2019 : une année de lectures

Après ma liste de films, voici ma liste de livres remarquables en 2019…

D’emblée, quelques remarques. Je lis majoritairement des livres écrits par des femmes, surtout parmi les nouveautés. Parce que c’est une façon de contrer le sexisme persistant, en particulier dans la critique littéraire. Parce que, j’y reviendrai, les sujets qu’elles abordent n’existent pas forcément sans elles. Parce que la littérature a tellement servi la culture sexiste et la culture du viol (combien de temps aura-t-il fallu avant que chute entin Matzneff ?). Parce que la littérature, ne s’est tellement pas intéressée aux femmes réelles et à leur vécu spécifique et qu’il était temps que leurs récits sur elles-mêmes et leur vision du monde soient publiés.

Et de fait, les devantures des librairies proposent désormais de nombreuses oeuvres de femmes. Qu’ont-elles de particulier ? Pas un « style d’écriture féminine », je ne penche pas vers l’essentialisme. Mais des sujets qui sont abordés parce qu’ils sont l’expérience de tant de femmes jusque là peu abordée en littérature. Car jugés non dignes de cet art, parfois, ou simplement et parce qu’il faut en avoir fait et considéré l’expérience pour en parler d’un autre point de vue. La folie, le secret, les violences sexuelles, le rôle reproducteur, l’enfantement, l’exil des femmes arrachées à leur milieu d’origine aussi par le patriarcat, le conflit famille/liberté/identité, avoir « une vie à soi », ces sujets traversent quasiment tous les livres ci-dessous.

Avant de vous donner la liste, deux parenthèses. Cette année, j’ai découvert ou redécouvert deux grands auteurs hommes classiques, et ai très envie d’en parler.

J’ai lu pour la première fois Les Misérables en intégralité. Elles et ils m’ont accompagnée pendant 3 mois. J’ai apprécié chaque phrase, chaque chapitre, emprunts d’une grande humanité et d’une beauté littéraire époustouflantes. Qui fait que 100 pages sur le sort d’un évêque de campagne nous touche comme le sort de Cosette ou de Gavroche. Plaisir aussi de circuler dans les rues de Paris, pendant la lecture, et tomber par hasard sur les traces des événements décrits dans le roman, comme à l’angle du Faubourg Saint-Antoine et de la place de la Bastille, à propos des barricades.

Autre grand auteur, Zola. Par hasard, j’ai vu une série télé, inspirée de « Au bonheur des dames ». Etonnée par le ton féministe, j’ai eu envie de relire le roman (qui m’avait peu intéressée vers 18 ans). Le moins que l’on puisse dire, c’est que j’ai changé d’avis ! La description de la naissance du commerce moderne et de ce quartier autour de « 4 septembre » à Paris (où j’ai travaillé plusieurs années) m’ont fascinée. J’ai alors eu envie de lire tous les Rougon-Macquart. Aujourd’hui, j’en ai lu 9 et commence « Nana ». Chacun de ces 9 premiers tomes m’a passionnée. De la description du coup d’Etat de 1851 dans la ville de Plassans (ville imaginaire) dans La fortune des Rougon à Une page d’amour, sur les hauts de Passy, en passant par les classiques absolus L’Assommoir et Le ventre de Paris ou encore La curée, la force de description de Zola, l’élan qu’il donne à ses premiers chapitres, à un personnage, un quartier, un mouvement, sont fascinants. Objectif 2020, les 10 suivants !

Voici donc la liste des autres livres plus récents (mais pas tous de l’année, qui m’ont marquée cette année.

Rhapsodie des oubliés, de Sofia Alaouine. J’ai eu un peu de mal au début, mais l’écriture est vraiment puissante, l’hommage à Zola (cela se passe à la goutte d’or, la femme nigériane prostituée s’appelle Gervaise et sa fille restée au pays Nana) m’a forcément parlé, et l’émotion ne cesse de monter au fil du livre.

L’art de perdre d’Alice Zeniter un roman exceptionnel sur l’exil, et sur la complexité de l’identité, sur 3 générations : avant, pendant, après. De l’intelligence et de la grande littérature mêlées, ça fait du bien.

La nuit des béguines d’Aline Kiner Très beau roman sur ces femmes oubliées, qui parviennent -en se coupant des hommes et de leur violence et par la solidarité entre elles, à avoir une vie à elles, au XIIIè siècle. Evidemment, cela ne devait pas durer.

Filles de la mer, de Mary Lynn Bracht. L’horrible destin des femmes coréennes enfermées dans des bordels concentrationnaires pendant la deuxième guerre mondiale, le secret de famille, et la solidarité/sororité entre femmes qui traverse les générations.

Je cherche encore ton nom, de Patricia Loison. Très beau récit autobiographique de Patricia, adoptée à 6 mois, à la recherche de sa mère biologique. Très bien écrit, très émouvant, et pour qui l’a très bien connue, très évocateur. Bravo !

Les déracinés, de Catherine Bardon. Une histoire extraordinaire, la saga familiale d’un couple juif qui, fuyant l’Autriche sous le nazisme, fait partie des pionniers qui s’installe en République dominicaine sous le dictateur Trujillo, passant de l’espoir au désespoir, de l’utopie à la réalité.

Certaines n’avaient jamais vu la mer, de Julie Otsuka. Un chef d’oeuvre ! Des Japonaises mariées à des Japonais vivant aux Etats-Unis traversent l’océan et découvrent la vie aux Etats-Unis. Là encore, l’exil, le mariage forcé, la déception, le racisme. Le tout évoqué dans un long poème incantatoire. À lire absolument !

Les guerres de mon père, de Colombe Schneck. Encore une ex-camarade ! Ce récit m’a fortement touchée, pour les sujets qu’il aborde, l’héritage de la Shoah, du silence, du déni. La recherche de l’histoire familiale, de la compréhension du déni et du silence, ici caché sous la joie et la bonne humeur. Et les secrets à tiroir, leur complexité…

Le lilas ne refleurit qu’après un hiver rigoureux, de Martha Hall Kelly. Terrible destins croisés de femmes pendant la seconde guerre mondiale, en particulier de celles qui ont subi des expériences/mutilations à Ravensbrück. Et du combat pour la mémoire.

Suffragette Sally, de Gertrude Colmor, roman de 1911 inspiré de la vie des suffragettes. Un chef d’oeuvre, histoire extraordinaire de quand on enfermait les femmes pour avoir demandé le droit de vote dans une réunion publique, puis qu’on les nourrissait de force car elles faisaient la grève de la faim pour demander à être reconnues comme des prisonnières politiques. A noter aussi, une jolie solidarité entre femmes qui transcende les classes sociales.

Je suis Jeanne Hébuterne, d’Olivia Elkaïm. La vie de cette femme, qui aurait pu devenir une peintre reconnue, mais, devenue la compagne de Modigliani (avec des descriptions qui montrent la force de l’emprise), subit de plein fouet la violence conjugale, l’abandon, le mépris…et se suicide à la mort du peintre, dans l’indifférence totale.

