2019 : une année de lectures

Après ma liste de films, voici ma liste de livres remarquables en 2019…

D’emblée, quelques remarques. Je lis majoritairement des livres écrits par des femmes, surtout parmi les nouveautés. Parce que c’est une façon de contrer le sexisme persistant, en particulier dans la critique littéraire. Parce que, j’y reviendrai, les sujets qu’elles abordent n’existent pas forcément sans elles. Parce que la littérature a tellement servi la culture sexiste et la culture du viol (combien de temps aura-t-il fallu avant que chute entin Matzneff ?). Parce que la littérature, ne s’est tellement pas intéressée aux femmes réelles et à leur vécu spécifique et qu’il était temps que leurs récits sur elles-mêmes et leur vision du monde soient publiés.

Et de fait, les devantures des librairies proposent désormais de nombreuses oeuvres de femmes. Qu’ont-elles de particulier ? Pas un « style d’écriture féminine », je ne penche pas vers l’essentialisme. Mais des sujets qui sont abordés parce qu’ils sont l’expérience de tant de femmes jusque là peu abordée en littérature. Car jugés non dignes de cet art, parfois, ou simplement et parce qu’il faut en avoir fait et considéré l’expérience pour en parler d’un autre point de vue. La folie, le secret, les violences sexuelles, le rôle reproducteur, l’enfantement, l’exil des femmes arrachées à leur milieu d’origine aussi par le patriarcat, le conflit famille/liberté/identité, avoir « une vie à soi », ces sujets traversent quasiment tous les livres ci-dessous.

Avant de vous donner la liste, deux parenthèses. Cette année, j’ai découvert ou redécouvert deux grands auteurs hommes classiques, et ai très envie d’en parler.

J’ai lu pour la première fois Les Misérables en intégralité. Elles et ils m’ont accompagnée pendant 3 mois. J’ai apprécié chaque phrase, chaque chapitre, emprunts d’une grande humanité et d’une beauté littéraire époustouflantes. Qui fait que 100 pages sur le sort d’un évêque de campagne nous touche comme le sort de Cosette ou de Gavroche. Plaisir aussi de circuler dans les rues de Paris, pendant la lecture, et tomber par hasard sur les traces des événements décrits dans le roman, comme à l’angle du Faubourg Saint-Antoine et de la place de la Bastille, à propos des barricades.

Autre grand auteur, Zola. Par hasard, j’ai vu une série télé, inspirée de « Au bonheur des dames ». Etonnée par le ton féministe, j’ai eu envie de relire le roman (qui m’avait peu intéressée vers 18 ans). Le moins que l’on puisse dire, c’est que j’ai changé d’avis ! La description de la naissance du commerce moderne et de ce quartier autour de « 4 septembre » à Paris (où j’ai travaillé plusieurs années) m’ont fascinée. J’ai alors eu envie de lire tous les Rougon-Macquart. Aujourd’hui, j’en ai lu 9 et commence « Nana ». Chacun de ces 9 premiers tomes m’a passionnée. De la description du coup d’Etat de 1851 dans la ville de Plassans (ville imaginaire) dans La fortune des Rougon à Une page d’amour, sur les hauts de Passy, en passant par les classiques absolus L’Assommoir et Le ventre de Paris ou encore La curée, la force de description de Zola, l’élan qu’il donne à ses premiers chapitres, à un personnage, un quartier, un mouvement, sont fascinants. Objectif 2020, les 10 suivants !

Voici donc la liste des autres livres plus récents (mais pas tous de l’année, qui m’ont marquée cette année.

Rhapsodie des oubliés, de Sofia Alaouine. J’ai eu un peu de mal au début, mais l’écriture est vraiment puissante, l’hommage à Zola (cela se passe à la goutte d’or, la femme nigériane prostituée s’appelle Gervaise et sa fille restée au pays Nana) m’a forcément parlé, et l’émotion ne cesse de monter au fil du livre.

L’art de perdre d’Alice Zeniter un roman exceptionnel sur l’exil, et sur la complexité de l’identité, sur 3 générations : avant, pendant, après. De l’intelligence et de la grande littérature mêlées, ça fait du bien.

La nuit des béguines d’Aline Kiner Très beau roman sur ces femmes oubliées, qui parviennent -en se coupant des hommes et de leur violence et par la solidarité entre elles, à avoir une vie à elles, au XIIIè siècle. Evidemment, cela ne devait pas durer.

Filles de la mer, de Mary Lynn Bracht. L’horrible destin des femmes coréennes enfermées dans des bordels concentrationnaires pendant la deuxième guerre mondiale, le secret de famille, et la solidarité/sororité entre femmes qui traverse les générations.

Je cherche encore ton nom, de Patricia Loison. Très beau récit autobiographique de Patricia, adoptée à 6 mois, à la recherche de sa mère biologique. Très bien écrit, très émouvant, et pour qui l’a très bien connue, très évocateur. Bravo !

Les déracinés, de Catherine Bardon. Une histoire extraordinaire, la saga familiale d’un couple juif qui, fuyant l’Autriche sous le nazisme, fait partie des pionniers qui s’installe en République dominicaine sous le dictateur Trujillo, passant de l’espoir au désespoir, de l’utopie à la réalité.

Certaines n’avaient jamais vu la mer, de Julie Otsuka. Un chef d’oeuvre ! Des Japonaises mariées à des Japonais vivant aux Etats-Unis traversent l’océan et découvrent la vie aux Etats-Unis. Là encore, l’exil, le mariage forcé, la déception, le racisme. Le tout évoqué dans un long poème incantatoire. À lire absolument !

Les guerres de mon père, de Colombe Schneck. Encore une ex-camarade ! Ce récit m’a fortement touchée, pour les sujets qu’il aborde, l’héritage de la Shoah, du silence, du déni. La recherche de l’histoire familiale, de la compréhension du déni et du silence, ici caché sous la joie et la bonne humeur. Et les secrets à tiroir, leur complexité…

Le lilas ne refleurit qu’après un hiver rigoureux, de Martha Hall Kelly. Terrible destins croisés de femmes pendant la seconde guerre mondiale, en particulier de celles qui ont subi des expériences/mutilations à Ravensbrück. Et du combat pour la mémoire.

Suffragette Sally, de Gertrude Colmor, roman de 1911 inspiré de la vie des suffragettes. Un chef d’oeuvre, histoire extraordinaire de quand on enfermait les femmes pour avoir demandé le droit de vote dans une réunion publique, puis qu’on les nourrissait de force car elles faisaient la grève de la faim pour demander à être reconnues comme des prisonnières politiques. A noter aussi, une jolie solidarité entre femmes qui transcende les classes sociales.

Je suis Jeanne Hébuterne, d’Olivia Elkaïm. La vie de cette femme, qui aurait pu devenir une peintre reconnue, mais, devenue la compagne de Modigliani (avec des descriptions qui montrent la force de l’emprise), subit de plein fouet la violence conjugale, l’abandon, le mépris…et se suicide à la mort du peintre, dans l’indifférence totale.

A la demande d’un tiers, de Mathilde Forget. Très joli court roman, très bien construit, maîtrisé, dans lequel tous les thèmes de la littérature des femmes se retrouvent. Secrets de famille, folie des femmes vs patriarcat, stress post-traumatique. Et une héroïne lesbienne, sans s’apesantir sur le sujet, comme il y en a de plus en plus. (des fois c’est bien de s’apesantir, là c’est bien de ne pas…)

Le bal des folles, de Victoire Mas. Dans la veine du précédent, l’autrice décrit comment, du jour au lendemain, une jeune femme est enfermée à l’asile de Charcot, qui traitait les « hystériques ». Comment, grâce à la solidarité entre femmes, elle fait tout pour en sortir. Et comment, pour d’autres, l’asile est parfois un refuge face au patriarcat…

Le ciel par dessus le toit, de Natacha Appanah. Ecriture captivante toujours, ce nouveau roman de Natacha Appanah qui raconte l’histoire d’un jeune homme de 17 ans qui se retrouve en prison pour avoir provoqué un accident mortel à contresens sur l’autoroute, parle de l’enfance abandonnée, de l’incapacité de la société d’y répondre. De la violence, condamnée à se reproduire. Après le puissent Tropiques de la violence, un nouveau bel opus.

