Lady Sapiens et nous

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire « Lady Sapiens », de Jennifer Kerner, Thomas Cirotteau et Eric Pincas. Un tableau revigorant de l’organisation des sociétés humaines de la préhistoire, au paléolithique (-40 000 avant le présent jusque -10 000). Et des questionnements qui émergent.

Découvrir que nos ancêtres préhistoriques avaient inventé le porte-bébé, qui permettait aux femmes de ne pas être domestiquées (contraintes de rester au foyer pour s’occuper des enfants), et de prendre part aux activités extérieures. Que ces activités, si elles étaient probablement contraintes par les limites de la force physique, étaient loin de se cantonner à des activités périphériques. Voila qui est revigorant.

Actrices majeures de la collecte, et notamment animale (poissons, coquillages), les experts estiment à 50 à 70% leur apport à la survie du groupe (dans certaines sociétés étudiées – attention à toute généralisation). Mais attention, les analyses poussées aujourd’hui le prouvent : elles participaient aussi à la chasse, on retrouve des traces de lésions sur les os évoquant le lancer de javelot. Artistes, dont la présence dans les grottes est démontrée par les efforts conjoints de pisteurs africains et d’anthropologues, cuisinières, pourquoi pas chamanes, tout semble possible à Lady Sapiens.

Les nombreuses statues évoquant le féminin, avec des vulves et seins évidents, sont aussi étudiées: celles qu’on désigne comme des « Vénus » sont-elles des odes à la fertilité ou tout autre chose ? Pourquoi sont-elles le plus souvent sans tête (ce que vous imaginez bien, si vous êtes déjà venu·es ici, me pose question) ?

Le plus fascinant, est cette découverte, par l’analyse d’éléments végétaux autour des sites du Paléolithique supérieur, qui tendent à démontrer que Lady Sapiens, maîtrisant le végétal, était celle qui – le plus souvent- détenait le savoir médical. Plantes abortives, plantes antiseptiques, « aspirine » naturelle, tout cela a été retrouvé à sa proximité notamment au Brésil. Les femmes, guérisseuses, ancêtres de nos sorcières bien-aimées, massacrées à la fin du Moyen-Age pour qu’advienne le pire du patriarcat ? L’hypothèse est séduisante.

Question séduction et sexualité, le livre émet des hypothèses. Et une certitude : nos ancêtres prenaient soin de leur apparence. Les parures -bijoux, vêtements- n’étaient pas réservés aux rites funéraires. Autre hypothèse, celui que la violence était également moins présente que « l’alliance » entre clans, tribus, groupes. De citer des « échanges de femmes » entre groupe pour assurer la survie de l’espèce. Mais note justement que parler « d’échanges de femmes » est peut être déjà une vision venue d’aujourd’hui. Il y aurait aussi eu des échanges d’hommes, et pas d’indications sur les proportions. Rien non plus sur les relations hors alliances liées à la survie du groupe, ni sur la « monogamie » ou « polygamie » ni sur les éventuelles relations entre individu·es de même sexe. Faute de traces, ou d’être sujet de recherche ?

Vision scientifique ou dictée par l’époque ?

Reste pour moi une question, à la lecture de tous ces éléments : très rassurants pour nous, les femmes, ils reposent souvent sur des faits, mais aussi sur une réflexion qui en appelle au bon sens humain. Il est souvent dit que la survie du groupe rendait nécessaire que chaque individu humain, puisse y participer non pas en raison de son sexe, mais de ses compétences. On dirait que les choix fait par les mini-sociétés de l’époque, seraient des choix liés à l’intérêt général. Et que les « identités » individuelles pour reprendre nos préoccupations contemporaines, n’auraient loisir de s’exprimer que si elles étaient en phase avec cet intérêt général.

On y voit une harmonie entre intérêt général et appelons-les désirs individuels (on ne parle pas de droit), qui nous fait pâlir d’envie, ou de nostalgie. Du bon sens, en somme, nos ancêtres en auraient-eu tellement plus que nous ? Cette vision de Lady et Mr Sapiens n’est-elle pas le summum du « c’était mieux avant » ? Mieux avant quoi ? L’écriture et la généralisation des concepts, l’agriculture (dont il est dit d’ailleurs que Lady Sapiens pourrait avoir joué un rôle majeur dans son émergence), l’argent ?

