2023 au cinéma : avec Les filles d’Olfa, sans Depardieu

L’année cinéma 2023 aura fini par la défense de Depardieu par un effet de backlash inespéré offert sur un plateau à l’ancien monde par Macron. Que le « monstre » sacré déchu ne fasse pas l’effet d’un arbre qui cache la forêt. En 2023, de magnifiques films ont proposé une autre vision du monde, pour donner une voix aux femmes et aux enfants.

Je parlerai ici surtout des femmes, mais il y a aussi cette année quelques très beaux films dans ma sélection réalisés par des hommes, qui donnent voie à d’autres images.

Petit bilan chiffré. J’ai encore vu 140 films cette année, il est donc difficile d’en choisir un nombre limité…voici une sélection toute personnelle. La votre m’intéresse !

Le premier ne figure pas dans les classements des « critiques » et je ne m’en remets pas de voir le film de Breillat et pas celui-ci. Dont je ne parle pas, parce que je ne l’ai pas vu…

Les filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania
De loin le plus grand choc cinématographique : comment mêler mise en scène et documentaire, pour faire émerger une vision du monde qu’un regard classique aurait rendu impossible : on aurait tout de suite jugé la mère, et ses filles. Là, on vit avec elles leur histoire, on tremble pour elles, on pleure, on se révolte, on pardonne ? Avec un suspense pour qui ne lit jamais les résumés avant, digne d’un bon thriller…

About Kim Sohee, de July Jung
Fiction encore d’une fois d’une grande intelligence, pour parler d’un sujet grave, le harcèlement des femmes au travail en Corée du Sud. La grande réussite de ce film dur, c’est de nous mettre dans les pas de Kim Sohee, puis de partir dans ceux d’une policière qui enquête, seule à trouver à redire au suicide de Kim ?

L’amour et les forêts, de Valérie Donzelli

Surprise : j’aime les films de Donzelli, mais le sujet de l’emprise de la violence conjugale, fallait-il que je me l’inflige ? J’ai souffert devant le film, car il est juste, et donc très dur. Mais le récit de la sortie de l’emprise qui permet de supporter ce qui s’est passé avant et l’interprétation de l’incroyable Virginie Efira, m’ont très longtemps marquée après le film, qui continue de m’accompagner.

Le chant des vivants, de Cécile Allegra

Pur documentaire sur le répit de migrantes et de migrants accueillis à Conques, qui se transforme en comédie musicale, qui permet à chacune, à chacun, de faire émerger son histoire, et de la transmettre. Provoquant bien sûr révolte contre toutes celles et ceux qui exploitent les personnes migrantes, comme celles et ceux qui refusent de les accueillir. Le récit d’un ado sur sa traversée de la Libye nous donne à la fois un aperçu du « mal » et de notre indifférence au sort de nos alter humains.

Le retour des hirondelles, de Li Ruijun

Pure beauté, récit de la vie de deux marginaux, vulnérables, rejetés par la société parce que malade -donc non vendable pour la femme, ou trop pauvre pour l’homme, qui sont mariés et qui partagent des moments de beauté et d’amour. Profondément beau et émouvant.

Anatomie d’une chute, de Justine Triet

La Palme d’Or a fait l’unanimité et c’est bien la première fois que je me sens d’accord avec elle… je n’avais pas aimé les précédents films de Justine Triet qui ne me semblaient pas féministe. Ici, l’alchimie entre la mise en scène et le propos m’ont embarquée. La subtile démonstration du sexisme de la justice et la façon dont il est contourné, créant un autre possible, sont très convaincants.

The Quiet Girl, de Colm Bairàd

On pourrait dire que c’est un petit film, comme la nouvelle de Claire Keegan dont il est inspiré est juste une nouvelle… mais là encore, c’est un moment de pure beauté et d’humanité, un regard à hauteur d’enfant sur la difficulté de faire face à la vie

Noémie dit oui de Geneviève Albert

Difficile pour moi de le mettre sur le même plan que les autres puisque je l’ai vu en 2022 et pour le travail. Mais c’est le meilleur film de fiction sur la prostitution que j’aie vu, au sens où c’est le plus juste, le plus authentique, à tel point qu’il est dur à voir. En particulier pour les personnes survivantes de la prostitution, car le film se place pour une fois du point de vue de Noémie, la victime, mineure, et nous donne donc à voir ce que les « clients » font ressentir aux enfants et femmes qu’ils achètent pour du sexe…

Dalva, d’Emmanuelle Nicot

Voila encore un film à hauteur d’enfant prise dans les filets de la violence incestueuse paternelle. Le point de vue de film, qui part du rejet de ses « sauveurs » par Dalva, encore trop sous l’emprise de son père qu’elle a cru être le seul qui l’aimait, puis du chemin vers un peu de lumière, est remarquable. Il nous permet de supporter le poids du sujet pour mieux en comprendre les mécanismes.

Petites, de Julie Lerat-Gersant et François Roy

Voilà un « petit » film qui vous a sûrement échappé cette année car il n’a pas fait grand bruit et que son affiche ne lui ressemblait pas trop. C’est ici une adolescente, enceinte, qui est éloignée de sa mère et doit faire un choix pour sa vie future. Vie des foyers, emprise trompeuse, répétition et conséquences de la grossesse précoce, le film traite joliment du sujet. Un film qui m’a beaucoup plus et que j’avais envie de signaler.

De grandes espérances, de Sylvain Desclous

Voila un « feel good movie », une sorte de thriller conjugo-politique, remarquablement construit, et porté au sommet par une interprète exceptionnelle, Rebecca Marder. Un de ces films qu’on va voir pour se détendre, et qui non seulement détend, mais reste un grand moment de cinéma de l’année…

Je verrai toujours vos visages, de Jeanne Herry

Voilà un film qui n’a pas fait l’unanimité du monde féministe, avec notamment la tribune du Juge Edouard Durand appelant à se méfier de la justice restauration appliquée aux violences pédocriminelles et incestuelles. Pour ma part, j’ai trouvé ce film passionnant, nécessaire, toujours sur la corde raide mais qui parvient à ne jamais excuser l’auteur (en l’occurence le frère). Et si je comprends la critique sur l’idée même de justice restaurative appliquée à l’inceste (et le film ne parle pas que de ça), il me semble néanmoins qu’il est fondamental de poser la question de la répression…et après ?

Voila, j’ai encore plein de films sur ma liste, Past Lives (pour sa poésie), Women Talking, How To Have Sex (magistrale réflexion sur les limites du « consentement »), Blackbird Blackberry (très intéressant film géorgien), La famille Asada (beau faux « feel good movie »), L’innocence, Alis, Little Girl Blue (écriture passionnante du film, qui dénonce là encore des « monstres sacrés »), Mon crime (avec encore la formidable Rebecca Marder), Barbie (un film drôle et bien fait, mais qui ne mérite pas un grand débat féministe), Un petit frère, The Fabelmans (un grand film classique), Le cours de la vie (Agnès Jaoui!), Les ombres persanes (très beau film iranien sur l’individu et son double), Reality (époustouflante histoire vraie d’un interrogatoire du FBI), Bernadette (meilleur film de détente 😉

Et vous, quels films vous ont marqué cette année ?

PS : à propos de Depardieu, voici ce que j’écrivais sur Facebook, qui montre aussi comment notre regard évolue avec le temps, à propos du Dernier métro, chef d’oeuvre de Truffaut. C’est de tout cela aujourd’hui que parlent les films ci-dessus, mais tout à fait autrement…

Et si on parlait de la première scène du « Dernier métro » ?

Ce film de Truffaut que j’ai adoré les premières fois que je l’ai vu, avec Deneuve et Depardieu.

Dans la première scène, qui dure bien 5’, on a une magistrale scène de harcèlement de rue de Depardieu sur Andrea Ferreol qui repousse avec fermeté ses avances et poursuites répétées et menacantes.

Il finit par plus ou moins par la laisser…avant de la retrouver travaillant au théâtre où il se rend…

Cette scène en revoyant le film il y a un an ou deux m’a fait froid dans le dos. Je n’en avais aucun souvenir et le « héros résistant » séducteur du film n’en était pas entaché (même si je n’aimais pas le personnage sans savoir pourquoi à l’époque)

Pis, on apprend ensuite dans le film que la personnage d’Andrea Ferreol est lesbienne.

La celui de Depardieu réagit : « ah! C’est pour cela que vous m’avez résisté ».

Insupportable.

Comme si les femmes avaient envie d’être harcelées.

