Au surlendemain de la cérémonie des César, voici une vidéo du rassemblement. A écouter en entier : « vous saurez tout sur Polanski », « le violeur c’est toi », et « libérez nos soeurs ».
Vendredi 20 février, Place des Ternes, à proximité de la salle Pleyel où se déroulait la soirée des César `
La colère retombée (ou pas), que dire de plus des César 2020 ?
D’abord, que malgré tout quelque chose a changé. Ce qu’on retiendra cette année ce n’est pas la gloire de Polanski, mais la honte qu’il ait eu un nouveau César. Et le courage de celles qui ont refusé publiquement de cautionner, Adèle Haenel en tête.
Que Portrait de la jeune fille en feu ait été volontairement boudé, on ne peut finalement guère s’en étonner. Car les César ne se sont jamais vraiment intéressés au cinéma en tant qu’art, plus à son industrie. On regrette juste que parce que c’est un film exigeant, mais aussi parce que c’est un film subversif (montrer l’amour entre femmes et dans l’égalité, c’est bien plus subversif que céder aux sirènes du regard pornographique comme dans « la vie d’Adèle »), il ne puisse être accessible au-delà d’un nombre de personnes qui reste trop restreint.
Collage féministe post-César. Merci à la personne qui a fait la photo. Je la citerais volontiers si vous avez son nom…
Et on observe, amusée de l’éternelle répétition des mêmes « backlash » (retour de bâton), ceux qui hurlent encore et toujours que cette cérémonie a été celle du grand lancement d’une guerre contre les hommes. Comme si le but du féminisme, n’était pas celui-ci : mettre fin à la guerre des hommes contre les femmes, en vue de la paix, donc…
Mais ce qui est intéressant, c’est qu’à l’époque l’article était dans Elle…et qu’aujourd’hui on n’imagine plus que dans des journaux vraiment réacs, comme Transfuge, qui critiquait déjà tout récemment le concept de « female gaze » expliqué par Iris Brey.
Pourtant, ce qui reste, deux jours après ce beau rassemblement et cette triste cérémonie, c’est le panache de l’équipe du Portrait de la jeune fille en feu, la ringardisation définitive de la brochette de mâles sur scène des Misérables, et l’idée qu’après 10 ans de combat (depuis l’affaire DSK), de #jenaipasportéplainte (premier hashtag contre le viol que nous avions créé en 2012), à #metoo puis #jesuisvictime, les choses changent, le refus du statu quo grandit, la vieille garde se marginalise.
« La guerre des sexes n’aura pas lieu », donc, car elle est lancée depuis si longtemps contre les femmes et que la seule possibilité aujourd’hui c’est de continuer à lutter jusqu’à ce que le patriarcat dépose les armes, écoute, que la justice pour les femmes et les enfants existe et qu’enfin, la paix existe pour les femmes. Et l’on y revient toujours : « pas de justice, pas de paix »
Voici quelques articles intéressants suite aux César
J’avais pourtant combattu contre mon pessismisme d’origine, qui me faisait me dire…que le film « Portrait de la jeune fille en feu » de Céline Sciamma ne serait pas distingué à la hauteur de sa qualité aux Césars pour au moins 3 raisons :
-le manque de visibilité persistant en France malgré #metoo pour des films réalisés par des femmes et qui parlent de l’expérience de celles-ci, et de leur volonté de réinventer les rapports humains…ou au moins d’en montrer une image moins univoque (le regard misogyne) à l’écran.
-les honneurs répétés pour un homme dont depuis dix ans je dénonce avec d’autres féministes ici le fait qu’on lui déroule le tapis rouge (je ne dirai pas son nom). Un homme qui se présente en permanence en victime, et retournant toujours la culpabilité (typique de la stratégie de l’agresseur).
-la volonté de discréditer un mouvement féministe -qui ne cesse pourtant de grossir- et qui essaie, non pas de pousser à la vindicte des coupables, mais bien de donner aux victimes les moyens de ne pas sombrer dans le désespoir de n’être pas entendues. Le « sort » qui devait être réservé à Adèle Haenel, dans ce contexte, était particulièrement étudié, celle-ci ayant contribué à jeter un pavé dans la mare et à importer enfin le mouvement #metoo jusque dans le cinéma français.
Je me disais donc, surtout au moment du rassemblement qui a précédé la cérémonie place des Ternes à Paris, qu’il y avait un petit espoir. Personne de l’équipe du film J’accuse ne serait dans la salle, les instances dirigeantes des César avaient démissionné, le rassemblement était massif et réjouissant dans sa forme.
Enfin, Florence Foresti, « maîtresse de cérémonie » n’hésitait pas à se mettre du côté des victimes dans un discours vif où elle ne prononçait pas le nom du réalisateur.
Et pourtant, 3 heures plus tard, elle commentait le résultat de la cérémonie par « Ecoeurée ». Comme nous. Car il avait encore eu un César de la meilleure réalisation. Et Portrait de la jeune fille en feu, nominé dix fois, repartait avec le seul César de la meilleur photo (mérité) pour Claire Mathon.
Anaïs Demoustier est superbe dans « Alice et le maire », pour autant, les performances de Noémie Merlant et Adèle Haenel dans « Portrait de le jeune fille en feu » sont incomparables, nous transmettant par le regard des émotions d’une complexité et authenticité exceptionnelles.
Les Misérables, c’est -selon moi- un bon téléfilm, mais c’est un film où encore il n’y a quasiment que des hommes (voir la photo de famille sur scène à la fin) alors qu’on avait l’occasion de voir un film où il n’y a quasiment que des femmes, certes, mais qui surtout est une révolution dans le cinéma, apporte quelque chose de nouveau. L’accueil extraordinaire du film dans des pays comme la Corée du sud ou les Etats-Unis ne trompe pas.
