« L’art d’aimer » les navets sexistes ?

©S.G

Dans mon souvenir, j’avais bien aimé « changement d’adresse » d’Emmanuel Mouret.
Alors, je suis allée voir son nouveau film, « L’art d’aimer ». Il ne m’a pas fallu 4 images pour avoir envie de partir en courant.
Car le film est censé nous faire réfléchir sur le désir entre deux êtres. Avec des petites phrases soi-disant « éclairantes ».

Par exemple, la première, phrase du film : » Au moment où l’on devient amoureux, à cet instant précis, il se produit en nous une musique particulière. Elle est pour chacun différente et peut survenir à des moments inattendus.. ». Ah bon. Vraiment ? Au moment où on devient amoureux ? et pourquoi pas un coup de foudre de conte de fées, par exemple ? C’est exactement sur ce ton-là, conte de fées, que commence le film. Et comme les contes de fées, il vient servir l’histoire dominante, celle où la sexualité n’est que celle des hommes, même au travers de personnages féminins.

C’est pire que dans une comédie sentimentale hollywoodienne, parce qu’ici, on voudrait nous faire croire qu’il y a une réflexion. Pourtant, les histoires qui s’enchaînent, avec des dialogues creux, des situations qui seraient caricaturales si au moins elles avaient un sens, sont des clichés absolus : par exemple; Ariane Ascaride, en couple « amoureux » depuis longtemps qui dit ne plus pouvoir résister au désir des hommes sur elle, ou Godrèche qui se demande si elle ne doit pas aider son ami Boris qui est très attiré par son physique…ou enfin cette jeune amoureuse qui veut expérimenter une aventure d’un soir avec un autre homme  -et avec l’accord de son copain- parce qu’ils se sont jurés de se laisser leur liberté et de tout se dire » : croyez-vous que c’est parce qu’elle désire terriblement un autre homme ? Mais non bien sûr, c’est parce que LUI la désire tellement ». Et comme par hasard, qui est cet « autre homme » : le réalisateur lui-même, Emmanuel Mouret…

Tout le film n’est que ça : ce qui compte, même dans la sexualité des femmes, c’est le désir des hommes, elles sont là pour le servir ou l’assouvir. Mais il y a pire, dans une scène qui est ouvertement une justification du viol. Frederique Bel qui fait « tourner en bourrique » François Cluzet en lui reprochant de ne pas l’embrasser spontanément ou ensuite de ne plus vouloir l’embrasser, n’arrive pas à se décider. Et explique que si elle a du désir pour lui, elle peut le réfréner. Elle lui dit alors que lui aussi, puisqu’il dit la désirer très fort et qu’il ne lui saute pas dessus…conséquence, que fait-il ? Il lui dit ça suffit, rentre chez toi, tu as raison ? Non, bien sûr, pour la démentir, il lui saute dessus (on ne voit pas la scène, en raison d’une ellipse, mais c’est là qu’elle mène). Le message qui passe c’est : s’il la viole, elle l’a bien cherché, cette allumeuse écervelée…et ça fait rigoler les spectateurs ! (masculin choisi)

Alors que cela aurait pu être une si jolie occasion de faire reconnaître qu’il n’y a pas de besoin sexuel irrépressible qui fait qu’un homme mourrait de ne pas l’assouvir…(©T.Duch) et qu’il s’agit de viol.

Après maintenant plus de cent ans de cinéma, et des décennies de « libération sexuelle », ne peut-on donc pas voir au cinéma autre chose que toujours la même représentation des femmes et de la sexualité ?

Il faut espérer (je le dis sans trop y croire…) que d’autres hommes arrivent un jour à nous montrer le désir autrement. Parce que sinon, on pourrait imaginer que les hommes ne sont vraiment pas capables de voir les femmes autrement qu’ en soutien-gorge ou décolleté (dans la moitié des scènes, alors que les hommes sont habillés) ou se dévêtant face caméra, et que malheureusement les femmes vont continuer à croire que leur sexualité n’est pas pour elle, mais pour lui…bien sûr, je sais qu’il y a des hommes qui ne sont pas comme ça. Mais le problème, c’est que le miroir déformant dont je parlais ici qu’est le cinéma ou que sont les médias et la littérature masculines, sont incapables de nous le montrer autrement. Et font des ravages.
S.G

Un ruban rouge autour de ma maison

Aujourd’hui, 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le SIDA. C’est toujours le cas cette année. Je n’ai pas le temps de refaire un article, alors je republie celui-là. Qui pour l’essentiel reste d’actualité…

Décidément, aux luttes succèdent les luttes, et chacune est aussi nécessaire que la précédente. Et celle-là, on a aussi un peu tendance à l’oublier…d’autant qu’aujourd’hui, « elle se féminise », peut-on lire ici ou là. La moitié des personnes atteintes dans le monde sont des femmes, et une nette majorité chez les jeunes et parmi les nouveaux cas.