Comme si celles qui ne résistent pas le font parce qu’elles sont séduites par l’homme et non parce qu’elles sont sidérées par la violence.

Aujourd’hui j’y repense après avoir entendu justement que l’attitude de Depardieu ressemblait en pire à celle de son personnage sur le tournage…

Lady Sapiens et nous

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire « Lady Sapiens », de Jennifer Kerner, Thomas Cirotteau et Eric Pincas. Un tableau revigorant de l’organisation des sociétés humaines de la préhistoire, au paléolithique (-40 000 avant le présent jusque -10 000). Et des questionnements qui émergent.

Découvrir que nos ancêtres préhistoriques avaient inventé le porte-bébé, qui permettait aux femmes de ne pas être domestiquées (contraintes de rester au foyer pour s’occuper des enfants), et de prendre part aux activités extérieures. Que ces activités, si elles étaient probablement contraintes par les limites de la force physique, étaient loin de se cantonner à des activités périphériques. Voila qui est revigorant.

Actrices majeures de la collecte, et notamment animale (poissons, coquillages), les experts estiment à 50 à 70% leur apport à la survie du groupe (dans certaines sociétés étudiées – attention à toute généralisation). Mais attention, les analyses poussées aujourd’hui le prouvent : elles participaient aussi à la chasse, on retrouve des traces de lésions sur les os évoquant le lancer de javelot. Artistes, dont la présence dans les grottes est démontrée par les efforts conjoints de pisteurs africains et d’anthropologues, cuisinières, pourquoi pas chamanes, tout semble possible à Lady Sapiens.

Les nombreuses statues évoquant le féminin, avec des vulves et seins évidents, sont aussi étudiées: celles qu’on désigne comme des « Vénus » sont-elles des odes à la fertilité ou tout autre chose ? Pourquoi sont-elles le plus souvent sans tête (ce que vous imaginez bien, si vous êtes déjà venu·es ici, me pose question) ?

Le plus fascinant, est cette découverte, par l’analyse d’éléments végétaux autour des sites du Paléolithique supérieur, qui tendent à démontrer que Lady Sapiens, maîtrisant le végétal, était celle qui – le plus souvent- détenait le savoir médical. Plantes abortives, plantes antiseptiques, « aspirine » naturelle, tout cela a été retrouvé à sa proximité notamment au Brésil. Les femmes, guérisseuses, ancêtres de nos sorcières bien-aimées, massacrées à la fin du Moyen-Age pour qu’advienne le pire du patriarcat ? L’hypothèse est séduisante.

Question séduction et sexualité, le livre émet des hypothèses. Et une certitude : nos ancêtres prenaient soin de leur apparence. Les parures -bijoux, vêtements- n’étaient pas réservés aux rites funéraires. Autre hypothèse, celui que la violence était également moins présente que « l’alliance » entre clans, tribus, groupes. De citer des « échanges de femmes » entre groupe pour assurer la survie de l’espèce. Mais note justement que parler « d’échanges de femmes » est peut être déjà une vision venue d’aujourd’hui. Il y aurait aussi eu des échanges d’hommes, et pas d’indications sur les proportions. Rien non plus sur les relations hors alliances liées à la survie du groupe, ni sur la « monogamie » ou « polygamie » ni sur les éventuelles relations entre individu·es de même sexe. Faute de traces, ou d’être sujet de recherche ?

Vision scientifique ou dictée par l’époque ?

Reste pour moi une question, à la lecture de tous ces éléments : très rassurants pour nous, les femmes, ils reposent souvent sur des faits, mais aussi sur une réflexion qui en appelle au bon sens humain. Il est souvent dit que la survie du groupe rendait nécessaire que chaque individu humain, puisse y participer non pas en raison de son sexe, mais de ses compétences. On dirait que les choix fait par les mini-sociétés de l’époque, seraient des choix liés à l’intérêt général. Et que les « identités » individuelles pour reprendre nos préoccupations contemporaines, n’auraient loisir de s’exprimer que si elles étaient en phase avec cet intérêt général.

On y voit une harmonie entre intérêt général et appelons-les désirs individuels (on ne parle pas de droit), qui nous fait pâlir d’envie, ou de nostalgie. Du bon sens, en somme, nos ancêtres en auraient-eu tellement plus que nous ? Cette vision de Lady et Mr Sapiens n’est-elle pas le summum du « c’était mieux avant » ? Mieux avant quoi ? L’écriture et la généralisation des concepts, l’agriculture (dont il est dit d’ailleurs que Lady Sapiens pourrait avoir joué un rôle majeur dans son émergence), l’argent ?

En refermant l’ouvrage, je me demande : nos ancêtres n’auraient-ils pas connu les « pêchés capitaux ». L’envie, la jalousie, la violence, la gourmandise, tout cela aurait-il cédé le pas à l’intérêt général ? La société ancestrale aurait-elle été, par ailleurs, une société non patriarcale, et qu’est-ce qui ferait qu’un jour elle le serait devenue ? Est-ce le Livre, et cet arbre de la connaissance, qui finalement, auraient fini par nous précipiter loin de ce Jardin d’Eden ?

L’hypothèse, dans notre atmosphère de fin du monde et j’ose, de culminance du patriarcat (avant la chute ? #dontlookup), est-elle une épiphanie de la compréhension de notre monde qui semble avoir perdu tout -bon- sens ? Ou, et dans quelle mesure (car il y a aussi les faits scientifiques importants qui sont exposés, bien sûr), peut-on y voir une nouvelle façon d’interpréter notre monde en fonction de qui nous sommes aujourd’hui ?

Sandrine Goldschmidt

2022 : voeux de cinéma et retour sur 2021

Mes meilleurs voeux à toutes et tous pour cette année qui commence encore compliquée. Personnellement, je vous souhaite une année en coeur, et en choeur féministe...

Une année qui commence les cinémas ouverts…l’an dernier il avait fallu attendre le 19 mai. Espérons, alors, que ce sera une année de cinéma, découvertes, émotions, réflexion…

En tout cas, le festival Femmes en résistance, festival féministe de documentaires que je co-organise, fêtera ses 20 ans, et ce sera – si tout va bien- le dernier week-end de septembre (mais jusque là on a échappé à toutes les fermetures).

En attendant de nouvelles découvertes, petit résumé traditionnel des films qui m’ont émue en 2021…j’en ai vu beaucoup en 7 mois 1/2 (82), donc j’en détaille 15, mais il en manque. N’hésitez pas à me faire part de ceux qui vous ont marqué·es, ému·es, transporté·es, ou à dire pourquoi vous n’êtes pas d’accord, etc.

Le Kiosque, de Alexandra Pianelli

Je commence par un documentaire passé un peu inaperçu mais que j’ai trouvé passionnant. Le Kiosque, c’est un peu le film dont on se demande comment, en 1h15 filmé, depuis l’intérieur d’un kiosque, on ne va pas s’ennuyer. Et puis, le miracle opère…on ne s’ennuie pas du tout. C’est un petit concentré de moments d’humanité. La réalisatrice, a beau n’avoir qu’1x2m d’espace, ce qu’elle voit, son point de vue, est une déclaration d’amour aux gens. Elle capte la vie dans ses petits moments, la scène du sans abri qui donne à une passante l’argent pour s’acheter un ticket de métro restera longtemps ancrée en moi. SI loin de l’humanité mesquine donnée à voir sur les « petits écrans ». Voila, ce à quoi sert le cinéma, peut être…

Nomadland, de Chloe Zao

Celui-là, bien sûr, tout le monde en a parlé, mais, (bien sûr aussi), il n’est finalement pas tant que ça dans les « top ten » des critiques. Et pourtant, après 6 mois de carence cinématographique, de confinement plus ou moins total, de couvre-feu, Nomadland m’a fait à la fois voyager, admirer, et ressentir les émotions simples de la vie. Des personnages extraordinaires juste par leur existence. Et le visage de Frances Mac Dormand, dont la moindre expression m’a profondément remuée. Un peu « le Kiosque » en grands espaces et semi-fiction, finalement…

Le diable n’existe pas, de Mohammad Rasoulof

Découverte in extremis à la dernière séance du 31 décembre au Lido à Saint-Maur. Le plus beau plaidoyer contre la peine de mort depuis Camus…En Iran, des militaires sont chargés de l’application des peines, ils doivent pousser le tabouret sous un condamné à la pendaison. Ce geste, est-il seulement celui de l’Etat, est-il le leur, quelles conséquences sur la responsabilité de chacune et chacun dans le pays, au sein du couple, de la famille, dans l’exil ? Le réalisateur, qui a tourné dans la clandestinité, l’examine à travers l’histoire de 4 hommes et leur entourage. Magnifique…

La traversée, de Florence Miailhe

Un film d’animation qui est une petite oeuvre d’art sur l’exil, l’enfance, la guerre, le traumatisme. C’est beau visuellement (mais pas « esthétisant ») et touche directement au coeur.

