Mères et filles à l’écran, femmes en résistance, culture essentielle, cinéma culte

Plus de 5 mois de fermeture des cinémas en 2020. Et j’y suis allée quand même 69 fois dans l’année. Alors, vous pensez que c’est essentiel pour moi ? La réponse est oui. Et bien sûr, pour celles et ceux qui font le cinéma. Voici une dizaine de films que j’ai beaucoup aimés en 2020. Et un trait commun : enfin, on montre, on parle des relations mères-filles à l’écran, de l’envie, ou pas, d’enfant. Du point de vue des filles, et des mères.

Cinéma culte, culture essentielle

D’abord, un petit détour par le cinéma classique et classiquement misogyne 😉 avec un mot sur la rétrospective Hitchcock à la cinémathèque. Pour moi, Hitchcock, c’est le cinéma culte. Misogyne, agresseur, peut être, au moins, je ne finance pas sa fortune puisqu’il est mort. C’est aussi la preuve par l’expérience que rien ne remplace d’aller dans un cinéma. J’ai revu tant de films que j’avais en DVD. Et le grand écran, ça change tout. Le talent de mise en scène n’apparaît que là. Aussi, j’ai vu Marnie (« pas de printemps pour Marnie » en français). Un chef d’oeuvre misogyne, mais un chef d’oeuvre dont je me rends compte qu’il m’a aussi rendue un peu plus féministe. Oui, il y a viol conjugal. Oui, il y a interprétation psychanalytique à la con de ce viol qui mettrait fin à la frigidité de Marnie. Mais il y a aussi et surtout, le mécanisme de la mémoire traumatique qui est admirablement montré, la violence sur les enfants, la violence prostitutionnelle des « clients », l’héroïsme de la mère de Marnie. Et ça, ce n’est pas parce que la critique n’en a jamais parlé, que cela n’existe pas dans le film. Et c’est cela que j’avais retenu en fait, une immense empathie pour Marnie et pour sa mère. Et l’évolution de leur relation, si longtemps brisée par la violence des hommes…

Mères et filles, maternité ou non maternité

Passons donc aux films qui m’ont le plus marquée en 2020. On dirait qu’une thématique y revient régulièrement.

Honeyland, de Tamara Kotevska et Ljubomir Stefanov avec Hatidze Muratova, Nazife Muratova.

Un documentaire d’une beauté fascinante qui se déroule en Serbie, et suit Haidtze, productrice de miel « à l’ancienne », écologique, délicieux, qui vit seule avec sa mère dans un village pas très loin de Belgrade. Leur relation, tendre et dure, traverse le film, un îlot d’humanité et de nature préservées face à un monde qui a perdu le sens. Le sens du temps, le sens de l’espace, le sens de l’amour.

Maternal, de Maura Delpero

Voici un nouveau film où on ne voit pas d’hommes. Le film se passe dans un couvent, en Argentine, à Buenos Aires. Un couvent où de jeunes adolescentes devenues mères, essaient de vivre malgré le passé (rupture familiale, viol incestuel), malgré l’enfermement -dans le couvent dont elles doivent demander l’autorisation pour s’échapper, dans la maternité qui empêche de vivre sa jeunesse. Un regard d’une grande tendresse, sans jugement, sur ces jeunes filles, sur l’envie de maternité ou non. Celle qui a le plus la fibre maternelle, est finalement la jeune apprentie bonne soeur italienne, qui n’est pas censée pouvoir devenir mère… Mais aussi sur les relations entre ces jeunes femmes, qui se débattent avec les interdits qui les entourent, et empêchent tant d’entre elles de s’accomplir…

Never Rarely Sometimes Always, de Eliza Hittman

Ce film est un voyage de quelques jours, de la Pennsylvanie à New York, celui de deux cousines adolescentes, l’une accompagnant l’autre pour qu’elle puisse avorter. L’atout du film est de ne pas être démonstratif et pourtant exceptionnel dans son féminisme. Un film états-unien, qui montre un avortement qui va à son terme, sans jugement, voilà qui est peu commun. Une scène est poignante, celle de l’interrogatoire par une femme du centre new-yorkais où l’héroïne va subir une IVG, qui permet de comprendre, sans que rien ne soit dit, qu’elle a été victime de son « copain » qui l’a mise enceinte…le viol n’est pas dit, mais évoqué par ces larmes qui coulent. Solidarité-sororité entre les deux cousines, démonstration de ce qu’est le choix et la liberté, et de l’obstacle des violences masculines sur le parcours, dans un récit tout en finesse. Un de mes musts.

