Lettre à Adèle Haenel

Chère Adèle Haenel,

je crois que je vous ai vu jouer dans un film pour la première fois en allant voir Le Daim au mois d’août dernier. Je vous connaissais peu, et j’ai pensé : rôle pas facile, mais qu’est-ce qu’elle joue bien ! A peine 6 semaines plus tard, j’ai vu pour la première fois Portrait de la jeune fille en feu, le film fait pour vous par Céline Sciamma. Je ne savais même pas alors que celle-ci avait été votre compagne (je ne regarde pas les César ;-). Je savais évidemment encore moins ce que depuis vous avez confié.

C’était à Montreuil, au Méliès et vous étiez toutes les deux présentes. Alors que le film m’avait bouleversée et enthousiasmée (j’en parlais ici), vous mettiez exactement, toutes les deux, les mots sur ce que j’avais ressenti en regardant le film. Intelligence, talent, respect pour les femmes, regard politique sur l’amour parce que pour une des premières fois, c’était un regard vrai sur le désir, un regard source de vie pour les femmes et non d’emprisonnement dans un regard objectifiant (« male gaze »).

Un peu le même genre de choc que quand j’ai vu les portraits de nues de la grande peintre allemande (malheureusement décédée à 31 ans des suites de son accouchement), Paula Modersohn Becker, qui pour la première fois, me montraient qu’on pouvait peindre des femmes nues sans ce « male gaze », qui réduit la femme peinte au désir de ceux qui la regardent.

PJFFDans Portrait de la jeune fille en feu donc, même choc. Les scènes de sexualité ne sont pas montrées, on ne voit que la montée du désir, la montée du « dégel », la naissance de la vibration. Ne pas les montrer, c’était osé, mais indispensable. Parce que même si probablement Céline Sciamma, en dialogue avec vous et Noémie Merlant, aurait été capable de filmer des scènes d’une façon différente, l’état du cinéma est tel que cela aurait encore été emprisonné par le regard appris par des décennies de ce « male gaze ».  Et aurait été utilisé contre les femmes et les lesbiennes.
Tant que les hommes ne sont pas en mesure de penser les lesbiennes autrement qu’en support pornographique à leur excitation, et les femmes en général autrement qu’en objet de leur désir, il me semble nécessaire de ne pas les laisser regarder des femmes qui s’aiment.

Mais depuis que j’ai regardé en entier votre interview sur Mediapart, je sais que ce film est encore beaucoup plus. Alors que vous disiez, vibrante d’authenticité et de justesse, ce que vous aviez subi enfant, victime de cette violence sexuelle patriarcale du cinéaste, que vous livriez votre analyse des ressorts de ce système, une analyse approfondie, nuancée et ancrée dans le vécu de tant de femmes, vous avez parlé de la nécessité de remettre le monde à l’endroit.

Cela a été une nouvelle révélation du pourquoi Portrait de la jeune fille en feu m’avait tant et profondément bouleversée, chacune des trois fois que je l’ai vu. En effet, il est désormais clair que ce film est, outre une déclaration d’amour et politique sur l’amour, un film de réparation. Pour vous et toutes les femmes. Un film où le cinéma, la cinéaste et les actrices rendent aux personnages -et aux femmes- leur humanité de sujet désirant et souverain de son corps et de sa vie. Là où Ruggia vous avait volé votre humanité pour faire un objet entre ses mains, Portrait de la jeune fille en feu vous dévoile actrice de votre vie, de votre rôle, de votre art, de votre désir. Et cela rejaillit sur nous toutes.

Avec Portrait de la jeune fille en feu, la vie revient aux femmes, en image. Avec votre témoignage, elle nous revient aussi, en mots.

J’espère que des millions de femmes auront l’occasion d’être touchées par ce que vous nous avez offert là. Et que des millions d’hommes pour une fois écouteront et s’abstiendront de commenter, si ce n’est pour vous remercier d’avoir parlé.

Sandrine Goldschmidt

 

« Long Way Home »

« Long Way Home », « loin de chez soi » ou « loin de chez elle », est le premier film de l’actrice états-unienne Jordana Spiro, lassée de voir si peu de rôles intéressants pour les femmes. Avec ce long-métrage, elle donne à voir le portrait juste et tendre, et extrêmement émouvant, d’une ado/ toute jeune adulte qui sort de prison et  met du temps à retrouver la route de son « foyer » intérieur, et de la possibilité de changer son destin.

LWH

Le film s’ouvre par cette réflexion si étrange d’Angel dans sa cellulle de prison. Sa mère,  lorqu’elle était petite, la nuit, dans son lit au bord d’une route passante, parvenait à lui faire prendre le bruit des voitures pour celui des vagues. En prison, elle n’y parvient pas.

Surtout, elle n’y parvient pas, parce qu’un homme, son père, a brisé la magie de cette famille, en retournant son désespoir contre sa femme, comme tellement trop souvent.  Depuis, elle a beau vouloir s’en sortir, comme elle le dit à son ex-copine, lorsqu’elle la retrouve à sa sortie de prison (mais celle-ci ne l’a pas attendue), elle n’y parvient pas. Et dès le premier jour, elle met en danger sa libération conditionnelle, en allant « acheter », puis échanger contre du sexe (imposé bien sûr, par un homme sans scrupule qui sait sa vulnérabilité) une arme.