La fièvre, de Maya Da-Rin

Un drôle de film, contemplatif, admirablement filmé, au Mexique, depuis les docks jusque dans la jungle. La fièvre de cet homme, tiraillé entre la vie, et l’inerte de la société moderne, une rêverie superbement maîtrisée. Un de ces films d’un nouveau genre, que j’apprécie de plus en plus : Ce qui compte, n’est pas où va l’histoire, mais le chemin qu’on emprunte, et la réalité qu’on y découvre de pays, de cultures inconnues.

Milla, de Shannon Murphy

Un film dur, sur la maladie d’une adolescente, qui protège sa famille en y introduisant un drôle de petit copain et s’assure de pousser la vie jusqu’au bout. Un personnage magnifique, une loufoquerie bienvenue pour ne pas nous clouer au sol, mais nous élever avec elle vers le ciel…

La fracture, de Catherine Corsini

Unité de temps, de lieu, d’action. Panorama de notre société à l’heure des urgences d’hôpital débordées, de la violence policière sur ordre, et du désespoir. De tous les personnages, pas toujours aimables (et c’est bien comme ça), on retiendra l’infirmière, symbole de ces femmes, qui résistent à tout, pour continuer à faire leur travail, et préserver notre humanité…

Petite maman, de Céline Sciamma

Un drôle de film qui passe un peu trop vite pour avoir vraiment imprimé mon imaginaire. Et pourtant, en le voyant, je me suis retrouvée enfant, je me suis retrouvée maman, je me suis retrouvée à tous les âges en même temps, en me disant qu’il y avait là quelque chose de profondément juste que je n’avais pas vu avant. A revoir, donc.

Pingouin et Goéland, de Michel Leclerc

Je n’aime pas toujours parler d’héroïne. Mais Pingouin en est une, assurément, tout comme son goéland de mari. Cacher des enfants juives, sans jamais d’hésitation, au sein même d’une institution de Vichy qui servira de couverture… au risque de sa vie, et finalement de la perte de sa vie d’après. On ne les connaît pas, car ils ont été accusés à tort de collaboration…et n’ont été reconnus comme résistants que beaucoup plus tard. Michel Leclerc, le réalisateur, est le fils d’une de ces enfants de Sèvres, et nous raconte leur histoire. L’autre intérêt du film, c’est qu’il réfléchit en racontant, n’évite pas les contradictions, se pose de nombreuses questions contemporaines sur la victimisation, le devoir de mémoire ou l’oubli. Sans apporter de réponse définitive, heureusement…

Les amours d’Anaïs, de Charline Bourgeois-Taquet

Le rayon de soleil de l’année, avec Anaïs Demoustiers /Valeria Bruni-Tedeschi, amoureuses. Anaïs est un tourbillon, rayonnante, inattendue, fascinante, amoureuse, elle nous entraîne avec elle et Emilie l’écrivaine. Les hommes sont largement dépassés, et on en sort dans un bel état d’ivresse joyeuse, en pensant à Jeanne Moreau.

Freda, de Gessica Genehous

Freda, immersion dans la vie d’une étudiante haïtienne confrontée au chaos politique et au patriarcat qui l’entoure. Féministe et radical dans sa forme, la découverte d’un style, et enfin des images autres, complexes, multiples, d’un pays cantonné – comme tant d’autres- à notre imaginaire stéréotypé du « plays le plus pauvre du monde ». Mais quelle richesse dans ce film !

Un héros, d’Ashgar Fahradi

Puisqu’on parle d’héroïsme, ce film iranien en montre toutes les ambivalences. Héros sans le vouloir, sans avoir rien demandé, sans avoir rien fait, peut être. Qu’est-ce qui fait qu’on devient héros, qu’on cesse de l’être, est-ce que cela a vraiment un rapport avec l’action accomplie ? Et comment le monde corrompu, totalitaire qui l’entoure, manipule-t-il tout cela ? Finesse et efficacité, comme toujours avec ce réalisateur.

L’abolitionnisme n’a jamais tué personne, le système porno-prostitueur tue tous les jours

Manifestation du 8 mars 2021

Cette année encore, devant le renoncement de certaines féministes abolitionnistes craignant de « cliver », des survivantes de la prostitution et des militantes bénévoles d’associations de soutien aux personnes prostituées ont été harcelées, agressées, insultées (Paris les 7 et 8 mars, Montpellier le 8 mars) empêchées de manifester parfois (Toulouse, Tours le 8 mars). Je n’entre pas dans les détails ici, je vous laisse lire le communiqué du Mouvement du Nid et l’article de Charlie Hebdo.

Sur les réseaux sociaux, les « abolos » *, terme utilisé par les adversaires des féministes abolitionnistes, sont qualifiées chaque jour de tous les maux : assassins, transphobes, racistes, fachos… Et comme nous vivons une époque formidable, où vérifier une information est en option…, de nombreuses jeunes féministes entrent dans la lutte contre les violences sexuelles en entendant dire que les seules violences qui seraient faites aux personnes prostituées (appelées par elles/eux TDS), seraient le fait des abolitionnistes. Que cela soit faux et absurde ne dérange personne.

De fait, je comprends que quand on entre dans un mouvement, on n’ait pas de raison de remettre en cause ce qu’on entend, puisque trop nombreuses, jusqu’au sein des abolitionnistes autrefois revendiquées, sont celles qui n’osent même plus prononcer le mot de prostitution dans la lutte contre les fameuses « violences sexuelles et sexistes »**.

Mais qu’en est-il exactement ? C’est quoi, l’abolitionnisme ? Je vous propose de vous référer à mes articles précédents (tags prostitution, abolition), je ne vais pas tout répéter. L’abolitionnisme c’est seulement demander que les personnes prostituées aient les mêmes droits que toutes les femmes, et qu’elles soient libérées des violences sexuelles en mettant fin au droit des hommes de passer outre à leur volonté, désir, grâce à la contrainte de l’argent. C’est demander l’application pleine et entière de la loi de 2016, à qui l’on ne peut rien reprocher pour le moment sinon de ne pas être appliquée…

L’immense majorité des victimes de prostitution, car oui, ce sont des victimes, et ce n’est ni un titre de gloire ni un titre de honte, a subi toutes les violences imaginables pendant la prostitution (et bien avant la « loi de 2016 », qui a subitement révélé aux adversaires de la loi que la prostitution était violente. Je vous laisse lire les témoignages du compte « survivantes de la prostitution » sur Instagram ou ceux collectés depuis 50 ans par le Mouvement du Nid dans Prostitution et Société.

Les prostitueurs, ces agresseurs qu’on préfère oublier

Violences avant, pendant, après la prostitution, de qui les ont-elles subies ? Des « abolos » ? Des féministes ? Non. De l’Etat, trop souvent, surtout dans les pays prohibitionnistes. En France, un Etat qui les a harcelées jusqu’à ce qu’une loi abolitionniste mette fin au délit de racolage en 2016, et a encore besoin de changer de paradigme. De la société, stigmatisante, qui protège si mal les personnes les plus vulnérables. Mais d’abord et surtout des proxénètes, parmi lesquels les conjoints proxénètes sont si nombreux (je vous engage d’ailleurs à soutenir Valérie Bacot qui a suzbi toutes les violences possibles dont la prostitution avant de tuer son bourreau), et par dessus tout, des prostitueurs (les « clients »).

Les prostitueurs, ce sont eux, les premiers assassins des personnes prostituées. Les études les concernant montrent qu’ils incarnent tous les pires stéréotypes sexistes contre lesquels tout le monde se bat aujourd’hui. Leur absence d’empathie, leur utilisation des femmes comme objets masturbatoires, leur mépris du « non » des femmes (puisqu’ils veulent payer pour s’en fiche), leur recherche de la vulnérabilité, le harcèlement qu’ils se pensent autorisés à exercer, la violence…tout ce qui fait le pire de la masculinité toxique apprise par le patriarcat aux hommes, s’incarne dans les prostitueurs. Mais il faudrait les protéger ?

Quelques exemples :

Aussi, incroyable que cela puisse paraître, voici les paroles d’un prostitueur allemand, cité par Melissa Farley, dans une étude dans cinq pays.

