Le Pape pour la fessée, contre les enfants et la bienveillance

Les religions n’ont pas fini de nous désespérer. Enfin quand je dis les religions, je parle des systèmes politiques commandés par des hommes qui utilisent des textes -parfois, souvent- beaux et enrichissants, pour les détourner à leurs fins politiques obscurantistes. Ainsi, l’esprit d’Averroès que montrait si bien Youssef Chahine dans Le Destin est détourné dans le lycée même qui porte son nom (et où on ne trouve rien sur lui en bibliothèque mais tous les textes des frères Ramadan) comme vous pourrez le lire dans cet article. Mais ce dont je veux vraiment parler ce matin, c’est de la dernière intervention du Pape, à propos de la « fessée » et du rôle des pères, qui pour moi ne constitue pas seulement une déclaration irresponsable mais presqu’un appel à la violence.

«Un bon père sait attendre et pardonner mais aussi corriger avec fermeté. Il n’est ni faible, ni laxiste, ni sentimental», avait déclaré le pape lors de son audience générale mercredi au Vatican, consacrée au rôle du père dans la famille.

Déjà, cette première phrase était une grosse aberration. Déjà, en quoi le « père » aurait-il un rôle tellement spécifique que ce serait à lui de « corriger ». Ni faible, ni laxiste, ni sentimental… ne pas être sentimental, c’est priver l’enfant d’un lien d’amour…que la religion est censée enseigner. Pas laxiste, pas faible ? Cela signifie que l’enfant serait un peu comme un ennemi face auquel il faudrait montrer sa force ? Je sais bien que c’est une opinion très répandue, et très peu interrogée, sauf par les tenants de « l’éducation bienveillante », et je me demande vraiment comment un jour on a pu imaginer légitime autre chose que de l’éducation bienveillante. Pas étonnant qu’après on soit obligée de faire des lois et des politiques publiques, et de mobiliser des associations pour essayer de faire revenir la bienveillance au coeur des relations humaines. Donc, l’enfant a l’air d’être considéré comme une menace, contre laquelle il faut avoir toute la rigueur possible.

Quelle menace peut bien émaner d’un être en devenir, dont la caractéristique à la naissance est d’être totalement à la merci de ceux et celles qui sont chargés de les élever ? Le petit d’humain qui naît, n’a pas les moyens de survivre seul. Il est extrêmement prématuré même après 9 mois de grossesse (certaines théories expliquent que la bipédie et le conséquent rétrécissement du bassin ont écourté un temps de gestation qui aurait dû être plus long), et ce dont cette petite personne a besoin, c’est :

d’être protégée des dangers, d’être prise en soin et stimulée, et d’être aimée. En outre, au fil de son développement, elle a besoin de repères, et d’être considérée comme une personne qu’on accompagne vers son autonomie, pour qu’elle soit capable de se développer en ayant conscience de l’altérité. Autant de points qui sont extrêmement important pour pouvoir construire sa relation aux autres et au monde.
L’enfant besoin de repères, mais pas de répression. Il est parfaitement possible de donner des repères aux enfants sans sanctions, sans violence, sans dévalorisation permanente, sans négation. Aujourd’hui, on travaille de plus en plus sur la place de la bienveillance et la façon d’accompagner les personnes dans leur perte d’autonomie : l’idée générale, qui reste difficile à appliquer vu les fondements décrits ici, c’est de toujours continuer à considérer l’autre comme une personne, qui doit pouvoir prendre ses propres décisions pour elle-même autant que possible, dont l’avis et l’intégrité physique doivent être repectées. C’est la bientraitance par la bienveillance. Cela doit être exactement pareil pour les enfants !

Dans ce cadre, si la petite personne qu’on accompagne vers l’autonomie reçoit répression, indifférence et négation de son droit à penser et s’exprimer (en fonction de ce qu’il est possible de faire à son âge et de son stade de développement), la société est condamnée à se construire à l’encontre exact des principes de base que la religion du Pape ou les droits humains posent : respect et amour, accompagnement bienveillant.

détail de la création du monde, vitrail, Marc Chagall, musée de Nice.
détail de la création du monde, vitrail, Marc Chagall, musée de Nice.