A la demande d’un tiers, de Mathilde Forget. Très joli court roman, très bien construit, maîtrisé, dans lequel tous les thèmes de la littérature des femmes se retrouvent. Secrets de famille, folie des femmes vs patriarcat, stress post-traumatique. Et une héroïne lesbienne, sans s’apesantir sur le sujet, comme il y en a de plus en plus. (des fois c’est bien de s’apesantir, là c’est bien de ne pas…)

Le bal des folles, de Victoire Mas. Dans la veine du précédent, l’autrice décrit comment, du jour au lendemain, une jeune femme est enfermée à l’asile de Charcot, qui traitait les « hystériques ». Comment, grâce à la solidarité entre femmes, elle fait tout pour en sortir. Et comment, pour d’autres, l’asile est parfois un refuge face au patriarcat…

Le ciel par dessus le toit, de Natacha Appanah. Ecriture captivante toujours, ce nouveau roman de Natacha Appanah qui raconte l’histoire d’un jeune homme de 17 ans qui se retrouve en prison pour avoir provoqué un accident mortel à contresens sur l’autoroute, parle de l’enfance abandonnée, de l’incapacité de la société d’y répondre. De la violence, condamnée à se reproduire. Après le puissent Tropiques de la violence, un nouveau bel opus.

Une vie à soi, de Laurence Tardieu. Un de ces livres, où l’autrice s’interroge sur son enfance protégée, sur sa rencontre à travers le temps avec la photographe Diane Arbus et le choc qui s’en suit. Drôle de livre, qui, on ne sait pas toujours pourquoi, vous parle si intimement, fait tant de liens…

Abigaël, de Magda Szabo, l’autrice de « la porte ». Toujours aussi belle écriture, et étrange histoire que celle de cette jeune adolescente privilégiée qui se retrouve du jour au lendemain, pendant la seconde guerre mondiale, envoyée au pensionnat par son père, sans comprendre. Peu à peu, grâce à Abigaël la statue, les voiles vont se lever autour d’elle, la faisant passer de l’enfance à l’âge adulte.

Amours, de Leonor de Recondo. Dernier en date, toujours aussi bien écrit (que Pietra Viva). Ecriture fascinante, histoire fascinante, amour entre deux femmes, dépassement des classes sociales, trouver une vie à soi en dehors des codes patriarcaux, le temps d’une parenthèse. Difficile de ne pas penser que ce livre écrit en 2015 n’ait pas inspiré fortement « Portrait de la jeune fille en feu ».

Les bonnes nouvelles de la littérature pour ados

Mary Wollstonecraft

J’allais mettre en titre pour « jeunes filles », mais c’est bien le revers de la médaille. Je commence donc par la mauvaise nouvelle avant les bonnes : les livres pour enfants, écrits par des femmes, sont de plus en plus nombreux à briser les stéréotypes et à permettre à nos enfants de connaître et d’admirer des femmes importantes de l’histoire. Le hic, c’est que ces livres ne sont lus que par des filles, et catalogués « pour filles ». Mais bon, le propos du jour est de vous donner des bonnes nouvelles

Donc, pour peu qu’on gratte un peu au-delà de la surface des rayons des librairies -même si je suis totalement fan de Harry Potter qui pour le coup a l’avantage d’être totalement mixte (à condition d’avoir lu les 7 volumes de la série et pas seulement vu les films), et si je suis convaincue due JK Rowling est une ennemie du patriarcat (pour avoir lu son roman « pour adultes), pour peu qu’on s’écarte un peu des séries acceptables mais trop galvaudées pour prendre des risques, on trouve des petites perles, qui méritent même d’être lues par les parents.

Claudine de Lyon, quand la République s’assurait que les petites filles puissent aller à l’école

Un jour, mes parents ont ainsi offert à ma fille -lyonnais et frère et belle-soeur d’une Claudine oblige, « Claudine de Lyon ». Un roman qui parle des Canuts (1) , par la voix de Claudine, onze ans, qui travaille déjà 10h par jour au métier à tisser avec un père violent et borné. Elle découvre le goût de la lecture lors d’un séjour de repos forcé à la campagne pour soigner sa phtisie. Elle rêve d’aller à l’école, en train de devenir obligatoire, mais son père lui refuse d’y aller. Nous sommes au temps de Jules Ferry, et le père ira trois jours en prison pour l’obliger à laisser sa fille aller à l’école, et ensuite réaliser son rêve, devenir une grande styliste des vêtements qu’elle s’est d’abord tuée à tisser. A 8-10 ans, pour ma fille, c’était -bien mieux que mes bavardages- une formidable et bien écrite prise de conscience féministe, devenu alors (c’était avant Harry Potter) son livre préféré !

Le secret des cartographes, ou comment j’ai découvert Artemisia Gentileschi

Autre livre que je n’ai pas encore lu en entier (série de trois volumes), « Le secret des cartographes », de Sophie Marvault, s’inspire largement pour son personnage principal de la vie de la grande artiste Artemisia Gentileschi, pour ensuite lui inventer un destin d’exploratrice. Si bien sûr je connaissais l’artiste, je ne savais pas sa vie, la violence (viol) qui l’a frappée alors qu’elle aspirait à devenir une grande peintre, la question à laquelle on l’a soumise pour voir si elle ne mentait pas lors du procès de son violeur (déjà…)…et voilà que c’est dans un livre de ma fille, que je lis une belle conscience féministe, qui montre clairement aux filles l’injustice d’un système judiciaire qui n’a malheuresement pas tellement changé…

Enfin, je viens de commencer une nouvelle série qu’a lu ma fille, les enquêtes d’Enola Holmes de Nancy Springer. Enola Holmes (Alone à l’envers), est la soeur du célèbre Sherlock, âgée de 20 ans de moins que le détective. A 14 ans, elle fait sa connaissance ainsi que de son frère aîné Mycroft, qui la méprisent en temps que jeune femme (voilà la description de deux célibataires misogynes endurcis), et lui demandent si elle a eu une gouvernante. Elle leur répond que non, mais qu’au moins, elle sait lire, qu’elle a lu Shakespeare et…Mary Wollestoncraft ! Le livre m’en est presque tombé des mains. Quelle chance, me suis-je dit, a ma fille d’avoir entendu parler de Mary Wollstonecraft à l’adolescence, quand moi j’ai dû attendre d’avoir la trentaine bien tassée. Alors bien sûr, elle n’aura peut être pas lu toute la note qui explique qui était l’auteure de « Défense des droits de la femme » (A vindication of the Rights of Women), ouvrage majeur du féminisme britannique, écrit en 1792, et de « pensées sur l’éducation des filles ». Mais au moins, elle est citée dans un contexte où l’autonomie et l’éducation des femmes est clairement revendiqué. Et à propos de la grande auteure : en 1797, âgée de 38 ans, elle meurt d’une septicémie des suites de son accouchement. En plus d’une oeuvre féministe exceptionnelle, elle laisse au monde sa fille, Mary, qui deviendra Mary Shelley, la célebrissime auteure de « Frankenstein ».

Merci donc à ces auteures de transmettre à nos filles -et peut être aussi aux garçons (d’ailleurs mon père a trouvé très intéressant le secret des cartographes…mais c’est vrai qu’il a un peu passé l’âge d’être traité de garçon…), la mémoire de ces femmes exceptionnelles que l’histoire a trop souvent eu vite fait d’oublier. La relève, grâce à elles, est assurée !

S.G

 

(1)tisserands lyonnais du XIXe siècle, vivant dans des appartements hauts de plafond pour que les métiers puissent y entrer, qui donnent aujourd’hui des appartements si joliment atypiques du quartier de La Croix Rousse

Wild : la vie au bout du chemin

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Surmonter ses traumatismes et donner un sens à sa vie dans la nature et en s’infligeant une épreuve personnelle, c’est presqu’une tarte à la crème du cinéma américain. Après « Into The Wild », qui racontait une histoire vraie, « Wild » s’attaque à cette thématique. L’originalité, c’est que c’est une femme qui s’attaque à la Pacific Crest Trail. Une femme jeune et tourmentée qui n’a aucune expérience de la randonnée s’attaque aux 1700 km de cette marche exceptionnellement difficile, à travers déserts, neige et haute montage, de la Californie à l’Etat de Washington (à la frontière avec le Canada).