« Pour elles, la prostitution est une expérience tellement dramatique qu’elles changent beaucoup. Je crois que faire l’expérience du côté le plus vil des hommes s’inscrit profondément dans leur psyché. Cela les change à jamais, cela change leur capacité à avoir des relations sexuelles normales avec qui que ce soit. Cela les détruit. » Quelle lucidité !

Rachel Moran, survivante et activiste, autrice de « Paid For« , ouvrage de référence : « Ce que les gens ne comprennent pas, c’est le fait que l’acte lui-même est violent. Que même l’homme le plus gentil qui aie touché mon corps était violent. Et en fait, d’une certaine façon c’était pire parce qu’il était plus malhonnête que celui qui me frappait à la tête et qui au moins me disait ce qu’il pensait de moi ».

Anne Darbes, femme trans qui a connu la prostitution en tant que garçon adolescent en foyer puis, beaucoup plus tard, en tant que femme, disait ceci en 2018 dans Le Parisien, au moment de l’événement #Metoo et prostitution : les survivantes prennent la parole : « La prostitution est le meilleur moyen de mourir très vite, dit-elle. C’est une mort sociale, physique. C’est faire de son corps une marchandise pour des hommes en demande constante. » Elle insiste : « Il n’y aurait pas de prostitution sans cette demande pressante, oppressante. Ces clients, qu’achetaient-ils ? Mon vagin ? Mes cheveux ? Non. Ils achetaient ma détresse sociale. »

Ecoutez et soutenez les survivantes !

Alors oui, toutes les formes de violences sexuelles sont contenues dans la prostitution, les 2/3 des femmes souffrent de stress post-traumatique, les 2/3 ont été violées, le taux de suicide est 12 fois plus élevé que pour la population générale (Prostcost et Nordic Model Now, avant 2016). Et aujourd’hui, des groupes de féministes se réclamant de #metoo et de « toutes les femmes », refuseraient de parler de la prostitution comme violence*** , même parfois en publiant un livre sur les violences sexistes et sexuelles ? C’est surréaliste !

Et non contentes de cela, elles ne manifestent même pas leur solidarité avec les victimes, que ce soit les survivantes des tortures et des viols subis dans la prostitution dont des témoignages sont publiés dans la presse (affaire Pascal OP Mat Hadix), ou pour celles qui, devenues militantes dans le CAPP ou les Amazones, osent dire leur vécu sur la statue de la République le 7 mars ?

Y aurait-il des victimes qu’il ne faudrait pas soutenir ? Des agresseurs qu’il faut protéger ?

Il est temps de reprendre le féminisme à ses origines (oui, les féministes ont toujours été abolitionnistes, avant qu’avec le développement du porno, de la mondialisation libérale et d’internet, l’industrie du sexe se rêve puis devienne première organisation criminelle au monde). Nous devons dire la réalité, et continuer à relayer la parole des survivantes. Elle est foisonnante, mais elle apparaît à peine dans les médias. Comme l’a dit Autumn Burris, survivante états-unienne de la prostitution à l’Onu en 2018, quelques mois après le début du mouvement metoo, la prostitution, c’est #metoo sous stéroides !

Il est grand temps de soutenir massivement les victimes de prostitution et les survivantes qui prennent la parole ! (à lire, le discours de Daria Khovanka qu’elle n’a pu lire à République). Incluons donc enfin les victimes de prostitution dans #Metoo, et déjouons la stratégie de l’agresseur !

Le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours.
L’abolitionnisme n’a jamais tué personne, le système porno-prostitueur tue tous les jours.

Sandrine Goldschmidt

*(dont je fais partie puisque je suis chargée de com’ du Nid mais si vous connaissez ce blog je l’étais bien avant – tant pis pour le supposé « catholicisme lgbt phobe du Mouvement du Nid)

**exception notable, Osez le féminisme ! fondé par Caroline de Haas alors abolitionniste, est aujourd’hui la meilleure alliée des victimes de la prostitution. Citons encore les Femen ou les Amazone, et les associations qui accompagnent des victimes de violences (CFCV, FNSF, Femmes solidaires, AVFT,…)

***je me suis fait « engueuler » par une femme qui n’a jamais mis les pieds sur le terrain mais « a des amis » TDS, parce que cela serait horriblement violent de dénoncer la violence » ?

« Betty », ou toutes les femmes

Il paraît qu’il a fallu 16 ans -et le mouvement #metoo- pour que Tiffany Mac Daniel puisse enfin faire publier « Betty ». Un roman sublime, en avance sur son temps, un chant poétique et politique de tout ce qui aujourd’hui fait la une de l’actualité des « women and girls », filles et femmes.

Betty est la troisième fille de Landon, indien cherokee, homme nourri par sa culture matrilinéaire, respectueuse de l’individu et de la nature – ça va ensemble-, un poète de l’enchantement du quotidien, qui transmet à sa fille la capacité d’imaginer le monde. Ainsi, la nuit suivant la naissance de chacun de ses enfants, il compte les étoiles dans le ciel, c’est sa façon de faire mémoire. Elle est aussi la troisième fille d’Alka, mère enfant martyre et sauvée par son mariage avec Landon, choix conscient de sa part. Dans de terribles crises de stress post-traumatique, elle transmet à Betty son histoire (je n’en dis pas plus, même si vous vous en doutez).

Fraya et Flossie sont les soeurs aînées de Betty, chacune des trois s’aimant profondément, chacune avec ses failles intérieures et ses secrets. C’est à travers chacune que Betty, va découvrir un monde des hommes qui en les niant par le viol, les empêchent de prendre leur envol. C’est elles dont elle va consigner l’histoire dans des bocaux, qu’elle cache « au bout du monde », au fond du terrain sur lequel elles habitent à « Breathed », ville où il est si difficile de respirer…

Betty a aussi trois frères, Leland, le premier né, incarnation vivante du secret de famille, celui qui incarne la transmission du patriarcat, et Trustin et Lint, les plus jeunes, qui ont reçu de leur père l’âme poétique. L’un est peintre, l’autre, bègue, troublé mentalement par la présence de démons, se protège de petits cailloux qui émaillent le chemin du récit, comme des signes de sa vérité : la sagesse.

Betty, que son père appelle « Petite Indienne », a la peau très noire, dans les Etats-Unis très racistes. Pour cela, elle est maltraitée à l’école, par ses camarades, mais avec l’aval et la complicité de ses profs et de l’institution. Elle se pense laide ou « sale ». Mais grâce à son père, à qui elle ressemble, qui lui transmet son histoire cherokee et lui permet d’en être fière, grâce à son intelligence, elle parvient à s’en sortir. Grâce aussi à une expérience qu’elle fait, un jour, jeune adolescente, avec un garçon, après avoir reçu les confidences de ses soeurs. Le « non » d’une femme peut aussi, même si c’est l’exception, être respecté.

Ce roman, à travers le portrait de Betty, jeune fille métisse blanche/cherokee au milieu du XXe siècle (c’est l’histoire de la mère de l’autrice), est le portrait de toutes les femmes, à commencer par les petites filles qu’elles ont été, d’une mère, de plusieurs soeurs, et des hommes qui les ont ou ont failli les détruire. C’est une description vécue dans sa chair du racisme et de la violence patriarcale de la société blanche.

Briser le bocal pour en sortir

Le viol par inceste, le « droit sexuel » sur les femmes que l’éducation accorde aux hommes comme « compensation » de leurs souffrances (c’est Leland, le frère, qui se justifie ainsi), mais aussi le silence et le tabou qui finissent par désigner à ses propres yeux la victime comme coupable, silence qu’il faut absolument briser pour pouvoir vivre, font le chemin de l’apprentissage de la vie de Betty. Pour pouvoir suivre la route de sa propre vie, elle devra à la fois briser les bocaux du secret et arracher le masque du silence.

Tout est fin, subtil et beau, rien n’est manichéen dans le récit. Les victimes sont des êtres humains complexes, elles ne sont pas systématiquement brandies en étendard ou héroïsées pour avoir été victimes. La mère notamment, restée enfermée dans le secret (sauf pour Betty), n’est pas vue par la narratrice que comme une femme qui a subi, mais une femme dont tous les actes, y compris des actes de cruauté, sont marqués par ce qu’elle a vécu, et des tentatives pour survivre. Toujours sous le regard mi-tendre mi-lucide de Betty.

