Hier sur les réseaux sociaux, une vidéo du site Konbini (je ne mets pas le lien, si vous souhaitez la voir, vous la trouverez, mais je ne tiens pas à lui faire plus de publicité) a fait scandale sur twitter.
Anne Ratier, y était interviewée par un journaliste qui aime les vidéos-scandales. Anne Ratier, c’est une femme qui a tué son bébé atteint d’un très lourd handicap alors qu’il allait avoir 3 ans. Un meurtre avec préméditation, qui s’est déroulé il y a 32 ans. Un acte fait dans la douleur et certainement le désespoir, face à un bébé totalement tétraplégique, incapable à 3 ans d’une quelconque autonomie. Il devait être nourri à la cuiller pour survivre et demandait une attention de chaque instant de sa mère. La communication était réduite au minimum – ou même à rien. En revanche, le bébé était capable semble-t-il d’émotions, et son cerveau de plaisir, comme elle l’explique dans la vidéo : car lorsqu’on le faisait sauter en l’air, il riait.
Mais il n’y avait aucun moyen qu’il communique. Bien évidemment, cette situation est terrible. Je n’ai aucunement l’intention ni de raison d’émettre un jugement sur l’acte lui-même, n’étant ni la justice ni plus au courant que ce que la vidéo m’en a révélé. Par ailleurs, tout a été dit sur twitter, par les gens qui ont été choqués par la vidéo. Je recommande en particulier le fil d’Elisa Rojas (@elisarojasm), une des fondatrices du groupe CLHEE, collectif de personnes handicapées dont le manifeste est à lire.
Ce qui m’intéresse dans cette affaire – ou me désespère plutôt, c’est l’utilisation qui est faite de cet acte, et ce que cela dit de notre société, qui semble de plus en plus fascinée par la mort et imaginer qu’elle peut être une solution. Qu’on puisse publier un livre intitulé « j’ai offert la mort à mon bébé », titre destiné à justifier un meurtre, en le montrant comme un acte d’amour et un cadeau, est effrayant.
On pourrait justifier de publier le témoignage de cette mère, dans l’objectif d’alerter la société sur ce type de cas extrêmes. A la limite, si cette femme avait écrit : « au désespoir, sans solution, j’ai tué mon bébé et je demande que la société améliore les conditions de vie des bébés dans cette situation et d’apporter une aide et un soutien réels à leurs familles » (comme le dit Ismène Fleury sur twitter -merci à elle), je comprendrais.
Y a-t-il des vies non dignes d’être vécues ?
Mais ici, il s’agit clairement d’utiliser un acte criminel -fut-il désespéré, dans le but de faire passer ce que certains appellent un « droit de mourir dans la dignité », c’est à dire à légaliser l’euthanasie. Rendre à son fils sa dignité est un des arguments invoqués par Anne Ratier pour justifier son acte. En réalité, sous ce prétexte de protéger ou garantir la dignité, se cache un droit d’euthanasier quelqu’un dont on considère que la vie n’a pas de dignité (elle le dit dans la vidéo). En effet, que ce soit dans le cas d’un meurtre caractérisé comme ici, ou dans le cas d’une « demande d’euthanasie », y accéder revient à décider qu’il y a des vies non dignes d’être vécues.
Les sites locaux de l’ADMD, Association du « droit à mourir dans la dignité », publient des articles sur ce livre soulignant le « courage de cette femme qui ose risquer la prison pour faire changer les choses ». En effet, elle dit clairement qu’elle veut que la loi change pour donner le droit à ce que ce qu’elle décrit comme un « acte d’amour » soit rendu légal via l’euthanasie. Normalement, le cas présenté ne devrait pourtant pas satisfaire les partisans de l’euthanasie. En effet, la loi telle que l’envisage l’ADMD, consiste à accepter l’euthanasie dans des cas incurables et avec le consentement de la personne. Ici, le consentement est impossible. Ici, il ne s’agit pas du droit de disposer de sa propre vie, mais de celle d’une autre personne. Il s’agit tout simplement de décider de tuer.
Il y a 32 ans
Par ailleurs, il est un fait qui n’est pas passé inaperçu : la date des faits, 1987, qui a provoqué des discussions sur la possible prescription (discutée). On se dit donc que si elle a attendu c’est parce qu’elle ne risquerait pas la prison (ce qu’elle dément). Mais ce qui n’est pas dit, et est peut être ici plus important, c’est autre chose : le fait que cela ait eu lieu il y a 32 ans, implique que la situation désespérée dans laquelle se trouvait cette femme il y a 32 ans, n’est pas forcément représentative de ce qui se passerait aujourd’hui dans le même cas, avec l’évolution des soins et l’évolution des lois. Une des choses qui est reprochée par certains autour du cas d’Anne Ratier est la question de l’acharnement thérapeutique. Or, depuis 2005, l’acharnement thérapeutique est interdit par la loi.
Il s’agit donc à tous les niveaux de manipulation d’une situation terrible pour imposer un agenda politique contestable. Une exploitation de cas extrême et dramatique, pour tenter d’obtenir une loi qui donnerait le droit de décider -ici à la place de la personne concernée- de ce qui est « bon » pour elle. On pense aussi à cette autre vidéo où une femme disait qu’elle voulait le suicide assisté pour ne pas être déchéante à la vieillesse. Les vieilles, les personnes handicapées, et ensuite, qui ? Encore un exemple d’une société qui semble perdue, à pouvoir imaginer que la mort soit un cadeau. C’est désespérant.
S.G