Une arme dont on comprend vite qu’elle la destine à son père. Que c’est pour avoir l’adresse de ce dernier, qu’elle retourne voir sa petite soeur, qui n’a que dix ans, qui est en famille d’accueil. Tout semble  la pousser à replonger, et le système social, qui n’a ni le temps ni les moyens de la prendre sous son aile (très belle scène de l’entretien avec son agent de conditionnelle), et son désir de vengeance envers ce père qui lui a volé son enfance et son avenir, pense-t-elle,. Une vengeance qui lui empêche de renouer avec cette soeur qui était encore si petite quand leur mère est morte et avec qui elle a du mal à partager le souvenir de celle-ci.

Mais grâce à cette petite soeur, Angel entame un curieux « road movie » de Philadelphie jusqu’ à la plage, en bus, un voyage de « retour à la maison », lent et douloureux. (La soeur, est incarnée par une jeune actrice extraordinaire, Tatum Marilyn Home : la réalisatrice a auditionné plusieurs centaines d’enfants avant qu’elle s’impose immédiatement pour le rôle). Extraordinaire, comme son personnage,  celui d’Abby, qui comprend tout, et qui veut retrouver une famille à travers sa soeur,  et, en l’emmenant vers la plage va les sauver toutes les deux, évitant à son aînée la reproduction du pire tout en lui permettant d’aller jusqu’au bout de sa quête.

Avant de quitter pour la dernière fois de sa vie la maison de son enfance, où elle a retrouvé son père et où elle est venue accomplir sa vengeance, elle retourne une dernière fois dans la chambre où elle a tant ressenti l’amour de sa mère. C’est là qu’elle parvient à « rentrer chez elle », à s’affranchir de la haine, qui n’a jamais rien apporté contre la haine. et  qu’elle finit par les entendre, ces voitures qui font le bruit des vagues, et les allers-retours de la vie.

J’ai aimé dans ce film, qu’il mette -enfin ! l’accent sur les relations entre deux soeurs, et une relation mère-fille qui ne soit pas toxique, le fait que tous les sentiments soient évoqués dans ce cheminement, sur cette route où la réalisatrice sait s’arrêter sur de très beaux moments poétiques, et tout simples, comme celui où les deux soeurs re-découvrent l’océan. Un film à voir, vite, car il ne restera pas longtemps à l’affiche. 

S.G

Tout ce qu’il me reste de la révolution

Toutcequ'ilmeresteVoilà un film très intéressant, réalisé par Judith Davis, marquée par le fait qu’elle a grandi sur les « Maréchaux », boulevards de ceinture de Paris aux noms des Maréchaux de France, et qui sont une sorte de « pré-périph » autour de Paris.

Intéressant, car sans jamais ennuyer, elle nous pose la question de ce qu’il reste de la « révolution », celle de 1968… pas grand chose ? un film avant les Gilets jaunes, qui, qu’on les honnisse ou les adore, ou qu’on ne sache vraiment pas quoi en penser, sont en quelque sorte en germe dans le récit du film… Intéressant, et drôle, aussi, et c’est une des grandes forces du film, comme l’explique la réalisatrice : « ne pas laisser le terrain de l’humour à la bêtise ».

Quelle bonne idée ! Un vent de liberté souffle sur ce film, qui fait aussi penser à « Oublier Cheyenne », sorti en 2005, et qui se posait le même genre de questions…d’ailleurs, on y reconnaît souvent la patte de la co-scénariste Cécile Vargaftig.
Angèle, la personnage principale interprétée par Judith Davies, a du mal à abandonner le mythe du grand soir, de la révolution. Et sa façon de continuer la lutte est tout d’abord rafraîchissante : engueuler son patron, ex-soixante-huitard qui la renvoie sans états d’âmes, se planter devant Pôle emploi en faisant une parodie des services de l’agence et arracher des sourires à celles et ceux qui font la queue devant la porte, en investissant une banque pour y lire un poème aux employé·es et client·es sidéré·es.

Recruter lors de ces actions des femmes et des hommes pour participer à des « groupes de parole politique », où « il n’y a pas de chef·fe », où il n’y a pas de bon et mauvais sujet, pas de règle… mais que c’est difficile à réaliser ! (la référence à des mouvements comme Nuit debout est évidente).

A l’opposé d’Angèle, sa soeur incarne l’anti-révolution. Elle, qui a renoncé depuis longtemps à la lutte, a choisi la société actuelle, où l’objectif, est d’avoir une belle maison, une grosse voiture qu’il faut garer « dans le bon sens » (mais à quel prix), beaucoup d’invité·es à l’anniversaire de l’enfant qui constitue l’épicentre d’une famille, celui sur qui se concentre toute l’attention -le contraire en fait de ce qu’elle a vécu dans son enfance à elle.

A travers elle, et en particulier à travers le personnage du beau-frère, elle montre la violence économique, comment la société capitaliste, en exacerbant la notion de compétition, de loi du plus fort (s’il faut écraser les autres pour réussir et avoir un intérieur bourgeois, alors on y fonce), broie ces individus qu’elle prétend glorifier, et en fait des bras armés pour l’élimination des plus faibles. A tel point qu’il manque de devenir fou, dans une scène d’une violence inouïe, où masculinité toxique et violence économique se mêlent alors qu’il rejoue une scène de son quotidien : renvoyer quelqu’un·e, qui est un « boulet » pour la société (société anonyme, l’entreprise, qui se confond avec la société -le peuple).