Une vie à soi, de Laurence Tardieu. Un de ces livres, où l’autrice s’interroge sur son enfance protégée, sur sa rencontre à travers le temps avec la photographe Diane Arbus et le choc qui s’en suit. Drôle de livre, qui, on ne sait pas toujours pourquoi, vous parle si intimement, fait tant de liens…

Abigaël, de Magda Szabo, l’autrice de « la porte ». Toujours aussi belle écriture, et étrange histoire que celle de cette jeune adolescente privilégiée qui se retrouve du jour au lendemain, pendant la seconde guerre mondiale, envoyée au pensionnat par son père, sans comprendre. Peu à peu, grâce à Abigaël la statue, les voiles vont se lever autour d’elle, la faisant passer de l’enfance à l’âge adulte.

Amours, de Leonor de Recondo. Dernier en date, toujours aussi bien écrit (que Pietra Viva). Ecriture fascinante, histoire fascinante, amour entre deux femmes, dépassement des classes sociales, trouver une vie à soi en dehors des codes patriarcaux, le temps d’une parenthèse. Difficile de ne pas penser que ce livre écrit en 2015 n’ait pas inspiré fortement « Portrait de la jeune fille en feu ».

Mon palmarès ciné 2019

Un palmarès qui ne ressemblera pas forcément aux autres (enfin j’espère 😉

À part, bien sûr, « Portrait de la jeune fille en feu », et « Parasite ».

J’ai choisi 31 films (sur 87 vus au cinéma), pourquoi ? Parce que l’ordre, à part les 5 premiers, n’a pas vraiment d’importance, et que tous ces films là m’ont marquée. J’aurais pu en mettre quelques autres

J’ai mis en avant les films qui m’ont bouleversée, les films qui ont parlé des luttes des femmes ou des femmes qui luttent, parce qu’évidemment ces films m’intéressent au plus haut point. J’ai mis des films qui racontent des histoires qu’on n’a jamais vues à l’écran (Papicha, Proxima, Sibel, Les éblouis). Ou alors « film de genre » mais un peu différent (Brooklyn Affairs est je trouve un excellent polar de l’après #metoo).

Sur 30, on est presqu’à parité : 16 femmes, 15 hommes (un film a deux réals)

Beaucoup  plus de films de femmes que dans les classements habituels… car peut-être faut-il aller les voir et ne pas les oublier aussitôt ;-)…

J’ai mis les documentaires à part, parce que c’est un tout autre genre, cela en rajoute 5.

Voilà. Et vous, qu’est-ce que vous avez aimé ? Que pensez-vous de cette liste ? Dites-le en commentaire !

(ah et pour les films dont vous n’avez jamais entendu parler dans la liste, Allocine les recense tous !)

1 Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma

PJFF

2 Long Way Home de Jordana Spiro

LWH

3 Sibel de Cagla Zencirci et Guillaume Giovanetti

Sibel

4 Proxima d’Alice Winocour

proxima

5 Les éblouis de Sarah Suco

eblouis

6 Tout ce qu’il me reste de la révolution de Judith Davis

Toutcequ'ilmereste

7 Roubaix une lumière d’Arnaud Depleschin

Excellent film, excellents acteurs, mais par dessus tout, performance extraordinaire de Sara Forestier

roubaix

8 Papicha de Mounia Meddour

Papicha

9 Brooklyn Affairs d’Edward Norton

brooklyn

10 Made in Bangladesh de Rubaiyat Hossein

MIBangladesh

11 Les faussaires de Manhattan de Marielle Heller

12 Un monde plus grand de Fabienne Berthaud

13 Parasite de Joon-Ho-Bong

14 Lune de miel de Elise Otzenberger

15 Fête de famille de Cédric Kahn

16 Les enfants de la mer de Ayumu Watanabe

17 Mjölk de Grimur Hakonarson

18 La vie invisible d’Euridyce Gusmao de Karim Aïnouz

19 Alice et le maire de Nicolas Pariser

20 Perdrix de Erwann Le Duc

21 Gloria Bell de Sebastian Lelio

22 Une femme d’exception de Mimi Leder

23 Tu mérites un amour de Hafsia Herzi

24 Martin Éden de Pietro Marcello

25 Seule à mon mariage de Marta Bergman

26 Liz et l’oiseau bleu de Naoko Yamada

27 Tel-Aviv on Fire de Sameh Zoabi

28 Si Beale Street pouvait parler de Barry Jenkins

29 Sorry we missed you de Ken Loach

30 Nos vies formidables de Fabienne Godet

Documentaires 

Pour Sama de Waad-al-Kateab

J’aimerais qu’il reste quelque chose de Ludovic Cantais

Chichinette de Nicola Hens

Working Woman de Michal Aviad

Warrior Women de Elizabeth Castel, Cristina King

Polanski, « j’accuse » et les victimes de viol

pdjpdpx.pngJe ne crois pas qu’il faille interdire à Roman Polanski de tourner. En revanche, on pourrait éviter de l’inviter sur les plateaux, de lui dérouler le tapis rouge, au moment même où une énième accusation de viol à son encontre, très sérieuse, et datant de 1975, lui est faite.

Quelques jours après le témoignage d’Adèle Haenel (voir mon dernier article), et quelques jours avant la sortie du film, pourquoi « s’en prendre encore une fois à Polanski », diront certain.es ? Parce que l’homme est puissant. Et que si le cinéma français et la presse ne font rien, ne se refusant tel l’écrivain Philippe Labro à aucun superlatif pour le film du réalisateur accusé à de multiples reprises de viols par des femmes qui n’ont jamais été entendues depuis dix ans, alors c’est l’omerta qui fonctionne déjà de nouveau à plein.

A quoi servirait-il que la presse, le monde du cinéma soutienne Adèle Haenel dans ses accusations contre l’obscur Ruggia, si c’est pour dédouaner par principe Polanski parce que c’est Polanski et parce qu’il traite -opportunément- d’un sujet hyperconsensuel d’une ignoble injustice antisémite, l’affaire Dreyfus ?

Adèle Haenel l’a dit elle-même : si elle a pu parler, c’est parce qu’elle est aujourd’hui plus puissante que son agresseur ; et donc qu’elle bénéficie d’une prime à la parole dont Valentine Monnier ne bénéficie pas. Dans le soutien public qu’elle a donné à celle-ci, Adèle Haenel le souligne d’ailleurs. Monnier n’est pas puissante. Elle prend donc des risques inimaginables en osant dénoncer un viol vieux de 45 ans, prescrit. Quel pourrait bien être son intérêt ? Elle n’en a aucun, sinon celui de pouvoir supporter l’affront d’un homme qui fait de son oeuvre un bouclier contre la justice, qui se pose en victime. Comme Adèle Haenel qui ne pouvait plus se taire alors que Ruggia préparait une suite aux « Diables », elle, ne supporte plus de se taire face à ce « J’accuse ». Peut-être se dit-elle, peut être à tort -car il reste à démontrer qu’un puissant puisse être condamné pour une violence sexuelle qu’il a commise, qu’aujourd’hui elle pourrait être entendue.

Pourquoi cela paraît il insupportable qu’il fasse un film sur Dreyfus ?

Dreyfus était innocent des faits de trahison qui lui étaient reprochés, oui. Pas Polanski. des faits de viol qui lui sont reprochés et ne sont pas tous prescrits. On le sait avec certitude au moins pour le viol d’une jeune femme qui avait 13 ans.

D’une façon perverse, il ne dit pas qu’il « est le capitaine Dreyfus », il dit « j’accuse » à ses accusatrices, et il laisse entendre qu’il serait victime d’acharnement judiciaire. Il compare le féminisme qui lui demande des comptes pour ses actes à l’acharnement contre Dreyfus !

Relativement passé inaperçu, ce communiqué autour du film, dont parle ici Marie-Claire, est hallucinant.

A la question de Pascal Bruckner, pas du tout orientée :  « En tant que juif chassé pendant la guerre et cinéaste persécuté par les staliniens en Pologne, survivrez-vous au McCarthyisme néo-féministe actuel qui, en plus de vous poursuivre partout dans le monde et essayer d’empêcher la projection de vos films, entre autres vexations, vous a expulsé de l’académie des Oscar ? »

En guise de réponse, Polanski parle d’un acharnement médiatique à son égard, qui n’est pas sans lui rappeler celui subi par le général Dreyfus en son temps (…). 