Rocks, de Sarah Gavron

Plutôt que de parler de Mignonnes (j’ai écrit un article ici -> Mignonnes), je vais parler ici de Rocks. Un film encore une fois qui se déroule en un souffle, un souffle pendant lequel l’héroïne, Rocks, dont la mère est partie en lui laissant à peine d’argent, tente d’échapper avec son petit frère au destin des mineur·es isolés. L’absence de jugement sur l’abandon de la mère, et la solidarité des amies de Rocks, une fois que celle-ci n’est plus enfermée dans le secret, font le souffle de ce film, qui nous aide à respirer.

Adam, de Maryam Touzani

Pour illustrer le film, je choisis cette affiche en arabe, plutôt que la française qui montre la mère et l’enfant. Car si le film est titré sur l’enfant, ce qui fait ce film, c’est la relation entre Samia, la jeune femme enceinte rejetée, et Abla, veuve et mère d’une fillette de 8 ans. Une fillette qui va permettre aux deux femmes de connecter, et de dépasser la méfiance et la honte, le rejet et l’enfermement imposé aux femmes. Très émouvant et très beau film.

Little Women, de Greta Gerwig

Je le mets à cet endroit car la « couleur » du film m’évoque le précédent. On en a beaucoup parlé, le film de Greta Gerwig est une version féministe du roman, imaginant que l’autrice, Louise May Alcott, aurait probablement souhaité une fin moins conventionnelle, éloignée de l’obligation du happy end hétéro… dans tous les cas, quoi qu’un peu longue, cette adaptation de Little Women (je refuse catégoriquement de dire le titre en français et pour cause) est belle, et Saoirse Ronan fait une superbe Joe. Les relations de sororité (au sens le plus littéral) y sont également très belles.

Kajillionaire, de Miranda July

Celui là est un de mes préférés de l’année, une vraie belle surprise, un film un peu déjanté (normal avec la réalisatrice), un peu froid au début, qui évoque les relations parents-enfants (comment ont-ils pu appeler leur fille Old Dolio ?), les parents ont élevé leur fille en remplaçant l’amour par l’argent. Dotée d’un corps élastique doué pour les escroqueries mais incapable de contact, elle évolue pendant le film, aidée par l’apparition de Melanie, qui vient mettre un grain de sable dans la routine du trio (Selena Gomez). Et la très belle surprise de la fin. Sans la dévoiler, je dirais que le désir surgit quand l’autre survient 😉 Evan Rachel Woods est par ailleurs formidable en Old Dolio.

La femme qui s’est enfuie, de Hong Sang Soo

Ce film, un peu lent, sans beaucoup d’action, m’a finalement beaucoup marquée et plu. En Corée, un film sans violence, c’est bien. Un film avec presque que des femmes, c’est mieux. Je copie colle ici ce que j’avais mis sur facebook quand je l’ai vu.