Pire, le Pape a ajouté :  «Une fois dans une réunion, j’ai entendu un père déclarer: ‘’je dois parfois frapper un peu mes enfants. Mais jamais sur le visage pour ne pas les humilier ». Cela, c’est beau, il a le sens de la dignité. Il doit punir, et le fait de manière juste.»

Donc, le chef d’une institution religieuse qui a de l’influence sur plus d’un milliard de personnes dans le monde affirme, alors que le principal message du nouveau testament est « aime ton prochain comme toi-même », que c’est beau et digne de frapper un enfant, à condition que ce ne soit pas sur le visage, parce qu’il faut punir. Je n’ai jamais vraiment compris la notion de punition. Encore une fois, ne pas accepter certaines choses, mettre des limites, donner des repères, tout cela peut se faire sans « punir ».

Et frapper un enfant que ce soit sur le visage ou ailleurs, c’est nier son intégrité physique, lui apprendre qu’il ne s’appartient pas. Hurler sur un enfant ou le dévaloriser en se moquant de lui ou en lui disant en substance qu’il est nul, c’est lui aliéner son estime de soi, lui nier sa place d’être humain en devenir.

Dire à un milliard de fidèles et à des hommes et des femmes qui traitent déjà l’éducation avec « facilité » en reproduisant ce qu’ils ont vécu qui évite de se remettre en question et de faire ce qui est beaucoup plus difficile à faire : emprunter le chemin de l’accompagnement de l’autonomie dans l’éducation bienveillante, c’est non seulement perpétuer le monde tel qu’il est, mais c’est aussi un encouragement à la violence et à perpétuer la vision de l’enfant comme un être hostile à « dresser, domestiquer »  insupportable.

Pour terminer, une petite chanson, ou plutôt une grande chanson d’Anne Sylvestre (les paroles seulement, je ne l’ai pas trouvée en vidéo) « Laissez les enfants »

Laissez les enfants pleurer
Ne tarissez pas leurs larmes
Elles lavent elles désarment
Ce qui les fait chavirer
Laissez les enfants verser
Ces ruisseaux qui les apaisent
Et s’en vont noyer les braises
De leurs chagrins insensés


Laissez
Laissez-les
Empêchez que l’on réprime
Cette rosée légitime
Ils ont des fleurs à arroser
Laissez
Laissez les enfants pleurer
Avant qu’on les abîme


Laissez les enfants rêver
Ne les cassez pas d’avance
Donnez-leur au moins la chance
D’apprendre un jour à voler
Laissez les enfants choisir
Des chemins qui vous dépassent
N’effacez jamais leurs traces
Vous les verrez revenir

Laissez

Laissez-les

Ne souffrez pas qu’on dédaigne

La lumière qui les baigne
Ils ont des richesses à donner
Laissez
Laissez les enfants rêver
Avant qu’on les éteigne


Laissez les enfants grandir
Ne renforcez pas les cages
Ne craignez pas les orages
Ni les torrents à franchir
Laissez les enfants gagner
Le droit d’étendre leurs ailes
Dans la lumière nouvelle
D’une vie à inventer


Laissez
Laissez-les
Ils vont s’envoler ensemble
Un même ciel les rassemble
Ils ont des sommets à gravir
Laissez
Laissez les enfants grandir
Avant qu’ils nous ressemblent


Laissez laissez-les
Laissez laissez-les

S.G

16 réflexions sur “Le Pape pour la fessée, contre les enfants et la bienveillance

  1. Quelles belles pensées pour démarrer le week end. Il y a là matiere à s’interroger sur nous mêmes et nos enfants, leur place auprès de nous et nôtre place auprès d’eux. Merci pour ce bel article, bon et bien écrit.

  2. La religion catholique, déjà ennemi des femmes, serait donc aussi l’ennemi des enfants… Les pères à nouveau réduits à un rôle de pure autorité punitive ! Quelle régression !
    Ce pape souriant n’est donc pas meilleur que ses prédécesseurs et il n’y a rien à attendre de lui… Pire, il faudra désormais le combattre

  3. merci pour ce blog. Quel enfoiré ce pape! (et les autres avant lui. Mais qu’espérer d’un Pape ?Un bon pape, ce serait un miracle. Et s’il y avait des miracles, ce serait que Dieu existe, et on serait au point de départ.