Un film inspiré des mémoires de Cheryl Strayed, incarnée par Reese Witherspoon (qui a acheté les droits pour sa maison de production), un ouvrage sorti en 2012 et rapidement considéré par le New York Times comme un classique de la « littérature sauvage et du féminisme moderne ».

Car Strayed n’hésite pas à le dire, elle est féministe. Et ce n’est pas que le deuil de sa mère adorée, morte d’un cancer à 45 ans qu’elle tente d’oublier sur les 1700 km de sa route, ce sont aussi les embûches de notre société patriarcale qu’elle doit surmonter, embûches qui sont autant de traumatismes graves. Violences conjugales subies par sa mère et la terreur que cela inflige à la petite fille qu’elle était et son frère, et ses conséquences après le choc du deuil : addictions dissociantes que sont pour elles l’héroïne et « de coucher avec n’importe qui ». Seule façon de dépasser ça, couper avec ce monde et se retrouver seule face à l’adversité et la nature.

Elle fait sur sa route des rencontres, dont une mauvaise -heureusement elle échappe de justesse à l’homme qui incarne le prédateur sexuel. Mais la plupart des hommes qu’elle rencontre sur sa route du Pacific Crest Trail lui rendent service, tant et si bien qu’elle parvient à laisser sa légende derrière elle, surnommée par trois jeunes gens « que personne n’aide », la « Reine du PCT. Et lorsqu’elle « tombe » enfin sur une femme, c’est un grand cri de joie et d’enfin possibilité de réel partage qui se présente à elle. Dernière rencontre essentielle, celle d’un petit garçon et sa grand-mère, petit garçon avec qui elle a un échange émouvant, et en chantant, lui permet de libérer son émotion.

Tout au long de la route, le film décrit bien les flashes qui la parcourent, les souvenirs qui l’assaillent, 1.700 kilomètres qui lui permettent d’explorer et faire l’aspect avec tous les recoins de son cerveau, et finissent par lui permettre  de se séparer enfin de sa culpabilité intériorisée de femme victime. La marche n’est plus seulement rédemptrice, mais tout simplement libératrice. Au bout de son chemin, elle peut enfin espérer vivre sa vie, et faire ce que sa mère avait tant voulu pour elle. Profiter de chaque lever et chaque coucher du soleil.

Car il n’est pas inutile de nous le répéter chaque jour : s’il n’y a qu’une chose sacrée dans ce monde, c’est bien la vie.

S.G

 

De l’illusion de la puissance…à la possibilité d’agir

IMG_19512014 s’achève. Tant mieux. Cent ans après la mort de mon arrière-arrière-grand mère, Melanie, et après le début d’un cataclysme mondial il semblerait qu’on sache moins que jamais où on va…

Dans l’atmosphère catastrophiste où la France se complaît, les mots d’Ariane Mnouchkine n’ont pas été entendus. Rien ne va, mais c’est la faute…du Président, de son ex-compagne, des médias, des pauvres pour les riches, des riches pour les pauvres, des étrangers pour les Français qui croient l’être plus que d’autres, des hommes,… c’est la faute des autres, en résumé !

Rien ne va oui, il y a des choses terribles : la pauvreté, les trafics d’êtres humains, les violences envers les femmes, enfants, que l’on refuse de voir et de combattre suffisamment, la montée d’une idéologie génocidaire contre les femmes « sous l’égide de Dieu », la haine des autres avec la montée de l’extrême droite…et malgré les tentatives militantes, les choses n’ont pas l’air de beaucoup avancer. Mais elles ne peuvent avancer si on ne regarde que ce qui ne va pas, ce qui n’est « pas assez », pas suffisant, ce que les autres font de mal ou ne font pas…et si l’on ne  se concentre pas sur soi et sa capacité d’agir sur ce monde…

Rien ne va, je n’en suis pas si sûre. Hypothèse : le problème ne serait-il pas que l’humain n’aime pas la perte de maîtrise sur son environnement ? Et que là, comme ailleurs, il faut d’abord lâcher prise, et essayer déjà d’être maître-sse de soi ? Mais ma vision, là aussi, est peut être intimement liée à ma position dans ce monde aujourd’hui, ici et maintenant, ce n’est donc que l’hypothèse qui me convient le mieux… en tout cas, je ne vois pas de raison objective de penser que le monde court à sa perte plus que les paysans de l’an mil, les écrivains de l’apocalypse, les juifs au moment de la seconde guerre mondiale ou les Occidentaux qui avaient peur de l’arme nucléaire.

Rien ne va, et pourtant pour peu que l’on regarde un peu au dessus de la zone de flottaison, il y a beaucoup de choses qui ne vont pas si mal et qui se font, des gens qui agissent pour que ça aille mieux. Je n’ai pas envie de laisser gagner les partisans de la haine, ceux pour qui il vaut mieux que rien n’aille ou n’ait l’air d’aller, parce que ça les nourrit… Il y a plein de gens qui font de leur mieux pour mettre un peu d’amour, de « care », dans ce monde. Il y a plein de gens formidables, qui se préoccupent des autres et d’eux-mêmes (équilibre nécessaire…) qui inventent des solutions pour rendre la vie un peu plus belle et parfois dans des situations difficiles. Il y a des enfants qui naissent et apportent -pour peu qu’on veuille bien les voir, les entendre, les respecter comme des personnes, leur regard sur le monde et un fol espoir avec eux et elles.

DSCF6832Alors tout va bien ? Certainement pas. Il y a des tas de choses qui « ne sont pas bien allées » et je suis pour les regarder en face. Mais surtout pour celles qui nous concernent directement nous, et sur lesquelles on peut agir. Parce que c’est nous mêmes, parce que c’est notre métier, parce que c’est là qu’on milite… Mais si l’on ne peut rien y faire, à quoi cela sert-il de se complaire de notre impuissance ? Ainsi, partager et re-partager par le biais des réseaux sociaux, des infos qui nous scandalisent, qu’on n’a pas vérifié, qui viennent confirmer l’idée vraiment -que c’est la faute des autres-, n’est-ce pas « agir » sur ce sur quoi on ne peut pas agir ? Et nous rendre malade, malheureu-se, triste, désespéré-es… Alors qu’agir est possible et qu’on peut  faire bouger les choses.

En résumé, je crois plus que jamais qu’on peut agir, mais d’abord sur soi, depuis soi, en essayant de ne pas être dans l’illusion humaine de la toute puissance…et j’ai plus envie aujourd’hui de partager  avec vous mes coups de coeur et celles qui incarnent cette possibilité de l’action…

En voici quelques unes, militantes, littéraires et cinématographiques qui ont marqué pour moi 2014 :

La marche de Rosen (ancienne personne prostituée qui milite pour l’abolition de la prostitution), bien sûr, elle symbolise pour moi l’intelligence de l’action militante : plus dans le faire que dans le dire ou l’écrire, et qui agit depuis sa juste place. Rachel Moran, autre survivante irlandaise, qui a écrit « Paid For », « Achetée », son témoignage d’enfant mise en prostitution et son parcours vers la lutte pour un monde plus juste; je vous reparlerai de son remarquable livre.

Doris Lessing, « journal d’une voisine », ou le « care » aux personnes âgées vu par une grande autrice il y a déjà 30 ans…Willa Cather, autrice que je ne connaissais pas, qui avec « Mon Antonia », signait au début du siècle dernier un chef d’oeuvre trop peu connu. Et deux films, réalisés par des femmes, l’un documentaire, « La Cour de Babel », et l’autre fiction à partir d’une histoire vraie, « Les héritiers ». Deux magnifiques films qui, comme Ariane Ascaride le dit et l’incarne dans Les Héritiers, ne se laissent pas aller à la morosité, qui abandonnent l’illusion de l’impuissance, pour se consacrer à agir..là où c’est possible.