Liberté et révolution 

Angèle, contrairement à sa soeur, a gardé l’esprit de la révolution. Comme sa mère, qui les a « abandonnées » à ses 15 ans (la suite de l’histoire révèlera ce qu’il en est réellement de cet « abandon »), voit dans la famille un obstacle à la révolution. A tel point que cela la fait résister à l’amour. Mais on découvrira que c’est en fait sa situation individuelle, la non résolution de la crise de ses 15 ans, qui l’empêche de dépasser l’époque révolue de cette forme là de révolution. Et on découvre avec elle la responsabilité de son père, Simon le révolutionnaire, dans cette crise.

Au cours du film, sans que ce soit appuyé comme tel, la masculinité toxique est épinglée. Que ce soit le mari, ou le père, à l’opposé politique l’un de l’autre (le premier incarnant le capitalisme, le second la révolution) tous deux se révèlent à un moment clé, comme porteurs de cette « maladie » patriarcale, qui mènent la société et les femmes qui les entourent à l’impasse, qui les empêche d’être libres. 

Ainsi, alors que le film, analysé un peu rapidement, pourrait donner l’impression que « tout ce qu’il me reste de la révolution », c’est l’amour…en réalité, livre une réflexion fine et drôle sur l’imbrication du privé et du politique, et sur ce que peut signifier aujourd’hui être révolutionnaire.

La séquence-clé du film nous fait quitter Paris pour une nature idyllique, nous emmène à la campagne, ce fantasme de tant de Francilien·nes se sentant « en boîte » à Paris. En boîte,  pressé·es comme des sardines, que ce soit dans les transports ou au travail, pressé·es, ne travaillant que pour les vacances ailleurs, là où l’on peut se retrouver enfin comme un poisson dans l’eau, enfin libres d’étendre les bras, de nager (comme dans la dernière scène de la séquence, dans la rivière).

Je ne sais pas si c’est l’intention de la réalisatrice, mais le film est venu rencontrer une réflexion que j’ai eue avec une amie deux jours plus tôt : et si, être révolutionnaire, être libre, ce n’était ni se fondre dans l’impératif du « collectif révolutionnaire agissant pour le grand soir », ni se fondre  dans un libéralisme qui condamne chacun·e qui l’accepte à jouer pour soi de la loi du plus fort et permet, si l’on fait partie des plus forts, de « faire ce qu’on veut », tant pis pour les autres. Si c’était, tout simplement, à chaque instant, qu’on pouvait incarner la révolution dans nos actes,  dans nos idéaux, en étant en mouvement permanent donc en révolution, en n’arrêtant jamais les aiguilles de la montre, pas plus sur ses 15 ans que sur 1789 que sur 1917 ou 1968 ou sur le backlash des années 1980… mais en continuant à les laisser  tourner, en apprenant de nos erreurs, et en ne limitant jamais notre liberté d’être nous-mêmes qu’à celle de l’autre, à chaque instant ?

S.G

La bande annonce :

 

 

Paris contre Trump en vidéo

Voici comme promis un petit montage de quelques moments dynamiques de la marche d’hier, en particulier de quelques jeunes états-uniennes !

Here are as announced a little edit of dynamic images of Pariswomensmarch, especially a groupe of young US of A women

Les bonnes nouvelles de la littérature pour ados

Mary Wollstonecraft

J’allais mettre en titre pour « jeunes filles », mais c’est bien le revers de la médaille. Je commence donc par la mauvaise nouvelle avant les bonnes : les livres pour enfants, écrits par des femmes, sont de plus en plus nombreux à briser les stéréotypes et à permettre à nos enfants de connaître et d’admirer des femmes importantes de l’histoire. Le hic, c’est que ces livres ne sont lus que par des filles, et catalogués « pour filles ». Mais bon, le propos du jour est de vous donner des bonnes nouvelles

Donc, pour peu qu’on gratte un peu au-delà de la surface des rayons des librairies -même si je suis totalement fan de Harry Potter qui pour le coup a l’avantage d’être totalement mixte (à condition d’avoir lu les 7 volumes de la série et pas seulement vu les films), et si je suis convaincue due JK Rowling est une ennemie du patriarcat (pour avoir lu son roman « pour adultes), pour peu qu’on s’écarte un peu des séries acceptables mais trop galvaudées pour prendre des risques, on trouve des petites perles, qui méritent même d’être lues par les parents.

Claudine de Lyon, quand la République s’assurait que les petites filles puissent aller à l’école

Un jour, mes parents ont ainsi offert à ma fille -lyonnais et frère et belle-soeur d’une Claudine oblige, « Claudine de Lyon ». Un roman qui parle des Canuts (1) , par la voix de Claudine, onze ans, qui travaille déjà 10h par jour au métier à tisser avec un père violent et borné. Elle découvre le goût de la lecture lors d’un séjour de repos forcé à la campagne pour soigner sa phtisie. Elle rêve d’aller à l’école, en train de devenir obligatoire, mais son père lui refuse d’y aller. Nous sommes au temps de Jules Ferry, et le père ira trois jours en prison pour l’obliger à laisser sa fille aller à l’école, et ensuite réaliser son rêve, devenir une grande styliste des vêtements qu’elle s’est d’abord tuée à tisser. A 8-10 ans, pour ma fille, c’était -bien mieux que mes bavardages- une formidable et bien écrite prise de conscience féministe, devenu alors (c’était avant Harry Potter) son livre préféré !

