« Was you ever bit by a dead be(e) ? »*

Récemment, comme je tiens un blog ouvertement féministe, j’ai été interrogée par un journaliste sur la presse féminine. Moi qui n’ai pas tenu un magazine féminin entre les mains avant l’âge de 20 ans -et encore, il a dû tomber au bout d’à peine quelques secondes. Moi à qui ma mère m’a dit un jour : « je crois que je vais me désabonner du « news mag que j’ai entre les mains » parce qu’ils m’envoient pour me convaincre de me réabonner un numéro de ce journal féminin, c’est une insulte ou quoi? »… voila que je devais dire si je pensais que les nouveaux journaux féminins me semblaient pires ou moins pires que les anciens…qu’est-ce que j’allais bien pouvoir dire ?

C’est vrai que je déplorais la schizophrénie de journaux qui dans la même page traitaient des violences faites aux femmes et du dernier maquillage pour plaire…or on m’a dit que les nouveaux mags, revendiquaient de la pure frivolité. Les femmes n’ont plus besoin de prouver qu’elles sont les égales des hommes, qu’elles sont intelligentes, qu’elles travaillent. Elles assument donc à fond leur goût pour le maquillage, les tenues, sans avoir à se justifier.
Du coup, quand j’ai vu la une de « Be » l’autre jour, j’ai été un peu surprise.

Les « Sugar Babies », un sujet frivole ? Ou juste un sujet « vendeur » ?

Et comme la façon dont on parle de la prostitution m’intéresse, j’ai décidé de l’acheter…

« Etudiante et prostituée », enquête sur le phénomène des Sugar Babies. C’est le titre de l’article. Ce n’est pas, comme je le crois au premier abord, un article sur la question surreprésentée dans les médias des jeunes étudiantes qui se prostituent en France. C’est apparemment une « tendance outre-Atlantique » :

« Elle sont jeunes, jolies et avides de luxe et de richesse. Contre un paquet de dollars, ces Américaines « louent » leur temps, et parfois leur corps, à des hommes fortunés« .

Où l’on apprend qu’aux Etats-unis les « relations mêlant sexe, jeunesse et argent » son monnaie courante. Que les femmes ont besoin d’un Pygmalion…pour atteindre leur ambition. Et cette ambition, d’après l’article, c’est d’être « avides d’une vie de luxe« . (c’est marrant j’ai vu un reportage sur LCI qui disait la même chose l’autre jour…c’est l’appât du luxe qui ferait que les filles de banlieue passent le périph pour se prostituer à prix d’or…)

On apprend aussi que ces relations, « définies clairement à l’avance » (s’il y a du sexe ou non, en clair, et il n’y en a pas toujours), sont quasi « contractuelles »? Un homme qui s’ennuie avec sa femme mais ne veut pas divorcer pour les enfants, se choisit une « sugar baby » et l’entretient….et s’appelle « Sugar Daddy »…là, je bondis : un « daddy » avec qui des relations sexuelles sont possibles et acceptées ?…et ça n’a l’air de choquer personne…

Et en plus, on essaie de nous faire croire qu’il ne s’agit pas de prostitution. Et là, je réalise que « Be » aussi est en pleine schizophrénie »! Car voici ce que dit « l’inter » (phrase de l’article mise en exergue) :« La frontière avec la prostitution est mince : pourtant, c’est très différent » . Alors, c’est différent ou c’est pareil ? Faudrait savoir…

Mais quand même, à un moment, la journaliste est traversée de doutes…car si elle décrit à plusieurs reprises « sugar babies » comme avides de luxe, elle interroge quand même une professeur : »c’est avant tout une question d’argent et de train de vie, évidemment. Si ces femmes avaient une bonne profession, elles n’auraient pas besoin de faire ça »

Ouf, quand même ! L’évidence enfin reconnue ? Ouf ? Pas si sûre. Car elle enchaîne : « les hommes ont toujours donné de l’argent pour profiter de la beauté des femmes. Mais aujourd’hui, dans cette ère capitaliste, les femmes sont plus ouvertes sur leur sexualité et les hommes sur l’argent ».

Et voila. on y est. Au coeur du backlash. Aujourd’hui, le capitalisme roi et la société patriarcale sont effectivement les meilleurs alliés du monde : « Homme, si tu veux du sexe, paies ! Femme, si tu veux de l’argent, couches »! Et comme on doit absolument dire que tout est merveilleux pour les femmes aujourd’hui, on justifie l’injustifiable…

non pas sans remords. Parce que tout d’un coup, comme un « deus ex machina » l’auteure de l’article (serait-elle d’accord avec moi ?)…conclut de cette façon, mais sans développer : « Mais malgré ce que ces partisans et ses courtisanes en disent, le sugar lifestyle est loin d’être tout sucre tout miel« .