« Faire un film comme celui-ci m’aide beaucoup. Mon travail n’est pas une thérapie. Cependant, je dois avouer que je connais un grand nombre des rouages de l’appareil de persécution présenté dans le film et que cela m’a clairement inspiré. »

Soyons claire, encore une fois. Cela ne me dérangerait pas plus que ça, que Polanski fasse des films dans son coin, pour lui même et sa « thérapie », s’il ne choisissait pas justement de se comparer à un homme injustement accusé parce qu’il était juif. Ici, l’amalgame marche à plein. Et comparer les féministes, qui tentent de faire entendre la parole des femmes, enfin, dans le cinéma français, à l’armée française de la IIIe République ? Le stratagème est il si gros qu’il passe d’autant mieux ?

Tout ici est révoltant. Faudra-t-il qu’à chaque fois qu’une avancée est faite (le témoignage d’Adèle Haenel), la presse parle de « levée de l’omerta », pour que trois jours après, la chape de plomb s’abatte à nouveau sur les femmes victimes de viol ?

Je ne veux pas « la peau de Polanski ». Je m’en fous de lui. Je veux que les femmes victimes de viol soient écoutées, et entendues. Enfin.

S.G

 

Lettre à Adèle Haenel

Chère Adèle Haenel,

je crois que je vous ai vu jouer dans un film pour la première fois en allant voir Le Daim au mois d’août dernier. Je vous connaissais peu, et j’ai pensé : rôle pas facile, mais qu’est-ce qu’elle joue bien ! A peine 6 semaines plus tard, j’ai vu pour la première fois Portrait de la jeune fille en feu, le film fait pour vous par Céline Sciamma. Je ne savais même pas alors que celle-ci avait été votre compagne (je ne regarde pas les César ;-). Je savais évidemment encore moins ce que depuis vous avez confié.

C’était à Montreuil, au Méliès et vous étiez toutes les deux présentes. Alors que le film m’avait bouleversée et enthousiasmée (j’en parlais ici), vous mettiez exactement, toutes les deux, les mots sur ce que j’avais ressenti en regardant le film. Intelligence, talent, respect pour les femmes, regard politique sur l’amour parce que pour une des premières fois, c’était un regard vrai sur le désir, un regard source de vie pour les femmes et non d’emprisonnement dans un regard objectifiant (« male gaze »).

Un peu le même genre de choc que quand j’ai vu les portraits de nues de la grande peintre allemande (malheureusement décédée à 31 ans des suites de son accouchement), Paula Modersohn Becker, qui pour la première fois, me montraient qu’on pouvait peindre des femmes nues sans ce « male gaze », qui réduit la femme peinte au désir de ceux qui la regardent.

PJFFDans Portrait de la jeune fille en feu donc, même choc. Les scènes de sexualité ne sont pas montrées, on ne voit que la montée du désir, la montée du « dégel », la naissance de la vibration. Ne pas les montrer, c’était osé, mais indispensable. Parce que même si probablement Céline Sciamma, en dialogue avec vous et Noémie Merlant, aurait été capable de filmer des scènes d’une façon différente, l’état du cinéma est tel que cela aurait encore été emprisonné par le regard appris par des décennies de ce « male gaze ».  Et aurait été utilisé contre les femmes et les lesbiennes.
Tant que les hommes ne sont pas en mesure de penser les lesbiennes autrement qu’en support pornographique à leur excitation, et les femmes en général autrement qu’en objet de leur désir, il me semble nécessaire de ne pas les laisser regarder des femmes qui s’aiment.

Mais depuis que j’ai regardé en entier votre interview sur Mediapart, je sais que ce film est encore beaucoup plus. Alors que vous disiez, vibrante d’authenticité et de justesse, ce que vous aviez subi enfant, victime de cette violence sexuelle patriarcale du cinéaste, que vous livriez votre analyse des ressorts de ce système, une analyse approfondie, nuancée et ancrée dans le vécu de tant de femmes, vous avez parlé de la nécessité de remettre le monde à l’endroit.

Cela a été une nouvelle révélation du pourquoi Portrait de la jeune fille en feu m’avait tant et profondément bouleversée, chacune des trois fois que je l’ai vu. En effet, il est désormais clair que ce film est, outre une déclaration d’amour et politique sur l’amour, un film de réparation. Pour vous et toutes les femmes. Un film où le cinéma, la cinéaste et les actrices rendent aux personnages -et aux femmes- leur humanité de sujet désirant et souverain de son corps et de sa vie. Là où Ruggia vous avait volé votre humanité pour faire un objet entre ses mains, Portrait de la jeune fille en feu vous dévoile actrice de votre vie, de votre rôle, de votre art, de votre désir. Et cela rejaillit sur nous toutes.

Avec Portrait de la jeune fille en feu, la vie revient aux femmes, en image. Avec votre témoignage, elle nous revient aussi, en mots.

J’espère que des millions de femmes auront l’occasion d’être touchées par ce que vous nous avez offert là. Et que des millions d’hommes pour une fois écouteront et s’abstiendront de commenter, si ce n’est pour vous remercier d’avoir parlé.

Sandrine Goldschmidt

 

« Long Way Home »

« Long Way Home », « loin de chez soi » ou « loin de chez elle », est le premier film de l’actrice états-unienne Jordana Spiro, lassée de voir si peu de rôles intéressants pour les femmes. Avec ce long-métrage, elle donne à voir le portrait juste et tendre, et extrêmement émouvant, d’une ado/ toute jeune adulte qui sort de prison et  met du temps à retrouver la route de son « foyer » intérieur, et de la possibilité de changer son destin.

LWH

Le film s’ouvre par cette réflexion si étrange d’Angel dans sa cellulle de prison. Sa mère,  lorqu’elle était petite, la nuit, dans son lit au bord d’une route passante, parvenait à lui faire prendre le bruit des voitures pour celui des vagues. En prison, elle n’y parvient pas.

Surtout, elle n’y parvient pas, parce qu’un homme, son père, a brisé la magie de cette famille, en retournant son désespoir contre sa femme, comme tellement trop souvent.  Depuis, elle a beau vouloir s’en sortir, comme elle le dit à son ex-copine, lorsqu’elle la retrouve à sa sortie de prison (mais celle-ci ne l’a pas attendue), elle n’y parvient pas. Et dès le premier jour, elle met en danger sa libération conditionnelle, en allant « acheter », puis échanger contre du sexe (imposé bien sûr, par un homme sans scrupule qui sait sa vulnérabilité) une arme.

Une arme dont on comprend vite qu’elle la destine à son père. Que c’est pour avoir l’adresse de ce dernier, qu’elle retourne voir sa petite soeur, qui n’a que dix ans, qui est en famille d’accueil. Tout semble  la pousser à replonger, et le système social, qui n’a ni le temps ni les moyens de la prendre sous son aile (très belle scène de l’entretien avec son agent de conditionnelle), et son désir de vengeance envers ce père qui lui a volé son enfance et son avenir, pense-t-elle,. Une vengeance qui lui empêche de renouer avec cette soeur qui était encore si petite quand leur mère est morte et avec qui elle a du mal à partager le souvenir de celle-ci.

Mais grâce à cette petite soeur, Angel entame un curieux « road movie » de Philadelphie jusqu’ à la plage, en bus, un voyage de « retour à la maison », lent et douloureux. (La soeur, est incarnée par une jeune actrice extraordinaire, Tatum Marilyn Home : la réalisatrice a auditionné plusieurs centaines d’enfants avant qu’elle s’impose immédiatement pour le rôle). Extraordinaire, comme son personnage,  celui d’Abby, qui comprend tout, et qui veut retrouver une famille à travers sa soeur,  et, en l’emmenant vers la plage va les sauver toutes les deux, évitant à son aînée la reproduction du pire tout en lui permettant d’aller jusqu’au bout de sa quête.

Avant de quitter pour la dernière fois de sa vie la maison de son enfance, où elle a retrouvé son père et où elle est venue accomplir sa vengeance, elle retourne une dernière fois dans la chambre où elle a tant ressenti l’amour de sa mère. C’est là qu’elle parvient à « rentrer chez elle », à s’affranchir de la haine, qui n’a jamais rien apporté contre la haine. et  qu’elle finit par les entendre, ces voitures qui font le bruit des vagues, et les allers-retours de la vie.