Le secret des cartographes, ou comment j’ai découvert Artemisia Gentileschi

Autre livre que je n’ai pas encore lu en entier (série de trois volumes), « Le secret des cartographes », de Sophie Marvault, s’inspire largement pour son personnage principal de la vie de la grande artiste Artemisia Gentileschi, pour ensuite lui inventer un destin d’exploratrice. Si bien sûr je connaissais l’artiste, je ne savais pas sa vie, la violence (viol) qui l’a frappée alors qu’elle aspirait à devenir une grande peintre, la question à laquelle on l’a soumise pour voir si elle ne mentait pas lors du procès de son violeur (déjà…)…et voilà que c’est dans un livre de ma fille, que je lis une belle conscience féministe, qui montre clairement aux filles l’injustice d’un système judiciaire qui n’a malheuresement pas tellement changé…

Enfin, je viens de commencer une nouvelle série qu’a lu ma fille, les enquêtes d’Enola Holmes de Nancy Springer. Enola Holmes (Alone à l’envers), est la soeur du célèbre Sherlock, âgée de 20 ans de moins que le détective. A 14 ans, elle fait sa connaissance ainsi que de son frère aîné Mycroft, qui la méprisent en temps que jeune femme (voilà la description de deux célibataires misogynes endurcis), et lui demandent si elle a eu une gouvernante. Elle leur répond que non, mais qu’au moins, elle sait lire, qu’elle a lu Shakespeare et…Mary Wollestoncraft ! Le livre m’en est presque tombé des mains. Quelle chance, me suis-je dit, a ma fille d’avoir entendu parler de Mary Wollstonecraft à l’adolescence, quand moi j’ai dû attendre d’avoir la trentaine bien tassée. Alors bien sûr, elle n’aura peut être pas lu toute la note qui explique qui était l’auteure de « Défense des droits de la femme » (A vindication of the Rights of Women), ouvrage majeur du féminisme britannique, écrit en 1792, et de « pensées sur l’éducation des filles ». Mais au moins, elle est citée dans un contexte où l’autonomie et l’éducation des femmes est clairement revendiqué. Et à propos de la grande auteure : en 1797, âgée de 38 ans, elle meurt d’une septicémie des suites de son accouchement. En plus d’une oeuvre féministe exceptionnelle, elle laisse au monde sa fille, Mary, qui deviendra Mary Shelley, la célebrissime auteure de « Frankenstein ».

Merci donc à ces auteures de transmettre à nos filles -et peut être aussi aux garçons (d’ailleurs mon père a trouvé très intéressant le secret des cartographes…mais c’est vrai qu’il a un peu passé l’âge d’être traité de garçon…), la mémoire de ces femmes exceptionnelles que l’histoire a trop souvent eu vite fait d’oublier. La relève, grâce à elles, est assurée !

S.G

 

(1)tisserands lyonnais du XIXe siècle, vivant dans des appartements hauts de plafond pour que les métiers puissent y entrer, qui donnent aujourd’hui des appartements si joliment atypiques du quartier de La Croix Rousse

L’assassinat d’Amy Winehouse

Capture d’écran 2015-07-22 à 10.54.31Oui. La star internationale est morte à 27 ans d’un arrêt cardiaque, pas d’un assassinat en bonne et due forme. Mais après avoir vu le film « Amy », documentaire sorti récemment sur Amy Winehouse, chanteuse au talent et à la voix tout à fait exceptionnelles, je voudrais écrire combien sa mort est le produit du sort réservé aux femmes dans nos sociétés patriarcales, et aux femmes qui menacent l’ordre établi par leur exceptionnel talent. Ainsi, si la jeune britannique est morte aussi jeune, en n’ayant pu « sortir » que deux disques -mais deux disques exceptionnels, dont « Black to Black » (digression : je l’ai acheté par hasard le 31 décembre 2006, voulant me faire un cadeau après avoir enfin retrouvé mon passeport et effectué une dans mémorable depuis rebaptisée « danse du passeport » et j’avoue combien j’ai été scotchée…écoutant ensuite le CD en boucle pendant longtemps), c’est bien parce qu’elle a été la victime systématique de violences répétées du patriarcat, et d’un certain nombre d’hommes en particulier. Probablement, on ne retiendra du film que la duplicité d’un père, la cruauté du monde du show biz, les ravages de la drogue et le revers de la célébrité. Mais pour peu qu’on veuille bien entendre ce qui est dit, clairement, à plusieurs reprises, par différents protagonistes du film, dont les principaux intéressés (Amy, son père, son « mari », son manager, son garde du corps, ses amies), on comprend qu’il s’agit d’une sorte de « fatalité patriarcale », du sort réservé aux femmes en général et qui l’a privée d’une vie épanouie et longue, et nous a privées d’une femme exceptionnelle et d’une artiste unique.