 

S.G

Du balai et des hommes !

Il y a quelques temps, je me demandais ici même comment il se faisait que les bébés filles ne naissaient pas un balai à la main…tant les représentations des femmes, que ce soient les mièvres princesses ou les méchantes sorcières, sont toujours munies de cet attribut de ménage, qui les remet à la place que les hommes leur ont assignée : nettoyer leur maison, effectuer de nombreuses tâches et ne pas faire (de) tache.

Il faut dire -et rappeler que c’est une juste représentation, tant les femmes, malgré les progrès accomplis vers l’égalité en droits -droits de vote, accès au travail hors de la maison par le biais de filières entières qui leur sont quasi réservées (au service de , en tant que secrétaires, dans les métiers de soins, d’éducation ou de « care », dans les métiers du nettoyage enfin) et qui sont peu valorisées, accès à l’éducation où elles excellent, n’en restent pas moins les gardiennes du ménage. Ou plutôt les concierges. Car cheffes de familles elles ne sont pas selon les administrations, mais bonnes ménagères, oui !

Elles font toujours 80% des tâches ménagères et cela n’évolue qu’à tous petits pas. En moyenne, quelques minutes gagnées chaque jour, cela signifie pourtant en réalité de vrais écarts selon les milieux sociaux.

Ainsi, avant qu’il soit question d’externaliser, expliquent François-Xavier Devetter et Sandrine Rousseau dans « Du balai », c’est dans les ménages les plus « égalitaires » à tous points de vue que la répartition serait la moins au désavantage de la femme -en tout cas dans les représentations. Lorsque la femme a le même niveau d’étude que l’homme ou un niveau supérieur , si elle est au même niveau de carrière (en moyenne les femmes ayant 3 ans de moins que les hommes à la mise en couple, cela continue d’être l’exception, même en dehors des inégalités salariales), elle serait moins encline à tout nettoyer, récurer. Mais c’est surtout lorsqu’elle contribue financièrement autant que l’homme au foyer, qu’elle ne se sent pas obligée de tout faire elle-même (info très importante que je reprendrai plus bas) : « D’ailleurs, toutes les enquêtes le rappellent : plus la contribution monétaire de la femme au revenu du ménage est élevée, plus la propension à externaliser une partie des tâches domestiques est grande ». 

Y a-t-il meilleure répartition des tâches pour autant ?

Eh bien non !  Car ce qui caractérise la question de la répartition des tâches ménagères au sein du couple, c’est qu’elle est ingrate. Ou plutôt, que plus elle est ingrate, plus il est difficile qu’elle soit également partagée entre les deux membres du couple hétérosexuel (selon les deux économistes, les rares études existant sur les couples homosexuels montreraient une meilleure répartition, en particulier chez les lesbiennes). Ainsi, il y a progrès, avec ces fameux « nouveaux pères » : ils jouent plus avec leurs enfants. Mais pour tout ce qui concerne les tâches qui font tache, le nettoyage, (et en particulier des toilettes) le linge,  alors c’est là que la résistance est la plus grande.

« même au sein des couples relativement égalitaires sur le plan professionnel -et ils sont de plus en plus nombreux-, la gestion des tâches domestiques demeure un sujet conflictuel. Ainsi, selon une enquête menée en 2009 dans 4 pays européens, un couple sur deux se disputerait au sujet du partage des tâches ménagères, en particulier les couples les plus jeunes (…) Parmi les tâches les plus courantes, les hommes reconnaissent qu’ils essaient d’éviter de faire plus de la moitié de ces tâches, voire qu’ils ne les font jamais.(..) En tête des tâches qu’ils esquivent, on trouve le repassage, le nettoyage des saniraires, l’entretien du linge, le changement des draps et le lavage des sols (Hontarrede, 2009).

Source de conflit donc, la répartition inégale devrait l’être encore beaucoup plus. Car si les petites filles ne naissent pas un balai à la main, si elles ne sont pas des serpillères (mais des guérillères), alors qu’est-ce qui justifierait qu’elles fassent plus que les garçons les taches les moins agréables sinon la perpétuation d’un état de fait où les femmes, propriétés des hommes sans âmes et sans droits, seraient là pour servir leurs besoins -de propreté, d’enfants, de sexe…

Mais comme le soulignent les économistes : « En conséquence, « le refus des hommes de prendre leur part des travaux ménagers constitue un véritable mur auquel de nombreuses femmes ne peuvent ou ne veulent pas s’attaquer ».

Rien ne devrait justifier ce mur sinon que les femmes ne sont pas prêtes à entrer en conflit pour que le partage soit égal. On pourrait s’étendre sur les raisons qui les empêchent de le faire : violence conjugale*, dépendance affective et sociale, attitude maternisante (« ils n’y arrivent pas de toutes façons il faut bien les aider, et ils ne savent pas faire »).

Pacification des ménages et renouvellement du patriarcat

Mais ce qui m’intéresse, c’est de montrer la conséquence de cet état de fait : la pacification du ménage devient le premier motif d’emploi d’une femme de ménage :

« Face à ce mur, les couples qui en ont les moyens sont parfois amenés à contourner le sujet de discorde en recourant à une tierce personne. C’est le recours à une femme de ménage afin d’éviter la scène de ménage (Molinier, 2009) ».

Qui externalise et quel résultat pour les femmes ? Et l’homme dans tout ça ?

« En quelque sorte, dans les classes aisées, a fortiori quand la femme travaille, on achète la parité, ou plutôt ce qui s’en approche : la double journée féminine masque le plus souvent deux femmes ou plus, pour qu’une seule, la « patronne » s’en sorte ».

Donc, une petite frange de la population féminine semble avoir réussi à se « sortir » de ces tâches tout en évitant le conflit en les déléguant…à une autre femme. Et pourtant, dans la réalité, sont-elles bénéficiaires ? Dans la réalité, ce sont elles qui paient, et ce sont toujours des femmes qui font le ménage !

En effet, pour l’homme, ce n’est pas une question d’argent. De la proposition citée plus haut : « les femmes n’envisagent une femme de ménage que lorsqu’elles contribuent autant financièrement », on peut déduire que : si elles contribuent moins, elles font le ménage, si elles contribuent plus, elles ne le font pas (ou moins) => ce sont elles qui paient  !

Mais le comble, c’est qu’en analysant les couples ayant recours à une tierce femme, on se rend compte qu’elles paient non pas principalement pour elles mêmes, mais pour l’homme !

En effet pour lui l’externalisation a un double avantage supplémentaire :

-la pacification : ce n’est pas l’employée qui va l’ennuyer pour les chaussettes sales qu’il laisse traîner…et s’il y a problème, c’est la femme qui gère la plupart du temps la relation employeure.

-Le maintien de l’ordre établi : un déchargement du double poids et de sa mauvaise conscience d’homme qui aime l’égalité ET de toute forme de devoir de tâche ménagère. Il reste le maître chez lui et n’a pas à culpabiliser…

En effet, selon Devetter et Rousseau, lorsqu’il y a femme de ménage, la femme du ménage gagne bien un peu de répit sur ses propres tâches. Mais l’homme, lui, n’a plus du tout à s’en soucier, et ne fait plus rien -ou presque ! Ce qui nous mène à ce paradoxe merveilleux : c’est justement dans les couples où l’on professe le plus l’égalité (et qui ont accès à l’externalisation) que les taches ménagères sont les plus mal réparties !