C’est bien triste que la France du cinéma soit en même temps celle qui ne reconnaît pas cette révolution à l’écran et qui continue de récompenser un cinéaste accusé de viol et qui a fui la justice et trouvé « refuge » en France, et se victimise au point d’utiliser l’affaire Dreyfus… (ce qui achève de me révolter) pour se victimiser. « Refuge » ? Mais c’est qui la victime ?
Heureusement, Adèle Haenel et Céline Sciamma qui ont quitté la salle…bravo et merci pour leur courage. On aurait voulu qu’elle se vide entièrement…
Ce soir, pensons à #AdèleHaenel, à son courage. Pensons aux victimes de violences sexuelles et sexistes qui ont peut-être suivi la cérémonie. Quel message cet honneur fait à #Polanski envoie-t-il aux femmes qui n'osent pas parler ? Que leur parole ne vaut rien ? #Cesar2020pic.twitter.com/GFgchWNKfe
Vous savez ce qui m’énerve le plus avec les Césars 2020 ?
Que Polanski soit nominé douze fois ? C’est odieux, certes, mais ce n’est pas ça.
Ce qui m’énerve, vraiment, c’est qu’encore une fois, il attire toute l’attention à lui. Alors qu’en même temps qu’il est nominé douze fois, un autre film, le meilleur film, en 2019 (according to me et beaucoup d’autres) est nominé dix fois, et qu’on n’en parle pas assez, alors que c’était une occasion rêvée de mettre en avant un film de femmes, et un autre regard sur les femmes.
Oui, Portrait de la jeune fille en feu est nominé dix fois. C’est le film le plus novateur, cinématographiquement et dans son propos, féministe, film qui révolutionne le regard sur les femmes au cinéma. Qui, comme l’a superbement dit Noémie Merlant (qui y fait une performance incroyable en Marianne) en recevant le prix de la meilleure actrice pour la presse internationale (voir ci-dessous), qui crée un imaginaire pour les femmes. Et pourtant, à cause de Polanski, personne n’en parle. Et c’est ça, qui m’énerve le plus.
Mon palmarès, pour rendre visible
Les féministes, ainsi que l’ensemble du cinéma français, ne devraient parler que de ça. Des nombreuses nominations pour ce film qui n’a pas eu la même promotion que les autres, ce film qui change les codes, renouvelle le cinéma.
Et au lieu de cela, c’est Polanski qui monopolise l’attention, et encore une fois, invisibilise le travail extraordinaire de femmes, de lesbiennes.
Alors, pour tenter de contrer ça (mais je me sens un peu seule), je reprends la liste des nominations aux César cette année et vous donne mon palmarès, de cinéphile autant que de féministe.
Meilleur film : Portrait de la jeune fille en feu
Meilleure réalisatrice/eur : Céline Sciamma (Portrait de la jeune fille en feu)
Meilleures actrices : Adèle Haenel et Noémie Merlant (Portrait de la jeune fille en feu) / Eva Green (Proxima)
Meilleure actrice dans un second rôle : Sara Forestier (Roubaix une lumière) qui fait une performance inouïe
Meilleur scénario original : Céline Sciamma (Portrait de la jeune fille en feu)
Meilleurs costumes : Dorothée Guiraud (Portrait de la jeune fille en feu)
Meilleure photographie : Claire Mathon (Portrait de la jeune fille en feu)
Meilleure espoir féminin : Loùana Bajrami (Portrait de la jeune fille en feu)
Meilleur premier film : Papicha
Meilleurs décors : Thomas Grizeaud
Pour le reste, je pourrais ajouter Roschdy Zem meilleur acteur dans Roubaix une lumière encore, mais comme je suis énervée, je mets l’accent sur ce palmarès encore une fois cinéphile, orienté certes féministe, mais pas plus orienté que d’autres…
Et je me prends à rêver que le soir des César, Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma, Adèle Haenel et Noémie Merlant notamment, obtiennent tous ces César là, pour qu’on ne parle plus de celui qui devrait enfin tomber dans l’oubli, et porter notre attention sur ce qui peut nous faire du bien…
Je vous le disais ici fin 2019, j’ai décidé de lire tous les Rougon-Macquart, les 20 romans d’Emile Zola qui décrivent la société sous le second empire, dans toutes ses classes sociales. Parallèlement, je me réjouis que, grâce à Vanessa Springora, l’imposture Matznef et ses défenseurs soit révélée.
Dans « Le consentement », l’ex-victime du « grand écrivain » révèle à la fois les mécanismes de l’emprise, et comment les adultes de son époque (la même que la mienne, mais dans un tout autre milieu – j’ai été beaucoup mieux protégée) autour d’elle, parfaitement au fait des agissements de Matznef, ont préféré croire au « consentement » d’une fille de quatorze ans plutôt que de s’en prendre à l’ordre établi, au grand écrivain, qui pourtant avouait ses crimes dans ses écrits.
Quel rapport entre les deux ? La question du « contexte » et de l’historicisation dont on nous parle beaucoup avec l’affaire Matznef, et, la question centrale, celle du consentement.
En effet, certain·es nous disent qu’il faut recontextualiser « l’évidence ». Que, dans les années 70, une certaine tolérance à la pédocriminalité aurait eu pour cause la nécessaire libération des moeurs, d’une sexualité jusque là taboue. Les enfants seraient des victimes collatérales de cette libération. Mais quelle libération ? Qu’est-ce qui était tabou ? La sexualité des hommes l’était-elle vraiment ?