En refermant l’ouvrage, je me demande : nos ancêtres n’auraient-ils pas connu les « pêchés capitaux ». L’envie, la jalousie, la violence, la gourmandise, tout cela aurait-il cédé le pas à l’intérêt général ? La société ancestrale aurait-elle été, par ailleurs, une société non patriarcale, et qu’est-ce qui ferait qu’un jour elle le serait devenue ? Est-ce le Livre, et cet arbre de la connaissance, qui finalement, auraient fini par nous précipiter loin de ce Jardin d’Eden ?

L’hypothèse, dans notre atmosphère de fin du monde et j’ose, de culminance du patriarcat (avant la chute ? #dontlookup), est-elle une épiphanie de la compréhension de notre monde qui semble avoir perdu tout -bon- sens ? Ou, et dans quelle mesure (car il y a aussi les faits scientifiques importants qui sont exposés, bien sûr), peut-on y voir une nouvelle façon d’interpréter notre monde en fonction de qui nous sommes aujourd’hui ?

Sandrine Goldschmidt

2022 : voeux de cinéma et retour sur 2021

Mes meilleurs voeux à toutes et tous pour cette année qui commence encore compliquée. Personnellement, je vous souhaite une année en coeur, et en choeur féministe...

Une année qui commence les cinémas ouverts…l’an dernier il avait fallu attendre le 19 mai. Espérons, alors, que ce sera une année de cinéma, découvertes, émotions, réflexion…

En tout cas, le festival Femmes en résistance, festival féministe de documentaires que je co-organise, fêtera ses 20 ans, et ce sera – si tout va bien- le dernier week-end de septembre (mais jusque là on a échappé à toutes les fermetures).

En attendant de nouvelles découvertes, petit résumé traditionnel des films qui m’ont émue en 2021…j’en ai vu beaucoup en 7 mois 1/2 (82), donc j’en détaille 15, mais il en manque. N’hésitez pas à me faire part de ceux qui vous ont marqué·es, ému·es, transporté·es, ou à dire pourquoi vous n’êtes pas d’accord, etc.

Le Kiosque, de Alexandra Pianelli

Je commence par un documentaire passé un peu inaperçu mais que j’ai trouvé passionnant. Le Kiosque, c’est un peu le film dont on se demande comment, en 1h15 filmé, depuis l’intérieur d’un kiosque, on ne va pas s’ennuyer. Et puis, le miracle opère…on ne s’ennuie pas du tout. C’est un petit concentré de moments d’humanité. La réalisatrice, a beau n’avoir qu’1x2m d’espace, ce qu’elle voit, son point de vue, est une déclaration d’amour aux gens. Elle capte la vie dans ses petits moments, la scène du sans abri qui donne à une passante l’argent pour s’acheter un ticket de métro restera longtemps ancrée en moi. SI loin de l’humanité mesquine donnée à voir sur les « petits écrans ». Voila, ce à quoi sert le cinéma, peut être…

Nomadland, de Chloe Zao

Celui-là, bien sûr, tout le monde en a parlé, mais, (bien sûr aussi), il n’est finalement pas tant que ça dans les « top ten » des critiques. Et pourtant, après 6 mois de carence cinématographique, de confinement plus ou moins total, de couvre-feu, Nomadland m’a fait à la fois voyager, admirer, et ressentir les émotions simples de la vie. Des personnages extraordinaires juste par leur existence. Et le visage de Frances Mac Dormand, dont la moindre expression m’a profondément remuée. Un peu « le Kiosque » en grands espaces et semi-fiction, finalement…

Le diable n’existe pas, de Mohammad Rasoulof

Découverte in extremis à la dernière séance du 31 décembre au Lido à Saint-Maur. Le plus beau plaidoyer contre la peine de mort depuis Camus…En Iran, des militaires sont chargés de l’application des peines, ils doivent pousser le tabouret sous un condamné à la pendaison. Ce geste, est-il seulement celui de l’Etat, est-il le leur, quelles conséquences sur la responsabilité de chacune et chacun dans le pays, au sein du couple, de la famille, dans l’exil ? Le réalisateur, qui a tourné dans la clandestinité, l’examine à travers l’histoire de 4 hommes et leur entourage. Magnifique…

La traversée, de Florence Miailhe

Un film d’animation qui est une petite oeuvre d’art sur l’exil, l’enfance, la guerre, le traumatisme. C’est beau visuellement (mais pas « esthétisant ») et touche directement au coeur.