Une vie de violences patriarcales

En effet, de sa naissance à sa mort, les hommes qui l’ont entourée et ont le plus compté pour elle se sont livrés à un pillage systématique fondé sur le chantage à l’amour. Son père, son mari, son deuxième manager. Ainsi, son père, qui l’a abandonnée lorsqu’elle avait 8 ou 9 ans, a réussi à lui mettre dans la tête que son « amour » lui était en vérité indispensable, que son « rôle séparateur » tel que la psychanalyse misogyne l’a établi lui aurait été nécessaire. Ainsi, son père s’intéresse à elle à partir du moment où elle devient une artiste reconnue. Mais surtout, il prend alors le contrôle de sa vie -non pas pour la protéger- mais dans son intérêt à lui. Lorsque son entourage l’encourage à aller en « Rehab » (désintox) alors qu’elle n’est pas encore une star internationale, et qu’elle se rend à l’avis de son père, il affirme qu’elle n’a pas besoin d’y aller (c’est d’ailleurs l’épisode qui l’a inspirée pour son plus grand succès : « they wanted me to go to rehab, I said « no, no, no ». Quand ensuite, elle veut aller finalement en désintox mais seulement avec son mari (ce que tout le monde sait dans le monde médical être un danger pour elle), son père et son manager lui trouvent une clinique où ils sont acceptés ensemble. Enfin lorsqu’elle est mise à l’abri des paparazzi suite à l’arrestation de Blake le mari, sur l’île de Santa Lucia, elle réclame la venue de son père, qui vient avec…une équipe de tournage !!!

Le père absent de son enfance, qui ne s’est pas préoccupé une seconde de sa boulimie ou de sa dépression semble-t-il, est donc omniprésent à l’âge adulte, dès lors qu’elle peut lui assurer le succès. Autre acteur clé, le mari drogué. Caricature là encore de l’homme parasite…il la quitte pour son ex jusqu’au moment où elle a un grand succès, et qu’elle écrit l’amour qu’elle a pour lui (et qui lui assure le succès international). C’est là qu’il trouve le « filon », à travers celle qui lui permettra d’avoir de la drogue à volonté, et qui n’a aucun intérêt à ce qu’elle soit « clean ». Elle est clairement sous son emprise (un soir de défonce, il se taille le bras avec un morceau de verre, elle le fait aussi « parce qu’elle veut tout faire comme lui »), et lui trouve encore le moyen de se plaindre d’elle, de façon posthume.

Male tears et absence de culpabilité

Le manager enfin, qui se justifie en disant que lui « a fait son job », et que ce n’était pas à lui de décider d’annuler les concerts alors qu’il était évident qu’elle n’était pas en état de les faire (ainsi, à Belgrade, elle refuse de chanter devant des dizaines de milliers de personnes qui la huent). Car c’était une question d’argent. L’argent, dont elle se fichait et qui ne lui a rien apporté. Les hommes autour d’elle, en revanche, avaient absolument besoin de son succès…Tous les trois sont encore là, alors qu’elle est morte, et continuent certainement à tirer profit de son talent, et le tout, avec apparemment aucun sentiment de culpabilité. On les entend dans le film, le mari avec ses « male tears », se posant en victime, le père pour dire « qu’il a fait tout ce qu’il pouvait », le manager pour dire que « ce n’était pas son affaire »…Le comble, c’est que les seulEs qu’on sent touchéEs par la culpabilité sont celles et celui (le premier manager) qui n’ont en rien encouragé sa dérive et qui ont toujours été là.

L’humour, arme de destruction massive

Enfin, violence supplémentaire, celle du jugement de la société sur la star en dérive. Les images sont d’une immense violence, celles des humoristes de télévision, tous des hommes, qui gagnent leur vie en faisant de l’humour sur sa souffrance, d’une façon ultra-violente, misogyne et sexiste…les extraits sont insupportables. En résumé et pour boucler la boucle, le film est une démonstration implacable du sort réservé en général aux femmes : les condamner à vouloir et quémander un amour de la part d’hommes dont l’objectif est en réalité de les détruire et de les utiliser à leurs fins, et du sort réservés aux femmes artistes en particulier : les punir d’égaler ou de dépasser les hommes artistes, tout en récupérant les profits que leur talent engendre.

Un moment de grâce

Et le film, comment traite-t-il de cette histoire ? C’est un travail exceptionnel de montage d’images d’archives (il y en a énormément), et d’interview de tous les témoins, qui font qu’on sait tout de chaque épisode…j’ai regretté pourtant que la caméra insiste trop à la fin sur les clichés de la déchéance, pas toujours indispensables dans la longueur à la démonstration. Pour finir sur une note positive, il y a un moment assez exceptionnel vers la fin du film : l’enregistrement du duo Amy Winehouse/Tony Bennett, grand moment d’émotion, ou pour la première fois, on voit un homme la traiter normalement, avec bienveillance. Un moment de grâce qui, en nous montrant ce qu’aurait pu être, ce qu’aurait dû être la vie d’artiste d’Amy Winehouse, une longue vie de création musicale et d’expression vocale exceptionnelle, nous donne encore plus l’impression d’un immense gâchis patriarcal. Sandrine Goldschmidt

#8 mars de la MMF : « tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous marcherons »

DSC_0140C’est le slogan de la MMF qui organisait cette année la manifestation du 8 mars. Très joli parcours, très belle manifestation sous le soleil, environ 5.000 personnes, et une première étape pour aller vers la liberté des femmes, et notamment de celles qui sont sous le joug patriarcal de la prostitution : l’abolition et le vote de la loi, qui passera au Sénat fin mars. Mais tant que tous les enfants n’auront pas le droit de grandir, les femmes ne pourront non plus être libres, il faut encore le rappeler…
Voici donc plus qu’un long discours une longue série de photos, qui j’espère vous plairont (cliquez sur la première, vous aurez ensuite une galerie il suffira d’appuyer sur flèche droite pour que ça défile)

S.G
PS : et en ce #8 mars, je remercie Elaine Audet, qui a mentionné mon blog en des termes très agréables à lire sur Sisyphe 

Soyons vieilles, et heureuses de l’être !