Un phénomène qui concerne aussi la France : 38 % des nouveaux cas de séropositivité concernent des femmes. Et les inégalités entre femmes et hommes à tous les niveaux dans la société, et en particulier en ce qui concerne la sexualité, sont à l’origine de la vulnérabilité des femmes face à l’infection. Ce n’est pas un problème d’information, mais de pouvoir dans la relation. Encore Difficile pour elles parfois d’imposer le préservatif, et elles se retrouvent dans des situations à risques face au Vih, surtout en cas de multipartenariat de leur conjoint.

Situation difficile en France, situation catastrophique en Afrique, selon l’ONU. « L’urgence de la situation est évidente. En juillet, l’ONUSIDA a annoncé que les femmes représentaient une part disproportionnée — 57 % — des séropositifs âgés de 15 à 49 ans. Dans le groupe des 15 à 24 ans, elles représentent 75 %, fait remarquer la Directrice adjointe de l’ONUSIDA, Kathleen Cravero. « Les jeunes femmes sont en fait pratiquement en train de devenir, sous nos yeux, une espèce menacée d’extinction en Afrique du fait de cette épidémie. »

A quoi est-ce dû ? Depuis que l’ONU a fini, au début des années 2000, par se préoccuper de la situation, on commence à le savoir.

C’est avant tout une question d’inégalité en droits : « Les chercheurs ont établi une corrélation nette entre la discrimination fondée sur le sexe et l’incidence disproportionnée du VIH/sida chez les femmes et les filles dans six domaines :– Programmes de prévention ; — Education ; — Violence ; — Droits des femmes en matière de propriété et d’héritage ; — Soins prodigués à domicile et dans la communauté ; — Accès aux soins et traitements. L’équipe a noté que dans certains pays d’Afrique australe, les femmes adultes sont toujours juridiquement des mineures et ne peuvent être propriétaires de terres ou d’autres biens ni en hériter

Dit en termes moins diplomatiques, c’est simple. Les femmes n’étant pas les égales des hommes dans la société (et ce sont les mêmes raisons qui expliquent la féminisation de l’épidémie, partout dans le monde) : au départ, lorsqu’on s’attaque au problème, on ignore la spécificité de la situation des femmes. Pourtant, de par le fait que les hommes exercent leur statut de dominant, elles sont vulnérables. Par le viol : vecteur de transmission, parfois volontaire, du virus. Par le fait que ce ne sont pas elles qui ont pouvoir sur leur sexualité. Par l’éducation, ou plutôt l’accès plus difficile à l’éducation, qui les empêche d’être suffisamment informées. Par le fait qu’elles ne sont pas prioritaires dans les soins.  Par le statut de « soignantes » qu’on leur a confié dans la lutte contre le SIDA, travail qu’elles effectuent gratuitement dans un contexte où il n’y a pas d’hygiène, et par le statut de mineure qu’elles ont encore trop souvent, donc dépendantes de la bonne volonté d’un frère, d’un père, d’un mari, pour avoir accès aux soins et  la prévention.

Enfin l’ONU souligne le phénomène des relations « à mi-chemin entre la prostitution et les relations amoureuses ». On appelle ça pour dissimuler la réalité le phénomène des « Papas gâteaux » (ça ne vous rappelle rien, ailleurs ?), relations sexuelles contre cadeau entre hommes âgés et femmes jeunes, phénomène qui contribue à l’extension de l’épidémie. Une raison de plus, s’il en fallait, pour montrer que toute forme de prostitution est néfaste pour les femmes et lié à leur position économique dépendante !

Résultat, le virus opère un véritable massacre de jeunes femmes, et va entraîner un déficit majeur de femmes, (l’ONU parle même d’extinction, et ce n’est pas un sujet qui fait la « UNE » ?), comme c’est le cas pour d’autres raisons en Inde. Mais ce n’est pas le virus qui est le responsable le plus important. Il faut des programmes spécifiques et une volonté politique fondée sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Pour lutter efficacement contre une maladie, il faut en avoir envie. Ici comme ailleurs, le système de contrôle exercé sur le corps des femmes pour les empêcher d’avoir accès aux biens, aux outils, aux armes, et à l’autonomie, est le premier responsable de bien des catastrophes.

Avec enfin, le silence, trop longtemps imposé aux femmes. A l’exemple de Pinki, cette mère sud-africaine qui veut que le jour où elle mourra du SIDA, on « mette un ruban rouge autour de sa maison« , pour que tout le monde sache. En attendant, pleine de vie et d’enthousiasme, elle prêche la lutte contre l’épidémie par l’information, même si cela fait grincer des dents dans sa famille. Prenons exemple sur elle, mettons un ruban rouge autour de notre maison !