Retourner du côté du grand tableau de la société du Second Empire que fait Zola nous donne une autre forme de remise en contexte. Ainsi, synchronicité oblige, en même temps que je lisais Le consentement, j’en étais dans les Rougon-Macquart à « Pot-Bouille ». Pot-Bouille, c’est l’histoire d’Octave Mouret, jeune bourgeois commerçant monté à Paris, mais c’est surtout l’histoire d’un immeuble bourgeois parisien et de ses occupants. A le lire aujourd’hui, avec un regard féministe, (défini comme regard qui sait décrypter l’oppression sexuelle et sexiste des hommes sur les femmes), c’est un livre absolument sidérant. L’immeuble incarne génialement l’hypocrisie bourgeoise de l’époque, qui se livre derrière les portes closes à toutes les « turpitudes » (entendez viols), à condition que la façade reste immaculée, les apparences soient sauvées. Seule l’arrière-cour, où les bonnes, domestiques, déversent (au sens propre et figuré) les ordures accumulées par leurs maîtres qui se font passer pour des parangons de vertu, montre la véritable saleté de la bourgeoisie patriarcale.
C’est la saleté des « adultères » qui, tant qu’ils ne sont pas sus, règnent à tous les étages. Celle des « coucheries » des jeunes et moins jeunes bourgeois avec toutes les domestiques, y passant parfois à plusieurs dans la même nuit – ça coûte moins cher que le bordel. Celle enfin des enfants faits à ces femmes qui, lorsqu’elles sont domestiques, doivent les abandonner. Mais d’adultères, ou de « coucheries », ou d’enfants, il s’agit bien sûr de viols à tous les étages, et de la violence envers des gamines, des enfants, menant au meurtre de bébés.
Ce qui est frappant dans Pot-Bouille, c’est que Zola parle à peu près à chaque rapport sexuel évoqué des conditions dans lesquelles les femmes bourgeoises y ont consenti. C’est toujours l’insistance, la brutalité, le harcèlement qui en sont la première clé. Octave, le « héros », à chaque fois, insiste jusqu’à ce que l’une ou l’autre finisse par se laisser faire. A aucun moment un autre désir que le sien n’est pris en considération. Et d’ailleurs, Zola le dit très vite et à plusieurs reprises : il veut beaucoup de femmes, mais il les déteste (fin du premier chapitre) : « …il céda à son fond de brutalité, au dédain féroce qu’il avait de la femme, sous son air d’adoration amoureuse ».
Pour Marie, sa première maîtresse qu’il a approchée en lui prêtant un roman (Chapitre IV, édition Folio poche p109) : « il ne parla plus, ayant une revanche à prendre, se disant tout bas, crûment « toi, tu vas y passer! ». Comme elle refusait de le suivre dans la chambre, il la renversa brutalement au bord de la table ; et elle se soumit, il la posséda, entre l’assiette oubliée et le roman, qu’une secousse fit tomber par terre ».
L’autre « gage » du consentement, c’est l’argent. En effet, les femmes bourgeoises ne sont pas autonomes. Pour survivre, il leur faut se vendre. Ce n’est même pas une question. Soit en mariage, soit en maîtresse. Ainsi, Berthe, qu’il faut absolument marier, mais pour cela, comment contourner la dot, comment faire semblant de donner les 50 000 francs requis ? Ensuite, comme le mari est avare, et qu’il ne veut lui donner de l’argent, que fait-elle, pour acquérir foulards, bijoux, chapeaux, vêtements qui sont les seuls choses qu’elle désire ? Elle « consent » après moulte insistance, à céder à Octave, qui déjà, lui a fait quelques cadeaux.
A aucun moment, une des femmes décrites n’a de désir sexuel pour un homme. Elle a -parfois- du désir pour un objet, et l’homme est là pour lui offrir, en échange de sexe. On n’est pas loin de ce que certain·es appellent aujourd’hui michetonnage, qui est bien sûr de la prostitution.
Et quand l’adultère est pris en flagrant délit -évidemment, le problème n’est pas l’adultère, mais bien le flagrant délit, qui empêche de rester dans l’apparence- alors, qui est la seule qui en subit les conséquences (quoi que pas très longtemps) ? La femme, Berthe, qui doit rentrer chez ses parents. Octave, lui, en profitera pour retourner au Bonheur des dames puis épouser la patronne et se « lancer dans la vie ». Pour elle, la vie est finie, pour lui elle commence.
Domestiques : bonnes à violer
Quant aux domestiques, elles n’ont aucun pouvoir de refuser. La pauvre Adèle, voit même passer dans la même nuit plusieurs hommes, jusqu’à 4 heures du matin, alors qu’évidemment elle n’en voudrait aucun. Son absence de choix ne fait aucun doute : « Et on ne savait ni où ni comment il s’était jeté sur Adèle : sans doute derrière une porte, dans un courant d’air, car cette grosse bête de souillon empochait les hommes comme les gifles, l’échine tendue, et ce n’était certes pas au propriétaire qu’elle aurait osé faire une impolitesse ». (Chapitre XIII, p 328, édition citée). Elle aura ensuite un enfant, seule, sans que personne s’en aperçoive, qu’évidemment elle abandonnera.
Zola évoque donc l’abandon, et l’infanticide, conséquences de ces violences sexuelles. Une des habitantes éphémères de l’immeuble est une ouvrière (piqueuse) enceinte, sur qui le concierge et tous les bourgeois.es jettent l’opprobre, car sa « faute » encore une fois, a le tort d’être visible. Elle est mise à la rue quelques jours avant ses couches, livrée à elle même. À la fin du roman, on a de ses nouvelles. Elle est passée en procès pour l’infanticide de son enfant. Et là, bien sûr, elle est la seule coupable, même si elle révèle la vérité devant la justice.