Je suis vieille. Je suis vieille, et fière de l’être, et j’espère que vous aussi à la fin de cet article vous serez vieilles. Parce que ce matin, en lisant un court ouvrage de Marie de Hennezel et Bertrand Vergely, « Une vie pour se mettre au monde », c’est le constat que je me suis fait. En effet, l’auteure y décrit les peurs auxquelles les « seniors » qu’elle reçoit en « stages de bien vieillir », sont confrontés. La première d’entre elles, c’est la peur de ne plus séduire.

securedownloadUne peur qui touche en particulier les femmes, évidemment. Or, à lire ce qu’elle en dit, je me dis non seulement que je suis déjà vieille, mais que le problème de notre société capitalo-patriarcale, c’est ce jeunisme du malheur, celui de la séduction obligatoire, celui du narcissisme mal placé. Et qu’il serait bon d’être vieille beaucoup plus tôt.

Le narcissisme mal placé, c’est celui du mythe de Narcisse compris par Freud : Narcisse se regarde dans le lac et tombe à l’eau. C’est celui de la « marâtre » de Blanche-Neige. C’est celui de notre société contemporaine. En effet, Marie de Hennezel explique que la première peur de vieillir, c’est donc de ne plus séduire. Pendant des décennies, on a expliqué aux femmes qu’il fallait être belle, avoir la peau lisse, ressembler à un modèle de plus en plus irréaliste et conformé au supposé désir des hommes, lui-même conformé par ce qu’ils en apprennent dès le plus jeune âge, d’abord avec les contes de fées, ensuite avec la pornographie. Arrivées à un certain âge, quoi que l’on puisse faire, les rides arrivent. Le corps change. Et personne, ne ressemblera à 80 ans à qui elle était à 20 ans. Or, au lieu de trouver cela formidable, on nous dit que c’est l’horreur et qu’il faut mettre des crèmes « anti-âge », ou aller se faire refaire le portrait. Conséquence, on vieillit toujours, mais en plus on ne laisse plus rien voir de nos expressions sur notre visage. Ces expressions qui sont pourtant ce qui fait la vraie beauté, à tout âge, et le charme.

IMG_0890Ce qui compte nous dit-elle pour bien vieillir c’est donc le regard qu’on a sur le monde. Au lieu d’être en permanence centrée sur son reflet dans le miroir (qui nous fera un jour sombrer dans le lac de la vieillesse, mais d’un coup /cf Dorian Gray), on peut choisir de comprendre le mythe de Narcisse à la façon de Lou Andréas-Salomé. il s’agit du « narcissime cosmique », où Narcisse est fasciné par son visage au milieu de la nature. Il se voit comme faisant partie d’un tout, et non plus comme étant le monde à lui tout seul. Adopter ce regard rend non seulement la vieillesse plus plaisante mais également ce qu’on donne à voir aux autres. Ainsi ne pas être centréE en permanence sur ses bobos, douleurs, soucis de vieille, permet de s’intéresser aux autres, et de les attirer.

L’auteure nous dit qu’il faut passer « du corps que l’on a au corps que l’on est« , pour s’accepter vieille (ou vieux, mais ici je procède par l’identification donc je le mets au féminin). Et elle explique qu’avec l’avancée en âge, la peur de ne plus séduire disparaît : « (…) et nombreuses sont celles qui osent dire qu’être libérée du souci de plaire et de séduire les soulage. Quelle liberté, finalement, de pouvoir simplement être ».

Une sexualité de vieux à tout âge

Je suis donc tout à fait d’accord avec elle, mais j’ajouterais : ce n’est pas seulement parce qu’on est vieille, qu’il faut penser et se voir ainsi, mais cela devrait être le cas à tout âge ! Ceci est encore plus vrai lorsqu’elle aborde la question de l’amour et la sexualité chez les personnes âgées, en particulier chez les pensionnaires de maisons de retraites, qui nous montre à quel point c’est le regard de la société sur l’amour vrai et la sexualité qui est malade, et non pas les vieilles personnes qui s’aiment.

9782253157953-TL’autrice nous explique en effet que le tabou de la sexualité est persistant, notamment parce que les enfants, une fois que leurs parents sont en institution, ne supportent toujours pas l’idée que la sexualité puisse exister chez les parents, et comme désormais ils exercent un contrôle sur ceux-ci…

C’est certainement en partie vrai. Mais c’est surtout, à mon avis, à cause de ce que -comme pour la beauté, notre société impose comme norme de la sexualité. Que ce soit la sexualité non libre d’avant, où le désir et le plaisir des femmes n’avait aucune place, ou la sexualité mécanisée, industrialisée, commercialisée et performante d’aujourd’hui (commercialisée donc on fait des femmes des objets), les normes sont anxiogènes. Il « faut atteindre l’orgasme » à tout prix, l’orgasme étant LE critère d’évaluation de la performance. On définit comme « expertes » en sexualité les personnes qui subissent la violence prostitutionnelle ou pornographique, on encense -jusqu’en maison de retraite- « ‘l’outillage » sexuel (appelés sex toys), comme gages de libération et de plaisir.

