Mogambo ou quand Hollywood atteignait les sommets…du sexisme et du racisme…

J’ai revu aujourd’hui ce chef d’oeuvre hollywoodo-gablien qu’est « Mogambo », de John Ford.

En le voyant, on se dit que si les Américains s’interrogent sur le possible racisme d’Intouchables, ce n’est pas pour rien.

C’est qu’en la matière, la grande « nation » du cinéma a toujours eu de quoi se remettre en cause.

Avec quelques années de recul, une constatation s’impose : le racisme et le sexisme c’était le synonyme du cinéma de l’époque.

Raciste, d’abord, avec une multiplication de scènes à la « Tintin au Congo », Clark Gable le maître-sachant-tout-mais ne faisant rien servi par des hordes d’esclaves -pardon de serviteurs- noirs qui rament pour lui (au sens propre), tirent sur les cordes pour lui, cuisinent pour lui…alors que lui tout ce qu’il sait faire, c’est manier ses fusils…

Sexiste, ensuite, parce que c’est l’archétype du film qui ne passe pas le bechdel test  (pas plus qu’Intouchables, d’ailleurs) : certes, il y a presqu’autant de personnages féminins que masculins importants dans ce film. D’ailleurs, il y a deux stars femmes pour un seul homme…et pas des moindres : la brune sublime, Ava Gardner, et la blonde (sublime aussi, mais tellement nunuche ici), Grace Kelly.

Ainsi, il y a deux femmes qui parlent, même deux femmes qui se parlent à un moment, mais qui ne parlent que de LUI. L’homme, le gorille, Clark Gable, le mâle alpha ou dos-argenté (une partie du film est liée à la chasse au gorille, et la symbolique est fort appuyée). Et pendant la moitié du film, les deux femmes sont si souvent côte côte, sans se parler, à se mépriser ou ne pas se comprendre…

C’est Delphine Seyrig, qui la première, dans « Sois belle et tais-toi« , posait cette question à plusieurs actrices. Dans les films dans lesquels vous jouez, est-ce qu’on vous fait parler avec d’autres femmes et est-ce que parfois vous n’êtes pas leur rivale ? Et dans la vraie vie, les femmes sont elles vos rivales ? Les actrices, sidérées, s’apercevaient alors qu’on leur faisait jouer un rôle au cinéma qui était si loin de la vraie vie…car dans la vraie vie, les femmes sont amies, parlent de tout, s’entraident, se consolent, aussi…

Mais là, dans le film, c’est la bonne vieille solidarité masculine qu’on voit. Amoureux éperdu de Grace Kelly, Gable n’ose pas briser l’amour du mari de celle-ci, et sa « noblesse » reconnue est alors : il peut bien sacrifier une femme pour préserver un homme.

Dans tout cela, il y en a une qui pourrait toutes nous sauver. C’est Ava Gardner, qui met un peu de vie d’humanité, qui voit au travers de ces hommes occupés à chasser le gorille et surtout à plaquer sur ceux-ci les comportements de mâles-alphas qui sont en fait les leurs…

Il y a deux moments d’espoir d’un autre monde dans ce film qui sont brutalement balayés d’un revers de caméra par le réalisateur : quand Ava Gardner fait la cuisine avec un serviteur noir, seul moment de rapport qui pourrait être non dominant dans le film. Malheureusement,  le réalisateur fait alors dire au cuisinier : « elle ne sait même pas faire la cuisine », minant tous nos espoirs…

Enfin, l’espace d’un instant, on se prendrait à rêver : et si Ava Gardner choisissait la solidarité féminine, cette « sisterhood » plutôt que la rivalité ? Et si elle finissait par le plaquer lui, celui qui se fait servir par toutes  et tous celui qui gagne toujours ? Mais de là à ce qu’elle tende suffisamment la main à une autre femme, il y a un pas que la bienséance hollywoodienne et hétérosexiste ne franchit pas.
Pas plus que quand, à la fin, il y a cet instant où on se prendrait -encore- à rêver que Clark Gable va se faire planter là une bonne fois pour toutes par la sublime actrice : il finit par lui proposer de rester, elle décide de partir, qu’il ne la mérite pas…mais c’est sans compter  ces tristes finals hollywoodiens où l’on nous apprend à croire que revenir vers lui au dernier moment pour son sourire craquant est ce que l’on peut attendre, pour une femme, d’un HAPPY END…

