Abolir le système prostitueur, c’est oeuvrer pour les personnes prostituées

abolitionloi
268 voix pour l’abolition à l’Assemblée nationale, le 3 décembre 2013

Votée début décembre à l’Assemblée nationale, la loi pour le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel devrait être examinée au Sénat avant l’été. Les travaux de la Commission spéciale qui la prépare doivent se poursuivre (Danielle Bousquet a déjà été auditionnée en février). Le Sénat recevra ce mercredi à 11h30 le STRASS et ACT-UP deux associations anti-abolitionnistes. Ensuite, seront reçues à 14h30 Rosen Hicher et Laurence Noëlle, survivantes de la prostitution favorables à la loi, deux militantes infatigables et courageuses qui, par leur volonté de témoigner pour que d’autres puissent ne pas avoir à vivre ce qu’elles ont vécu, ont eu à mon avis un rôle déterminant dans l’adoption de la loi, et la compréhension par la société française de ce qu’est la prostitution.

Ces derniers mois, après le vote de la loi, le discours de ses adversaires s’est concentré sur l’idée que les personnes prostituées seraient en danger du fait que les clients-prostitueurs, ces hommes qui leur font subir chaque jours des violences répétées et inouïes, ne seraient plus autorisés à les payer pour en faire ce qu’ils veulent…les violer, les humilier, les frapper, etc..

Il est donc à nouveau nécessaire de diffuser le plus largement possible un discours fondé sur la réalité et non d’alimenter les fantasmes d’une « prostitution choisie » qui serait source d' »empowerment » (affirmation et accomplissement de soi) et vaudrait mieux que de ne pas y être. La prostitution revendiquée choisie, que je définirai pour ma part comme la prostitution revendiquée par des personnes qui affirment que si elles voulaient elles pourraient faire autre chose, concerne une infinie minorité de personnes. Sans compter que toutes les études, témoignages et documentations sérieuses expliquent que les personnes prostituées, prises dans les violences quotidiennes insoutenables, ont revendiqué à un moment ou un autre qu’elles faisaient ça par choix. Mais dès qu’elles ont pu sortir de la toile patriarcale aux fils très collants, elles ont interpellé, en particulier des féministes, pour expliquer que franchement, elles avaient été bien naïves de les croire. Quant à l’immense majorité des personnes prostituées, prises dans des trafics ou des situations de violences terribles, en majorité immigrées, pauvres, femmes, enfants, sont-elles représentées par celles et ceux qui revendiquent le « libre choix » ? Prennent-ils la parole pour les défendre ? Leur laissent-ils la parole ?

DSCF6161Rappelons donc quelques réalités importantes :

1/ La prostitution est une violence inouïe faite à l’être humain, et en particulier aux femmes et aux enfants puisqu’ils sont l’immense majorité des victimes. Pour vous en parler, je publie le lien de la tribune des médecins et professionnels de santé parue dans Le Monde en fin d’année dernière, parmi lesquels Axel Kahn et Muriel Salmona :

Ce sont les acheteurs de sexe qu’il faut pénaliser

Et l’ensemble des témoignages parus en novembre : 30 jours, 30 témoignages

2/ Là où l’abolition de la prostitution a été mise en place, la situation des personnes prostituées n’empire pas. Au contraire. Elles ont enfin un recours contre la violence des hommes-prostitueurs, et elles savent que la société est de leur côté. On comprend bien que faire croire le contraire est vital pour ceux qui veulent que la prostitution perdure. Car en effet, reconnaître cette évidence, implique que les personnes prostituées ont enfin accès à leurs droits fondamentaux d’êtres humains. Comme il est fondamental que ceux qui veulent pouvoir continuer à violer des femmes et des enfants en toute impunité laissent croire à leurs victimes que si elles parlent, personne ne les entendra. Ici, la loi menace ce silence imposé.

Il faut donc diffuser largement les effets réels d’une loi d’abolition du système prostitueur :

Abolition de la prostitution : pourquoi la Suède est un bon modèle

3/ Enfin, il y a un risque réel : c’est qu’à trop dire « ça ne marchera pas de toutes façons » et ce sera pire, c’est que personne n’y croie et ne se donne les moyens que ça marche. Mais c’est sans compter sur ce que sont les militants et militantes abolitionnistes, en particulier celles et ceux, qui comme au Mouvement du Nid ou à l’Amicale du Nid, aident au quotidien les personnes prostituées. Ce sont seulement des personnes qui refusent la fatalité et l’idée ambiante que rien ne peut changer (celle qui sert si bien le patriarcat et le capitalisme), qui font le pari que si l’on ne croit pas que le monde peut s’améliorer, alors ce n’est pas la peine de le vivre. Des utopistes oui, mais au sens le plus concret du terme : elles croient que vivre mieux est possible. Ce sont enfin des personnes qui font le pari que la vie d’une personne prostituée, d’une femme, d’un enfant, vaut la peine qu’on y consacre toute son énergie militante. Et que ça va marcher. Donc oui, il faudra des moyens pour pouvoir accompagner les personnes prostituées et ce ne sera pas toujours facile. Mais les militantes et militants abolitionnistes ne s’imaginent pas que leur travail s’arrêtera après le vote de la loi. Ils et elles ont plus que conscience que c’est là que tout commencera : il faudra rendre réel le signe fort qu’aura donné l’Etat aux personnes prostituées qu’enfin, elles sont considérées comme des êtres humains.