« Grossièrement, trois heures payées permettent d' »économiser 1h30 de travaux domestiques dans la semaine (Insee). Selon l’enquête Erfi de l’Ined, il apparaît que les couples employant une femme de ménage expriment des valeurs plus égalitaires, mais que la répartition des tâches domestiques non externalisées y est encore plus inégale qu’au sein des autres ménages ! La part des ménages où l’homme participe majoritairement ou équitablement au passage de l’aspirateur avoisine 40% lorsqu’il n’y a pas recours à une femme de ménage, mais seulement 18% dans le cas contraire ». (…)

« Le temps gagné pour une femme aisée grâce à « sa » femme de ménage est, au moins, partiellement, accaparé par la réduction de l’investissement du conjoint. Pour le dire autrement : l’existence d’une personne rémunérée réduit fortement la proportion de ménages partageant équitablement les tâches domestiques, et il semblerait même que l’économie en temps faite par l’homme soit proportionnellement plus importante que celle des femmes (Ruijter,2005) ».

Les femmes sont donc en fait très peu bénéficiaires en tant qu’individues. Et de façon sociétale, elles ne le sont pas du tout, puisque ce sont toujours des femmes qui sont cantonnées au ménage. Les hommes eux, sont amplement bénéficiaires à tous les niveaux…ce qui laisse rêveuse sur la façon dont le patriarcat excelle à se renouveler !

Les non-représentations d’hommes à balai (sauf ceux qui en font un sport -voir ci-dessus ou pour en faire des objets sexuels -voir ci-contre) risquent donc d’avoir la vie dure…

Sandrine Goldschmidt

*Simple hypothèse mais assez vraisemblable : les hommes se sont appropriés les femmes et leurs services, en les soumettant -il a bien fallu que la force intervienne. Ainsi, tout conflit qui viendrait remettre en cause cet ordre établi, menacerait la paix sociale et rappelerait à l’opprimée le risque qu’elle prend à contester son oppresseur : celui de disparaître.

Violette and co : 10 ans, ça se fête !

vandcoLa librairie Violette and Co a 10 ans ! Un vrai événement pour cette librairie féministe unique en son genre, qui dispose en plus d’ouvrages qu’on ne trouve souvent pas ailleurs, d’un espace d’exposition et de rencontres dont je vous ai souvent parlé ici, qui organise des ateliers d’écriture et se déplace sur les festivals.

C’est là que je les ai rencontrées, sur un festival, Femmes en résistance, la première année que j’y ai participé. C’était en 2005, donc il y a presque 10 ans !

J’étais moi même une débutante en militantisme féministe -même si la fibre était ancrée en moi depuis longtemps- et la table de livres à Femmes en résistance, c’était un peu la caverne d’Ali Baba…

Depuis, j’ai assisté à de multiples rencontres passionnantes, depuis la présentation des Textes premiers pour les 40 ans du mouvement en passant par Tristane Banon ou la présentation par Christine Delphy des Femmes de droite d’Andrea Dworkin, sans oublier la rencontre organisée par les amiEs du festival avec Muriel Salmona pour le « Livre noir des violences sexuelles ».

Les libraires fêtent donc leurs 10 ans avec un agenda de rencontres, et dès le 8 février un vernissage d’une expo « récapitulative » « 10 ans, 40 artistes », le 28 mars une rencontre « lire Violette Leduc aujourd’hui » et bien d’autres que vous retrouverez sur le nouveau blog.
A lire également, une interview des deux libraires ici.

On souhaite donc un excellent anniversaire et longue vie à la libraire !

S.G

D’Anne Sylvestre à Lola Lafon

DSCF6009La rentrée 2014 est riche en événements. Pas seulement des événements de lutte, manifestations pour nos droits, pressions sur le gouvernement pour aller plus loin dans la lutte contre les violences…

Mais aussi des événements qui vont nous aider à tenir le coup, à regarder la face non morose des choses.  Alors sur ce blog, j’essaierai de faire partager des coups de coeur, de ceux qui aident à vivre quand l’actualité nous enverra des poignards dans le dos, quand notre espace sera envahi par des pousseurs de ballon rond, quand nos rêves de sororité et de tendresse seront balayés par un vent mauvais, alors nous pourrons nous tourner, comme toujours, vers elles.

On pourrait les appeler nos héroïnes, mais elles ne manqueraient pas à ce point d’humilité que de souhaiter ce titre qui après tout nous remet dans un monde d’idoles. Elles sont des femmes, juste des femmes, qui savent nous transmettre mieux que quiconque une émotion, un ressenti, des mots d’une douceur ou d’une justesse qui nous parle comme aucune autre.

J’en citerai deux aujourd’hui, car les FranciliennEs auront la chance de pouvoir aller les voir sur scène, mais tout le monde peut les lire et les écouter.

Anne Sylvestre, qui présentera son spectacle « Juste une femme » (du nom de son dernier album) pendant 3 jours à la Cigale, les 17 et 18 janvier au soir, et dimanche 19 à 15h. Juste une femme, qui depuis 50 ans écrit des chansons comme nulle autre, et que nous découvrons tous les jours. Pour les gens qui doutent ou Roméo et Judith, pour mon chemin de mots ou écrire pour ne pas mourir, pour l’enfant qui tombe au fonds du puits mais aussi si la pluie te mouille, qu’elle soit remerciée, et écoutée, encore, de nombreuses années.

Autre magicienne des mots, de celles qui font qu’on lit un roman en se disant que peu de phrases auparavant nous avait tant parlé, Lola Lafon, écrivaine et chanteuse, vient de sortir son quatrième roman : La petite communiste qui ne souriait jamais. Je ne l’ai pas encore lu mais des précédents je vous avais déjà parlé ici : https://sandrine70.wordpress.com/2011/08/08/la-petite-fill…bout-du-chemin

J’ai donc hâte de le lire et de vous en parler, j’espère d’ici la rencontre qui aura lieu mercredi 5 février à 19h à la librairie Violette and Co, et après la lecture concert qu’elle donnera à la maison de la poésie le lundi précédent.
Que le mois de janvier commence avec ces deux artistes uniques des mots, ceux là qui nous aident à dénouer nos âmes, est de bon augure pour cette année qui commence.

Sacrées sorcières du patriarcat !

sacréessorcièresHier, nous décidions ma fille et moi de lire ensemble un livre de Roald Dahl qu’elle connaît déjà par coeur : « sacrée sorcières ».

Je commençais donc ma lecture à haute voix, pensant à un moment de détente sans trop de politique, m’imaginant, sous les effets trompeurs de quelques années de féminisme intensif, que les sorcières étaient des êtres ô combien sympathiques, exemples pour noues de femmes affirmant leur indépendance et de prendre en main leur destin.

Les sorcières en effet, que l’histoire avaient punies de leur velleité d’agir en être humains, à une époque obscurantiste, avaient cédé la place à l’image de ce qu’elles étaient ; des femmes punies pour avoir voulu vivre leur vie. Et voilà que je tombais face à face avec cette forme d’obscurantisme patriarcal déguisé en littérature que je m’emploie régulièrement à décortiquer. Un vrai monde à l’envers, en quelques paragraphes pour semer chez les enfants la peur des femmes et dissimuler aux petites filles les vrais dangers qu’elles courent et courront femmes : les violences masculines.

1/ Installer la peur

Et du coup, ma lecture devait s’arrêter presque à chaque phrase pour remettre le monde à l’endroit. Je vais faire pareil ici, en deux temps. D’abord, le texte tel qu’il est écrit par l’homme écrivain.