La personnage principale, qui est éloignée pour la première fois de son mari depuis 5 ans (car lui pense qu’ils doivent se voir tous les jours) sort pour la première fois de l’emprise et rend visite successivement à trois amies dans ce qui est pour elle une échappée du quotidien. Selon moi, il est évident que la première, divorcée, qui vit avec une « colocataire » cheveux courts, jean et chaussures de marche, toutes deux en grande proximité, est lesbienne. D’ailleurs, elle garde cachée son dernier étage probablement pour que l’évidence n’apparaisse pas. Et que ce soient la deuxième, célibataire plus âgée qui a des aventures, ou la dernière, qui lui a « piqué » son copain devenu mari et lui demande pardon, toutes ces femmes, à la fin du film, sont plus proches les unes des autres, moins isolées par les hommes, et développent une formidable tendresse. Elles se tiennent la main, se touchent, se regardent. Et celle qui leur a rendu visite finit plus vivante et apaisée de ces quelques jours de sororité. Et je concluais : si le film avait été fait par une femme, ou par une lesbienne, on entendrait sûrement que c’est horrible cette façon d’écarter les hommes ( les 3 hommes qu’on aperçoit dans le film sont des nuisances )… 😉 mais là, c’est un mec qui a fait le film, alors…

L’adieu, de Lulu Wang

Film d’une réalisatrice chinoise, l’adieu évoque ici la grand-mère et non la mère, et la crainte de sa mort prochaine. La culture chinoise ne veut pas qu’elle sache qu’elle va mourir, mais la petite fille qui vit aux Etats-Unis n’est pas de cet avis. Un film beau et émouvant, et qui montre une relation grand-mère petite fille complexe et tendre, ce qui n’est pas si fréquent…

J’aurais aussi pu vous parler de Beloved, mais je l’ai déjà fait ici, des Enfants du temps ou Violet Evergarden (l’animation japonaise est merveilleuse), ou encore d’Histoire d’un regard de Mariana Otero, mais c’était plus hors sujet. N’hésitez pas à commenter et partagez vos moments de cinéma en commentaire ?

Femmes en résistance

Et pour finir, un mot pour dire mon sentiment de reconnaissance, que notre festival féministe de documentaires, Femmes en résistance, ait pu avoir lieu en septembre !

Que vivent la culture et le cinéma en salles en 2021 !

Sandrine Goldschmidt

Tout ce qu’il me reste de la révolution

Toutcequ'ilmeresteVoilà un film très intéressant, réalisé par Judith Davis, marquée par le fait qu’elle a grandi sur les « Maréchaux », boulevards de ceinture de Paris aux noms des Maréchaux de France, et qui sont une sorte de « pré-périph » autour de Paris.

Intéressant, car sans jamais ennuyer, elle nous pose la question de ce qu’il reste de la « révolution », celle de 1968… pas grand chose ? un film avant les Gilets jaunes, qui, qu’on les honnisse ou les adore, ou qu’on ne sache vraiment pas quoi en penser, sont en quelque sorte en germe dans le récit du film… Intéressant, et drôle, aussi, et c’est une des grandes forces du film, comme l’explique la réalisatrice : « ne pas laisser le terrain de l’humour à la bêtise ».

Quelle bonne idée ! Un vent de liberté souffle sur ce film, qui fait aussi penser à « Oublier Cheyenne », sorti en 2005, et qui se posait le même genre de questions…d’ailleurs, on y reconnaît souvent la patte de la co-scénariste Cécile Vargaftig.
Angèle, la personnage principale interprétée par Judith Davies, a du mal à abandonner le mythe du grand soir, de la révolution. Et sa façon de continuer la lutte est tout d’abord rafraîchissante : engueuler son patron, ex-soixante-huitard qui la renvoie sans états d’âmes, se planter devant Pôle emploi en faisant une parodie des services de l’agence et arracher des sourires à celles et ceux qui font la queue devant la porte, en investissant une banque pour y lire un poème aux employé·es et client·es sidéré·es.

Recruter lors de ces actions des femmes et des hommes pour participer à des « groupes de parole politique », où « il n’y a pas de chef·fe », où il n’y a pas de bon et mauvais sujet, pas de règle… mais que c’est difficile à réaliser ! (la référence à des mouvements comme Nuit debout est évidente).

A l’opposé d’Angèle, sa soeur incarne l’anti-révolution. Elle, qui a renoncé depuis longtemps à la lutte, a choisi la société actuelle, où l’objectif, est d’avoir une belle maison, une grosse voiture qu’il faut garer « dans le bon sens » (mais à quel prix), beaucoup d’invité·es à l’anniversaire de l’enfant qui constitue l’épicentre d’une famille, celui sur qui se concentre toute l’attention -le contraire en fait de ce qu’elle a vécu dans son enfance à elle.