Même le père, Landon, pour lequel l’admiration de Betty est immense, « qui était fait pour être père », dit-elle au début du livre, qui dessine un monde poétique et merveilleux au milieu de l’enfer, n’est pas que le « héros » sans faille qui taillade le nez de la mère pour lui retirer son âme. Il est humain, et a ses limites. Lui ne comprendra rien de ce qui est vraiment arrivé à sa femme et ses filles, car il n’aura pas pu associer à son imagination immense la lucidité donnée par le vécu intérieur, celui de toutes les filles, et les femmes, de l’in-justice profonde.

Betty est une oeuvre immense. Il fallait donc #metoo pour qu’elle puisse exister, elle est sortie en France juste avant #Metooinceste… Dans Betty, se mêlent imagination et réalité, poésie pure et politique, littérature et vie, qui viennent trouver leur place dans notre vie intérieure…

S.G

Va-t-on légaliser l’inceste entre adultes (en mettant un seuil de consentement à 18 ans) ?

Eric Dupont-Moretti, « ministre de la justice, a annoncé dans un premier temps un seuil de non consentement à 15 ans, pour des relations sexuelles adultes-mineur·es, puis de 18 ans en cas d’inceste. C’est un premier pas, semble-t-il, salué par les associations féministes et de protection de l’enfance. Mais quand j’ai vu l’info, je me suis demandé : est-ce que cela ne vient pas renforcer la légalisation de l’inceste en France ? Et pourquoi cette différence avec les autres mineur·es. ? Et puis j’ai réalisé que l’inceste entre adultes…était déjà légal ! Ce qui m’a poussé à me poser de nombreuses questions sur les débats en cours… Et à faire un parallèle avec la prostitution, qui je pense, éclaire et nourrit la réfléxion (n’ai-je pas toujours écrit ici que c’étaient les deux verrous du patriarcat ?)

Depuis qu’on est enfant, on apprend que dans toutes les sociétés de tous les temps, partout, le seul interdit commun est celui de l’inceste. On apprend aussi aux enfants qu’on « n’épouse pas ses parents ».

Oeuvre de Niki de Saint-Phalle, elle même victime d’inceste paternel.

Et pourtant, aujourd’hui, l’inceste est et n’est pas interdit en France. Ce qui est interdit, en vertu de ce principe universel, c’est seulement le mariage consanguin/familial, et le viol incestueux de mineur·es quand le consentement n’est pas évoqué..

Voici la liste des cas d’interdiction du mariage consanguin :

  • frère et sœur, même en cas d’adoption (la loi sur le mariage homosexuel a précisé que le mariage entre frères ou entre sœurs est également interdit) ;
  • ascendant et descendant (le lien de parenté est direct entre enfant et parent), même en cas d’adoption ;
  • entre beaux-parents (parâtre, marâtre) et beau-fils ou belle-fille (ex. : une fille d’un premier mariage et le deuxième mari de sa mère). Cette interdiction peut être levée par le président de la République si la personne qui a créé l’alliance est décédée. Toutefois en pratique certains mariages ont pu être célébrés3 ;
  • oncle et nièce, ou neveu et tante (interdiction qui peut être levée par le président de la République).

Le droit français autorise cependant le mariage entre belle-sœur et beau-frère, entre cousins, entre oncle et nièce adoptive et entre tante et neveu adoptif4.

En revanche, les relations sexuelles entre adultes « hors mariage » ayant ces liens de parenté ne sont pas interdites.

«Le droit français, comme le droit espagnol ou le droit portugais, ne condamne pas les relations sexuelles librement consenties entre des personnes majeures appartenant à la même famille, écrivait la commission. Ce faisant, la France, l’Espagne et le Portugal se différencient d’autres pays occidentaux qui font au contraire de l’inceste une infraction spécifique, indépendamment de toute violence, au titre des infractions contre la famille et le mariage notamment. Par exemple, l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse punissent d’une peine d’emprisonnement toute personne qui a des relations sexuelles avec un descendant, un ascendant, son frère ou sa sœur, sauf si l’auteur de l’infraction a moins de dix-huit ou dix-neuf ans.»

Source Slate

#metooinceste

Avec la révélation de l’ampleur des viols par inceste sur mineur·es ces dernières années et en particulier ces dernières semaines, on entend dire que « l’inceste est interdit en théorie, mais pas dans les faits ». Je crois qu’on se trompe. Ce n’est pas l’inceste parent (homme très majoritairement) adulte mineur qui est interdit ou tabou. Il est très répandu car il est le vestige de la propriété qu’avait le pater familias sur ceux qui peuplaient son foyer.

« L’interdit symbolique de l’inceste », c’est celui des relations sexuelles entre adultes (ou « en âge de se marier remplacé aujourd’hui par « de consentir à des relations sexuelles ») de même famille.

Dans l’ensemble, cet interdit là -non légal- est plutôt bien respecté. L’ordre symbolique est suffisamment fort pour que la loi soit rarement nécessaire. Elle pourrait l’être pourtant, comme dans le cas de cette jeune femme majeure, incestuée mineure puis majeure par son père violent (D.Mannechez). Elle l’a soutenu, s’est dit consentante, a eu des enfants avec lui, avant d’être à nouveau sa victime conjugale et de finir par être assassinée par lui – un fémincide conjugal type…

Seuil d’âge pour les mineur·es

Qu’il faille instaurer un seuil d’âge de consentement me semble une évidence, je ne vais pas rediscuter de cela. Pour moi, c’est l’âge qui se discute. 15 ans me semble trop jeune pour des relations sexuelles avec un adulte (et je ne parle pas des relations entre mineur·es ou avec très faible écart d’âge (genre 17 ans et demi / 18 ans et demi, qui n’entrent pas dans ce champ selon moi). Je l’ai déjà dit ici il y a des années, dans tous les cas, un homme de 50 ans avec une fille de 18 ou 19 ans, je pense que cela pose problème (et je ne dis pas non plus qu’il faut l’interdire, je dis que ça pose problème). Mais qu’on puisse évoquer le consentement pour une mineure de 16 ans avec un adulte beaucoup plus âgé me paraît compliqué. A tout prendre, 18 ans, l’âge de la majorité en tout, pourquoi ne serait-ce pas l’âge de la majorité sexuelle ? Et on pourrait faire des adaptations pour exclure les relations sexuelles entre gens d’âges proche (cf Canada(1)).

En revanche, qu’il faille instaurer un seuil de consentement pour les mineur·es différent en cas d’inceste (une circonstance aggravante suffirait), cela pose la question de la légalisation de celui-ci pour les adultes. Revenons à l’interdit de l’inceste. Il n’est donc dans la loi, que celui du mariage.

Faudrait-il alors l’interdire spécifiquement dans la loi ? De nombreux pays le font. Qu’est-ce qui le motiverait ? Il y a la question de la consanguinité, mais aussi celle des conséquences psychologiques et psychogénéalogiques dévastatrices, ce qu’on apprend enfant, que cela créerait des « lignés de débiles -car cela reproduit les tares génétiques. Mais surtout, il y a la question de l’emprise que les relations familiales créent, de la nécessité d’évoluer d’être élevée dans un espace de sécurité, ou la limite entre soi et l’autre est identifiable et identifiée. Une petite fille, un petit garçon, une petite soeur, une nièce, sont particulièrement sous « l’autorité paternelle » qui, si elle n’est plus exclusive, reste très prégnante symboliquement. On « obéit » à son père (et peut être aussi, à sa mère dans certains cas que je n’exclus pas), on lui doit obéissance, et cela ne s’arrête pas à 18 ans. On ne devient pas d’un coup « l’égal symbolique de son parent » parce qu’on est adulte.

De la même manière, un petit garçon ou une petite fille face à un grand frère, ne « fait pas le poids », et cela ne s’arrête pas « par miracle » à la majorité. Pour toutes ces raisons, l’inceste entre adultes pose problème. De violence, de lignée. Et c’est là que le parallèle avec la prostitution devient intéressant. Dans la prostitution non plus, « cela ne s’arrête pas à 18 ans et un jour ». Ce que tout le monde admet comme anormal avant 18 ans (tout en ne faisant pas grand chose contre ceux qui paient pour avoir des relations sexuelles avec des mineur·es), certain·es prétendent que d’un coup, adulte, du jour au lendemain, ce ne serait plus un problème, qu’on pourrait consentir à se voir imposer un acte sexuel en échange de rémunération, alors qu’on est dans une situation de vulnérabilité.

