Parfois j’aime rapprocher ce qui a priori n’a rien à voir. Aujourd’hui, ces deux moments passés, l’un pour une expo « Not Natasha » au sein du centre culturel roumain, l’autre au cinéma où j’ai vu « 17 filles ».
Deux oeuvres qui n’ont rien à voir, si ce n’est qu’elles parlent de jeunes femmes, et de leurs opportunités-destins dans le monde actuel, des unes de milieux moyens de Lorient en Bretagne, les autres originaires des pays de l’est, Moldavie principalement, où elles subissent l’esclavage sexuel.
« 17 filles », c’est une histoire hallucinante inspirée de faits réels, où 17 filles du même lycée décident -et y parviennent- d’être enceinte, d’avoir un enfant, à la suite d’une première, qui s’est retrouvée enceinte par accident et a décidé de le garder, et d’une seconde, qui prétend être à son tour enceinte pour être acceptée par ses paires. Leur décision, n’est pas une idée en l’air, un « truc de gonzesses », une revendication de la maternité. Ce sont toutes des filles intelligentes, qui savent ce qu’elles veulent. Leur problème, à 16 ans, c’est l’ennui, et finalement comme tous-tes à cet âge, le désespoir de l’impossibilité de changer le monde.. Elles ont beau vivre au bord de la mer, elles sont toutes désespérées par cet ennui, et par la résignation, voire la violence, de leurs entourages. Elles décident par cet acte, de crever la toile de fond de l’ordre social. Ainsi, par leur geste, en décidant d’être enceintes ensemble, de vivre ensemble ensuite et de se gérer elle-même, (ce qu’elles ne réussiront pas à faire), elles veulent faire « autrement », et peut-être changer le monde.
Alors bien sûr, il est assez dingue que ce beau geste de solidarité entre femmes, cette tentative de changer le monde, passe par la maternité. Mais cela nous fait aussi réfléchir sur notre société. Qu’est-ce qui fait que des jeunes-presque-adultes, en quête d’actes politiques, ne puissent avoir d’autre idée que celle-là ? Quand 40 ans plus tôt on voulait bousculer la famille, créer des communautés aussi, mais aussi s’exprimer publiquement, aujourd’hui, l’acte subversif qu’elles choisissent, c’est justement celui de la maternité ?
Et le désordre social qu’elles créent, face à l’impuissance et l’incompréhension du monde qui les entoure (parents, école), qui n’a rien à leur offrir, est la preuve que ce geste est vraiment subversif, presque politique. Ces filles dont on a toujours voulu contrôler le destin, « tu auras des enfants mais fais des études d’abord », contrecarrent cet ordre établi et expriment un vent de liberté -même voué à l’échec- qu’on retrouve dans la dernière phrase : « on ne peut pas empêcher une jeune fille de 17 ans de rêver ».
Malheureusement, cela n’est pas toujours vrai. Et les jeunes femmes de « not Natasha », sujettes des photos de Dana Popa, photographe, exposée au 1, rue de l’exposition au centre culturel roumain (il faut sonner pour rentrer), sont bel et bien empêchées, interdites, souvent bien avant 17 ans, de rêver, et de vivre.
« Natasha est un surnom que l’on donne aux prostituées typées Est-européen, et les filles du trafic sexuel le détestent. J’ai photographié les femmes victimes du trafic sexuel après qu’elles soient revenues en Moldavie, pour montrer comment elles arrivent à vivre dans un monde qui ignore tout de leur souffrance, et l’immense ombre planante de la peur que leur mère ou mari pourraient un jour les démasquer et les jeter dehors. Pour respecter leur anonymat, les noms de ces femmes ont été changés », explique l’artiste.
Très fortes, assorties de phrases témoignages de ces femmes qui ont été victimes d’esclavage sexuel, ces photos nous ramènent à l’essentiel dans le débat sur la prostitution. L’existence d’une demande de prostitution, d’une misère économique et de trafics migratoires humains rend possible la négation de l’existence même de ces femmes, qui disparaissent, sont vendues par leurs parents ou petits-amis, sont traitées comme des morceaux de viande à disposition d’un désir masculin et de l’industrie du sexe. C’est bien pour ça que les tenants du réglementarisme affirment que les chiffres les plus sérieux et les plus officiels, dont ceux du dernier rapport parlementaire de Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, sont faux. Parce que 90% des femmes prostituées sont étrangères, cela fait une ultra-majorité de femmes victimes de la traite. Quand bien même certain-es pourraient croire que celles et ceux qui le disent vendent effectivement leur corps parce qu’ils veulent bien, ce n’est pas le combat le plus important ! Et cela nous empêche de voir que ce combat le plus important, doit se faire contre la perennité d’un système qui ne peut vraiment être considéré autrement que comme de l’esclavage sexuel, au profit du désir sexuel des uns et du fonctionnement économique des réseaux. Les photos de Dana Popa en attestent, je vous recommande de passer par le 7ème arrondissement avant fin janvier, et d’aller les voir.
On en sort pas tout à fait les mêmes, et avec encore plus d’envie de faire qu’un jour, toutes les filles de 17 ans puissent rêver.
Sandrine GOLDSCHMIDT