« La mère dénaturée, une véritable sauvagesse, comme il le disait, se trouvait être précisément la piqueuse de bottines, son ancienne locataire, cette grand fille pâle et désolée, dont le ventre énorme indignait M. Gourd. Et stupide avec ça ! car, sans même aviser que ce ventre la dénoncerait, elle s’était mise à couper son enfant en deux (…). Naturellement, elle avait raconté aux jurés tout un roman ridicule, l’abandon d’un séducteur, la misère, la faim, une crise folle de désespoir devant le petit qu’elle ne pouvait nourrir : en un mot, ce qu’elles disaient toutes ». (dernier chapitre, p461). On note ici combien déjà, la parole des femmes était balayée d’un revers de « roman ridicule ».
Après Nana, qui décrivait la ruée des bourgeois sur les femmes pour la satisfaction d’un désir sexuel vanté comme irrépréssible et le sort de l’enfant prostituée (elle meurt à la fin du roman, elle a 18 ans!), Pot-Bouille nous livre donc le constat plus qu’amer de Zola sur la société de l’époque. Les femmes n’y sont bien que des objets à vendre ou à prendre gratuitement, pour des hommes qui ne contrôlent pas leurs désirs. Et ce sont elles évidemment, qui sont désignées, à chaque fois, comme les coupables.
Qu’en conclure, de 1870 à aujourd’hui en passant par les années 1980 et Matznef ? Que c’est bien une lente révolution sexuelle qui s’opère et que promouvoir la liberté du désir pour les femmes, est bien encore aujourd’hui le plus subversif des combats, face à tous ceux que la commercialisation du désir masculin tente encore…
Après ma liste de films, voici ma liste de livres remarquables en 2019…
D’emblée, quelques remarques. Je lis majoritairement des livres écrits par des femmes, surtout parmi les nouveautés. Parce que c’est une façon de contrer le sexisme persistant, en particulier dans la critique littéraire. Parce que, j’y reviendrai, les sujets qu’elles abordent n’existent pas forcément sans elles. Parce que la littérature a tellement servi la culture sexiste et la culture du viol (combien de temps aura-t-il fallu avant que chute entin Matzneff ?). Parce que la littérature, ne s’est tellement pas intéressée aux femmes réelles et à leur vécu spécifique et qu’il était temps que leurs récits sur elles-mêmes et leur vision du monde soient publiés.
Et de fait, les devantures des librairies proposent désormais de nombreuses oeuvres de femmes. Qu’ont-elles de particulier ? Pas un « style d’écriture féminine », je ne penche pas vers l’essentialisme. Mais des sujets qui sont abordés parce qu’ils sont l’expérience de tant de femmes jusque là peu abordée en littérature. Car jugés non dignes de cet art, parfois, ou simplement et parce qu’il faut en avoir fait et considéré l’expérience pour en parler d’un autre point de vue. La folie, le secret, les violences sexuelles, le rôle reproducteur, l’enfantement, l’exil des femmes arrachées à leur milieu d’origine aussi par le patriarcat, le conflit famille/liberté/identité, avoir « une vie à soi », ces sujets traversent quasiment tous les livres ci-dessous.
Avant de vous donner la liste, deux parenthèses. Cette année, j’ai découvert ou redécouvert deux grands auteurs hommes classiques, et ai très envie d’en parler.
J’ai lu pour la première fois Les Misérables en intégralité. Elles et ils m’ont accompagnée pendant 3 mois. J’ai apprécié chaque phrase, chaque chapitre, emprunts d’une grande humanité et d’une beauté littéraire époustouflantes. Qui fait que 100 pages sur le sort d’un évêque de campagne nous touche comme le sort de Cosette ou de Gavroche. Plaisir aussi de circuler dans les rues de Paris, pendant la lecture, et tomber par hasard sur les traces des événements décrits dans le roman, comme à l’angle du Faubourg Saint-Antoine et de la place de la Bastille, à propos des barricades.
Autre grand auteur, Zola. Par hasard, j’ai vu une série télé, inspirée de « Au bonheur des dames ». Etonnée par le ton féministe, j’ai eu envie de relire le roman (qui m’avait peu intéressée vers 18 ans). Le moins que l’on puisse dire, c’est que j’ai changé d’avis ! La description de la naissance du commerce moderne et de ce quartier autour de « 4 septembre » à Paris (où j’ai travaillé plusieurs années) m’ont fascinée. J’ai alors eu envie de lire tous les Rougon-Macquart. Aujourd’hui, j’en ai lu 9 et commence « Nana ». Chacun de ces 9 premiers tomes m’a passionnée. De la description du coup d’Etat de 1851 dans la ville de Plassans (ville imaginaire) dans La fortune des Rougon à Une page d’amour, sur les hauts de Passy, en passant par les classiques absolus L’Assommoir et Le ventre de Paris ou encore La curée, la force de description de Zola, l’élan qu’il donne à ses premiers chapitres, à un personnage, un quartier, un mouvement, sont fascinants. Objectif 2020, les 10 suivants !
Voici donc la liste des autres livres plus récents (mais pas tous de l’année, qui m’ont marquée cette année.
Rhapsodie des oubliés, de Sofia Alaouine. J’ai eu un peu de mal au début, mais l’écriture est vraiment puissante, l’hommage à Zola (cela se passe à la goutte d’or, la femme nigériane prostituée s’appelle Gervaise et sa fille restée au pays Nana) m’a forcément parlé, et l’émotion ne cesse de monter au fil du livre.
L’art de perdre d’Alice Zeniter un roman exceptionnel sur l’exil, et sur la complexité de l’identité, sur 3 générations : avant, pendant, après. De l’intelligence et de la grande littérature mêlées, ça fait du bien.
La nuit des béguines d’Aline Kiner Très beau roman sur ces femmes oubliées, qui parviennent -en se coupant des hommes et de leur violence et par la solidarité entre elles, à avoir une vie à elles, au XIIIè siècle. Evidemment, cela ne devait pas durer.