A travers elle, et en particulier à travers le personnage du beau-frère, elle montre la violence économique, comment la société capitaliste, en exacerbant la notion de compétition, de loi du plus fort (s’il faut écraser les autres pour réussir et avoir un intérieur bourgeois, alors on y fonce), broie ces individus qu’elle prétend glorifier, et en fait des bras armés pour l’élimination des plus faibles. A tel point qu’il manque de devenir fou, dans une scène d’une violence inouïe, où masculinité toxique et violence économique se mêlent alors qu’il rejoue une scène de son quotidien : renvoyer quelqu’un·e, qui est un « boulet » pour la société (société anonyme, l’entreprise, qui se confond avec la société -le peuple).

Liberté et révolution 

Angèle, contrairement à sa soeur, a gardé l’esprit de la révolution. Comme sa mère, qui les a « abandonnées » à ses 15 ans (la suite de l’histoire révèlera ce qu’il en est réellement de cet « abandon »), voit dans la famille un obstacle à la révolution. A tel point que cela la fait résister à l’amour. Mais on découvrira que c’est en fait sa situation individuelle, la non résolution de la crise de ses 15 ans, qui l’empêche de dépasser l’époque révolue de cette forme là de révolution. Et on découvre avec elle la responsabilité de son père, Simon le révolutionnaire, dans cette crise.

Au cours du film, sans que ce soit appuyé comme tel, la masculinité toxique est épinglée. Que ce soit le mari, ou le père, à l’opposé politique l’un de l’autre (le premier incarnant le capitalisme, le second la révolution) tous deux se révèlent à un moment clé, comme porteurs de cette « maladie » patriarcale, qui mènent la société et les femmes qui les entourent à l’impasse, qui les empêche d’être libres. 

Ainsi, alors que le film, analysé un peu rapidement, pourrait donner l’impression que « tout ce qu’il me reste de la révolution », c’est l’amour…en réalité, livre une réflexion fine et drôle sur l’imbrication du privé et du politique, et sur ce que peut signifier aujourd’hui être révolutionnaire.

La séquence-clé du film nous fait quitter Paris pour une nature idyllique, nous emmène à la campagne, ce fantasme de tant de Francilien·nes se sentant « en boîte » à Paris. En boîte,  pressé·es comme des sardines, que ce soit dans les transports ou au travail, pressé·es, ne travaillant que pour les vacances ailleurs, là où l’on peut se retrouver enfin comme un poisson dans l’eau, enfin libres d’étendre les bras, de nager (comme dans la dernière scène de la séquence, dans la rivière).

Je ne sais pas si c’est l’intention de la réalisatrice, mais le film est venu rencontrer une réflexion que j’ai eue avec une amie deux jours plus tôt : et si, être révolutionnaire, être libre, ce n’était ni se fondre dans l’impératif du « collectif révolutionnaire agissant pour le grand soir », ni se fondre  dans un libéralisme qui condamne chacun·e qui l’accepte à jouer pour soi de la loi du plus fort et permet, si l’on fait partie des plus forts, de « faire ce qu’on veut », tant pis pour les autres. Si c’était, tout simplement, à chaque instant, qu’on pouvait incarner la révolution dans nos actes,  dans nos idéaux, en étant en mouvement permanent donc en révolution, en n’arrêtant jamais les aiguilles de la montre, pas plus sur ses 15 ans que sur 1789 que sur 1917 ou 1968 ou sur le backlash des années 1980… mais en continuant à les laisser  tourner, en apprenant de nos erreurs, et en ne limitant jamais notre liberté d’être nous-mêmes qu’à celle de l’autre, à chaque instant ?