J’ai aimé dans ce film, qu’il mette -enfin ! l’accent sur les relations entre deux soeurs, et une relation mère-fille qui ne soit pas toxique, le fait que tous les sentiments soient évoqués dans ce cheminement, sur cette route où la réalisatrice sait s’arrêter sur de très beaux moments poétiques, et tout simples, comme celui où les deux soeurs re-découvrent l’océan. Un film à voir, vite, car il ne restera pas longtemps à l’affiche. 

S.G

Tout ce qu’il me reste de la révolution

Toutcequ'ilmeresteVoilà un film très intéressant, réalisé par Judith Davis, marquée par le fait qu’elle a grandi sur les « Maréchaux », boulevards de ceinture de Paris aux noms des Maréchaux de France, et qui sont une sorte de « pré-périph » autour de Paris.

Intéressant, car sans jamais ennuyer, elle nous pose la question de ce qu’il reste de la « révolution », celle de 1968… pas grand chose ? un film avant les Gilets jaunes, qui, qu’on les honnisse ou les adore, ou qu’on ne sache vraiment pas quoi en penser, sont en quelque sorte en germe dans le récit du film… Intéressant, et drôle, aussi, et c’est une des grandes forces du film, comme l’explique la réalisatrice : « ne pas laisser le terrain de l’humour à la bêtise ».

Quelle bonne idée ! Un vent de liberté souffle sur ce film, qui fait aussi penser à « Oublier Cheyenne », sorti en 2005, et qui se posait le même genre de questions…d’ailleurs, on y reconnaît souvent la patte de la co-scénariste Cécile Vargaftig.
Angèle, la personnage principale interprétée par Judith Davies, a du mal à abandonner le mythe du grand soir, de la révolution. Et sa façon de continuer la lutte est tout d’abord rafraîchissante : engueuler son patron, ex-soixante-huitard qui la renvoie sans états d’âmes, se planter devant Pôle emploi en faisant une parodie des services de l’agence et arracher des sourires à celles et ceux qui font la queue devant la porte, en investissant une banque pour y lire un poème aux employé·es et client·es sidéré·es.

Recruter lors de ces actions des femmes et des hommes pour participer à des « groupes de parole politique », où « il n’y a pas de chef·fe », où il n’y a pas de bon et mauvais sujet, pas de règle… mais que c’est difficile à réaliser ! (la référence à des mouvements comme Nuit debout est évidente).

A l’opposé d’Angèle, sa soeur incarne l’anti-révolution. Elle, qui a renoncé depuis longtemps à la lutte, a choisi la société actuelle, où l’objectif, est d’avoir une belle maison, une grosse voiture qu’il faut garer « dans le bon sens » (mais à quel prix), beaucoup d’invité·es à l’anniversaire de l’enfant qui constitue l’épicentre d’une famille, celui sur qui se concentre toute l’attention -le contraire en fait de ce qu’elle a vécu dans son enfance à elle.

A travers elle, et en particulier à travers le personnage du beau-frère, elle montre la violence économique, comment la société capitaliste, en exacerbant la notion de compétition, de loi du plus fort (s’il faut écraser les autres pour réussir et avoir un intérieur bourgeois, alors on y fonce), broie ces individus qu’elle prétend glorifier, et en fait des bras armés pour l’élimination des plus faibles. A tel point qu’il manque de devenir fou, dans une scène d’une violence inouïe, où masculinité toxique et violence économique se mêlent alors qu’il rejoue une scène de son quotidien : renvoyer quelqu’un·e, qui est un « boulet » pour la société (société anonyme, l’entreprise, qui se confond avec la société -le peuple).

Liberté et révolution 

Angèle, contrairement à sa soeur, a gardé l’esprit de la révolution. Comme sa mère, qui les a « abandonnées » à ses 15 ans (la suite de l’histoire révèlera ce qu’il en est réellement de cet « abandon »), voit dans la famille un obstacle à la révolution. A tel point que cela la fait résister à l’amour. Mais on découvrira que c’est en fait sa situation individuelle, la non résolution de la crise de ses 15 ans, qui l’empêche de dépasser l’époque révolue de cette forme là de révolution. Et on découvre avec elle la responsabilité de son père, Simon le révolutionnaire, dans cette crise.

Au cours du film, sans que ce soit appuyé comme tel, la masculinité toxique est épinglée. Que ce soit le mari, ou le père, à l’opposé politique l’un de l’autre (le premier incarnant le capitalisme, le second la révolution) tous deux se révèlent à un moment clé, comme porteurs de cette « maladie » patriarcale, qui mènent la société et les femmes qui les entourent à l’impasse, qui les empêche d’être libres. 

Ainsi, alors que le film, analysé un peu rapidement, pourrait donner l’impression que « tout ce qu’il me reste de la révolution », c’est l’amour…en réalité, livre une réflexion fine et drôle sur l’imbrication du privé et du politique, et sur ce que peut signifier aujourd’hui être révolutionnaire.

La séquence-clé du film nous fait quitter Paris pour une nature idyllique, nous emmène à la campagne, ce fantasme de tant de Francilien·nes se sentant « en boîte » à Paris. En boîte,  pressé·es comme des sardines, que ce soit dans les transports ou au travail, pressé·es, ne travaillant que pour les vacances ailleurs, là où l’on peut se retrouver enfin comme un poisson dans l’eau, enfin libres d’étendre les bras, de nager (comme dans la dernière scène de la séquence, dans la rivière).

Je ne sais pas si c’est l’intention de la réalisatrice, mais le film est venu rencontrer une réflexion que j’ai eue avec une amie deux jours plus tôt : et si, être révolutionnaire, être libre, ce n’était ni se fondre dans l’impératif du « collectif révolutionnaire agissant pour le grand soir », ni se fondre  dans un libéralisme qui condamne chacun·e qui l’accepte à jouer pour soi de la loi du plus fort et permet, si l’on fait partie des plus forts, de « faire ce qu’on veut », tant pis pour les autres. Si c’était, tout simplement, à chaque instant, qu’on pouvait incarner la révolution dans nos actes,  dans nos idéaux, en étant en mouvement permanent donc en révolution, en n’arrêtant jamais les aiguilles de la montre, pas plus sur ses 15 ans que sur 1789 que sur 1917 ou 1968 ou sur le backlash des années 1980… mais en continuant à les laisser  tourner, en apprenant de nos erreurs, et en ne limitant jamais notre liberté d’être nous-mêmes qu’à celle de l’autre, à chaque instant ?

S.G

La bande annonce :

 

 

W.Allen : 47 nuances de domination masculine

Ecrire sur Woody Allen. Dur. D’abord, quand on a été fan. Et qu’on se réjouissait tous les ans de la sortie de ses nouveaux films. Manhattan, Annie Hall, Stardust Memories, Radio Days, Zelig, La rose pourpre du Caire, Another Woman…mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, alors que sort sont 47e film, « Café Society » à Cannes, voilà pourquoi je ne veux plus m’intéresser à l’oeuvre du réalisateur, reflet d’un société qui n’aime pas les femmes et les enfants, une société dont -justement- je ne veux pas.

la rose pourpre du CaireA une époque où, le réalisateur new-yorkais n’avait pas encore la cinquantaine, et semblait être encore dans le doute existentiel, pas dans la célébration du « plaisir dû aux hommes ». De Woody Allen, j’aimais l’auto-dérision permanente. Il se moquait en permanence de lui-même. Et en face, il y avait des personnages de femmes qui, si visiblement il ne les comprenait pas, avaient souvent plus l’air de savoir où elles en étaient que lui. Bien sûr, si aujourd’hui, je revoyais ces films, je verrais probablement poindre sous la carapace, une vision à tendance masculiniste (d’ailleurs, l’affiche ci-contre n’est pas tendre pour Mia Farrow, que je n’aimais pas à l’époque) : les hommes étaient tellement perturbés par des femmes s’affirmant avec le féminisme…

De Crimes et délits

Je me souviens que, à la fin des années 1980, malgré les critiques dithyrambiques à l’égard de ce film, je n’avais pas « réussi à aimer » Crimes et délits, sans bien comprendre pourquoi. Je l’ai revu depuis, et j’ai de nouveau ressenti la même chose. Il me semble que c’est un film charnière, vers la veine des films les plus sexistes de Woody Allen. Aujourd’hui encore, il fait partie des références absolues pour les critiques du cinéaste : Crimes et délits, au départ appelé « Frères » (si, si !), est ainsi le chef d’oeuvre absolu selon Télérama. Il « passe devant » Manhattan et Annie Hall, et devant Hannah et ses soeurs (un de mes préférés). Alors, qu’est-ce donc qui ne me va pas dans cette façon de voir les films ?