S.G

« Pour survivre à la prostitution, il est vital d’être quasi-morte » (Rebecca Mott)

Je parle souvent ici de Rebecca Mott, femme écrivaine sortie de la prostitution et qui tient un blog salutaire.
Aujourd’hui encore, alors que le débat sur l’abolition de la prostitution se poursuit ici, et qu’on n’a même pas commencé à aborder la question de la pornographie et ses conséquences,
j’ai lu son dernier billet. Et encore une fois j’ai la chair de poule et la plus profonde reconnaissance envers son courage. C’est elle, qui explique « qu’elle en a marre d’entendre quelques individus priviliégiés parmi les « travailleurs du sexe » (terme dont ils se nomment mais qu’elle réprouve) prendre la parole au nom de la grande majorité des prostituées: « non, ils parlent, le plus souvent, pour les profiteurs et pour enrichir l’industrie du sexe », dit-elle. Ce qui suit est dur à lire, mais pour que cela en vaille la peine -la notre n’est rien par rapport à celle de l’auteure, il faut lire jusqu’à la dernière ligne.

Vous pouvez lire l’article en anglais ici

Affronter une conférence sur la porno et ses conséquences
Ce billet parle de l’expérience vécue à la conférence de Londres « défier la pornographie ». J’étais très fière de mon discours et de ma présence là-bas; Mais cela fut profondément bouleversant.
Le discours de Gail Dines m’a profondément inspirée et émue.  Mais j’ai remué des choses qui étaient enfouies au plus profond.
J’ai vu à plusieurs reprises des images de hard-porn. J’ai été à de nombreuses réunions anti-porno présentant ces images.
D’ordinaire je suis détachée.. Pas pire que détachée, souvent, je ne ressens rien que de la froideur.
La froideur née du déni que cela fut dans mon corps. La froideur du fait que l’on avait fait de moi du porno vivant, que j’étais si près de la mort.
Mais ce samedi, cela m’a envahie.
Ce sont les images de « gagging » qui l’ont provoqué.
A mon époque, on appelait ça « deep-throating », (gorge profonde) mais c’était la même merde.
Forcer un pénis ou des pénis si loin dans ma gorge que je n’avais d’autre choix que vomir ou perdre conscience. C’était enfoncer des poings dans ma gorge délicate.
Ce sont aussi les images de viol anal.
C’était ça, mon quotidien. J’étais devenue totalement hermétique à la pensée que je puisse compter. Mais aujourd’hui, l’agonie à l’intérieur de mon anus hurle – tu as de l’importance, tu as de l’importance, mon dieu femme, tu as de l’importance.
Ce sont aussi les images de gang-rapes.
C’était mon quotidien et ma punition. Utilisé pour me contrôler. Cela m’est arrivé si souvent, que je n’avais aucune idée de ce qu’était la sexualité, la vraie.
Alors, je sais de l’intérieur, dans mon corps, combien le hard-porn est lié à la prostitution. Au final, toutes les femmes dans l’industrie pornographie sont transformées en prostituées par les consommateurs et les producteurs.
Mais de façon encore plus importante, de nombreuses femmes à de nombreux niveaux de l’industrie du sexe, sont entraînées dans le hard-porno pour pouvoir être sous-payées et contraintes à pratiquer des actes sexuels hautement dangereux et dégradants – parce qu’on a détruit leur cerveau par la violence sexuelle et mentale de l’industrie du sexe.

 
Voici le discours que j’ai prononcé.
« C’est un grand honneur pour moi de prendre la parole à cette conférence où les femmes qui sont sortie de la prostitution ne sont pas victimes de jugements.

