois qu’on pourrait y mettre : une femme a le droit d’interrompre un rapport sexuel si il y a violence ou si le client demande une chose qui n’est pas dans le contrat. Mais si elle veut dire NON, simplement parce que tout d’un coup, elle n’a plus envie, même si elle a dit oui avant, comme cela doit être le droit absolu de chacun-e, j’imagine mal ce qui pourrait se passer…
Or si nous voulons pouvoir enfin apprendre à nos filles, qu’elles ont une liberté absolue, c’est celle de dire NON, à tout moment, en toutes circonstances, à un rapport sexuel, nous ne pouvons accepter que l’on en fasse un métier.
Sandrine GOLDSCHMIDT