Jeu, set et match point

Autre indication : en numéro 5 classement de Télérama, l’autre film que j’ai le plus détesté, mais alors franchement détesté, pour son regard sur les femmes : « Match Point », qui est un peu le pendant de « Crimes et délits ». Le film est remarquablement fait. Mais l’héroïne est sacrifiée. Elle est totalement objectifiée et méprisée avant d’être éliminée. C’est le deuxième tournant, où l’homme emporte le point décisif du match homme-femme.

Le réalisateur, qui pour moi célébrait l’intelligence à l’écran, a désormais décidé de regarder le monde d’une façon totalement désespérée et désespérante…pour les femmes. Alors, il est déjà un vieillard sûr de lui, qui explique qu’il « ne lit jamais rien de ce qu’on dit sur lui », et qui trouve que cette situation désespérée -qu’il critiquait peut être encore dans « Crimes et délits », il faut au moins en tirer du bénéfice. iLe monde est pourri, mais puisque les hommes y prennent du plaisir, pourquoi se priver ?

Scarlett Johannson sacrifiée

Alors il choisit les actrices les plus belles du moment, et les attire irrémédiablement dans son piège : Woody Allen, contrairement à Hitchcock, qui, même s’il y avait de la réification (et de la violence de sa part sur les tournages), se sent surtout tout petit face à ses actrices, ne magnifie pas les femmes à travers de belles actrices. Car elles sont uniquement représentées comme des objets du regard pornifiant du réalisateur, des objets de plaisir -mais quel plaisir- pour les hommes. A aucun moment on ne peut avoir envie d’être à leur place, ni d’être avec elles. Je pense à Cate Blanchett dans « Blue Jasmine ». Je n’en ai pas de souvenir particulier. Alors que pour sa prestation dans « Carol » , la simple esquisse d’un sourire sur son visage, réussit à me bouleverser. Parce que le regard sur elle est différent. C’est un regard qui la fait exister, qui la rend femme, être humaine, qui nous fait éprouver de l’empathie.

Le regard de Woody Allen sur les femmes depuis longtemps, ne me fait qu’éprouver de la peur pour elles.

Représentation de la sexualité : de la masturbation à la fellation et à la prostitution

C’est assez intéressant de se pencher sur la représentation -essentiellement parlée- de la sexualité dans ses films. Pendant longtemps, la masturbation -masculine- était au coeur de son discours, avec de l’auto-dérision, des interrogations sur ce qui pouvait procurer le désir. Depuis deux décennies, la fellation, représentée comme une prestation de service sexuel et pas un moment dans un échange sexuel réciproque, l’a emporté.

Il semblerait qu’Allen a ainsi dépassé, compris ce qui jusque-là le bloquait : un « puritanisme féministe »(2), qui reproche aux hommes de faire des femmes-objets, qui voudrait que la liberté sexuelle soit pour tout le monde, et qu’il y ait égalité et non domination dans les rencontres sexuelles et amoureuses. Les femmes, sujets de leur désir, c’est moins agréable apparemment que d’en faire des objets, des possessions, et des prestataires de services. Ainsi, je le montrais dans ma critique de To Rome with Love (To Rome with Rape !), où le réalisateur allait jusqu’au bout de la logique : le jeune vierge effarouché qui ne connaît rien à l’amour, s’en sort grâce au service d’une prostituée tombée du ciel qui va lui apprendre la vraie vie…

Les années 1990, années du backlash allenien

C’est donc en 1989, avec Crimes et délits, que se situe je pense la charnière de ce qui va devenir la « deuxième partie de l’oeuvre » du désormais presque sexagénaire.

Charnière entre un Woody Allen qui s’interroge sur l’équilibre du monde, sur l’équilibre entre les sexes et qui visiblement n’y trouve pas son compte, et un Woody Allen qui n’a plus rien à nous dire sur ce monde. Car il ne doute plus : il a trouvé. Il a trouvé quelle devait être la place des femmes. Et il a trouvé, dans la vraie vie, la femme de sa vie, qui correspond à tout cela (alors que Mia Farrow, avec qui il n’a jamais vécu, qui a adopté 14 enfants, et qui faisait beaucoup « comme elle l’entend », était tout autre).

Soon-Yi, Dylan et Woody

En 1991, éclate en effet une affaire qui fait scandale dans la vie de Woody Allen et nous amène jusqu’à aujourd’hui : il entretient -depuis combien  de temps ? -une relation sexuelle et amoureuse avec Soon-Yi la fille adoptive de sa compagne Mia Farrow. Celle-ci le découvre par hasard, par le biais de Polaroïds de sa fille nue retrouvés chez son compagnon, photos « presque pornographiques ». Il pense à l’époque que ce ne sera qu’une aventure. Mais depuis le scandale, il a décidé de l’épouser, et est toujours avec elle.

Et en parle : « Et dans un sens, sans que cela vienne de moi ou d’elle, la dynamique était en marche. J’étais sa figure paternelle. […] J’aime sa jeunesse et son énergie. Elle est déférente envers moi et je suis heureux de lui offrir l’opportunité de prendre des décisions et de la laisser prendre en charge autant de choses. » 

Récemment, il disait même tout ce qu’il lui avait apporté, comment il avait changé sa vie, d’une enfant des rues en Corée à la femme d’un grand réalisateur…(ce n’est pas lui qui l’a adoptée, je rappelle…) « J’ai vraiment réussi à lui rendre la vie meilleure », dit-il. Bon et elle ? Que lui a-t-elle apporté ? « Beaucoup de plaisir », répond-il…

 La vie rejoignant la fiction, la femme retrouvant sa place, ou plutôt la fiction rejoignant la vie ?

Une histoire modèle

Bon, il y a Soon-Yi : j’aurai toujours du mal à penser que tout est normal dans le fait de sortir avec la fille de sa compagne, alors même qu’elle est adolescente, à peine adulte, et qu’on la connaît depuis dix ans. Mais il y a aussi Dylan, sa fille adoptive, qui a dénoncé l’agression sexuelle dont elle dit avoir été victime alors qu’elle avait 7 ans et qu’Allen était en plein divorce avec Mia Farrow. A ce moment là, le divorce était conflictuel, mais pas encore « guerrier ». Pour en savoir plus sur cette histoire, et les allégations qui poursuivent Allen jusqu’à aujourd’hui, voilà un article intéressant sur la vie de Mia Farrow.

Des faux-souvenirs ? 

Celle-ci, est typiquement accusée par Allen de folie destructrice liée à la déception d’être rejetée. C’est troublant, quand on sait qu’elle avait déjà divorcé deux fois (du grand chef d’orchestre André Prévin et de Frank Sinatra) et que cela ne s’était jusque là pas produit. C’est troublant, quand on sait que depuis, les seuls qui ont finalement souffert, c’est tout le monde sauf lui…qui explique que tout ça, il n’y pense plus depuis longtemps (c’est ce qu’il a dit à Cannes cette année après avoir expliqué qu’il ne lisait pas ce qu’on dit de lui, en référence à la lettre de son fils Ronan qui soutient sa soeur).

C’est troublant surtout, quand on sait que disqualifier la mère est en général l’arme préférée des prédateurs, des agresseurs sexuels, qui prétendent que les mères seraient capables d’installer des faux-souvenirs dans la tête de leurs enfants(1). Mais qu’aucune observation sérieuse et scientifique n’a jamais donné le moindre crédit à cette théorie. Bien au contraire.