C’est très émouvant d’être dans un espace où une femme sortie de la prostitution peut parler sans être jugée ni cataloguée dans des stéréotypes dès le départ.
La pornographie et la prostitution sont reliées en de nombreux point. Au travail, je me concentre sur le fait que tant de femmes dans l’industrie pornographique viennent de nombreux secteurs de l’industrie du sexe, y compris la prostitution.
Il est également important de savoir que la majorité des consommateurs de femmes prostituées le font avec des têtes remplies d’images pornographiques,et voudront que les prostituées soit l’incarnation réelle de ces images. Le client fera à la femme prostituée des actes sexuels qui seraient considérés comme vils et criminels s’ils les pratiquait sur des « femmes normales ». Parce que la prostituée est déshumanisée, qu’on considère qu’il ne lui est fait aucun mal.
Ce n’est pas surprenant – pour être prostituée à long terme, il est vital de se dissocier de toute forme de douleur et de dégradation. Pour survivre à la prostitution – il est vital d’être quasi-morte.
Parce que c’est exactement ce que les industriels et les consommateurs de porno veulent -des femmes quasi-mortes.
C’est logique qu’ils utilisent des femmes prostituées. Elles ont dû vivre avec des actes sexuels indicibles commis sur elle sans cesse, jusqu’à ce que ceux-ci soient leur seule référence et leur seule existence. Ce n’est qu’alors qu’elles peuvent correspondre au monde vicieux et dangereux de l’industrie de l’industrie de la pornographie.
De nombreuses femmes au sein de cette industrie sont parmi les personnes les plus abîmées que je connaisse. Elles ont dû et doivent vivre dans un monde ou les violences mentales, physiques et sexuelles sont lan orme – et pour rajouter à leur enfer, elles doivent sourire, faire les « bons » bruits sexuels, et s’infliger ces violences encore et encore et encore.
Nous devons mettre ces femmes au centre du débat sur la pornographie.
C’est une question qui touche à la légitimation de la torture. C’est une atteinte fondamentale aux droits fondamentaux de ces femmes.
Le droit de vivre en sécurité.
Le droit de s’exprimer librement, sans contrainte, menace ou violence.
Le droit à la liberté de mouvement sans contrainte.

Le droit à contrôler et être propriétaire de toute image ou commentaire la concernant.
Placez ces femmes au centre de votre combat.
—————————————————————————————————————————————
Réponse à une question sur le choix
Il y a un énorme double discours lorsqu’on discute de la question du choix libre d’être dans l’industrie du sexe. Nous les croyons sur parole lorsqu’elles disent que c’est « empowering », et ne regardons que le moment -bref- où la femme semble heureuse, quand elle sourit. Mais cela, nous ne le croyons pas quand c’est une femme battue et violée par son petit copain – qui se dit heureuse, encore amoureuse de lui. En revanche, nous décidons qu’être dans la prostitution cela doit être librement choisie ? Il y a une trahison générale des femmes et filles qui sont dans le commerce du sexe – et cela me met très en colère.
———————————————————————————————————————————————–
Ce discours a eu un effet énorme sur moi. J’ai depuis été très bouleversée.
Principalement par des mémoires corporelles.
Ma gorge est tellement remplie de la connaissance de la réalité du viol oral – j’ai vomi, puis vomi et vomi et revomi- je ne pensais pas qu’il me resterait un estomac ou une gorge.
Mon agonie anale est tellement intense que j’ai l’impression que je vais m’évanouir.
Mais le chagrin enfoui serait est encore plus traumatisant.
La douleur et le chagrin que mon corps a été forcé de subir est impensable pour la plupart. Le chagrin d’imaginer que n’importe quel homme puisse avoir en tête de commettre de telles brutalités sans voir la douleur, la terreur – sans vouloir voir qu’il détruit un être humain.
C’est un chagrin qu’il faut ressentir. Mais c’est comme un immense trou dans mon corps.
Quand j’ai ce chagrin, je sais que j’entre à nouveau dans la vie.
Et ça, c’est merveilleux.
Rebecca MOTT