Or, Marie de Hennezel souligne que la sexualité vieillissante et bien vécue par de nombreuses personnes âgées, c’est tout autre chose. « On est dans la perception de l’autre, de son rythme, on est à l’écoute de l’autre« , dit-elle, comme une danse. Mais la sexualité, cela ne devrait-il pas être ainsi à tout âge ? C’est en tout cas ainsi que le désir réciproque se définit, non ?

Elle explique encore que la sexualité change, qu’elle devient plus sensuelle. « Elle est moins pulsionnelle et plus affective. Mais le plaisir peut être infiniment plus profond« . Là encore, n’est-ce pas tout simplement une merveilleuse définition de ce qu’est la sexualité partagée, désirante, et qui procure cet extraordinaire bien-être, et qui donc, ne se limite surtout pas à des pulsions, pas à des positions, un outillage ou une performance ?

Devenir lesbienne ou acheter des sex toys ?

C’est en tout cas ainsi que j’ai personnellement coutume de définir les merveilles de la sexualité…

SoAu lieu de vouloir régler la question de la sexualité des personnes devenues fragiles ou perdant de l’autonomie en faisant du commerce, en proposant des « services sexuels » pour celles et ceux qui « ne pourraient plus ou pas faire de rencontre », si on promouvait ce discours sur une sexualité désirante et sensuelle ? Ainsi, si la société était féministe et s’intéressait au désir des femmes, elle n’aurait pas l’idée saugrenue de faire des « réunion sex toys » en maisons de retraite : il s’agit là en effet non pas de pallier le « problème » de l’absence d’hommes à partir d’un certain âge mais bien de vendre. Car si c’était la possibilité d’une sexualité épanouie et donc redéfinie qui nous intéressait, on favoriserait la rencontre en institution, on adapterait nos quartiers pour que les rues et les lieux publics soient accueillants pour les personnes âgées. Enfin, on oublierait les normes hétérosexuelles et on encouragerait la rencontre entre individues, ouvrant ainsi un grand champ de possibles à 80% de femmes au lieu de les mettre en concurrence et de positionner le « petit vieux » en petit roi de la maison de retraite (à qui il faut donner du viagra parce qu’il a d’autant plus de « pression à la performance »)…

En conclusion : en lisant cette définition de la sexualité, de la beauté, de la liberté, et du bonheur d’être vieille, je me dis… si être vieille, cela veut dire prendre soin de soi pour être plus à l’écoute des autres et en phase avec le monde, avoir plus de sensualité et plus de plaisir parce qu’on est dans une danse avec l’autre, parce qu’on est tournée vers le monde et non seulement vers soi, je le redis alors : je suis déjà vieille, et soyons toutes vieilles (et vieux), et heureuses de l’être ! 

Sandrine GOLDSCHMIDT

 

De l’illusion de la puissance…à la possibilité d’agir

IMG_19512014 s’achève. Tant mieux. Cent ans après la mort de mon arrière-arrière-grand mère, Melanie, et après le début d’un cataclysme mondial il semblerait qu’on sache moins que jamais où on va…

Dans l’atmosphère catastrophiste où la France se complaît, les mots d’Ariane Mnouchkine n’ont pas été entendus. Rien ne va, mais c’est la faute…du Président, de son ex-compagne, des médias, des pauvres pour les riches, des riches pour les pauvres, des étrangers pour les Français qui croient l’être plus que d’autres, des hommes,… c’est la faute des autres, en résumé !

Rien ne va oui, il y a des choses terribles : la pauvreté, les trafics d’êtres humains, les violences envers les femmes, enfants, que l’on refuse de voir et de combattre suffisamment, la montée d’une idéologie génocidaire contre les femmes « sous l’égide de Dieu », la haine des autres avec la montée de l’extrême droite…et malgré les tentatives militantes, les choses n’ont pas l’air de beaucoup avancer. Mais elles ne peuvent avancer si on ne regarde que ce qui ne va pas, ce qui n’est « pas assez », pas suffisant, ce que les autres font de mal ou ne font pas…et si l’on ne  se concentre pas sur soi et sa capacité d’agir sur ce monde…

Rien ne va, je n’en suis pas si sûre. Hypothèse : le problème ne serait-il pas que l’humain n’aime pas la perte de maîtrise sur son environnement ? Et que là, comme ailleurs, il faut d’abord lâcher prise, et essayer déjà d’être maître-sse de soi ? Mais ma vision, là aussi, est peut être intimement liée à ma position dans ce monde aujourd’hui, ici et maintenant, ce n’est donc que l’hypothèse qui me convient le mieux… en tout cas, je ne vois pas de raison objective de penser que le monde court à sa perte plus que les paysans de l’an mil, les écrivains de l’apocalypse, les juifs au moment de la seconde guerre mondiale ou les Occidentaux qui avaient peur de l’arme nucléaire.

Rien ne va, et pourtant pour peu que l’on regarde un peu au dessus de la zone de flottaison, il y a beaucoup de choses qui ne vont pas si mal et qui se font, des gens qui agissent pour que ça aille mieux. Je n’ai pas envie de laisser gagner les partisans de la haine, ceux pour qui il vaut mieux que rien n’aille ou n’ait l’air d’aller, parce que ça les nourrit… Il y a plein de gens qui font de leur mieux pour mettre un peu d’amour, de « care », dans ce monde. Il y a plein de gens formidables, qui se préoccupent des autres et d’eux-mêmes (équilibre nécessaire…) qui inventent des solutions pour rendre la vie un peu plus belle et parfois dans des situations difficiles. Il y a des enfants qui naissent et apportent -pour peu qu’on veuille bien les voir, les entendre, les respecter comme des personnes, leur regard sur le monde et un fol espoir avec eux et elles.