Pas si simple d’interdire…

En revanche, faut-il interdire l’inceste dans la loi ? Ce n’est pas si simple. En effet, si on l’interdisait purement et simplement, cela voudrait dire que les deux parties prenantes seraient pénalisées (c’est le cas en Allemagne, cf plus haut, ou au Canada). La victime et l’agresseur de la même manière.

Poussons le paralèlle avec la prostitution. Dans le modèle abolitionniste, on ne pénalise que celui qui a le pouvoir, le « client prostitueur » (et le proxénète) celui qui peut, parce qu’il a quelque chose dont l’autre a besoin -de l’argent, de la nourriture, une chambre- lui imposer un acte sexuel. On ne pénalise pas – ou plutôt on ne pénalise plus la victime. Cela ne fait que 5 ans que, grâce à la loi de 2016, le délit de racolage est aboli en France.

Ne pourrait-on réfléchir, dans les cas d’inceste, à interdire l’acte perpétré par celui qui a le pouvoir d’emprise sur l’autre et ne pénaliser que lui ? Et protéger sa victime ?

Pour l’inceste, cela peut paraître plus compliqué. Il n’y a pas l’argent. L’est-ce ?

… mais est-ce impossible ? pas souhaitable ?

Pour les relations père-fille, c’est plutôt facile à régler, comme dans le cas Mannechez (cité plus haut). La structure patriarcale de la famille est là pour indiquer qui a le pouvoir sur qui. Dans le cas de l’inceste mère-fils, cela peut être plus compliqué. Notamment si le fils a été inscestué par le père dans un contexte de violences conjugales classiques, on sait que la violence peut se retourner contre la mère. (mais soit les cas sont rarissimes, soit ils sont tellement tabous qu’ils ne sont pas ou peu documentés ; je ne sais rien non plus d’incestes adultes père-fils, sauf dans des cas d’adoption notamment de jeunes hommes ou d’adolescents par des « clients » prostitueurs, ou mère-fille).

En cas d’inceste frère-soeur (frère-frère ? Soeur-soeur ?), cela paraît plus compliqué. Sauf qu’enfant, la différence d’âge compte énormément. Et donc à tout le moins, si l’inceste a commencé enfant(2), il y a certainement eu emprise de l’un sur l’autre. Des témoignages de #Metooinceste, nombreux sur Twitter, l’ont montré.

En suivant le fil de l’exemple de la prostitution, on pourrait donc imaginer interdire l’acte sexuel par autorité familiale sur une personne en situation de vulnérabilité pour tout le monde, et en aggraver les circonstances quand c’est sur mineur·e (de 18 et encore plus de 15 ans), parce que cela vient de quelqu’un qui est censé vous protéger. (sur la prostitution des adultes, la peine est largement symbolique – une amende, délit en cas de récidive- mais c’est un début). Aujourd’hui en France, la prostitution n’est pas interdite. En dépit de ce que dit la loi sur la prostitution des mineur·es, elle ne l’est pas (3)! Ce qui est interdit, c’est le fait de solliciter un acte sexuel en échange de rémunération ou promesse de rémunération. C’est donc celui qui profite de la vulnérabilté d’autrui qui est visé, sa victime doit être protégée (mais l’est encore très imparfaitement).

Envisager l’inceste de cette manière, pourrait être une solution ? Les violences sexuelles sont un continuum, dans les formes (de l’éducation sexiste, l’insulte, au harcèlement, violence conjugal, viol, viol conjugal, viol par inceste ou prostitution) issu de l’ordre patriarcal de notre société. Elles se placent aussi dans un continuum d’âge, de bébé à vieillard·e. Elles ne sont pas une question qui se résume à « des relations sexuelles entre adultes consentants », concept purement théorique et idéologique qui ne permet pas d’opérer la réalité, mais de perpétuer l’ordre social. La violence, sexuelle en particulier, c’est d’abord un droit que s’accordent des humains sur plus faibles qu’eux, parce qu’ils le peuvent, et qu’ils ont peu de risque d’être punis. En patriarcat, c’est le cas dans l’immense majorité d’hommes sur des femmes, parce que le patriarcat fait tout pour que les femmes soient « en position de faiblesse » (physiquement, économiquement, juridiquement, et en termes de différence d’âge).

18 ans, seuil miracle?

Si l’on veut combattre toutes les violences sexuelles, et en particulier les plus graves (viols par inceste, pédocriminels et prostitution/prostitution filmée où les actes de torture sont légion), il faut prendre d’abord en compte ce facteur là : la position de faiblesse; Ce qui fait que la peine doit être alourdie ce n’est pas l’âge de la victime « en soi » mais le fait que cet âge la place en situation de vulnérabilité extrême de dépendance. Dans l’inceste, ce qui aggrave encore, c’est qu’elle est sous la protection, la responsabilité de celui qui la viole et donc avec encore moins de recours et un a priori de confiance. C’est la vulnérabilité de la victime au pouvoir de l’agresseur, qui fait qu’elle n’est pas en mesure de « consentir » à un acte sexuel, quand bien même elle le désirerait ou penserait le désirer (c’est le cas de Camille ou d’Ariane dans l’excellente série d’Arte « En thérapie » – il ne s’agit pas là d’inceste, mais de pédocriminalité, mais c’est très proche, les deux hommes incriminés étant des « pères de substitution »).

La minorité ne crée pas le crime ou le délit, mais l’aggrave. A contrario, avoir 18 ans n’annule pas toute vulnérabilité et ne fait pas « de facto » de l’individu un être libre. La loi doit encore être en mesure de déterminer dans quels cas elle ne peut être libre de porter atteinte à son propre corps – ou à son propre psychisme. Comme Muriel Fabre-Magnan, maîtresse de conférence en droit, dans cette interview que j’avais faite dans la revue « Prostitution et Société » « Consentir à se mettre à disposition d’autrui, n’est pas la liberté » :

« On peut parler d’une liberté de disposer de son corps si on entend par là la faculté de porter atteinte à son propre corps, par exemple en cessant de manger, en buvant, ou encore en s’entaillant le corps voire en se coupant un doigt. On a même le pouvoir de mettre fin à ses jours. Toutes ces « libertés » sont cependant plutôt des pouvoirs de fait, car le droit n’interviendra pas vraiment pour les soutenir (quelqu’un qui empêcherait une personne de se suicider ne pourrait ainsi sans doute pas être condamné pour entrave à la liberté d’autrui). Dès qu’il s’agit en revanche d’un rapport à autrui, c’est un principe d’indisponibilité du corps humain qu’il faut appliquer. Le consentement à ce qu’autrui porte atteinte à notre corps est alors inopérant (en dehors de cas particuliers comme la médecine bien sûr). La prostitution entre dans ce cas, où l’on prétendrait appeler liberté le consentement des personnes à se mettre à la disposition d’autrui. »

On pourrait envisager que l’inceste entre également dans ce cas, car on ne peut appeler liberté le consentement d’adultes pris dans des rapports d’emprise familiale les poussant à se mettre à disposition d’un autrui qui les a élevé·es dans ce système pervers.

Sandrine Goldschmidt

(1)

Au Canada, quelques exceptions à la règle générale, fondées sur la « proximité d’âge ».

Premièrement, lorsqu’une personne est accusée d’une infraction prévue aux articles 151 ou 152, au paragraphe 173(2) ou à l’article 271 à l’égard d’un plaignant âgé de 12 ans ou plus, mais de moins de 14 ans, le fait que le plaignant a consenti aux actes à l’origine de l’accusation constitue un moyen de défense si l’accusé, à la fois :

  • est de moins de deux ans l’aîné du plaignant;
  • n’est ni une personne en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis du plaignant, ni une personne à l’égard de laquelle celui-ci est en situation de dépendance, ni une personne qui est dans une relation où elle exploite le plaignant.
  • Deuxièmement pour un·e plaignant·e de 16 ans ou plus qui se dit consentante, écart d’âge de 5 ans.

(2)(et on voit mal comment il pourrait en être autrement sauf l’inceste « par hasard » de deux personnes qui ne se connaissaient pas et qui pourrait être, peut être, « le » cas non pénalisable, donc forcément celui dont on a déjà entendu parler)

(3) la prostitution est très mal définie juridiquement à part depuis la loi d’avril 2016 par l’interdiction d’achat d’acte sexuel.

Justice pour Julie, justice pour les femmes

Si vous avez suivi l’affaire #JusticepourJulie, vous saurez à quel point l’affaire de cette jeune fille violée de 13 à 15 ans par près de 20 pompiers incarne le scandale du déni de justice patriarcale envers les femmes. Mercredi, la Cour de cassation doit décider si elle revient sur la décision de la cour d’appel de ne pas requalifier en viols ce qui a été pour l’instant seulement scandaleusement qualifié d’atteinte sexuelle.