S.G

PS : n’hésitez pas à diffuser également le Scoop.it que j’ai constitué « Abolition 2012 » avec articles et tribunes parus : http://www.scoop.it/t/abolition2012

dwo

Un pas vers une Europe de l’abolition: #honeyballYES

M43Pendant que certaines antennes d’organisations internationales de droits humains comme Amnesty International dans certains pays répondent de façon ahurissante aux sirènes d’un réglementarisme et d’une objectivisation des humains qui ont prouvé les dangers qu’elles portent, le combat pour la dignité humaine se poursuit à l’échelon politique.

Grâce à l’excellent rapport de la « MP » européenne Mary Honeyball, le Parlement européen vient d’adopter une résolution recommandant de punir le client-prostitueur et non la personne mise en prostitution, et c’est un excellent signe  ! Une résolution non contraignante certes, mais oser affirmer, et à une large majorité, que la prostitution est une violence intolérable pour les êtres humains qui la subissent, ultra-majoritairement femmes et enfants et personnes en situation de vulnérabilité (économique, d’origine, etc.), alors même que parmi les 28 certains « gros pays » sont réglementaristes (Allemagne, Pays-Bas), c’était loin d’être gagné d’avance. Il faut dire que l’échec de ces derniers est tellement patent, et le succès du modèle suédois tellement évident (même si bien sûr, tout n’est pas « rose », c’est tellement moins inhumain !), que le rapport en tire forcément des conclusions.

Voici quelques liens sur l’adoption du rapport :

Communiqué de presse du Parlement européen : http://www.europarl.europa.eu/news/en/news-room/content/20140221IPR36644/html/Punish-the-client-not-the-prostitute

Communiqué de presse du Lobby européen des femmes : http://womenlobby.org/news/ewl-news/article/for-women-s-organisations-a?lang=en

Communiqué de presse du Mouvement du Nid : https://www.facebook.com/notes/mouvement-du-nid-france/communique-de-presse-mouvement-du-nid-france-26-f%C3%A9vrier-2014/661220550590911

Et une interview de Rosen Hicher, survivante de la prostitution, à lire aujourd’hui  sur le blog d’Isabelle Alonso : http://www.isabelle-alonso.com/interview-de-rosen-hicher/

Et pour fêter cette belle victoire, dont on espère qu’elle inspirera nos sénateurs pour le vote de la loi d’abolition d’ici l’été, voici la vidéo de l’appel de Bruxelles, qui réunit 200 associations abolitionnistes sous la houlette du Lobby européen des femmes, dont je tiens à saluer l’excellent travail en la matière !

« Survivantes de la prostitution » sur LCP et Public Sénat

En plus de L’imposture, qui devrait encore passer lundi après-midi sur TV5 monde (14h), un nouveau documentaire à voir absolument, « Survivantes de la prostitution », d’Hubert Dubois, réalisateur que nous avions invité à l’Abolition citoyenne du système prostitueur le 13 avril 2013. La première diffusion est prévue dimanche soir à 20h50 sur LCP .

Il sera rediffusé :

  • 20h35 dimanche 9 février
  • 17h00 samedi 15 février
  • 17h05 samedi 15 février
  • 20h30 jeudi 20 février

Pour en savoir plus : http://www.programme-television.org/documentaires/societe/survivantes-de-la-prostitution#96414116

Rachel Moran : « La prostitution n’est pas le lieu où opère le trafic mais la cause du trafic sexuel »

Capture d’écran 2013-10-12 à 10.34.05Lors de deux jours de travail des associations signataires de l’appel de Bruxelles début octobre, a été lancé la Coalition pour l’abolition de la prostitution (CAP). A cette occasion, Rachel Moran une survivante de la prostitution irlandaise, auteure de « Paid For, my journey through prostitution », l’histoire de ses années dans la prostitution, est venue témoigner de son expérience et de la nécessité de recourir à l’abolition à la suédoise, donc à la pénalisation du client. Voici la vidéo tournée par Mariana Colotto pour le Lobby européen des femmes. C’est en anglais, j’ai traduit le texte en dessous.

« C’est vraiment un très beau jour pour moi, je suis vraiment ravie d’être là pour le lancement de la coalition pour l’abolition de la prostitution.  Il y a 20 ans si on m’avait dit que je viendrais à Bruxelles pour parler de mon expérience cela m’aurait paru complètement incroyable. J’aurais pensé que ceux ou celles qui me disaient cela avaient pris autant de drogues que moi ».