DSCF6832Alors tout va bien ? Certainement pas. Il y a des tas de choses qui « ne sont pas bien allées » et je suis pour les regarder en face. Mais surtout pour celles qui nous concernent directement nous, et sur lesquelles on peut agir. Parce que c’est nous mêmes, parce que c’est notre métier, parce que c’est là qu’on milite… Mais si l’on ne peut rien y faire, à quoi cela sert-il de se complaire de notre impuissance ? Ainsi, partager et re-partager par le biais des réseaux sociaux, des infos qui nous scandalisent, qu’on n’a pas vérifié, qui viennent confirmer l’idée vraiment -que c’est la faute des autres-, n’est-ce pas « agir » sur ce sur quoi on ne peut pas agir ? Et nous rendre malade, malheureu-se, triste, désespéré-es… Alors qu’agir est possible et qu’on peut  faire bouger les choses.

En résumé, je crois plus que jamais qu’on peut agir, mais d’abord sur soi, depuis soi, en essayant de ne pas être dans l’illusion humaine de la toute puissance…et j’ai plus envie aujourd’hui de partager  avec vous mes coups de coeur et celles qui incarnent cette possibilité de l’action…

En voici quelques unes, militantes, littéraires et cinématographiques qui ont marqué pour moi 2014 :

La marche de Rosen (ancienne personne prostituée qui milite pour l’abolition de la prostitution), bien sûr, elle symbolise pour moi l’intelligence de l’action militante : plus dans le faire que dans le dire ou l’écrire, et qui agit depuis sa juste place. Rachel Moran, autre survivante irlandaise, qui a écrit « Paid For », « Achetée », son témoignage d’enfant mise en prostitution et son parcours vers la lutte pour un monde plus juste; je vous reparlerai de son remarquable livre.

Doris Lessing, « journal d’une voisine », ou le « care » aux personnes âgées vu par une grande autrice il y a déjà 30 ans…Willa Cather, autrice que je ne connaissais pas, qui avec « Mon Antonia », signait au début du siècle dernier un chef d’oeuvre trop peu connu. Et deux films, réalisés par des femmes, l’un documentaire, « La Cour de Babel », et l’autre fiction à partir d’une histoire vraie, « Les héritiers ». Deux magnifiques films qui, comme Ariane Ascaride le dit et l’incarne dans Les Héritiers, ne se laissent pas aller à la morosité, qui abandonnent l’illusion de l’impuissance, pour se consacrer à agir..là où c’est possible.

 

S.G

Documentaires : La petite Roquette, luttes des femmes LIP et Kate Millett

Trois événements à ne pas manquer en huit jours, trois projections très intéressantes…on pourrait se demander pourquoi tout en même temps, mais contentons-nous de nous réjouir…

Dès demain soir au Nouveau Latina (20, rue du Temple) à 20h, la projection de « La petite Roquette », documentaire de Guillaume Attencourt sur la prison de femmes qui accueillit de 1836 à 1974 des femmes en détention préventive ou condamnée à des peines de prison de moins de 1 an.

La séance aura lieu en présence de Nadja Ringart, sociologue et féministe, qui a été détenue à la petite Roquette trois mois en préventive pour des raisons politiques avant d’être mise en liberté provisoire puis condamnée à 6 mois avec sursis. Elle a d’ailleurs écrit dans le cadre du mouvement de libération des femmes un texte sur la prison : « toutes ces femmes…une caricature, la prison », que vous pouvez retrouver dans les « Textes premiers » édités à l’occasion des 40 ans du mouvement .

Un petit extrait : « Ce n’est pas non plus de la même façon qu’un homme et une femme arrivent en prison. La population pénale féminine est différente. On trouve beaucoup plus de petits coups dans lesquels lesfemmes sont entraînées directement par le mari ou par isolement qu’elle ne peuvent assumer. Sans sparler de celles qui viennent se réfugier là contre le froid ou le mari pour quelques mois d’hiver, il est très rare qu’elles soient enfermées pour un délit dans lequel elles sont seules impliquées ou qu’elles ont seules organisé ». (publié à l’origine dans Partisans « libération des femmes année zéro »).

Deuxième projection importante, jeudi soir à Créteil, un film de Et en présence de Kate Millet, féministe « historique » américaine et auteur de « Sexual Politics », qui est cette année l’invitée d’honneur du festival.

« Three Lives », le documentaire réalisé en 1971 par Kate Millett sera projeté : c’est le portrait de trois femmes qui parlent de leur vie, « évoquent les conflits passés, les décisions et les conséquences de leurs actions qui les mènent à se réaliser en tant que femmes ».

La projection sera précédée d’une rencontre avec Kate Millett, animée par Christine Lemoine de la librairie Violette and co.

Enfin, à ne pas manquer non plus, à l’occasion de la semaine des Arts à Paris 8, la projection-rencontre « Images des LIP, lutter au féminin ».

C’est de 14h à 17h30, amphi Y. La rencontre sera animée par Hélène Fleckinger, enseignant-chercheuse en cinéma. Ca devrait donc être très intéressant. Toutes les infos complémentaires sont dans le flyer ci-dessous !