
Votée début décembre à l’Assemblée nationale, la loi pour le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel devrait être examinée au Sénat avant l’été. Les travaux de la Commission spéciale qui la prépare doivent se poursuivre (Danielle Bousquet a déjà été auditionnée en février). Le Sénat recevra ce mercredi à 11h30 le STRASS et ACT-UP deux associations anti-abolitionnistes. Ensuite, seront reçues à 14h30 Rosen Hicher et Laurence Noëlle, survivantes de la prostitution favorables à la loi, deux militantes infatigables et courageuses qui, par leur volonté de témoigner pour que d’autres puissent ne pas avoir à vivre ce qu’elles ont vécu, ont eu à mon avis un rôle déterminant dans l’adoption de la loi, et la compréhension par la société française de ce qu’est la prostitution.
Ces derniers mois, après le vote de la loi, le discours de ses adversaires s’est concentré sur l’idée que les personnes prostituées seraient en danger du fait que les clients-prostitueurs, ces hommes qui leur font subir chaque jours des violences répétées et inouïes, ne seraient plus autorisés à les payer pour en faire ce qu’ils veulent…les violer, les humilier, les frapper, etc..
Il est donc à nouveau nécessaire de diffuser le plus largement possible un discours fondé sur la réalité et non d’alimenter les fantasmes d’une « prostitution choisie » qui serait source d' »empowerment » (affirmation et accomplissement de soi) et vaudrait mieux que de ne pas y être. La prostitution revendiquée choisie, que je définirai pour ma part comme la prostitution revendiquée par des personnes qui affirment que si elles voulaient elles pourraient faire autre chose, concerne une infinie minorité de personnes. Sans compter que toutes les études, témoignages et documentations sérieuses expliquent que les personnes prostituées, prises dans les violences quotidiennes insoutenables, ont revendiqué à un moment ou un autre qu’elles faisaient ça par choix. Mais dès qu’elles ont pu sortir de la toile patriarcale aux fils très collants, elles ont interpellé, en particulier des féministes, pour expliquer que franchement, elles avaient été bien naïves de les croire. Quant à l’immense majorité des personnes prostituées, prises dans des trafics ou des situations de violences terribles, en majorité immigrées, pauvres, femmes, enfants, sont-elles représentées par celles et ceux qui revendiquent le « libre choix » ? Prennent-ils la parole pour les défendre ? Leur laissent-ils la parole ?
Rappelons donc quelques réalités importantes :
1/ La prostitution est une violence inouïe faite à l’être humain, et en particulier aux femmes et aux enfants puisqu’ils sont l’immense majorité des victimes. Pour vous en parler, je publie le lien de la tribune des médecins et professionnels de santé parue dans Le Monde en fin d’année dernière, parmi lesquels Axel Kahn et Muriel Salmona :
Ce sont les acheteurs de sexe qu’il faut pénaliser
Et l’ensemble des témoignages parus en novembre : 30 jours, 30 témoignages
2/ Là où l’abolition de la prostitution a été mise en place, la situation des personnes prostituées n’empire pas. Au contraire. Elles ont enfin un recours contre la violence des hommes-prostitueurs, et elles savent que la société est de leur côté. On comprend bien que faire croire le contraire est vital pour ceux qui veulent que la prostitution perdure. Car en effet, reconnaître cette évidence, implique que les personnes prostituées ont enfin accès à leurs droits fondamentaux d’êtres humains. Comme il est fondamental que ceux qui veulent pouvoir continuer à violer des femmes et des enfants en toute impunité laissent croire à leurs victimes que si elles parlent, personne ne les entendra. Ici, la loi menace ce silence imposé.
Il faut donc diffuser largement les effets réels d’une loi d’abolition du système prostitueur :
Abolition de la prostitution : pourquoi la Suède est un bon modèle
3/ Enfin, il y a un risque réel : c’est qu’à trop dire « ça ne marchera pas de toutes façons » et ce sera pire, c’est que personne n’y croie et ne se donne les moyens que ça marche. Mais c’est sans compter sur ce que sont les militants et militantes abolitionnistes, en particulier celles et ceux, qui comme au Mouvement du Nid ou à l’Amicale du Nid, aident au quotidien les personnes prostituées. Ce sont seulement des personnes qui refusent la fatalité et l’idée ambiante que rien ne peut changer (celle qui sert si bien le patriarcat et le capitalisme), qui font le pari que si l’on ne croit pas que le monde peut s’améliorer, alors ce n’est pas la peine de le vivre. Des utopistes oui, mais au sens le plus concret du terme : elles croient que vivre mieux est possible. Ce sont enfin des personnes qui font le pari que la vie d’une personne prostituée, d’une femme, d’un enfant, vaut la peine qu’on y consacre toute son énergie militante. Et que ça va marcher. Donc oui, il faudra des moyens pour pouvoir accompagner les personnes prostituées et ce ne sera pas toujours facile. Mais les militantes et militants abolitionnistes ne s’imaginent pas que leur travail s’arrêtera après le vote de la loi. Ils et elles ont plus que conscience que c’est là que tout commencera : il faudra rendre réel le signe fort qu’aura donné l’Etat aux personnes prostituées qu’enfin, elles sont considérées comme des êtres humains.
S.G
PS : n’hésitez pas à diffuser également le Scoop.it que j’ai constitué « Abolition 2012 » avec articles et tribunes parus : http://www.scoop.it/t/abolition2012