« Je suis partie de chez moi très tôt, à 14 ans. Je me suis retrouvée dans la prostitution dans l’année qui a suivi.
J’ai quitté -je me suis enfuie- la prostitution à 22 ans ». Je n’ai que dix minutes donc je ne vais pouvoir vous parler beaucoup de toutes ces années où il s’est passé tant de choses qui m’ont éloignées de qui j’étais en tant que personne. Il n’y a rien ni personne qui pourrait me dire quelque chose qui pourrait me faire croire qu’il peut exister une forme de prostitution qui soit source de force, qui puisse être une sexualité libératrice, ou même être tout juste vaguement tolérable. Je ne crois rien de tout cela. Rien dans ce que j’ai vu ou ou dont j’ai pu être témoin aussi dans la vie d’autres femmes ne rendrait cela possible.
Il y avait vraiment  vraiment trop de dégradations, beaucoup de violence bien sûr. Mais quand les gens me posent des questions sur la violence je crois qu’ils sont à côté du vrai enjeu.  J’ai toujours pensé cela même si à une époque je le ressentais juste sans que ce soit une pensée très construite.

Ce que ne comprennent pas ces personnes c’est le fait que l’acte lui-même est violent. Que même l’homme le plus gentil qui aie touché mon corps était violent. Et en fait, d’une certaine façon c’était pire parce qu’il était plus malhonnête que celui qui me frappait à la tête et qui au moins me disait ce qu’il pensait de moi.

Je vais mentionner brièvement mais il en a déja été question le lien entre proxénétisme et trafic humain et sexuel dans la prostitution. J’ai parlé à une amie récemment qui est dans une association de soutien aux personnes prostituées. Elle a parlé des ces situations où on sait que les mêmes qui sont des proxénètes « traditionnels » sont aussi par ailleurs des trafiquants de femmes. C’était d’ailleurs la situation à mon époque aussi.
Comme cela a été dit c’est la prostitution (demande) qui est l’origine du trafic.
La prostitution n’est pas le lieu où opère le trafic sexuel mais la cause du trafic sexuel.
J’ai pris quelques courtes notes parce que je n’aime pas lire un texte. Une des choses dont je voulais parler ce sont les mensonges des lobbys pros. Je ne peux pas parler de tout en 10′. Mais un mensonge très important qu’il faut dénoncer c’est la façon dont ils jouent avec les statistiques. Nous avons cette constante contestation des chiffres. La façon dont nous pouvons y mettre fin c’est d’y répondre avec des chiffres irréfutables et très importants. C’est là que nous comptons sur la Suède pour communiquer sur son modèle.
Car la Suède a fait tant et est devenue un tel exemple pour le monde, et cela a été si important pour moi. Je ne peux même pas vous exprimer ce que cela a représenté pour moi que la Suède ait fait ce qu’elle a fait.
Ce qu’elle a fait c’est qu’elle a affirmé clairement que ce qui m’était arrivé et arrivait à un nombre incroyable de femmes était mal et anormal. Et c’était le premier pays à le dire. Et cela représente bien plus que je ne peux le dire.

Des survivantes de la prostitution s’unissent : Survivors Connect Network

Il y a déjà eu beaucoup de magnifiques réponses de survivantes de la prostitution. Il y a l’Imposture, le film d’Eve Lamont, bien sûr. Il y a Rebecca Mott, dont je cite souvent le blog. Mais elles ne sont pas les seules. Grâce à ma veille internet préférée (poke#HSG), j’ai découvert ce blog qui crée un réseau de survivantes de la prostitution qui prennent la parole pour mettre fin à l’hégémonie d’un discours qui prétend les représenter mais ne les représentent pas.

Alors elles ont décidé de se représenter elles-mêmes par ce blog : Survivors Connect Network. Et on y trouve des trésors. Les blogs de Rebecca Mott et d’autres, Dublin call girl, Chong kin,

Extrait : « To understand prostitution you have to understand extreme trauma.  It’s deeply political.  Researchers have found that women in prostitution suffer from the same levels of trauma as the victims of state-sponsored torture.  So the effects of prostitution are clinically equivalent to those of state-sponsored torture ». Pour comprendre la prostitution, il faut comprendre le traumatisme extrême. C’est politique. Les chercheurs ont révélé que les femmes prostituées souffrent du même niveau de traumatisme que les victimes de torture organisées par l’Etat ».

Ou encore, « reality » : cette lettre d’une survivante à elle-même, plus jeune :

Work hard on learning to ask for help.  It’s the only way you’ll ever  break free.  No one ever does anything alone.  You don’t have to.

You’ll learn how to make the men happy.  The happier they are the nicer they treat you.  You’ll become very good at being a hooker.  But when the Johns say “baby you were born for this” that doesn’t mean its true.

Tu dois travailler dur pour apprendre à demander de l’aide. C’est la seule façon dont tu pourras te libérer un jour. Personne ne fait jamais rien seule. Tu n’es pas obligée.

Tu vas apprendre à « rendre les hommes heureux ». plus ils seront contents, le mieux ils te traiteront mieux. Tu vas très bien apprendre à être une pute. Mais quand les macs te diront : tu es née pour ça », cela ne veut pas dire que c’est vrai.  »

Apprendre à demander de l’aide, s’aider les une les autres, c’est la clé pour changer le monde. Merci à ce réseau de survivantes d’exister.