  4. Faut-il être tant éloigné de l’enfant que l’on a été pour vouloir faire de l’enfance une guerre des adultes ?
    Faut-il avoir la tête à l’envers pour nous parler d’obligation de pardon, de punition et de correction ferme là où il s’agit d’amour, respect et indulgence envers l’apprenant enfant ?
    Ce Pape ne sait ce pas ce que c’est qu’être un père, et encore moins être un papa. Et il ne peut même pas l’imaginer… c’est affligeant. Et tous ses fidèles qui, bouche ouverte, coupent et vont couper les ailes de leurs enfants et cela bien avant leurs 2 ans… c’est une atteinte à l’humanité.
    Elever des enfants ce n’est pas les aplatir ou les dresser, comment pourraient-ils ainsi s’épanouir?
    Je ne comprendrais jamais ce monde.

  5. « Enfin quand je dis les religions, je parle des systèmes politiques commandés par des hommes qui utilisent des textes — parfois, souvent — beaux et enrichissants, pour les détourner à leurs fins politiques obscurantistes », dites vous.
    Permettez-moi de citer John Stoltenberg (je prépare un article sur lui) : « Tous les systèmes de croyance religieuse institués par les hommes – y compris le judaïsme, qui déifie le père, et le christianisme, qui déifie le fils – ont pour fonction de déshumaniser la mère. » (Refuser d’être un homme, Syllepse 2013, p117)
    Ces beaux textes sacrés que vous évoquez sont des textes d’hommes. Qui enseignent des délires pour des siècles. Et le fils-dieu du pape a enseigné le Dieu-fesseur (et c’est la faute à Eve) qui a un fils-sacrifié, donc ‘sauvé’. Quel père humain pourra en faire autant avec son fils ? Pères, encore un effort ! (:-((
    Et cela est toujours prêt à se répandre aujourd’hui, depuis Rome.
    Dans votre commentaire, vous prenez la défense de l’enfant et du lien maternel.
    Par le sévice et la réprimande, le père fait sentir d’abord le pouvoir viril au fils et à la fille. Et le fils doit comprendre qu’il devra lutter, être en compétition, accumuler le plus de pouvoir, être non-sentimental, ‘sans pitié’.
    Démonter le discours du pape, oui, mais surtout démonter le viril ou le masculin !

  6. Ca me semble sous-jacent au propos en effet que c’est la domination masculine qui est derrière. Je n’ai pas enfoncé le clou car c’est juste un billet sur un blog qui n’a pas d’ambiguité à cet égard…,
    Ce qui n’empêche pas qu’il y a des aspects dans ces textes qui pour moi ne sont pas sacrés puisqu’écrits par des hommes en effet, qui sont intéressants, comme il y en a dans d’autres théories politiques/visions du monde, elles aussi écrites par des hommes et qui ont aussi été mal utilisées.

    Pour rappel, ici le propos est de dénoncer la portée de ce que dit le leader des croyants. Je me garderais bien d’avoir un avis définitif, globalisant et d’une seule lecture sur les textes religieux, qui comme jusqu’à aujourd’hui tous les textes fondamentaux au sens d’écrivant la loi, sont pensés et écrits par les hommes, mais ont aussi déterminé des choses pas toujours négatives dans notre histoire.
    Un jour, je raconterai comment ma prof de français très pénible d’hypokhagne, catho croyante m’a ouvert l’esprit…
    A part ça, au risque d’être un peu abrupte, je suis ravie d’apprendre que vous écrivez sur Stoltenberg, et s’il s’agit de déconstruire le masculine, il reste à déconstruire le mansplaining…
    si on devait analyser les 10% de commentaires d’hommes (je dis au pif) -vous inclus- sur ce blog on se rendrait compte que là encore, ce sont les hommes qui essaient d’expliquer aux femmes ce qu’elles « ne savent pas ».