Filles de la mer, de Mary Lynn Bracht. L’horrible destin des femmes coréennes enfermées dans des bordels concentrationnaires pendant la deuxième guerre mondiale, le secret de famille, et la solidarité/sororité entre femmes qui traverse les générations.
Je cherche encore ton nom, de Patricia Loison. Très beau récit autobiographique de Patricia, adoptée à 6 mois, à la recherche de sa mère biologique. Très bien écrit, très émouvant, et pour qui l’a très bien connue, très évocateur. Bravo !
Les déracinés, de Catherine Bardon. Une histoire extraordinaire, la saga familiale d’un couple juif qui, fuyant l’Autriche sous le nazisme, fait partie des pionniers qui s’installe en République dominicaine sous le dictateur Trujillo, passant de l’espoir au désespoir, de l’utopie à la réalité.
Certaines n’avaient jamais vu la mer, de Julie Otsuka. Un chef d’oeuvre ! Des Japonaises mariées à des Japonais vivant aux Etats-Unis traversent l’océan et découvrent la vie aux Etats-Unis. Là encore, l’exil, le mariage forcé, la déception, le racisme. Le tout évoqué dans un long poème incantatoire. À lire absolument !
Les guerres de mon père, de Colombe Schneck. Encore une ex-camarade ! Ce récit m’a fortement touchée, pour les sujets qu’il aborde, l’héritage de la Shoah, du silence, du déni. La recherche de l’histoire familiale, de la compréhension du déni et du silence, ici caché sous la joie et la bonne humeur. Et les secrets à tiroir, leur complexité…
Le lilas ne refleurit qu’après un hiver rigoureux, de Martha Hall Kelly. Terrible destins croisés de femmes pendant la seconde guerre mondiale, en particulier de celles qui ont subi des expériences/mutilations à Ravensbrück. Et du combat pour la mémoire.
Suffragette Sally, de Gertrude Colmor, roman de 1911 inspiré de la vie des suffragettes. Un chef d’oeuvre, histoire extraordinaire de quand on enfermait les femmes pour avoir demandé le droit de vote dans une réunion publique, puis qu’on les nourrissait de force car elles faisaient la grève de la faim pour demander à être reconnues comme des prisonnières politiques. A noter aussi, une jolie solidarité entre femmes qui transcende les classes sociales.
Je suis Jeanne Hébuterne, d’Olivia Elkaïm. La vie de cette femme, qui aurait pu devenir une peintre reconnue, mais, devenue la compagne de Modigliani (avec des descriptions qui montrent la force de l’emprise), subit de plein fouet la violence conjugale, l’abandon, le mépris…et se suicide à la mort du peintre, dans l’indifférence totale.
A la demande d’un tiers, de Mathilde Forget. Très joli court roman, très bien construit, maîtrisé, dans lequel tous les thèmes de la littérature des femmes se retrouvent. Secrets de famille, folie des femmes vs patriarcat, stress post-traumatique. Et une héroïne lesbienne, sans s’apesantir sur le sujet, comme il y en a de plus en plus. (des fois c’est bien de s’apesantir, là c’est bien de ne pas…)
Le bal des folles, de Victoire Mas. Dans la veine du précédent, l’autrice décrit comment, du jour au lendemain, une jeune femme est enfermée à l’asile de Charcot, qui traitait les « hystériques ». Comment, grâce à la solidarité entre femmes, elle fait tout pour en sortir. Et comment, pour d’autres, l’asile est parfois un refuge face au patriarcat…
Le ciel par dessus le toit, de Natacha Appanah. Ecriture captivante toujours, ce nouveau roman de Natacha Appanah qui raconte l’histoire d’un jeune homme de 17 ans qui se retrouve en prison pour avoir provoqué un accident mortel à contresens sur l’autoroute, parle de l’enfance abandonnée, de l’incapacité de la société d’y répondre. De la violence, condamnée à se reproduire. Après le puissent Tropiques de la violence, un nouveau bel opus.
Une vie à soi, de Laurence Tardieu. Un de ces livres, où l’autrice s’interroge sur son enfance protégée, sur sa rencontre à travers le temps avec la photographe Diane Arbus et le choc qui s’en suit. Drôle de livre, qui, on ne sait pas toujours pourquoi, vous parle si intimement, fait tant de liens…
Abigaël, de Magda Szabo, l’autrice de « la porte ». Toujours aussi belle écriture, et étrange histoire que celle de cette jeune adolescente privilégiée qui se retrouve du jour au lendemain, pendant la seconde guerre mondiale, envoyée au pensionnat par son père, sans comprendre. Peu à peu, grâce à Abigaël la statue, les voiles vont se lever autour d’elle, la faisant passer de l’enfance à l’âge adulte.
Amours, de Leonor de Recondo. Dernier en date, toujours aussi bien écrit (que Pietra Viva). Ecriture fascinante, histoire fascinante, amour entre deux femmes, dépassement des classes sociales, trouver une vie à soi en dehors des codes patriarcaux, le temps d’une parenthèse. Difficile de ne pas penser que ce livre écrit en 2015 n’ait pas inspiré fortement « Portrait de la jeune fille en feu ».
J’ai choisi 31 films (sur 87 vus au cinéma), pourquoi ? Parce que l’ordre, à part les 5 premiers, n’a pas vraiment d’importance, et que tous ces films là m’ont marquée. J’aurais pu en mettre quelques autres
J’ai mis en avant les films qui m’ont bouleversée, les films qui ont parlé des luttes des femmes ou des femmes qui luttent, parce qu’évidemment ces films m’intéressent au plus haut point. J’ai mis des films qui racontent des histoires qu’on n’a jamais vues à l’écran (Papicha, Proxima, Sibel, Les éblouis). Ou alors « film de genre » mais un peu différent (Brooklyn Affairs est je trouve un excellent polar de l’après #metoo).