Moi, j’appelle ça, être piquée par une abeille morte (« bit by a dead bee »)…

Sandrine Goldschmidt

8 réflexions sur “« Was you ever bit by a dead be(e) ? »*

  1. Be & les nouvelles « revues » féminines ne sont pas pas des revues, mais des catalogues de publicité valorisant des tracts de diffusion de l’idéologie néo-libérale. Pour un libéral on est libre d evendre son corps que ce soit sexuellement ou s’amputant !

  2. On est bien d’accord sur le fait que la régression que nous vivons aura un impact plus considérable sur la condition féminine, d’un coté les burqua et de l’autre les sugar machin, d’un extrême à l’autre, on a du boulot nous les femmes, 2000 ans, çà commence a faire long hhi !

  3. Effectivement, dans ce type de raisonnement, tout peut s’acheter et se vendre – c’est une nouvelle forme de relativisme (pourquoi vendre sa force de travail et pas son corps), qui se présente comme anti-puritaniste ; si l’on est contre la prostitution, c’est forcément par puritanisme et rigorisme religieux, ou par mauvaise acceptation de son corps et de ses fonctions, par refoulement sexuel, enfin bref, c’est toujours pour des raisons individuelles qui se présentent comme une exacerbation mauvaise de la morale, et jamais pour des raisons sociales de justice ou d’éthique. On est du côté des dictateurs lorsque l’on se prononce contre la prostitution, c’est-à-dire, selon cette logique, que l’on empêche les êtres humains de disposer d’eux-mêmes.

    Le relativisme s’avance aussi dans l’argument que cela ne touche pas que les femmes : on ressort à chaque fois l’argument du Costa-Rica, ou de la Tunisie, où les femmes vont chercher du sexe tarifé : la preuve en est donc immédiatement faite, foin de toutes les statistiques et de toute réalité : la prostitution n’est plus une violence faites aux femmes ni une question de misogynie ou de domination masculine, c’est un simple phénomène de société égalitaire.

    Bref, comme le self-made-man ou le chanteur de rock qui permet aux américains de croire que tout leur est permis et qu’ils vivent dans un pays juste et bon où l’égalité des chances est une donnée de base (si Iggy Pop a réussi, c’est bien la preuve que tous les habitants de trailer park ont leur chance), l’étudiante qui joue à vendre de son temps contre argent prouve que la prostitution est juste et bonne et permet à chacun de tirer du mieux parti de ce que la nature lui a imparti : on plaindrait presque leurs clients qui sont obligés de payer très cher pour avoir du bon temps parce qu’ils n’ont pas été gâtés par la nature, ou parce qu’ils se dévouent tellement à la société qu’il ne leur reste plus de temps pour les relations sociales non tarifées, tellement compliquées (sous-entendu les femmes sont chiantes, si on veut les aborder normalement cela prend du temps pour un résultat incertain, c’est de leur faute aussi…).

    C’est le discours que l’on entend maintenant sans arrêt, et cela prépare des jours sombres : il me semble que la légalisation de la prostitution et le retour en force du machisme le plus gras ne tardera pas.

  4. « Homme, si tu veux du sexe, paies ! Femme, si tu veux de l’argent, couches »!

    Mon expérience personnelle sur le « terrain » m’a démontré, en tant qu’homme, qu’il s’agit d’un mode de relation homme-femme de plus en plus répandu. En effet, de plus en plus de femmes (comme d’hommes d’ailleurs) ont du mal à boucler leurs fins de mois par ces temps de crise, donc elles font avec ce qu’elles ont, leur corps. C’est un peu triste, et je trouve que cela fausse les rapports humains. Lorsque je rencontre une femme à présent, je m’attends une fois sur deux, à ce qu’elle me demande de l’aider à payer une facture, la dépanne d’une centaine d’euros pour finir le mois, lui paye un abonnement d’un an à Pif gadget (je rigole) ou ses courses alimentaires au supermarché. Donc, les mois où je suis juste moi-même, j’évite de faire de nouvelles rencontres, ne sachant pas combien cela peut me coûter et ne voulant vexer personne.
    Je hais ce capitalisme engendreur de crises, qui amène les humains à faire n’importe quoi dans leurs vies, et va jusqu’à dévoyer les relations humaines.

  5. Il me semble que ce genre de relations entre hommes mûrs et lycéennes/étudiantes existe depuis longtemps au Japon. Je ne sais pas cela porte un nom particulier.

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