S.G

La bande annonce :

 

 

BABY vs Babysitting ou la propagande des affiches de cinéma

Cela fait quinze jours qu’à chaque fois que je passe l’entrée de la gare RER où j’habite, je me fais la même réflexion en me retrouvant nez à nez avec deux affiches de cinéma qui se font face : le parallèle est saisissant, et nous montre ce que sont les images des femmes et des hommes vues par la propagande cinématographique.

Je tourne la tête à droite, et voici une affiche du film « Baby » : on y voit une femme, en plongée, les yeux révulsés, possédée par un démon, par la terreur en réalité, agenouillée bien sûr, presque dénudée, la tête levée vers ce ou celui qui la terrorise ou l’a rendue folle.

Je tourne la tête à gauche, affiche du film « Babysitting », un homme avec un enfant, il a des pansements partout sur le visage, est débraillé, dépassé par les événements, mais il est debout.

Que nous disent ces deux affiches ?
Un mot en commun : Baby. Deux façons de voir l’homme et la femme qui y sont confrontés diamétralement opposées.

Capture d’écran 2014-05-16 à 09.27.54

1er cas : Baby

-L’affiche qui montre une femme, donc à genoux, écrasée sous l’angle de la plongée de la caméra, est montrée terrorisée par un danger de mort. Elle ne peut qu’être possédée, folle pour qui regarde sans faire lecture féministe. Mais possédée, pour une femme, cela veut dire terrorisée par les violences subies. Car les femmes ne sont pas folles, mais victimes de violences traumatisantes. Voilà une image typique de la représentation des femmes dans la fiction, qui nous parle très vite : car s’identifier au personnage n’est pas difficile : cette terreur, tant de femmes l’ont connue, pour avoir vécu la violence, parfois depuis l’enfance, et passent pour folles ensuite lorsqu’elles ont des conséquences traumatiques. En outre, cette terreur, la société de culture du viol passe son temps à leur montrer et remontrer (c’est pourquoi je ne peux pas publier la photo de trop près pour éviter de reproduire). En revanche, à bien y réfléchir, on n’imagine pas une seconde possible qu’un homme soit dans cette position avec ce regard sur une affiche d’un film de ce genre (l’horreur). On imagine donc bien que regarder cette image ne peut pas leur faire peur de la même manière : on ne les montre jamais ainsi..

Les hommes, pour eux, et je pense que c’est plutôt eux la cible, et qu’ils emmènent leurs compagnes voir le film…pour eux donc, c’est de l' »entertainment » . Ca n’a pas de raison de leur faire peur non plus, parce que cela ne correspond pas à leur vécu quotidien. Au pire, même, cela peut être excitant, tant ils sont de plus en plus nombreux à regarder de la pornographie qui rend excitante la terreur infligée aux femmes.

-L’affiche qui montre un homme, Babysitting, le présente donc debout, l’air d’avoir passé une nuit difficile, mais plutôt « bonenfant », avec de vagues pansements sur le visage, mais pas de peur.  Plutôt style affiche de film destiné à un public féminin. Il ne s’agit bien évidemment pas de les montrer terrorisés, mais dépassés par l’événement : car « baby sitter », cela n’est pas pour eux ! Ils seront maladroits, pas à leur place, voire un peu ridicules, ou se retrouveront emportés par un tourbillon d’événements.
Et les femmes, en voyant cela, seront confortées dans leur bon sens patriarcal : quand même, pour faire du babysitting, il vaut mieux être une femme, plus maternelle et responsable !

Ainsi, en deux regards, symétriques, toute la propagande cinématographique qui sert le maintien du système (violence contre les femmes pour pouvoir les exploiter) est ainsi résumée. Les publicitaires savent si bien s’y  prendre d’ailleurs, qu’ils mettent ces grandes affiches toutes en largeur au niveau des yeux des enfants, qu’on voit tourner la tête vers ces affiches…

S.G

PS : je précise que cette analyse vient uniquement des ressentis à la vue des ces affiches et non des histoires des films que je ne connais pas et ne juge donc  pas ici. Cela se justifie par le fait que les enfants qui passent devant ces affiches, n’ont eux non plus aucune raison de savoir les histoires. Ils ne reçoivent donc que les messages bruts exposés ici.