Lire une réalité à travers l’oeuvre

Bref. Tous les faits de cette histoire, tels qu’ils sont connus via la presse, entrent dans la logique du déni des violences sexuelles commises contre les enfants. Et cela me suffirait déjà pour ne plus vouloir aller voir un film d’Allen.

Mais aussi, et c’est ici le propos principal, je trouve que l’analyse dans le temps des films eux-mêmes,  d’un point de vue féministe, suit étrangement  le fil de ce qui se passe dans la réalité. Comme si, le réalisateur, sans illusion sur le monde et la morale, avait fini par s’en accomoder, n’ayant plus grand chose à dire la plupart du temps, mais nous montrant tout de même comment les hommes y prennent du plaisir, et ne faisant plus que calquer sur la tendance pornifiante de l’industrie cinématographique, tournée vers ce plaisir masculin (obtenu par l’érotisation de la violence, évidemment).

Au delà donc même de la vie de l’artiste, que certains pensent devoir dissocier de l’oeuvre, je n’attendrai pas que l’oeuvre atteigne sa cinquantième nuance de domination masculine pour cesser de m’y intéresser.

Sandrine Goldschmidt

(1)Au fait, comment est-ce qu’on met des faux-souvenirs récents dans la tête d’un enfant ? Parce qu’il me semble que dans la théorie d’origine, on accusait certains psys d’implanter des faux souvenirs dans la tête de leur patients, en leur faisant accorder de la crédibilité à  leurs fantasmes enfantins d’agressions sexuelles par les adultes ?  Mais là, des faux-souvenirs alors qu’on a 7 ans ?

(2) Je fais bien sûr ici écho à l’hallucinante blague de Laurent Laffite, qui semble trouver que reprocher à Polanski le viol d’une jeune ado de 13 ans est du puritanisme américain !

Pauvres hommes chinois !

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NB, si jamais ce n’était pas clair : ce texte n’attaque pas particulièrement la réalisatrice qui a fait un gros travail de reportage et espère certainement dénoncer une situation, ce que les dix dernières minutes font en partie. Mais c’est la « recette » de ce que, pour rendre un docu visible en patriarcat, il faut surtout qu’il présente le monde à l’envers. C’est le point de vue qu’il faut adopter pour faire accepter qu’on en parle  ou être « original ».

Vous voulez la recette d’un « bon documentaire » ?

Regardez : « la peine des hommes », en replay sur Arte. 

Un sujet vous intéresse : le déficit de femmes en Chine. Un bon sujet direz-vous ? Faire une vraie enquête de terrain, mettre à jour les violences faites aux femmes que cela entraîne (ce qui existe en vrai dans le film) ? Mais non, cela ne suffit pas. Comment le traiter pour que cela ne soit pas trop tarte à la crème, ni trop féministe, c’est-à-dire vraiment pas fun ? Il vous faut réfléchir encore un peu.

Réfléchissons donc. Ce « déficit » de femmes est dû, bien sûr, à l’avortement sélectif pratiqué au moment de la politique de l’enfant unique (1979-2015). Cette politique + la tradition qui veut qu’une famille ait un héritier mâle qui puisse aussi nourrir les parents pour les vieux jours, voici un cocktail détonant pour éliminer les femmes (1).

Donc, en bonne logique (mais apparemment, personne n’y avait pensé au départ !!!), au moment où 25 ans plus tard, les jeunes garçons nés de ces familles, arrivent en âge de se marier, oh choc : il manque de femmes ! Or, vous le savez, les hommes ont des besoins irrépressibles. Ils ont besoin de posséder une femme. Cela fait partie de leur virilité.

Je vous imagine, vous auriez pu penser que cela allait « donner plus de valeur ou de respect » aux femmes, qu’il faudrait conquérir. Mais dans ce cas, c’est que vous seriez très naïf ou naïve, ou vous croiriez que la domination masculine et le patriarcat n’existent pas…Donc, la vraie conséquence, que ce soit en Inde ou en Chine (1), est bien la suivante : on vole, viole ou achète des femmes en développant un trafic international. Des millions de femmes qui ne naissent pas, des millions de femmes violentées, exploitées, marchandisées, qui souffrent. C’est tellement banal. Rien de nouveau sous le ciel patriarcal. Pas de quoi faire un film !

Continuez à chercher une bonne idée.  Ah, ça y est ? vous avez trouvé ? Il suffit de mettre le monde à l’envers. S’il manque de femmes, alors, on l’a dit, les hommes sont seuls. Mais c’est terrible ! Que n’y avions-nous pensé plus tôt? On les a laissé naître, mais on ne leur donne pas leur dû ! Une femme à posséder ! Alors forcément, ces pauvres hommes sont bien malheureux ! Désespérés, même, nous explique en ouverture spectaculaire de ce film exceptionnel, un industriel bien malin qui a décidé d’apaiser les souffrances de ces pauvres célibataires chinois en leur fabriquant des poupées grandeur nature.

Car il faut faire quelque chose. Ce désespoir des hommes est, dit-il, à l’origine d’une crise qui menace la stabilité du pays. Et le commentaire de nous dire : « les chiffres donnent raison à l’industriel ».

Comprenez bien. C’est la surenchère. Nos pauvres hommes, qui ont de la peine, donc. Oui le documentaire s’appelle très justement « la peine des hommes » c’est quand même beaucoup plus intéressant que l’élimination systématique des femmes, qui ne serait pas fun. Peine des hommes – male tears, c’est ça ? -les féministes comprendront(1).

Ecoutez les :

« à force de ne pas trouver de femme, je sens mon coeur…vide ».

A propos de ses co-villageois qui ont acheté une femme à l’étranger : « Ils ont mon âge. Eux vivent, et moi, je cherche toujours une femme ». 

Et le commentaire : ces hommes sans femmes, les Chinois les appellent les branches mortes, qui ne porteront jamais de fruits.

J’espère que vous pleurez, là.

Donc, nos pauvres hommes montrés ici, doivent travailler dur, et même quitter leur village, pour espérer un jour gagner assez d’argent pour qu’une femme les accepte. Les PAUVRES !!!

Mais ce n’est pas fini : ils doivent donc travailler à l’usine, et pensez-vous qu’ils sont plus heureux ? Mais non, car les femmes ne veulent pas toujours d’eux, s’ils n’ont pas assez d’argent. Bien sûr, cela doit être pour cela que le nombre d’agressions sexuelles augmente sur les lieux de travail,  La violence des hommes contre les femmes n’y est pour rien…

Et la direction de regretter que les femmes y soient moins majoritaires (à l’usine, pour bosser comme des bêtes), qu’avant.« les hommes sont moins précis, ils apprennent moins vite. on a de plus en plus de problèmes de discipline. ils se battent tout le temps » (sic)

Ce n’est pas parce qu’on est dans un système qui encourage les hommes à ne pas se sentir mâles si ils ne possèdent pas une femme, mais non, c’est parce que leur coeur est vide, nous vous l’avons dit.

« Leur frustration et leur solitude, il les comblent avec leurs téléphones portables ». 

Et pas qu’avec les téléphones portables (en regardant de la pornographie, summum des violences contre les femmes ?). D’autres hommes pleurent, eux, parce qu’une femme, ils en avaient une. Mais on leur a volée. Il y a des trafics de femmes de plus en  plus importants. La police chinoise s’emploie, bien sûr, à empêcher cela, nous montrent des images. On nous montre même que parfois ils arrêtent des trafiquants. Ou peut être des maris voleurs ? Des hommes criminels ? Mais non, ce ne serait pas une bonne recette. On nous montre deux femmes, intermédiaires trafiquantes arrêtées, c’est beaucoup plus intéressant (là, le docu n’est pas en cause ce sont peut être les seules images données par la police chinoise mais ça revient au même).