Sur 30, on est presqu’à parité : 16 femmes, 15 hommes (un film a deux réals)
Beaucoup plus de films de femmes que dans les classements habituels… car peut-être faut-il aller les voir et ne pas les oublier aussitôt ;-)…
J’ai mis les documentaires à part, parce que c’est un tout autre genre, cela en rajoute 5.
Voilà. Et vous, qu’est-ce que vous avez aimé ? Que pensez-vous de cette liste ? Dites-le en commentaire !
(ah et pour les films dont vous n’avez jamais entendu parler dans la liste, Allocine les recense tous !)
1 Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma
Je ne crois pas qu’il faille interdire à Roman Polanski de tourner. En revanche, on pourrait éviter de l’inviter sur les plateaux, de lui dérouler le tapis rouge, au moment même où une énième accusation de viol à son encontre, très sérieuse, et datant de 1975, lui est faite.
Quelques jours après le témoignage d’Adèle Haenel (voir mon dernier article), et quelques jours avant la sortie du film, pourquoi « s’en prendre encore une fois à Polanski », diront certain.es ? Parce que l’homme est puissant. Et que si le cinéma français et la presse ne font rien, ne se refusant tel l’écrivain Philippe Labro à aucun superlatif pour le film du réalisateur accusé à de multiples reprises de viols par des femmes qui n’ont jamais été entendues depuis dix ans, alors c’est l’omerta qui fonctionne déjà de nouveau à plein.
A quoi servirait-il que la presse, le monde du cinéma soutienne Adèle Haenel dans ses accusations contre l’obscur Ruggia, si c’est pour dédouaner par principe Polanski parce que c’est Polanski et parce qu’il traite -opportunément- d’un sujet hyperconsensuel d’une ignoble injustice antisémite, l’affaire Dreyfus ?
Adèle Haenel l’a dit elle-même : si elle a pu parler, c’est parce qu’elle est aujourd’hui plus puissante que son agresseur ; et donc qu’elle bénéficie d’une prime à la parole dont Valentine Monnier ne bénéficie pas. Dans le soutien public qu’elle a donné à celle-ci, Adèle Haenel le souligne d’ailleurs. Monnier n’est pas puissante. Elle prend donc des risques inimaginables en osant dénoncer un viol vieux de 45 ans, prescrit. Quel pourrait bien être son intérêt ? Elle n’en a aucun, sinon celui de pouvoir supporter l’affront d’un homme qui fait de son oeuvre un bouclier contre la justice, qui se pose en victime. Comme Adèle Haenel qui ne pouvait plus se taire alors que Ruggia préparait une suite aux « Diables », elle, ne supporte plus de se taire face à ce « J’accuse ». Peut-être se dit-elle, peut être à tort -car il reste à démontrer qu’un puissant puisse être condamné pour une violence sexuelle qu’il a commise, qu’aujourd’hui elle pourrait être entendue.
Pourquoi cela paraît il insupportable qu’il fasse un film sur Dreyfus ?
Dreyfus était innocent des faits de trahison qui lui étaient reprochés, oui. Pas Polanski. des faits de viol qui lui sont reprochés et ne sont pas tous prescrits. On le sait avec certitude au moins pour le viol d’une jeune femme qui avait 13 ans.
D’une façon perverse, il ne dit pas qu’il « est le capitaine Dreyfus », il dit « j’accuse » à ses accusatrices, et il laisse entendre qu’il serait victime d’acharnement judiciaire. Il compare le féminisme qui lui demande des comptes pour ses actes à l’acharnement contre Dreyfus !
Relativement passé inaperçu, ce communiqué autour du film, dont parle ici Marie-Claire, est hallucinant.
A la question de Pascal Bruckner, pas du tout orientée : « En tant que juif chassé pendant la guerre et cinéaste persécuté par les staliniens en Pologne, survivrez-vous au McCarthyisme néo-féministe actuel qui, en plus de vous poursuivre partout dans le monde et essayer d’empêcher la projection de vos films, entre autres vexations, vous a expulsé de l’académie des Oscar ? »
En guise de réponse, Polanski parle d’un acharnement médiatique à son égard, qui n’est pas sans lui rappeler celui subi par le général Dreyfus en son temps (…).
« Faire un film comme celui-ci m’aide beaucoup. Mon travail n’est pas une thérapie. Cependant, je dois avouer que je connais un grand nombre des rouages de l’appareil de persécution présenté dans le film et que cela m’a clairement inspiré. »
Soyons claire, encore une fois. Cela ne me dérangerait pas plus que ça, que Polanski fasse des films dans son coin, pour lui même et sa « thérapie », s’il ne choisissait pas justement de se comparer à un homme injustement accusé parce qu’il était juif. Ici, l’amalgame marche à plein. Et comparer les féministes, qui tentent de faire entendre la parole des femmes, enfin, dans le cinéma français, à l’armée française de la IIIe République ? Le stratagème est il si gros qu’il passe d’autant mieux ?
Tout ici est révoltant. Faudra-t-il qu’à chaque fois qu’une avancée est faite (le témoignage d’Adèle Haenel), la presse parle de « levée de l’omerta », pour que trois jours après, la chape de plomb s’abatte à nouveau sur les femmes victimes de viol ?