 

Documentaires : La petite Roquette, luttes des femmes LIP et Kate Millett

Trois événements à ne pas manquer en huit jours, trois projections très intéressantes…on pourrait se demander pourquoi tout en même temps, mais contentons-nous de nous réjouir…

Dès demain soir au Nouveau Latina (20, rue du Temple) à 20h, la projection de « La petite Roquette », documentaire de Guillaume Attencourt sur la prison de femmes qui accueillit de 1836 à 1974 des femmes en détention préventive ou condamnée à des peines de prison de moins de 1 an.

La séance aura lieu en présence de Nadja Ringart, sociologue et féministe, qui a été détenue à la petite Roquette trois mois en préventive pour des raisons politiques avant d’être mise en liberté provisoire puis condamnée à 6 mois avec sursis. Elle a d’ailleurs écrit dans le cadre du mouvement de libération des femmes un texte sur la prison : « toutes ces femmes…une caricature, la prison », que vous pouvez retrouver dans les « Textes premiers » édités à l’occasion des 40 ans du mouvement .

Un petit extrait : « Ce n’est pas non plus de la même façon qu’un homme et une femme arrivent en prison. La population pénale féminine est différente. On trouve beaucoup plus de petits coups dans lesquels lesfemmes sont entraînées directement par le mari ou par isolement qu’elle ne peuvent assumer. Sans sparler de celles qui viennent se réfugier là contre le froid ou le mari pour quelques mois d’hiver, il est très rare qu’elles soient enfermées pour un délit dans lequel elles sont seules impliquées ou qu’elles ont seules organisé ». (publié à l’origine dans Partisans « libération des femmes année zéro »).

Deuxième projection importante, jeudi soir à Créteil, un film de Et en présence de Kate Millet, féministe « historique » américaine et auteur de « Sexual Politics », qui est cette année l’invitée d’honneur du festival.

« Three Lives », le documentaire réalisé en 1971 par Kate Millett sera projeté : c’est le portrait de trois femmes qui parlent de leur vie, « évoquent les conflits passés, les décisions et les conséquences de leurs actions qui les mènent à se réaliser en tant que femmes ».

La projection sera précédée d’une rencontre avec Kate Millett, animée par Christine Lemoine de la librairie Violette and co.

Enfin, à ne pas manquer non plus, à l’occasion de la semaine des Arts à Paris 8, la projection-rencontre « Images des LIP, lutter au féminin ».

C’est de 14h à 17h30, amphi Y. La rencontre sera animée par Hélène Fleckinger, enseignant-chercheuse en cinéma. Ca devrait donc être très intéressant. Toutes les infos complémentaires sont dans le flyer ci-dessous !

En mars, c’est Ladies’ Turn au cinéma !

footd'ellesNous sommes quasi en mars. Le mois du 8 mars, et son lot d’événements pour la journée internationale des femmes.
Le mois du cinéma aussi, avec 3 festivals de documentaires à Paris :

Le festival international du film des « droits de l’homme » (oups eh oui, ils ne disent toujours pas droits humains. Et la programmation d’ailleurs cette année, n’aborde pas la question des droits des femmes. Pourtant, nous avons déjà puisé là dans le passé des films pour Femmes en résistance, « Sari Soldiers » ou « No Burqas behind bars »). Du 11 au 18 mars.

Le Cinéma du réel (j’attends le détail des films pour savoir si certains aborderont des questions universelles des femmes. Pour l’instant, je note qu’il y a dans la sélection une très grande majorité d’hommes réalisateurs) du 20 au 30 mars

-Et bien sûr le Festival international de films de femmes...avec une immense majorité de films réalisés par des femmes ET POUR CAUSE (les deux propositions précédentes expliquant le pourquoi du comment…pour avoir accès à la distribution, les femmes ne peuvent compter que sur elles-mêmes). C’est la 36e édition et elle se déroule du 14 au 23 mars. A noter tout particulièrement la diffusion de « Son nom, celle qui meurt », de Sabreen Bint Loula, qui à travers le portrait d’une adoptée, parle de l’adoption et les silences autour…et que bien sûr, vous aviez pu voir lors de la dernière édition de Femmes en résistance !