  7. A reblogué ceci sur Je me disperseet a ajouté:
    Le Pape de dit favorable à la fessée… Rappelons néanmoins que le Saint-Siège est signataire de la Convention aux Droits de l’enfant et que le Comité des Droits de l’enfant des Nations unies préconisant l’interdiction de tout châtiment corporel à l’encontre des enfants… Entre l’autoritarisme traditionnel et la bienveillance éducative, il semble que la religion catholique cherche sa voie.

  8. Je vous invite à revoir en entier le texte du pape… en effet, je ne suis pas en accord avec l’anecdote qu’il a citée… mais il ne réduit pas le père à ça… c’est un peu facile de prélever une phrase hors contexte, et en profiter pour détruire une religion, un homme…

    1. je n’ai pas dit que le Pape résumait le « rôle du père » à ça. En revanche, dire que je suis en train de « détruire » ce pauvre homme et la religion, cela relève du retournement. il me semble que le simple fait que je critique ou relève les dangers de ses propos, ne lui fait pas courir grand risque. Essayer plutôt de voir comment mon propos relève ce que ses propos, entendus comme une validation de « correction juste » à des parents qui n’attendent que ça pour valider leur comportement peut avoir comme conséquence pour les enfants. Et on pourra reparler d’où se trouve la destruction…

  9. Voici un lien vers cette source, les enfants et leurs rêves : http://www.deezer.com/album/41544
    Bon dimanche

    Ô Maître, le Temps !

    Amis, il est dans notre cœur un royaume ;
    Et femme est reine, comme roi est homme.
    Et grandit ainsi l’enfant que nous sommes,
    Des rêves, la foi, et du temps, l’aumône…

    APHIZ

  10. Ce que l’on ne peut reprocher à ce pape c’est son franc parler, déjà devant la curie romaine qu’il a enguirlandé de belle manière lors des vœux du 22 décembre! Il est également vent debout contre la pédophilie dans l’église et refuse l’omerta sur le sujet ce qui est la moindre des choses mais que ses prédécesseurs n’ont pas osé ou voulu faire…Il essaye de nettoyer la banque vaticane de ses escrocs en robe cardinale
    Bref, il n’est pas plus macho qu’un homme normal….Et il n’est père d’aucun enfant, il raconte sans aucun doute la façon dont son propre père l’a traité.

  11. Pas plus macho qu’un homme normal, peut-être, mais beaucoup plus puissant. Sa parole est productrice de norme, et ne fait ici que renforcer celle qui tue notre société selon moi : l’éducation violente mène à toutes les violences

  12. Effectivement les propos du pape sont consternants mais guère étonnants, c’est un vieil homme conservateur qui a été élevé dans les années quarante, à cette époque frapper les enfants à coups de bâton ou de martinet n’était pas encore considéré comme de la maltraitance ! La situation évolue lentement et les résistances haut-placées sont nombreuses mais il existe quand même d’autres voix qui arrivent à se faire entendre.

  13. Qu’il n’y ait rien d’étonnant dans ses propos, oui -mais ça n’empêche pas d’en parler. Il existe d’autres voix, peut-être. Mais en France très peu, et la Suède se fait épingler pour son « laxisme », car c’est un des rares pays où les mentalités auraient vraiment évolué http://www.slate.fr/monde/83599/suede-generation-education-enfant-roi…La situation évolue lentement, mais plus les puissants la confortent, plus elle évoluera encore plus lentement. Je vois régulièrement une tendance à minimiser les propos du Pape, au prétexte qu’il dirait par ailleurs des choses bien, qu’il est un homme de son temps…sauf que c’est lui qui a le pouvoir de nommer, et est considéré par des centaines de millions de personnes comme un guide moral. C’est en outre une occasion sur ce blog de redire quelques arguments en faveur de l’éducation bienveillante, et c’est ça le propos principal, au-delà de la dénonciation du Pape. Car je suis convaincue que tant qu’on ne regardera pas en face le fait que l’éducation est ultra-majoritairement « à l’envers », rien n’avancera.
    Alors oui, j’ai aussi pris le Pape comme prétexte pour en parler… 🙂

Laisser un commentaire