Je ne veux pas « la peau de Polanski ». Je m’en fous de lui. Je veux que les femmes victimes de viol soient écoutées, et entendues. Enfin.
je crois que je vous ai vu jouer dans un film pour la première fois en allant voir Le Daim au mois d’août dernier. Je vous connaissais peu, et j’ai pensé : rôle pas facile, mais qu’est-ce qu’elle joue bien ! A peine 6 semaines plus tard, j’ai vu pour la première fois Portrait de la jeune fille en feu, le film fait pour vous par Céline Sciamma. Je ne savais même pas alors que celle-ci avait été votre compagne (je ne regarde pas les César ;-). Je savais évidemment encore moins ce que depuis vous avez confié.
C’était à Montreuil, au Méliès et vous étiez toutes les deux présentes. Alors que le film m’avait bouleversée et enthousiasmée (j’en parlais ici), vous mettiez exactement, toutes les deux, les mots sur ce que j’avais ressenti en regardant le film. Intelligence, talent, respect pour les femmes, regard politique sur l’amour parce que pour une des premières fois, c’était un regard vrai sur le désir, un regard source de vie pour les femmes et non d’emprisonnement dans un regard objectifiant (« male gaze »).
Un peu le même genre de choc que quand j’ai vu les portraits de nues de la grande peintre allemande (malheureusement décédée à 31 ans des suites de son accouchement), Paula Modersohn Becker, qui pour la première fois, me montraient qu’on pouvait peindre des femmes nues sans ce « male gaze », qui réduit la femme peinte au désir de ceux qui la regardent.
Dans Portrait de la jeune fille en feu donc, même choc. Les scènes de sexualité ne sont pas montrées, on ne voit que la montée du désir, la montée du « dégel », la naissance de la vibration. Ne pas les montrer, c’était osé, mais indispensable. Parce que même si probablement Céline Sciamma, en dialogue avec vous et Noémie Merlant, aurait été capable de filmer des scènes d’une façon différente, l’état du cinéma est tel que cela aurait encore été emprisonné par le regard appris par des décennies de ce « male gaze ». Et aurait été utilisé contre les femmes et les lesbiennes.
Tant que les hommes ne sont pas en mesure de penser les lesbiennes autrement qu’en support pornographique à leur excitation, et les femmes en général autrement qu’en objet de leur désir, il me semble nécessaire de ne pas les laisser regarder des femmes qui s’aiment.
Mais depuis que j’ai regardé en entier votre interview sur Mediapart, je sais que ce film est encore beaucoup plus. Alors que vous disiez, vibrante d’authenticité et de justesse, ce que vous aviez subi enfant, victime de cette violence sexuelle patriarcale du cinéaste, que vous livriez votre analyse des ressorts de ce système, une analyse approfondie, nuancée et ancrée dans le vécu de tant de femmes, vous avez parlé de la nécessité de remettre le monde à l’endroit.
Cela a été une nouvelle révélation du pourquoi Portrait de la jeune fille en feu m’avait tant et profondément bouleversée, chacune des trois fois que je l’ai vu. En effet, il est désormais clair que ce film est, outre une déclaration d’amour et politique sur l’amour, un film de réparation. Pour vous et toutes les femmes. Un film où le cinéma, la cinéaste et les actrices rendent aux personnages -et aux femmes- leur humanité de sujet désirant et souverain de son corps et de sa vie. Là où Ruggia vous avait volé votre humanité pour faire un objet entre ses mains, Portrait de la jeune fille en feu vous dévoile actrice de votre vie, de votre rôle, de votre art, de votre désir. Et cela rejaillit sur nous toutes.
Avec Portrait de la jeune fille en feu, la vie revient aux femmes, en image. Avec votre témoignage, elle nous revient aussi, en mots.
J’espère que des millions de femmes auront l’occasion d’être touchées par ce que vous nous avez offert là. Et que des millions d’hommes pour une fois écouteront et s’abstiendront de commenter, si ce n’est pour vous remercier d’avoir parlé.
Pour ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, je suis en révolte… car en 2019, alors que le féminisme progresse, que de nombreux événements et campagnes importantes sont menées, que des condamnations sont enfin prononcées contre les agresseurs, que la langue devient moins masculiniste (Académie française) et que je peux facilement utiliser la règle de proximité…
Des femmes qui viennent d’accoucher dorment dehors, sans qu’on puisse leur proposer de solution. C’est insupportable.
#8mars22h, parce que c’est l’heure limite après laquelle, ce soir, des femmes qui n’ont pu avoir de solution au 115, dormiront dehors.
Ainsi ce 8 mars, le Samu social de Paris publie ceci :
-« En moyenne en 2018, 40 femmes chaque jour ayant appelé le 115 sont restées sans solution ». Rien qu’à Paris.
2 900 ont appelé pour la première fois, soit 31% de plus que l’année précédente.
4 400 femmes seules avec enfants ont appelé, 5 % pour les secondes.
Et maintenant, on agit ? https://www.samusocial.paris/8-mars-noublions-pas-les-femme…
-Par ailleurs, cette semaine est parue dans Libération une tribune fondamentale sur l’hébergement des femmes et en particulier des femmes avec enfants. Le Mouvement du Nid Paris, Voix de femmes et l’association FIT Une femme un Toit y lancent un cri d’alarme : « Nous, professionnel-les et bénévoles de l’accompagnement de femmes victimes de violences devons désormais composer avec cette réalité : il n’y a plus de places d’hébergement d’urgence à Paris en nombre suffisant. Même pour les femmes et les nouveau-nés. Même en plein hiver. La décision politique de couper le budget de l’hébergement d’urgence de 57 millions d’euros démontre bien que la situation va encore empirer ! »
Cette situation est intolérable. Je n’en veux pas aux personnes qui gèrent au quotidien l’hébergement d’urgence. Mais à l’absence de réaction de la société face à l’urgence qui monte un peu chaque jour.