Cette année, les réalisatrices vietnamiennes sont à l’honneur. L’actrice mise en avant est Maria Medeiros. Et une thématique particulière abordera « les femmes et le sport ». On pourra d’ailleurs y voir Ladies’ Turn, que vous aviez peut être vu en 2012 à Femmes en résistance encore une fois…

et que vous pourrez voir, lors d’une séance organisée par le festival féministe de documentaires et le cinéma d’art et d’essai le studio à Aubervilliers, le vendredi 7 mars prochain !

Une séance exceptionnelle précédée d’un court-métrage « If I were a boy » réalisé par l’OMJA Emile Dubois.

C’est à 20h, pour 3,50 euros seulement, en présence de la réalisatrice, notre amie Helene Harder.
Cinéma le Studio 2, rue Edouard Poisson 93300 Aubervilliers

Rétro du cinéma d’A dire d’elles en 2010

Ce ne sont pas forcément les films qui ont fait le plus parler d’eux et que vous retrouverez dans la rétrospective d’Allocine… 

mais ce sont ceux que j’ai chroniqués, parce qu’ils sont faits par des femmes, parce que leur sujet nous concerne, parce qu’ils m’ont touchée, tout simplement…rétrospective très perso d’une année cinéma.

Je commence par le choc de l’année, Precious, où le parcours vers l’empowerment d’une jeune femme noire aux Etats-Unis. Un film dur, quasi insoutenable parfois, mais fort et juste.

Autre film où la violence de la société envers les femmes est très présente, « Femmes du Caire », film égyptien qui » parle des femmes et de la société égyptienne en traitant ouvertement de questions très souvent passées sous silence, la sexualité -et en particulier celle des femmes- et même l’avortement, qui est montré, et revendiqué »…

Les violences faites aux femmes, toujours, c’est le sujet de « Fleur du désert« , qui raconte le parcours de cette jeune soudanaise excisée, qui échappe au mariage de force et deviendra top model puis ambassadrice de l’ONU…

Une petite plongée dans le passé, avec, dans un autre genre, « La comtesse », de Julie Delpy, un film qui m’a donné des états d’âme…: « La comtesse, c’est un film incroyablement dur, la cru-auté y est omniprésente. Mais surtout un film riche en réflexion, et qui va jusqu’à l’extrême explorer la question de la place des femmes dans la société. »

« Chaque jour est une fête », un film beaucoup plus complexe que son titre, à en croire ma critique à l’époque : « Ce qui reste à la fin de ce film singulier, talentueux, c’est une belle allégorie de la route empruntée par ces trois femmes, de la fin des illusions, de l’obligation de s’approprier les armes… on pense à Kill Bill, le film de Tarantino, voire au pamphlet de Valerie Solanas SCUM Manifesto ».

Photo D.R

Aux antipodes, « Bright Star », dernier film de Jane Campion, sur la vie du poète Keats et surtout de sa fiancée, un film « beau, romantique, vrai »…

Elle a des accents de jane Campion, mais là où souvent cette dernière s’intéresse aux relations mères-filles, Fabienne Berthaud explore elle le parcours de deux soeurs, dont la plus « sage » n’est pas forcément celle qu’on croit, c’est mon plus récent coup de coeur, « Pieds nus sur les limaces »…

Un autre film un peu décalé, de pure fantaisie, divertissement cinématograhique agréable, j’ai aussi aimé cette année La reine des pommes, de Valérie Donzelli : « Ah! que ça fait du bien. un film drôle, intelligent, inspirant, bien filmé…et original ».

Même impression pour « 8 fois debout », de Xabi Molia, encore un film en décalage… »8 fois debout, parle de précarité, et des personnes qui ne parviennent pas à se fondre dans une certaine hypocrisie exigée par le monde qui nous entoure, en particulier le monde du travail ».

