2023 au cinéma : avec Les filles d’Olfa, sans Depardieu

L’année cinéma 2023 aura fini par la défense de Depardieu par un effet de backlash inespéré offert sur un plateau à l’ancien monde par Macron. Que le « monstre » sacré déchu ne fasse pas l’effet d’un arbre qui cache la forêt. En 2023, de magnifiques films ont proposé une autre vision du monde, pour donner une voix aux femmes et aux enfants.

Je parlerai ici surtout des femmes, mais il y a aussi cette année quelques très beaux films dans ma sélection réalisés par des hommes, qui donnent voie à d’autres images.

Petit bilan chiffré. J’ai encore vu 140 films cette année, il est donc difficile d’en choisir un nombre limité…voici une sélection toute personnelle. La votre m’intéresse !

Le premier ne figure pas dans les classements des « critiques » et je ne m’en remets pas de voir le film de Breillat et pas celui-ci. Dont je ne parle pas, parce que je ne l’ai pas vu…

Les filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania
De loin le plus grand choc cinématographique : comment mêler mise en scène et documentaire, pour faire émerger une vision du monde qu’un regard classique aurait rendu impossible : on aurait tout de suite jugé la mère, et ses filles. Là, on vit avec elles leur histoire, on tremble pour elles, on pleure, on se révolte, on pardonne ? Avec un suspense pour qui ne lit jamais les résumés avant, digne d’un bon thriller…

About Kim Sohee, de July Jung
Fiction encore d’une fois d’une grande intelligence, pour parler d’un sujet grave, le harcèlement des femmes au travail en Corée du Sud. La grande réussite de ce film dur, c’est de nous mettre dans les pas de Kim Sohee, puis de partir dans ceux d’une policière qui enquête, seule à trouver à redire au suicide de Kim ?

L’amour et les forêts, de Valérie Donzelli

Surprise : j’aime les films de Donzelli, mais le sujet de l’emprise de la violence conjugale, fallait-il que je me l’inflige ? J’ai souffert devant le film, car il est juste, et donc très dur. Mais le récit de la sortie de l’emprise qui permet de supporter ce qui s’est passé avant et l’interprétation de l’incroyable Virginie Efira, m’ont très longtemps marquée après le film, qui continue de m’accompagner.

Le chant des vivants, de Cécile Allegra

Pur documentaire sur le répit de migrantes et de migrants accueillis à Conques, qui se transforme en comédie musicale, qui permet à chacune, à chacun, de faire émerger son histoire, et de la transmettre. Provoquant bien sûr révolte contre toutes celles et ceux qui exploitent les personnes migrantes, comme celles et ceux qui refusent de les accueillir. Le récit d’un ado sur sa traversée de la Libye nous donne à la fois un aperçu du « mal » et de notre indifférence au sort de nos alter humains.

Le retour des hirondelles, de Li Ruijun

Pure beauté, récit de la vie de deux marginaux, vulnérables, rejetés par la société parce que malade -donc non vendable pour la femme, ou trop pauvre pour l’homme, qui sont mariés et qui partagent des moments de beauté et d’amour. Profondément beau et émouvant.

Anatomie d’une chute, de Justine Triet

La Palme d’Or a fait l’unanimité et c’est bien la première fois que je me sens d’accord avec elle… je n’avais pas aimé les précédents films de Justine Triet qui ne me semblaient pas féministe. Ici, l’alchimie entre la mise en scène et le propos m’ont embarquée. La subtile démonstration du sexisme de la justice et la façon dont il est contourné, créant un autre possible, sont très convaincants.

The Quiet Girl, de Colm Bairàd

On pourrait dire que c’est un petit film, comme la nouvelle de Claire Keegan dont il est inspiré est juste une nouvelle… mais là encore, c’est un moment de pure beauté et d’humanité, un regard à hauteur d’enfant sur la difficulté de faire face à la vie

Noémie dit oui de Geneviève Albert

Difficile pour moi de le mettre sur le même plan que les autres puisque je l’ai vu en 2022 et pour le travail. Mais c’est le meilleur film de fiction sur la prostitution que j’aie vu, au sens où c’est le plus juste, le plus authentique, à tel point qu’il est dur à voir. En particulier pour les personnes survivantes de la prostitution, car le film se place pour une fois du point de vue de Noémie, la victime, mineure, et nous donne donc à voir ce que les « clients » font ressentir aux enfants et femmes qu’ils achètent pour du sexe…

Dalva, d’Emmanuelle Nicot

Voila encore un film à hauteur d’enfant prise dans les filets de la violence incestueuse paternelle. Le point de vue de film, qui part du rejet de ses « sauveurs » par Dalva, encore trop sous l’emprise de son père qu’elle a cru être le seul qui l’aimait, puis du chemin vers un peu de lumière, est remarquable. Il nous permet de supporter le poids du sujet pour mieux en comprendre les mécanismes.