Cela commence de cette façon : pour dire que les contes de fées qui présentent les sorcières avec des robes noires et chapeaux pointus se trompent. « Nous allons parler des vraies sorcières, qui vivent encore de nos jours ». C’est le préambule. Attention la vérité arrive : »les vraies sorcières s’habillent normalement, et ressemblent à la plupart des femmes. Elles vivent dans des maisons, qui n’ont rien d’extraordinaire, et exercent des métiers tout à fait courants ».

Vous auriez donc pu trouver rigolotes et exotiques les sorcières et ne pas en avoir peur, parce que jamais on n’en voit, mais non, il vous faut avoir peur.

Dès le 4e paragraphe, le ton est donné, et commence à apparaître le monde à l’envers, le contraire de la réalité.

« une vraie sorcière déteste les enfants d’une haine cuisante, brûlante et bouilonnante, qu’il est impossible d’imaginer. Elle passe sont temps à comploter contre les enfants qui se trouvent sur son chemin. Etc. »

L’auteur dit alors le processus de prédation de la sorcière : « Mais la victime est souvent choisie avec soin. Voilà pourquoi une sorcière traque un enfant comme un chasseur traque un petit oiseau dans la forêt. (…)Mais une sorcière n’est jamais jetée en prison. N’oubliez pas qu’elle a la magie au bout des doigts, et le diable dans la tête ».

La terreur est donc instalée, on a dit qu’on ne pouvait pas identifier la sorcière facilement, qu’elle nourrissait haine et volonté de destruction envers les enfants. Maintenant, il faut passer à l’expression pure du patriarcat :

« Une sorcière, c’est toujours une femme.

Je ne veux pas dire du mal des femmes. La plupart sont adorables. Mais le fait est que les sorcières sont toujours des femmes et jamais des hommes ».

Voila qui est clair : le danger, ce sont les femmes. Pas toutes les femmes, bien sûr (sinon ce serait misogyne, or c’est bien connu, les hommes ne sont pas misogynes). Mais par un magnifique tout de passe passe, l’écrivain dit bien aux petits garçons « c’est de toutes les femmes qu’il faut avoir peur ». Et d’insister, quelques lignes plus loin, dessin à l’appui : « si un tigre pouvait se transformer en gros chien qui remue la queue, vous iriez sûrement lui caresser le museau et…vous seriez le festin du tigre ! C’est pareil avec les sorcières, parce qu’elles ressemblent toutes à des femmes gentilles ». (…) maintenant, vous savez que votre voisine de palier peut être une sorcière. (suivent plein d’autres exemples).

 

2/ Cacher la vérité par le retournement de la culpabilité : c’est le monde à l’envers (discours de l’agresseur, culture du viol). Donc, en 4 pages, toute la haine des femmes est distillée aux petits garçons.

Mais il y a pire. Parce qu’il y a là un parfait retournement.

Si vous reprenez les phrases citées ci-dessus et remplacez le mot « vraie sorcière » par agresseur, femme par homme et enfant par victime ou opprimée alors vous dîtes cette fois la « vraie vérité ». Si vous remplacez le petit garçon cible du livre par la petite fille, alors vous obtenez ce qui pourrait être une mise en garde aux petites filles qui un jour seront des femmes terrorisées sur les vrais dangers qu’elles courent. Mais qui ne sera jamais dit.

En voici la démonstration :

« Les agresseurs détestent les enfants (ou les femmes) d’une haine cuisante, brûlante et bouillonnante, qu’il est impossible d’imaginer. »

« Un agresseur, c’est toujours un homme ». On n’est pas loin de la vérité : envers les enfants, c’est majoritairement des hommes, les violeurs sont toujours des hommes (ultra-majoritairement), les prostitueurs aussi.

« Un agresseur déteste les enfants d’une haine cuisante, brûlante et bouilonnante, qu’il est impossible d’imaginer. Il passe son temps à comploter contre les enfants qui se trouvent sur son chemin. Etc. »

Oui, comme le dit Muriel Salmona dans le livre noir des violences sexuelles, on n’imagine jamais que les hommes agresseurs veulent détruire : « un autre point aveugle, « est l’absence de reconnaissance de l’intentionnalité de l’agresseur. Sa volonté de nuire, de détruire, de faire souffrir le plus possible, d’opprimer, de réduire sa victime à une chose, de la déshumaniser pour son intérêt et son plaisir, et même, comble de la cruauté, d’en jouir, est escamotée ».

« Mais la victime est souvent choisie avec soin. Voilà pourquoi un agresseur traque sa victime comme un chasseur traque un petit oiseau dans la forêt. (…). C’est exactement le processus de prédation du dominant qui est décrit ici. L’agresseur est bien un prédateur qui choisit ses victimes.

« Mais un agresseur n’est jamais jeté en prison. N’oubliez pas qu’il a la magie au bout des doigts, et le diable dans la tête ».

Il a la magie au bout des doigts, c’est très clairement : « c’est lui qui a le pouvoir ».  Et « il a le diable dans la tête » c’est : il a perdu tout sens de l’empathie au point d’agir de façon inhumaine (caractéristique de l’agresseur décrite par M.Salmona)

« Il n’est jamais jeté en prison », est-il besoin ici de rappeler que moins de 1,5% des viols donnent lieu à condamnations, et moins de 10% des agresseurs poursuivis ?

« Je ne veux pas dire du mal des hommes. La plupart sont adorables. Mais le fait est que les agresseurs sont toujours des hommes et jamais des femmes ». Comme dit plus haut, on n’est pas loin de la vérité (en particulier pour les viols)

« si un tigre pouvait se transformer en gros chien qui remue la queue, vous iriez sûrement lui caresser le museau et…vous seriez le festin du tigre ! C’est pareil avec les agresseurs, parce qu’ils ressemblent tous à des hommes gentils ». (…) maintenant, vous savez que votre voisin de palier peut être un agresseur. (suivent plein d’autres exemples).

Voilà exactement une mise en garde raisonnable. Oui les agresseurs ressemblent à des hommes gentils et sont des hommes normaux. Oui ils peuvent être le voisin de palier ou même le conjoint, le père ou le frère. Oui les enfants et les femmes sont le festin de ces tigres ignorés et impunis. Seulement ça, on ne le dit jamais aux petites filles et aux femmes. A la place, on dit lorsqu’il y a assassinat de femme « c’était une querelle familiale ou un drame passionnel », les voisins s’étonnent « il était si gentil »… Quand il y a viol, on dit c’est elle qui l’a cherché…

Voici donc l’exemple le plus parfait le plus pur et à peine voilé du retournement opéré par le patriarcat.
La semaine dernière, à la librairie Violette and Co, nous parlions de cela avec Muriel Salmona et les AmiEs de Femmes en résistance : il est nécessaire et vital de décortiquer à la fois le discours des agresseurs qui repose vis-à-vis de la victime sur le retournement de culpabilité et le mensonge éhonté, il est nécessaire aussi de décortiquer la culture du viol, la culture patriarcale, qui prend les enfants au berceau de la lecture pour bien leur faire peur et leur décrire un monde à l’envers.

Il est vital pour nous de le dénoncer et de le remettre à l’endroit. Pas de justice, Pas de paix !

Sandrine GOLDSCHMIDT

 

 

 

 

Redonner au monde sa cohérence pour éliminer les violences

nc2b017-diable_coqDepuis que j’ai moi même un enfant -une fille- j’ai toujours pensé que nous avions en face de nous avec les enfants non seulement des personnes humaines dont les droits doivent être d’autant plus défendus qu’ils et elles sont plus vulnérables, mais aussi des perles d’humanité : des enfants nous avons tout à apprendre, avec les enfants nous avons tout à construire, plutôt que de continuer à les détruire, comme le fait l’institution familiale autoritaire qui prédomine, particulièrement dans le cadre des violences qu’ils et elles -beaucoup trop nombreux d’entre eux- subissent.