Et pour finir, Les invités de mon père, d’Anne Le Ny, pour la finesse des dialogues et de la réflexion, et pour Lucchini et Viard, tous les deux surprenants de sobriété et de justesse dans leur jeu d’enfants interloqués par la transformation de leur père, militant humaniste, en amoureux transi… 

Pierre, Paul, Jacques et la reine des Pommes

Ah! que ça fait du bien. un film drôle, intelligent, inspirant, bien filmé…et original.
C’est « La reine des pommes », fantaisie entre Truffaut et Emmanuel Mouret, filmé et joué avec grâce par Valerie Donzelli.

Adèle a été quittée par Mathieu et n’a plus goût à rien, sa vie n’a ni sens ni direction. Recueillie par sa cousine Rachel qui vit strictement dans son deux pièces et la fait dormir par terre, parce qu’elle ne supporte pas de dormir avec une femme (plus tard, Adèle ayant gagné sa confiance, pourra dormir avec elle, avec un traversin au milieu du lit) ni qu’il y ait un canapé dans son salon, elle devient nounou et tente de suivre l’injonction de son hôtesse : coucher avec des hommes pour oublier celui qui ne l’aimait pas, à qui elle a tout donné, et qu’elle ne peut oublier…

Et Adèle va suivre le conseil; seulement voila, que ce soit Paul, Pierre, ou Jacques qu’elle rencontre, c’est toujours Mathieu qu’elle voit (coup de génie de faire jouer les 4 par le même acteur), qui qu’elle rencontre. C’est d’abord Jacques, avec qui, elle jouit (alors qu’avec son ex aimé, jamais), mais ne peut l’accepter, parce qu’il est riche.

‘J’ai rompu, dit-elle à sa cousine `-Pourquoi ?  -C’est politique ! – Je comprends, dit cette dernière ».

Une des saynettes infiniment savoureuses et justes du film, destinée à l’amant qui, il est vrai, père de la petite fille que garde Adèle, l’avait bien mérité, se croyant tout permis avec sa Mercedes et pensant qu’une femme a des chances de jouir comme de gagner à la loterie…

Avec Paul, ensuite, qui la manipule et l’emmène sur les chemins du voyeurisme et amène à une scène digne d’un quiproquo des Marx Brothers ou du burlesque, lorsqu’elle couche avec Jacques devant Paul pendant que Pierre garde la fille de Paul et que tout ce petit monde débarque chez Rachel, la cousine…

Ce n’est que loin de ces quatre hommes qui n’étaient que des expressions de sa névrose héritée de l’enfance, qu’Adèle, au prix d’un voyage à New York organisé pour elle par sa cousine,  pourra enfin se libérer de son passé et commencer à vivre sa vie de femme. Et voir enfin en Pierre, un homme, en vrai…

La mise en scène du film, en 4/3, est légère. Les scènes où Adèle découvre l’usage du portable sont irrésistibles. Tout est filmé en miroir, un peu comme si l’écran était partagé en deux. Les deux cousines de part et d’autre du lit, de la table, le parc Montsouris comme décor principal de l’extérieur, où chaque matin le chemin des deux femmes se sépare (auquel fera écho un parc à New York à la fin), l’appartement de Rachel, l’homme et son double, l’amant et ses ersatz…un peu comme si la vie rêvée et la vie réelle s’affrontaient, pour enfin, avoir une chance de se rencontrer.

La relation entre les deux cousines est très réussie, avec un rapprochement en miroir ou en quinquonce,  Adèle aidant finalement autant Rachel à devenir Rachel que celle-ci amène Adèle à devenir Adèle.

La voix off, utilisée avec parcimonie, évoque le Truffaut des « 400 coups » et de « Jules et Jim »,en résumé ce film est un bonheur, et « La reine des Pommes » nous ravit de sa fraîcheur, de son originalité et de sa profonde légèreté.

Sandrine Goldschmidt

(Photos D.R)

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