Mais j’exagère : le documentaire dénonce incontestablement le trafic, il faut le reconnaître. Il est même un peu trop direct je trouve. On pourrait croire que les femmes sont les victimes. En tout cas, c’est ce que ceux qui ont rédigé le résumé qu’on trouve sur le replay ont du penser, car il est tout de même un peu plus proche de la réalité :

« De désespoir, certains kidnappent des femmes. »

Vous comprenez, c’est pas de leur faute, c’est le désespoir…

« Je me sens moins seul. Ca y est, je suis heureux »

Dernière partie du documentaire, la « love story », le « happy end ». Un jeune homme,  qui était donc désespéré de ne pouvoir donner d’héritier à sa famille, car il habite dans un village de célibataires, a économisé avec sa famille pendant plusieurs années. Enfin, il a amassé assez d’argent pour s’acheter une femme en Indonésie. Cette jeune fille, c’est Lai. Aux grand maux les grands remèdes, et vous n’allez pas nous embêter avec des idées comme « les humains ne s’achètent pas » . C’est beau de voir son regard amoureux. A lui. Son émerveillement, quand, alors qu’il allait la chercher et avait promis de l’argent aux trafiquants et au père de Lai, « elle a dit oui ». Quel formidable preuve de consentement et d’amour qui met fin à son calvaire ! Il conclut donc : « je me sens moins seul. Ca y est, je suis heureux ».

Et elle ? Encore une question mal placée. Même si, là, le documentaire ne l’esquive pas. Elle, nous dit-on, on l’a convaincue que ce serait une vie moins dure qu’en Indonésie. Et puis, comme ça, son père a reçu de l’argent, alors en plus, elle fait une double bonne action:  mettre fin au désespoir du célibataire, et nourrir son père.

Evidemment, elle n’a jamais quitté son pays, elle parle un peu chinois mais pas le patois local, et on ne la laissera certainement jamais revoir sa famille, nous dit-on, alors qu’on la voit, le regard perdu. On verrait presque à cet instant la perle d’une larme dans ses yeux.Le commentaire alors, laisse poindre une critique vaguement féministe :

« combien de femmes achetées, de vies volées, avant que ces campagnes mettent fin à la tradition, laissent vivre les filles » ? (…) et de finir , pour commenter la fin de la politique de l’enfant unique :

« peut-être se souviendront-ils alors de cet autre proverbe chinois : les femmes portent la moitié du ciel »

Ah mais non, vous allez gâcher le happy end ! Ca ne va pas du tout cette fin… c’est le féminisme qui envahit nos écrans, là ! Non mais pas grave. De toutes façons, le résumé (3) et le titre sont là pour bien vous rappeler ce que vous devez retenir d’une bonne propagande patriarcale. Ne pas développer de l’empathie pour la souffrance des femmes, mais bien se soucier de  « la peine des hommes ». N’oubliez pas !

S.G

(1) NB c’est la même chose « à l’envers en Inde » : en Chine, on ne fait pas de filles car on a besoin d’un garçon pour ses vieux jours. En Inde, on ne fait pas de filles car il faudra payer la dot pour qu’elle aille à la famille d’un autre…

(2) male tears est une expression qu’on utilise pour souligner quand les hommes (sans par ailleurs se préoccuper de plaindre les femmes) se plaignent d’être eux mêmes des pauvres victimes, du patriarcat, des féministes, etc…

(3) » Des millions de jeunes célibataires affluent vers le sud du pays, et travaillent nuit et jour dans les usines du Delta des Perles, l’atelier du monde, tout en tentant de trouver l’âme soeur. Mais, là aussi, les filles se font de plus en plus rares. De désespoir, certains kidnappent des femmes. D’autres partent s’en acheter une à l’étranger. Des Birmanes, des Vietnamiennes, des Indonésiennes « importées » en Chine. Alors que la Chine vient de mettre fin officiellement à 35 ans de politique de l’enfant unique — grandement responsable de ce déséquilibre entre les sexes — des célibataires, broyés par cette impossibilité mathématique de trouver une femme, témoignent et nous emmènent au coeur du trafic, prêts à tout pour ne pas rejoindre les rangs des célibataires endurcis. Ceux que les Chinois appellent « guang gun », les branches mortes, qui ne porteront jamais de fruits ».

Les bonnes nouvelles de la littérature pour ados

Mary Wollstonecraft

J’allais mettre en titre pour « jeunes filles », mais c’est bien le revers de la médaille. Je commence donc par la mauvaise nouvelle avant les bonnes : les livres pour enfants, écrits par des femmes, sont de plus en plus nombreux à briser les stéréotypes et à permettre à nos enfants de connaître et d’admirer des femmes importantes de l’histoire. Le hic, c’est que ces livres ne sont lus que par des filles, et catalogués « pour filles ». Mais bon, le propos du jour est de vous donner des bonnes nouvelles

Donc, pour peu qu’on gratte un peu au-delà de la surface des rayons des librairies -même si je suis totalement fan de Harry Potter qui pour le coup a l’avantage d’être totalement mixte (à condition d’avoir lu les 7 volumes de la série et pas seulement vu les films), et si je suis convaincue due JK Rowling est une ennemie du patriarcat (pour avoir lu son roman « pour adultes), pour peu qu’on s’écarte un peu des séries acceptables mais trop galvaudées pour prendre des risques, on trouve des petites perles, qui méritent même d’être lues par les parents.

Claudine de Lyon, quand la République s’assurait que les petites filles puissent aller à l’école

Un jour, mes parents ont ainsi offert à ma fille -lyonnais et frère et belle-soeur d’une Claudine oblige, « Claudine de Lyon ». Un roman qui parle des Canuts (1) , par la voix de Claudine, onze ans, qui travaille déjà 10h par jour au métier à tisser avec un père violent et borné. Elle découvre le goût de la lecture lors d’un séjour de repos forcé à la campagne pour soigner sa phtisie. Elle rêve d’aller à l’école, en train de devenir obligatoire, mais son père lui refuse d’y aller. Nous sommes au temps de Jules Ferry, et le père ira trois jours en prison pour l’obliger à laisser sa fille aller à l’école, et ensuite réaliser son rêve, devenir une grande styliste des vêtements qu’elle s’est d’abord tuée à tisser. A 8-10 ans, pour ma fille, c’était -bien mieux que mes bavardages- une formidable et bien écrite prise de conscience féministe, devenu alors (c’était avant Harry Potter) son livre préféré !

Le secret des cartographes, ou comment j’ai découvert Artemisia Gentileschi

Autre livre que je n’ai pas encore lu en entier (série de trois volumes), « Le secret des cartographes », de Sophie Marvault, s’inspire largement pour son personnage principal de la vie de la grande artiste Artemisia Gentileschi, pour ensuite lui inventer un destin d’exploratrice. Si bien sûr je connaissais l’artiste, je ne savais pas sa vie, la violence (viol) qui l’a frappée alors qu’elle aspirait à devenir une grande peintre, la question à laquelle on l’a soumise pour voir si elle ne mentait pas lors du procès de son violeur (déjà…)…et voilà que c’est dans un livre de ma fille, que je lis une belle conscience féministe, qui montre clairement aux filles l’injustice d’un système judiciaire qui n’a malheuresement pas tellement changé…

Enfin, je viens de commencer une nouvelle série qu’a lu ma fille, les enquêtes d’Enola Holmes de Nancy Springer. Enola Holmes (Alone à l’envers), est la soeur du célèbre Sherlock, âgée de 20 ans de moins que le détective. A 14 ans, elle fait sa connaissance ainsi que de son frère aîné Mycroft, qui la méprisent en temps que jeune femme (voilà la description de deux célibataires misogynes endurcis), et lui demandent si elle a eu une gouvernante. Elle leur répond que non, mais qu’au moins, elle sait lire, qu’elle a lu Shakespeare et…Mary Wollestoncraft ! Le livre m’en est presque tombé des mains. Quelle chance, me suis-je dit, a ma fille d’avoir entendu parler de Mary Wollstonecraft à l’adolescence, quand moi j’ai dû attendre d’avoir la trentaine bien tassée. Alors bien sûr, elle n’aura peut être pas lu toute la note qui explique qui était l’auteure de « Défense des droits de la femme » (A vindication of the Rights of Women), ouvrage majeur du féminisme britannique, écrit en 1792, et de « pensées sur l’éducation des filles ». Mais au moins, elle est citée dans un contexte où l’autonomie et l’éducation des femmes est clairement revendiqué. Et à propos de la grande auteure : en 1797, âgée de 38 ans, elle meurt d’une septicémie des suites de son accouchement. En plus d’une oeuvre féministe exceptionnelle, elle laisse au monde sa fille, Mary, qui deviendra Mary Shelley, la célebrissime auteure de « Frankenstein ».