Ce sentiment est renforcé par la lecture, l’écoute et l’expérience de ce qui concerne les troubles post-traumatiques, en particulier au travers du travail de la docteure Muriel Salmona, psychiatre psychotraumatologue et Présidente de l’association mémoire traumatique et victimologie, qui a fait de son combat pour les victimes une ligne de vie.

Au centre de son combat, et cela a été un des aspects les plus intéressants de l’émission « Pas de quartier » sur Radio Libertaire hier (elle y présentait son livre indispensable « le livre noir des violences sexuelles » et vous pouvez réécouter l’émission ici : http://media.radio-libertaire.org/backup/24/mardi/mardi_1800/mardi_1800.mp3)

la nécessité de redonner une cohérence au monde qui, du fait des systèmes de pouvoir et de domination, en premier lieu patriarcale, parentale et économique, devient le lieu d’un système absurde, incohérent, et dont l’incohérence même est la garantie de sa perpétuation.

Je m’explique (en essayant d’être aussi claire que Muriel) : l’enfant naît avec des neurones miroirs qui l’aident à se construire. Et si le monde tourne à l’endroit, ces neurones miroirs lui permettent de connaître l’empathie. Ainsi, lorsqu’une violence est commise, et qu’elle provoque une souffrance, alors ces neurones font que l’enfant ressent la souffrance et éprouve alors de l’empathie. Cette empathie fait normalement que si il impose une souffrance -volontaire ou involontaire à la personne en face de lui, alors il s’arrête.

Le problème, c’est que si le petit garçon ou la petite fille subit des violences, et que l’adulte qui les commet ne fait pas preuve de cette empathie, ne réagit pas à sa souffrance, alors cela crée un stress intolérable pour son cerveau. Si en plus, la personne qui commet ces actes est une personne qui devrait d’autant plus éprouver de l’empathie qu’elle est censée être celle qui vous protège et vous aime -père, mère, famille…alors le stress est encore pire. Et le cerveau devient incapable de gérer ce stress, et de réguler les « drogues » de l’hyper-vigilance qu’il génère. Celles-ci le mettent en danger vital, et ça seule façon de s’en sortir, est de disjoncter, provocant la dissociation, une anesthésie émotionnelle.

Cette anesthésie émotionnelle, si elle se double d’un enfermement du souvenir émotionnel dans la mémoire traumatique, fait que le stress vécu pourra réapparaître à l’identique au moindre rappel, stimulus, faute d’avoir pu, dans la mémoire autobiographique, devenir un souvenir dont on arrive peu à peu à se distancier émotionnellement.

Tout ceci, provoque donc une souffrance intolérable, fait vivre aux victimes un enfer, alors qu’en même temps il n’y a pas de symptômes à l’identique d’un bras cassé pour lequel il faut à l’évidence un plâtre. En outre, la poursuite du « tout est normal », l’indifférence des autres adultes, surtout lorsqu’il y a révélation des faits, vient « achever » les victimes dans leur recherche de cohérence. Elles souffrent de symptômes qui ne sont pas reliées aux violences : les conduites dissociantes, qui sont interprétées par les autres comme de la faiblesse de leur part, alors qu’elles sont le fruit de l’incohérence et de la violence.

Pire : ce processus est en outre le garant de la reproduction de la violence. En effet, lorsqu’un enfant a été victime ou témoin de cette violence absurde et non nommée, niée, et alors qu’on fait de lui le responsable (1), il développe une anesthésie et une dissociation et est victime de crises de mémoires traumatique. Dans ces cas-là, il a plusieurs moyens pour réagir : s’anesthésier par des conduites dissociantes : prise de drogues, alcool, mais aussi de comportements qui vont le pousser vers la création d’un nouveau stress qui permettra la disjonction. Ainsi, il peut arriver qu’à ce moment là, envahies par le scénario de l’agresseur, elles reproduisent la violence : contre elles-mêmes ou contre les autres. Car le scénario de recherche de l’anesthésie de la personne qui les a violenté-e-s les a envahies au point qu’ils/elles savent inconsciemment que ce scénario est anesthésisant pour les bourreaux. Et donc que de le reproduire va leur permettre de s’anesthésier.

C’est là qu’intervient un facteur fondamental : celui du choix. Et ce choix n’est pas le même selon qu’on est un homme ou une femme. Ou plutôt, il n’est pas le même selon qu’on a été -au-delà- des violences, construits comme un dominant et valorisé en tant que tel. Donc, les hommes ont une plus forte probabilité de devenir violents envers les femmes parce que c’est ce que l’on attend d’eux et qu’ils en bénéficient. C’est socialement valorisé, sous les termes de « virils », de « capable d’autorité ». Et, comme l’expliquait Muriel, c’est même valorisé socialement dans l’entreprise : ce sont des gens qui savent ne pas se laisser envahir par leurs émotions (forcément, ils n’en ont pas avec l’anesthésie). Donc licencier des collaborateurs en détresse, laisser mourir des personnes dans la rue, regarder martyriser des enfants ou ne pas s’émouvoir de voir violer ou battre des femmes, ne les trouble pas plus que ça. Dans ce système, les dominants, même s’ils ont été victimes, sont donc les bénéficiaires : ils ont les moyens de s’anesthésier très efficacement en reproduisant la violence sur d’autres. Ce qui n’enlève rien à leur culpabilité : ce sont des crimes qu’ils commettent, et c’est un choix qu’ils font de persévérer dans cette violence.

Tandis que celles qui ont des comportements de retournement de la violence sur elles mêmes, et ne font jamais de mal à personne, sont considérées comme anormales. La preuve, c’est que les jeunes agresseurs/violeurs qu’a suivi Muriel et qui, par un long travail incessant de remise à l’endroit du monde, qui se retrouvent à leur tour conscients que ce qu’ils ont fait est très grave, sont d’un coup moins valorisés qu’avant pour peu qu’ils aient des idées suicidaires ou retournent la violence contre eux-mêmes (2) et sont plus rejetés par leurs familles que s’ils violaient/violentaient d’autres personnes. Et ce non seulement parce que cela se verrait moins (1% de condamnation pour les viols), mais aussi parce que la tolérance de la société à l’égard des violences masculines est immense.

roses
Si la rose existe, le monde peut être à l’endroit

Pour en revenir aux victimes, et finalement à tous les êtres humains, nous avons besoin de redonner de la cohérence au monde. Et de revenir à ce que les enfants savent, ont toujours su au fond:qu’avoir de l’empathie c’est normal. Que de ne pas supporter de voir souffrir des personnes, a fortiori qu’on est sensées aimer (mais dans un monde idéal on pourrait aimer tout le monde), c’est normal. De tout faire pour que ces souffrances s’arrêtent, c’est normal. De ne pas arriver à être dans l’anesthésie inhumaine des dominants, c’est normal.  Il faut aussi dire que depuis le départ ce sont les enfants en nous qui ont raison : vouloir des relations douces et gentilles avec les autres, c’est normal. Que trouver la pornographie inhumaine et criminelle, qui consiste à filmer des tortures sexuelles et physiques à des femmes (certes actrices, mais ça ne change rien) c’est normal. Que de dire que la prostitution c’est du viol et que le viol, c’est la destruction des femmes, ce n’est pas moraliste ni liberticide, c’est juste normal. Que d’avoir envie d’une sexualité libérée de toute forme de violence et de domination, ce n’est pas bisounours, c’est normal. Et que d’aider les personnes qui en ont besoin, c’est normal.