Je vous renvoie vers les communiqués de presse notamment celui d’Osez le féminisme qui a également fait de nombreux visuels très didactiques sur Instagram ou encore vers Les Effronté·es, le Collectif droits des femmes, ou les Femen qui ont mené hier une action spectaculaire devant le ministère de la justice et ont toutes reçu une amende de 135 euros…

Dans toute la France à 14h30 avaient lieu des rassemblements en soutien à la demande de Justice pour Julie, voici quelques photos prises au rassemblement à la Fontaine Saint-Michel à Paris, ou Corinne Leriche, la mère de Julie qui se bat sans relâche pour sa fille, ainsi que son père, étaient présents.


Couvre-feu et merle moqueur

❗❗ Sécurité sanitaire ou contrôle social ? Pourquoi le couvre-feu est une mesure bien plus déprimante que le confinement, et pratique pour nous contrôler. A dire d’elles… de nos libertés…

Dessin de Sanaga

Ça fait 5 mois -presque- qu’on n’a pas le droit de sortir le soir, qu’on est privé·es de la liberté d’aller et venir avec le couvre-feu qui est un symbole d’occupation en temps de guerre… sans aucune perspective que ça s’arrête…

On a rigolé…

On a rigolé, beaucoup, de Castex qui n’annonce rien que la stratégie du verre d’eau vendredi dernier. MAIS Castex n’a pas rien dit. Il a dit : « on va augmenter la répression des violations du couvre-feu ». et « pas besoin de confinement », deux affirmations lourdes de sens.

Pas besoin de confinement, comme si c’était un soulagement pour nos libertés et qu’on devait s’estimer heureux·ses de ne pas avoir le droit de sortir après 18h. Cela sera désormais notre objectif principal : éviter le confinement, donc on ne risque pas de contester le couvre-feu…

On a été énervé·es

La répression du couvre-feu est désormais mise en avant…On a été énervé·es, beaucoup, quand ils ont verbalisé les gens qui rentraient, en voiture, de week-end, créant des bouchons monstres qui créaient des violations du couvre-feu.
Le résultat, incontestable est le suivant : on est sous régime de couvre-feu depuis le 15 octobre sauf pendant le confinement, et on n’a aucune perspective que ça s’arrête.

Une course contre la montre

D’abord, c’était 21h. Puis, mi-décembre, 20h. Maintenant, c’est vraiment la conditionnelle : 18h. Je sais pas vous, mais moi, je suis dans une course contre la montre perpétuelle, alors que je suis chez moi la plupart du temps. Car je refuse catégoriquement de ne plus faire au moins 5 km de marche par jour (et 6,7 en moyenne), de ne plus faire de piano, de ne plus voir personne – même si on n’en est pas loin

Hier à 17h30, j’ai couru dehors pour pouvoir reprendre l’air une demie-heure. A 18h05, après avoir vu des dizaines de gens agglutinés à l’arrêt de bus, suite à un malaise voyageur dans le RER parce que c’est l’heure, j’ai croisé un merle qui chantait sa liberté…moqueur.

Retour au Moyen-Âge ?
L’énergie que ça nous prend, de « respecter le couvre-feu », d’avoir pu faire ses courses à des heures acceptables, (pour obtenir les bons points du premier ministre), c’est sûr qu’on ne la met pas dans la contestation. On s’habitue petit à petit à concentrer tous nos efforts de la journée sur le fait d’arriver à tout faire avant le couvre-feu.


Enfin, on n’a aucune raison sanitaire aujourd’hui d’espérer ne plus être sous couvre-feu dans les prochaines semaines. On n’a aucune visibilité. Macron qui disait vouloir « nous donner un cap » en octobre se satisfait de nous dire, à travers les marionnettes, pas grand chose toutes les semaines, sinon qu’on nous contrôle…
Et comme on sait compter, et que 1,5 M de premières doses par mois, à moins d’une formidable accélération, ça ne fait pas 46 millions de Français·es vacciné·es à septembre mais dans deux ans, on a de quoi flipper…

Le couvre-feu permanent, c’était au temps du moyen-âge… avant la révolution ?


Sur ce, je vous laisse avec le merle moqueur…

Duhamel Kouchner : Merci à celles qui brisent l’omerta

Que c’est dur même après 15 ans de militantisme féministe de découvrir qu’un homme que vous admiriez pour ses cours de droit constitutionnel à Sciences-po, la même année, perpétrait des viols incestueux sur son beau-fils. Et qu’ensuite, la loi du silence allait perdurer plus de trente ans. Avec son lot de dévastation. (voir l’article du Monde ici)

Autre point personnel -mais futile- le 24 avril 2011 je mettais en photo de profil Marie-France Pisier, morte dans sa piscine ce jour là, suicide ou d’accident. Je ne savais rien du contexte : sa soeur, épouse de Duhamel, refusait de défendre ses enfants face aux violences, alors qu’elle souhaitait la dénoncer.

Aujourd’hui, la loi du silence semble se briser avec ma génération, d’enfants ou frères ou sœurs qui ne veulent plus se taire. Après Vanessa Springora, Après Ronan Farrow, Camille Kouchner, qui parle, dans un livre « la familia grande ». Enfin, heureusement, et pourvu que cela dure…

L’article du Monde dit tout, je ne vais donc pas épiloguer, mais juste souligner ici comment les agresseurs se soutiennent si bien entre eux. Comment signer une pétition pour défendre DSK dans le procès du Carlton, quand on sait ce qu’on vécu les victimes, ce qu’elles vivent encore ?

Je voudrais surtout ici réagir à un tweet mal intentionné qui reproche à Camille Kouchner d’être la compagne de Louis Dreyfus, président du directoire du Monde qui le premier sort l’affaire (mais 3 jours avant la parution du livre au Seuil donc s’il fallait lui reprocher qqch, ce serait de privilégier le média de son conjoint, et alors ?), avec L’Obs, dont il est aussi le patron. Alors non, ça ne me choque pas. Mais m’inspire deux réflexions.

La première, pas nouvelle, c’est qu’il faut ça pour qu’une femme puisse parler. Etre Adèle Haenel, actrice reconnue, ou Vanessa Springora, éditrice reconnue, ou enfin Camille Kouchner, avocate et proche d’un grand patron de presse. On imagine combien c’est difficile pour celles qui n’ont pas ces soutiens de le faire, et on les remercie de le faire aussi pour elles. Pensons aussi à toutes les autres pour qui être entendues (parce qu’elles parlent) est encore plus difficile

Deuxièmement, c’est une bonne nouvelle, qu’aujourd’hui des médias, des réseaux d’influence puissent servir la dénonciation des crimes et non plus la protection des criminel·les Et quand c’est Le Monde, on sait en plus qu’ils ne le font pas à la légère mais avec sérieux. Depuis quelques mois, avec les unes sur les féminicides, avec la une contre l’inceste, on voit que le plus réputé des quotidiens français a évolué.
Et si c’est parce qu’un homme puissant a su écouter la parole des victimes, qu’il ne s’agit évidemment pas de vengeance mais de justice et de vérité, alors je dirais juste, TANT MIEUX !

Et bien sûr, je vais m’empresser de lire le livre pour peut-être ensuite en parler…

Mères et filles à l’écran, femmes en résistance, culture essentielle, cinéma culte

Plus de 5 mois de fermeture des cinémas en 2020. Et j’y suis allée quand même 69 fois dans l’année. Alors, vous pensez que c’est essentiel pour moi ? La réponse est oui. Et bien sûr, pour celles et ceux qui font le cinéma. Voici une dizaine de films que j’ai beaucoup aimés en 2020. Et un trait commun : enfin, on montre, on parle des relations mères-filles à l’écran, de l’envie, ou pas, d’enfant. Du point de vue des filles, et des mères.