La fièvre, de Maya Da-Rin

Un drôle de film, contemplatif, admirablement filmé, au Mexique, depuis les docks jusque dans la jungle. La fièvre de cet homme, tiraillé entre la vie, et l’inerte de la société moderne, une rêverie superbement maîtrisée. Un de ces films d’un nouveau genre, que j’apprécie de plus en plus : Ce qui compte, n’est pas où va l’histoire, mais le chemin qu’on emprunte, et la réalité qu’on y découvre de pays, de cultures inconnues.

Milla, de Shannon Murphy

Un film dur, sur la maladie d’une adolescente, qui protège sa famille en y introduisant un drôle de petit copain et s’assure de pousser la vie jusqu’au bout. Un personnage magnifique, une loufoquerie bienvenue pour ne pas nous clouer au sol, mais nous élever avec elle vers le ciel…

La fracture, de Catherine Corsini

Unité de temps, de lieu, d’action. Panorama de notre société à l’heure des urgences d’hôpital débordées, de la violence policière sur ordre, et du désespoir. De tous les personnages, pas toujours aimables (et c’est bien comme ça), on retiendra l’infirmière, symbole de ces femmes, qui résistent à tout, pour continuer à faire leur travail, et préserver notre humanité…

Petite maman, de Céline Sciamma

Un drôle de film qui passe un peu trop vite pour avoir vraiment imprimé mon imaginaire. Et pourtant, en le voyant, je me suis retrouvée enfant, je me suis retrouvée maman, je me suis retrouvée à tous les âges en même temps, en me disant qu’il y avait là quelque chose de profondément juste que je n’avais pas vu avant. A revoir, donc.

Pingouin et Goéland, de Michel Leclerc

Je n’aime pas toujours parler d’héroïne. Mais Pingouin en est une, assurément, tout comme son goéland de mari. Cacher des enfants juives, sans jamais d’hésitation, au sein même d’une institution de Vichy qui servira de couverture… au risque de sa vie, et finalement de la perte de sa vie d’après. On ne les connaît pas, car ils ont été accusés à tort de collaboration…et n’ont été reconnus comme résistants que beaucoup plus tard. Michel Leclerc, le réalisateur, est le fils d’une de ces enfants de Sèvres, et nous raconte leur histoire. L’autre intérêt du film, c’est qu’il réfléchit en racontant, n’évite pas les contradictions, se pose de nombreuses questions contemporaines sur la victimisation, le devoir de mémoire ou l’oubli. Sans apporter de réponse définitive, heureusement…

Les amours d’Anaïs, de Charline Bourgeois-Taquet

Le rayon de soleil de l’année, avec Anaïs Demoustiers /Valeria Bruni-Tedeschi, amoureuses. Anaïs est un tourbillon, rayonnante, inattendue, fascinante, amoureuse, elle nous entraîne avec elle et Emilie l’écrivaine. Les hommes sont largement dépassés, et on en sort dans un bel état d’ivresse joyeuse, en pensant à Jeanne Moreau.

Freda, de Gessica Genehous

Freda, immersion dans la vie d’une étudiante haïtienne confrontée au chaos politique et au patriarcat qui l’entoure. Féministe et radical dans sa forme, la découverte d’un style, et enfin des images autres, complexes, multiples, d’un pays cantonné – comme tant d’autres- à notre imaginaire stéréotypé du « plays le plus pauvre du monde ». Mais quelle richesse dans ce film !

Un héros, d’Ashgar Fahradi

Puisqu’on parle d’héroïsme, ce film iranien en montre toutes les ambivalences. Héros sans le vouloir, sans avoir rien demandé, sans avoir rien fait, peut être. Qu’est-ce qui fait qu’on devient héros, qu’on cesse de l’être, est-ce que cela a vraiment un rapport avec l’action accomplie ? Et comment le monde corrompu, totalitaire qui l’entoure, manipule-t-il tout cela ? Finesse et efficacité, comme toujours avec ce réalisateur.