Petites, de Julie Lerat-Gersant et François Roy

Voilà un « petit » film qui vous a sûrement échappé cette année car il n’a pas fait grand bruit et que son affiche ne lui ressemblait pas trop. C’est ici une adolescente, enceinte, qui est éloignée de sa mère et doit faire un choix pour sa vie future. Vie des foyers, emprise trompeuse, répétition et conséquences de la grossesse précoce, le film traite joliment du sujet. Un film qui m’a beaucoup plus et que j’avais envie de signaler.

De grandes espérances, de Sylvain Desclous

Voila un « feel good movie », une sorte de thriller conjugo-politique, remarquablement construit, et porté au sommet par une interprète exceptionnelle, Rebecca Marder. Un de ces films qu’on va voir pour se détendre, et qui non seulement détend, mais reste un grand moment de cinéma de l’année…

Je verrai toujours vos visages, de Jeanne Herry

Voilà un film qui n’a pas fait l’unanimité du monde féministe, avec notamment la tribune du Juge Edouard Durand appelant à se méfier de la justice restauration appliquée aux violences pédocriminelles et incestuelles. Pour ma part, j’ai trouvé ce film passionnant, nécessaire, toujours sur la corde raide mais qui parvient à ne jamais excuser l’auteur (en l’occurence le frère). Et si je comprends la critique sur l’idée même de justice restaurative appliquée à l’inceste (et le film ne parle pas que de ça), il me semble néanmoins qu’il est fondamental de poser la question de la répression…et après ?

Voila, j’ai encore plein de films sur ma liste, Past Lives (pour sa poésie), Women Talking, How To Have Sex (magistrale réflexion sur les limites du « consentement »), Blackbird Blackberry (très intéressant film géorgien), La famille Asada (beau faux « feel good movie »), L’innocence, Alis, Little Girl Blue (écriture passionnante du film, qui dénonce là encore des « monstres sacrés »), Mon crime (avec encore la formidable Rebecca Marder), Barbie (un film drôle et bien fait, mais qui ne mérite pas un grand débat féministe), Un petit frère, The Fabelmans (un grand film classique), Le cours de la vie (Agnès Jaoui!), Les ombres persanes (très beau film iranien sur l’individu et son double), Reality (époustouflante histoire vraie d’un interrogatoire du FBI), Bernadette (meilleur film de détente 😉

Et vous, quels films vous ont marqué cette année ?

PS : à propos de Depardieu, voici ce que j’écrivais sur Facebook, qui montre aussi comment notre regard évolue avec le temps, à propos du Dernier métro, chef d’oeuvre de Truffaut. C’est de tout cela aujourd’hui que parlent les films ci-dessus, mais tout à fait autrement…

Et si on parlait de la première scène du « Dernier métro » ?

Ce film de Truffaut que j’ai adoré les premières fois que je l’ai vu, avec Deneuve et Depardieu.

Dans la première scène, qui dure bien 5’, on a une magistrale scène de harcèlement de rue de Depardieu sur Andrea Ferreol qui repousse avec fermeté ses avances et poursuites répétées et menacantes.

Il finit par plus ou moins par la laisser…avant de la retrouver travaillant au théâtre où il se rend…

Cette scène en revoyant le film il y a un an ou deux m’a fait froid dans le dos. Je n’en avais aucun souvenir et le « héros résistant » séducteur du film n’en était pas entaché (même si je n’aimais pas le personnage sans savoir pourquoi à l’époque)

Pis, on apprend ensuite dans le film que la personnage d’Andrea Ferreol est lesbienne.

La celui de Depardieu réagit : « ah! C’est pour cela que vous m’avez résisté ».

Insupportable.

Comme si les femmes avaient envie d’être harcelées.

Comme si celles qui ne résistent pas le font parce qu’elles sont séduites par l’homme et non parce qu’elles sont sidérées par la violence.

Aujourd’hui j’y repense après avoir entendu justement que l’attitude de Depardieu ressemblait en pire à celle de son personnage sur le tournage…

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