Cinéma culte, culture essentielle

D’abord, un petit détour par le cinéma classique et classiquement misogyne 😉 avec un mot sur la rétrospective Hitchcock à la cinémathèque. Pour moi, Hitchcock, c’est le cinéma culte. Misogyne, agresseur, peut être, au moins, je ne finance pas sa fortune puisqu’il est mort. C’est aussi la preuve par l’expérience que rien ne remplace d’aller dans un cinéma. J’ai revu tant de films que j’avais en DVD. Et le grand écran, ça change tout. Le talent de mise en scène n’apparaît que là. Aussi, j’ai vu Marnie (« pas de printemps pour Marnie » en français). Un chef d’oeuvre misogyne, mais un chef d’oeuvre dont je me rends compte qu’il m’a aussi rendue un peu plus féministe. Oui, il y a viol conjugal. Oui, il y a interprétation psychanalytique à la con de ce viol qui mettrait fin à la frigidité de Marnie. Mais il y a aussi et surtout, le mécanisme de la mémoire traumatique qui est admirablement montré, la violence sur les enfants, la violence prostitutionnelle des « clients », l’héroïsme de la mère de Marnie. Et ça, ce n’est pas parce que la critique n’en a jamais parlé, que cela n’existe pas dans le film. Et c’est cela que j’avais retenu en fait, une immense empathie pour Marnie et pour sa mère. Et l’évolution de leur relation, si longtemps brisée par la violence des hommes…

Mères et filles, maternité ou non maternité

Passons donc aux films qui m’ont le plus marquée en 2020. On dirait qu’une thématique y revient régulièrement.

Honeyland, de Tamara Kotevska et Ljubomir Stefanov avec Hatidze Muratova, Nazife Muratova.

Un documentaire d’une beauté fascinante qui se déroule en Serbie, et suit Haidtze, productrice de miel « à l’ancienne », écologique, délicieux, qui vit seule avec sa mère dans un village pas très loin de Belgrade. Leur relation, tendre et dure, traverse le film, un îlot d’humanité et de nature préservées face à un monde qui a perdu le sens. Le sens du temps, le sens de l’espace, le sens de l’amour.

Maternal, de Maura Delpero

Voici un nouveau film où on ne voit pas d’hommes. Le film se passe dans un couvent, en Argentine, à Buenos Aires. Un couvent où de jeunes adolescentes devenues mères, essaient de vivre malgré le passé (rupture familiale, viol incestuel), malgré l’enfermement -dans le couvent dont elles doivent demander l’autorisation pour s’échapper, dans la maternité qui empêche de vivre sa jeunesse. Un regard d’une grande tendresse, sans jugement, sur ces jeunes filles, sur l’envie de maternité ou non. Celle qui a le plus la fibre maternelle, est finalement la jeune apprentie bonne soeur italienne, qui n’est pas censée pouvoir devenir mère… Mais aussi sur les relations entre ces jeunes femmes, qui se débattent avec les interdits qui les entourent, et empêchent tant d’entre elles de s’accomplir…

Never Rarely Sometimes Always, de Eliza Hittman

Ce film est un voyage de quelques jours, de la Pennsylvanie à New York, celui de deux cousines adolescentes, l’une accompagnant l’autre pour qu’elle puisse avorter. L’atout du film est de ne pas être démonstratif et pourtant exceptionnel dans son féminisme. Un film états-unien, qui montre un avortement qui va à son terme, sans jugement, voilà qui est peu commun. Une scène est poignante, celle de l’interrogatoire par une femme du centre new-yorkais où l’héroïne va subir une IVG, qui permet de comprendre, sans que rien ne soit dit, qu’elle a été victime de son « copain » qui l’a mise enceinte…le viol n’est pas dit, mais évoqué par ces larmes qui coulent. Solidarité-sororité entre les deux cousines, démonstration de ce qu’est le choix et la liberté, et de l’obstacle des violences masculines sur le parcours, dans un récit tout en finesse. Un de mes musts.

Rocks, de Sarah Gavron

Plutôt que de parler de Mignonnes (j’ai écrit un article ici -> Mignonnes), je vais parler ici de Rocks. Un film encore une fois qui se déroule en un souffle, un souffle pendant lequel l’héroïne, Rocks, dont la mère est partie en lui laissant à peine d’argent, tente d’échapper avec son petit frère au destin des mineur·es isolés. L’absence de jugement sur l’abandon de la mère, et la solidarité des amies de Rocks, une fois que celle-ci n’est plus enfermée dans le secret, font le souffle de ce film, qui nous aide à respirer.

Adam, de Maryam Touzani

Pour illustrer le film, je choisis cette affiche en arabe, plutôt que la française qui montre la mère et l’enfant. Car si le film est titré sur l’enfant, ce qui fait ce film, c’est la relation entre Samia, la jeune femme enceinte rejetée, et Abla, veuve et mère d’une fillette de 8 ans. Une fillette qui va permettre aux deux femmes de connecter, et de dépasser la méfiance et la honte, le rejet et l’enfermement imposé aux femmes. Très émouvant et très beau film.

Little Women, de Greta Gerwig

Je le mets à cet endroit car la « couleur » du film m’évoque le précédent. On en a beaucoup parlé, le film de Greta Gerwig est une version féministe du roman, imaginant que l’autrice, Louise May Alcott, aurait probablement souhaité une fin moins conventionnelle, éloignée de l’obligation du happy end hétéro… dans tous les cas, quoi qu’un peu longue, cette adaptation de Little Women (je refuse catégoriquement de dire le titre en français et pour cause) est belle, et Saoirse Ronan fait une superbe Joe. Les relations de sororité (au sens le plus littéral) y sont également très belles.

Kajillionaire, de Miranda July

Celui là est un de mes préférés de l’année, une vraie belle surprise, un film un peu déjanté (normal avec la réalisatrice), un peu froid au début, qui évoque les relations parents-enfants (comment ont-ils pu appeler leur fille Old Dolio ?), les parents ont élevé leur fille en remplaçant l’amour par l’argent. Dotée d’un corps élastique doué pour les escroqueries mais incapable de contact, elle évolue pendant le film, aidée par l’apparition de Melanie, qui vient mettre un grain de sable dans la routine du trio (Selena Gomez). Et la très belle surprise de la fin. Sans la dévoiler, je dirais que le désir surgit quand l’autre survient 😉 Evan Rachel Woods est par ailleurs formidable en Old Dolio.

La femme qui s’est enfuie, de Hong Sang Soo

Ce film, un peu lent, sans beaucoup d’action, m’a finalement beaucoup marquée et plu. En Corée, un film sans violence, c’est bien. Un film avec presque que des femmes, c’est mieux. Je copie colle ici ce que j’avais mis sur facebook quand je l’ai vu.

La personnage principale, qui est éloignée pour la première fois de son mari depuis 5 ans (car lui pense qu’ils doivent se voir tous les jours) sort pour la première fois de l’emprise et rend visite successivement à trois amies dans ce qui est pour elle une échappée du quotidien. Selon moi, il est évident que la première, divorcée, qui vit avec une « colocataire » cheveux courts, jean et chaussures de marche, toutes deux en grande proximité, est lesbienne. D’ailleurs, elle garde cachée son dernier étage probablement pour que l’évidence n’apparaisse pas. Et que ce soient la deuxième, célibataire plus âgée qui a des aventures, ou la dernière, qui lui a « piqué » son copain devenu mari et lui demande pardon, toutes ces femmes, à la fin du film, sont plus proches les unes des autres, moins isolées par les hommes, et développent une formidable tendresse. Elles se tiennent la main, se touchent, se regardent. Et celle qui leur a rendu visite finit plus vivante et apaisée de ces quelques jours de sororité. Et je concluais : si le film avait été fait par une femme, ou par une lesbienne, on entendrait sûrement que c’est horrible cette façon d’écarter les hommes ( les 3 hommes qu’on aperçoit dans le film sont des nuisances )… 😉 mais là, c’est un mec qui a fait le film, alors…

L’adieu, de Lulu Wang

Film d’une réalisatrice chinoise, l’adieu évoque ici la grand-mère et non la mère, et la crainte de sa mort prochaine. La culture chinoise ne veut pas qu’elle sache qu’elle va mourir, mais la petite fille qui vit aux Etats-Unis n’est pas de cet avis. Un film beau et émouvant, et qui montre une relation grand-mère petite fille complexe et tendre, ce qui n’est pas si fréquent…

J’aurais aussi pu vous parler de Beloved, mais je l’ai déjà fait ici, des Enfants du temps ou Violet Evergarden (l’animation japonaise est merveilleuse), ou encore d’Histoire d’un regard de Mariana Otero, mais c’était plus hors sujet. N’hésitez pas à commenter et partagez vos moments de cinéma en commentaire ?

Femmes en résistance

Et pour finir, un mot pour dire mon sentiment de reconnaissance, que notre festival féministe de documentaires, Femmes en résistance, ait pu avoir lieu en septembre !

Que vivent la culture et le cinéma en salles en 2021 !

Sandrine Goldschmidt