Aujourd’hui, je voudrais qu’on pense à elles, et j’ai un peu l’impression que la société française est un peu dans un bocal comme la grenouille qu’on a renoncé à ébouillanter pour mieux augmenter la température progressive de l’eau…on sait que le résultat est le même…sauf qu’on a encore le temps d’arrêter le processus !
Hier sur les réseaux sociaux, une vidéo du site Konbini (je ne mets pas le lien, si vous souhaitez la voir, vous la trouverez, mais je ne tiens pas à lui faire plus de publicité) a fait scandale sur twitter.
Anne Ratier, y était interviewée par un journaliste qui aime les vidéos-scandales. Anne Ratier, c’est une femme qui a tué son bébé atteint d’un très lourd handicap alors qu’il allait avoir 3 ans. Un meurtre avec préméditation, qui s’est déroulé il y a 32 ans. Un acte fait dans la douleur et certainement le désespoir, face à un bébé totalement tétraplégique, incapable à 3 ans d’une quelconque autonomie. Il devait être nourri à la cuiller pour survivre et demandait une attention de chaque instant de sa mère. La communication était réduite au minimum – ou même à rien. En revanche, le bébé était capable semble-t-il d’émotions, et son cerveau de plaisir, comme elle l’explique dans la vidéo : car lorsqu’on le faisait sauter en l’air, il riait.
Mais il n’y avait aucun moyen qu’il communique. Bien évidemment, cette situation est terrible. Je n’ai aucunement l’intention ni de raison d’émettre un jugement sur l’acte lui-même, n’étant ni la justice ni plus au courant que ce que la vidéo m’en a révélé. Par ailleurs, tout a été dit sur twitter, par les gens qui ont été choqués par la vidéo. Je recommande en particulier le fil d’Elisa Rojas (@elisarojasm), une des fondatrices du groupe CLHEE, collectif de personnes handicapées dont le manifeste est à lire.
Ce qui m’intéresse dans cette affaire – ou me désespère plutôt, c’est l’utilisation qui est faite de cet acte, et ce que cela dit de notre société, qui semble de plus en plus fascinée par la mort et imaginer qu’elle peut être une solution. Qu’on puisse publier un livre intitulé « j’ai offert la mort à mon bébé », titre destiné à justifier un meurtre, en le montrant comme un acte d’amour et un cadeau, est effrayant.
On pourrait justifier de publier le témoignage de cette mère, dans l’objectif d’alerter la société sur ce type de cas extrêmes. A la limite, si cette femme avait écrit : « au désespoir, sans solution, j’ai tué mon bébé et je demande que la société améliore les conditions de vie des bébés dans cette situation et d’apporter une aide et un soutien réels à leurs familles » (comme le dit Ismène Fleury sur twitter -merci à elle), je comprendrais.
Y a-t-il des vies non dignes d’être vécues ?
Mais ici, il s’agit clairement d’utiliser un acte criminel -fut-il désespéré, dans le but de faire passer ce que certains appellent un « droit de mourir dans la dignité », c’est à dire à légaliser l’euthanasie. Rendre à son fils sa dignité est un des arguments invoqués par Anne Ratier pour justifier son acte. En réalité, sous ce prétexte de protéger ou garantir la dignité, se cache un droit d’euthanasier quelqu’un dont on considère que la vie n’a pas de dignité (elle le dit dans la vidéo). En effet, que ce soit dans le cas d’un meurtre caractérisé comme ici, ou dans le cas d’une « demande d’euthanasie », y accéder revient à décider qu’il y a des vies non dignes d’être vécues.
Les sites locaux de l’ADMD, Association du « droit à mourir dans la dignité », publient des articles sur ce livre soulignant le « courage de cette femme qui ose risquer la prison pour faire changer les choses ». En effet, elle dit clairement qu’elle veut que la loi change pour donner le droit à ce que ce qu’elle décrit comme un « acte d’amour » soit rendu légal via l’euthanasie. Normalement, le cas présenté ne devrait pourtant pas satisfaire les partisans de l’euthanasie. En effet, la loi telle que l’envisage l’ADMD, consiste à accepter l’euthanasie dans des cas incurables et avec le consentement de la personne. Ici, le consentement est impossible. Ici, il ne s’agit pas du droit de disposer de sa propre vie, mais de celle d’une autre personne. Il s’agit tout simplement de décider de tuer.
Il y a 32 ans
Par ailleurs, il est un fait qui n’est pas passé inaperçu : la date des faits, 1987, qui a provoqué des discussions sur la possible prescription (discutée). On se dit donc que si elle a attendu c’est parce qu’elle ne risquerait pas la prison (ce qu’elle dément). Mais ce qui n’est pas dit, et est peut être ici plus important, c’est autre chose : le fait que cela ait eu lieu il y a 32 ans, implique que la situation désespérée dans laquelle se trouvait cette femme il y a 32 ans, n’est pas forcément représentative de ce qui se passerait aujourd’hui dans le même cas, avec l’évolution des soins et l’évolution des lois. Une des choses qui est reprochée par certains autour du cas d’Anne Ratier est la question de l’acharnement thérapeutique. Or, depuis 2005, l’acharnement thérapeutique est interdit par la loi.
Il s’agit donc à tous les niveaux de manipulation d’une situation terrible pour imposer un agenda politique contestable. Une exploitation de cas extrême et dramatique, pour tenter d’obtenir une loi qui donnerait le droit de décider -ici à la place de la personne concernée- de ce qui est « bon » pour elle. On pense aussi à cette autre vidéo où une femme disait qu’elle voulait le suicide assisté pour ne pas être déchéante à la vieillesse. Les vieilles, les personnes handicapées, et ensuite, qui ? Encore un exemple d’une société qui semble perdue, à pouvoir imaginer que la mort soit un cadeau. C’est désespérant.