Merci donc à ces auteures de transmettre à nos filles -et peut être aussi aux garçons (d’ailleurs mon père a trouvé très intéressant le secret des cartographes…mais c’est vrai qu’il a un peu passé l’âge d’être traité de garçon…), la mémoire de ces femmes exceptionnelles que l’histoire a trop souvent eu vite fait d’oublier. La relève, grâce à elles, est assurée !

S.G

 

(1)tisserands lyonnais du XIXe siècle, vivant dans des appartements hauts de plafond pour que les métiers puissent y entrer, qui donnent aujourd’hui des appartements si joliment atypiques du quartier de La Croix Rousse

Vice-versa, la vérité de nos émotions à l’écran avec Pixar

Vice-versa des studios Pixar, est après Maléfique l’été dernier, un petit bijou de films pour enfants et a réussi à m’enthousiasmer pour plusieurs semaines, et même bouleversée. Le titre en français est nettement moins juste que le titre en anglais : ‘inside out’, « dedans dehors » : vous allez comprendre pourquoi. En voici ma vision, qui m’a accompagnée lors de moments difficiles. J’imagine que d’autres y auront vu d’autres choses. En tout cas, je ne sais pas si c’est un film pour enfants, mais tous les adultes que je connais qui l’ont vu ont aimé, et ont pleuré  !

L’histoire de l’héroïne de Vice-versa, est terriblement banale. C’est celle de Riley, une petite fille de 11 ans qui a vécu heureuse dans son Montana natal avec ses parents unis, à jouer au hockey, à rire beaucoup avec ses parents, à s’entourer d’un monde merveilleux, et à faire quelques bêtises…jusqu’à ses onze ans. Les voilà qui déménagent à San Francisco, dans un milieu qui lui paraît atroce, où les pizzas n’existent qu’au honni brocoli, où elle ne connaît personne, ou même le hockey l’ennuie… Tout lui devient hostile, rien ne va, et elle plonge rapidement dans une forme de dépression. Mais ce qui n’est pas du tout banal, et fait le film, c’est le point de vue choisi pour raconter l’histoire : celui de ses émotions, qui sont incarnées par 5 personnages aux commandes de son cerveau : Joie, Tristesse, Colère, Dégoût et Peur.

Le film a deux qualités extraordinaires : d’abord, cette idée, qui est ensuite déclinée avec une créativité exceptionnelle, dans un formidable voyage dans le cerveau humain. Ensuite, c’est une leçon formidable sur la façon d’accueillir les événements difficiles dans notre vie.

Un voyage extraordinaire dans le cerveau et la mémoire humaines

La créativité tout d’abord. Le «  QC  », quartier cérébral, avec les 5 émotions, gère les événements qui arrivent dans la vie de la jeune fille, chaque matin au réveil. Lorsqu’un danger arrive, Peur intervient, lorsqu’un mauvais aliment (le brocoli) se retrouve dans l’assiette, Dégoût s’affole, lorsque quelque chose vient contrarier Riley c’est Colère qui s’exprime. La plupart du temps, toutefois, c’est Joie qui est présente, et Tristesse intervient surtout aux moments de quelques pleurs de bébé.

Une fois la journée terminée, les souvenirs sont envoyés pour traitement -pendant le sommeil- dans la mémoire, et c’est l’heure des rêves, jusqu’au lendemain matin. Certains souvenirs sont plus importants que d’autres, ce sont eux qui constituent et construisent la personnalité de Riley, ils trônent au centre du QC. A proximité à l’extérieur, les îles, piliers de cette personnalité, vivent  : la famille, les amis, les bêtises, le hockey, etc.

Balade dans la mémoire à long terme

Ces souvenirs principaux, sont jusque là tous jaunes, de la couleur de «  Joie  ». Mais le déménagement catastrophique, vient tout mettre en danger. Tout d’un coup, Tristesse semble avoir pris son autonomie, et elle ne reste pas à la place que Joie (qui commande les autres), lui a assigné. Elle se met à colorer de bleu les souvenirs fondamentaux. Voilà qui affole Joie, qui essaie à tout prix d’empêcher Tristesse d’agir et de protéger les souvenirs essentiels (symbolisés par des boules tupe de cristal, dans lesquelles on peut voir le film du souvenir). Mais ces boules et les deux émotions sont éjectées du QC, pour se retrouver perdues dans la mémoire à long terme.

Voilà un autre moment formidable  : cet immense labyrinthe qu’est la mémoire à long terme, où travaillent deux ouvriers, qui envoient les souvenirs «  inutiles  » vers l’oubli pour faire de la place, et s’amusent régulièrement à envoyer un souvenir à dans le QC, c’est à dire à la conscience  : une chanson-scie de publicité qui vient perturber  Riley à n’importe quel moment (et qui aura bien sûr son utilité dans l’histoire, car rien n’est laissé au hasard).

L’industrie du rêve et l’inconscient

Là Tristesse ne peut s’empêcher encore, de colorer toutes les boules qui passent devant elle en bleu, et les deux émotions font une rencontre cruciale, celle de l’ami imaginaire de Riley, un peu oublié…et qui va les aider à retrouver le chemin du QC. Vient alors le train de la pensée qui doit les ramener au centre de commandes, mais qui s’arrête lorsque Riley dort. Géniaux, les rêves de Riley, des scénarios écrits par l’inconscient comme si on était au studio de cinéma (car n’est-il pas l’industrie du rêve)  ? Que Joie et Tristesse vont pénétrer pour essayer de réveiller Riley. Et la destruction progressive des îles constitutives de la personnalité de Riley au fur et à mesure qu’elle s’enfonce dans la dépression. Je ne raconterai pas le dénouement, mais cette mise en image de ce qui se passe dans notre cerveau, d’une façon qui me semble à la fois juste et accessible même aux plus petits (les enfants de 7/8 ans semblant beaucoup apprécier le film), est extrêmement réjouissante.

Ne pas empêcher Tristesse de faire son oeuvre

Mais le film a donc une autre qualité qui m’a particulièrement touchée, c’est de nous dire quelque chose de fondamental sur la façon dont nous gérons nos émotions. Ainsi, depuis sa naissance, c’est Joie qui l’a emporté dans le cerveau de Riley, et tant mieux, car la plupart de ses souvenirs sont heureux.  Mais du coup, l’émotion prégnante chez elle a développé l’idée qu’il faut absolument que les souvenirs centraux soient de sa couleur, et qu’une journée soit «  réussie  ». Un perfectionnisme, qui va mettre Riley en danger de coupure de ses émotions, si elle ne laisse pas à un moment donné Tristesse faire son œuvre.

Ainsi, à vouloir empêcher des souvenirs heureux d’être colorés par la tristesse ressentie au moment du déménagement, elle provoque ses ruptures cérébrales qui vont empêcher Riley d’être traversée par la tristesse, croyant bien faire et lui éviter ainsi d’être malheureuse. Ce qu’elle ne comprend pas au début du film (et je vous laisse deviner si cela va changer), c’est que laisser venir et se laisser traverser par la tristesse est indispensable car c’est la réalité du ressenti de Riley, et que seule l’acceptation de l’émotion triste, va lui permettre de la dépasser. Si elle ne l’accepte pas, elle se coupe d’elle-même et tombe dans la dépression. Joie ne comprend plus rien.

Des souvenirs aux 5 couleurs de nos émotions

Si elle l’accepte, alors la voilà certes envahie par le chagrin, mais avec la capacité d’exprimer son chagrin, donc la possibilité d’être comprise, consolée, reconnue comme aimée même si elle n’est pas «  parfaitement  » animée de la gaîté et de la joie qui fait le bonheur de ses parents. Et la possibilité que la tristesse décore à son tour le souvenir heureux de son enfance, mais sans l’envahir ni l’obliger à se couper de ses émotions.

Il y aurait encore des dizaines et des dizaines de détails à raconter sur le film, comme lorsque «  Dégoût  » provoque Colère à la fin du film, ou les émotions des parents lorsqu’elles s’expriment, mais je préfère m’arrêter sur cette conclusion et cet enseignement du film, et vous laisser encore quelques point à découvrir si vous ne l’avez pas vu  !

Et proposer aussi, si pour vous, le film a été plus important sur d’autres points, de donner vos impressions en commentaire  !

Sandrine Goldschmidt