Enfin, il faut encore remettre le monde à l’endroit en confirmant aux victimes ce qu’elles savent et nous disent, si on les écoute :  que même si un jour elles ont été victimes, ce n’est pas une honte, ce n’est pas à elles d’avoir honte. Elles resteront toujours les victimes de ces actes, de ces hommes violents, de cette société qui marche sur la tête, mais elles ne sont pas des victimes en soi. Elles sont des êtres humaines qui ont le droit de vivre selon leur désir et leurs rêves d’enfants, dans un monde remis à l’endroit. Et elles ont le droit qu’on soit contentes pour elles.

C’est ce que fait depuis plus de 10 ans Muriel Salmona, une oeuvre d’humanité et hymne à la vie malgré les crimes contre l’humanité. Mieux, elle commence à être un tout petit peu entendue. C’est ce dont tous les enfants rêvent : un monde à l’endroit, ou aimer c’est partager douceur et attention à l’autre, ou vivre c’est aimer dans l’empathie. Et tant pis si cela semble simpliste à ceux qui tentent de survivre dans un monde à l’envers.

C’est le monde à l’endroit des enfants, celui qui fait dire à une enfant de 8 ans (la mienne) : « l’amour, forcément c’est gratuit, ça ne peut pas s’acheter ».  C’est le monde des enfants, des vivant-e-s, et il serait temps qu’on les regarde, et qu’on les écoute.

Sandrine GOLDSCHMIDT

(1)je m’explique : imaginez un enfant de 2 ans battu par un adulte. C’est découvert, on rompt avec l’adulte. L’enfant ne se souvient pas des sévices. Et puis, un jour, comme il est de la famille, on renoue. Tout à l’air de bien se passer jusqu’à ce qu’on découvre que le garçon s’est mis à son tour à infliger des sévices à un autre, sans que lui-même d’ailleurs y comprenne quoi que ce soit).

(2) Muriel explique que quand elle traite des jeunes agresseurs elle ne les « lâche pas » jusqu’à ce qu’ils remettent le monde à l’endroit et comprennent qu’ils ont fait quelque chose d’inadmissible. « Tu as subi des violences mais tu n’avais pas le droit de faire ça et on va analyser pourquoi tu as pu faire ça : parce que depuis ta naissance le monde est à l’envers, remettons le à l’endroit. Et il n’y a que quand ils dénoncent inlassablement ce monde et leurs actes en ce monde qu’ils peuvent « guérir ».

Victimes DE, mais pas « victimes par définition »

Aujourd’hui, je vais juste vous partager deux articles essentiels, qui parlent des femmes, des enfants et des hommes victimes de violences sexuelles, familiales et conjugales, et du fait d’être victime. Car en effet, jusqu’au sein du mouvement féministe, il y a parfois une confusion, entretenue par les libéraux, et par l’imprécision du langage, sur ce que l’on veut dire quand on parle de victimes. Quand, comme Muriel Salmona, psychiatre psychotraumatologue, Présidente de l’association mémoire traumatique et victimologie et auteure de l’indispensable « livre noir des violences sexuelles qui vient de paraître » on se bat pour mettre fin au scandale de l’abandon et l’absence de soin aux victimes en France. Une absence de soin et un abandon des victimes qui est servi par un discours médiatique qui minimise systématiquement les violences qu’elles ont subi et la responsabilité de l’agresseur -dont il découlerait forcément la responsabilité globale du système, de la société.

C’est ce qu’elle développe dans l’article qu’elle a publié le 8 mai à propos de la libération de trois Américaines sequestrées, torturées et violées depuis des années :

« Nous sommes sous le choc de cette information qui est tombée le 7 mai 2013 concernant trois jeunes femmes de Cleveland aux USA disparues depuis 10 ans qui venaient d’être retrouvées, l’une d’entre elle ayant en l’absence de leur bourreau (pour l’instant un seul des trois frères Castro, Ariel Castro est inculpé) réussi à alerter un voisin en cherchant à s’évader.

Mais nous avons aussitôt assisté à tout un discours de minimisation et de négation de la réalité particulièrement intolérable avec l’habituelle incapacité de nombreux journalistes et spécialistes de nommer précisément les violences, de parler de leurs conséquences psychotraumatiques, et de les replacer dans un cadre plus politique de violences et de crimes sexistes commis par des hommes envers des femmes. Les mots crimes, viols, sévices, tortures, actes de barbarie ne sont que trop rarement entendus, les journalistes ne parlant surtout que d’enlèvement, de séquestrations, de calvaire, et même de syndrome de Stockholm… »
Pour lire la suite et la démonstration magistrale de Muriel, c’est ici :

http://stopauxviolences.blogspot.fr/2013/05/les-trois-jeunes-femmes-de-cleveland.html

Ces femmes, c’est très clair, ont donc été victimes DE : un homme, qui a perpétré de nombreux crimes contre elles, peut être plusieurs, et de la société qui n’a rien vu (et qui, très probablement, va tâcher de les culpabliser à un moment de quelque chose pour pouvoir éviter de se poser les vraies questions. Voir à cet égard la conclusion de l’article de ce matin du Huffington Post:

La police reste cependant perplexe: comment se fait-il que les gens rendant visite à Ariel Castro au 2207 Seymour street n’aient jamais rien remarqué de suspect? Pourquoi les voisins n’ont-ils jamais rien entendu? « Ariel tenait tout le monde à distance », avait souligné mercredi le chef adjoint de la police de Cleveland, Ed Tomba. « On ne sait pas encore à quel point Castro contrôlait ces jeunes femmes. Il va certainement nous falloir beaucoup de temps pour comprendre tout ça », avait-il ajouté.

Donc, elles sont victimes DE, et c’est des traumatismes subis qu’il faut les soigner, c’est pour les conséquences matérielles qui en découlent qu’il faut les aider. Pas parce qu’elles « seraient » des victimes. Elles sont des individues, dont une caractéristique -parmi d’autres- même si elle prend beaucoup de place dans leur vie en raison des explications données ci-dessus est d’avoir été victime DE. Pourtant, la société dans son discours insiste à les enfermer dans ce statut. C’est une façon d’en faire les responsables de ce qui serait un « état de fait ».

EkmanC’est aussi une nécessité politique libérale, comme l’explique admirablement Kajsa Ekis Ekman (l’auteure suédoise présente à l’abolition citoyenne du système prostitueur le 13 avril), dont le livre « L’être et la marchandise » sort en France, et qui explique comment la société « rend tabou la notion de victime, pour masquer l’existence d’agresseurs » :

« Comme tous les systèmes qui acceptent les inégalités, l’ordre néolibéral déteste les victimes. Parler d’un être humain sans défense, d’un être vulnérable, suppose en effet la nécessité d’une société juste et le besoin d’une protection sociale. Rendre tabou la notion de victime est une étape pour légitimer le fossé entre les classes sociales et les sexes. Ce procédé exige deux phases. D’abord, il faut affirmer que la victime est, par définition, une personne faible, passive et impuissante. Puisque les personnes vulnérables se battent malgré tout et développent de nombreuses stratégies pour maîtriser la situation, « on découvre » que l’idée qu’on s’est faite de la victime est inexacte. La personne vulnérable n’était pas passive, bien au contraire. Donc, nous dit-on, il faut abolir la notion de victime. En conséquence, nous devons accepter l’ordre social – la prostitution, la société de classes, les inégalités – si nous ne voulons pas étiqueter des gens comme des êtres passifs et impuissants ».

Ou la façon expliquée plus haut de confondre victime et sujet, appliquée au discours pro-protsitution. La suite des extraits de ce texte magistral est à lire ici : http://sisyphe.org/spip.php?article4415

S.G