2023 au cinéma : avec Les filles d’Olfa, sans Depardieu

L’année cinéma 2023 aura fini par la défense de Depardieu par un effet de backlash inespéré offert sur un plateau à l’ancien monde par Macron. Que le « monstre » sacré déchu ne fasse pas l’effet d’un arbre qui cache la forêt. En 2023, de magnifiques films ont proposé une autre vision du monde, pour donner une voix aux femmes et aux enfants.

Je parlerai ici surtout des femmes, mais il y a aussi cette année quelques très beaux films dans ma sélection réalisés par des hommes, qui donnent voie à d’autres images.

Petit bilan chiffré. J’ai encore vu 140 films cette année, il est donc difficile d’en choisir un nombre limité…voici une sélection toute personnelle. La votre m’intéresse !

Le premier ne figure pas dans les classements des « critiques » et je ne m’en remets pas de voir le film de Breillat et pas celui-ci. Dont je ne parle pas, parce que je ne l’ai pas vu…

Les filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania
De loin le plus grand choc cinématographique : comment mêler mise en scène et documentaire, pour faire émerger une vision du monde qu’un regard classique aurait rendu impossible : on aurait tout de suite jugé la mère, et ses filles. Là, on vit avec elles leur histoire, on tremble pour elles, on pleure, on se révolte, on pardonne ? Avec un suspense pour qui ne lit jamais les résumés avant, digne d’un bon thriller…

About Kim Sohee, de July Jung
Fiction encore d’une fois d’une grande intelligence, pour parler d’un sujet grave, le harcèlement des femmes au travail en Corée du Sud. La grande réussite de ce film dur, c’est de nous mettre dans les pas de Kim Sohee, puis de partir dans ceux d’une policière qui enquête, seule à trouver à redire au suicide de Kim ?

L’amour et les forêts, de Valérie Donzelli

Surprise : j’aime les films de Donzelli, mais le sujet de l’emprise de la violence conjugale, fallait-il que je me l’inflige ? J’ai souffert devant le film, car il est juste, et donc très dur. Mais le récit de la sortie de l’emprise qui permet de supporter ce qui s’est passé avant et l’interprétation de l’incroyable Virginie Efira, m’ont très longtemps marquée après le film, qui continue de m’accompagner.

Le chant des vivants, de Cécile Allegra

Pur documentaire sur le répit de migrantes et de migrants accueillis à Conques, qui se transforme en comédie musicale, qui permet à chacune, à chacun, de faire émerger son histoire, et de la transmettre. Provoquant bien sûr révolte contre toutes celles et ceux qui exploitent les personnes migrantes, comme celles et ceux qui refusent de les accueillir. Le récit d’un ado sur sa traversée de la Libye nous donne à la fois un aperçu du « mal » et de notre indifférence au sort de nos alter humains.

Le retour des hirondelles, de Li Ruijun

Pure beauté, récit de la vie de deux marginaux, vulnérables, rejetés par la société parce que malade -donc non vendable pour la femme, ou trop pauvre pour l’homme, qui sont mariés et qui partagent des moments de beauté et d’amour. Profondément beau et émouvant.

Anatomie d’une chute, de Justine Triet

La Palme d’Or a fait l’unanimité et c’est bien la première fois que je me sens d’accord avec elle… je n’avais pas aimé les précédents films de Justine Triet qui ne me semblaient pas féministe. Ici, l’alchimie entre la mise en scène et le propos m’ont embarquée. La subtile démonstration du sexisme de la justice et la façon dont il est contourné, créant un autre possible, sont très convaincants.

The Quiet Girl, de Colm Bairàd

On pourrait dire que c’est un petit film, comme la nouvelle de Claire Keegan dont il est inspiré est juste une nouvelle… mais là encore, c’est un moment de pure beauté et d’humanité, un regard à hauteur d’enfant sur la difficulté de faire face à la vie

Noémie dit oui de Geneviève Albert

Difficile pour moi de le mettre sur le même plan que les autres puisque je l’ai vu en 2022 et pour le travail. Mais c’est le meilleur film de fiction sur la prostitution que j’aie vu, au sens où c’est le plus juste, le plus authentique, à tel point qu’il est dur à voir. En particulier pour les personnes survivantes de la prostitution, car le film se place pour une fois du point de vue de Noémie, la victime, mineure, et nous donne donc à voir ce que les « clients » font ressentir aux enfants et femmes qu’ils achètent pour du sexe…

Dalva, d’Emmanuelle Nicot

Voila encore un film à hauteur d’enfant prise dans les filets de la violence incestueuse paternelle. Le point de vue de film, qui part du rejet de ses « sauveurs » par Dalva, encore trop sous l’emprise de son père qu’elle a cru être le seul qui l’aimait, puis du chemin vers un peu de lumière, est remarquable. Il nous permet de supporter le poids du sujet pour mieux en comprendre les mécanismes.

Petites, de Julie Lerat-Gersant et François Roy

Voilà un « petit » film qui vous a sûrement échappé cette année car il n’a pas fait grand bruit et que son affiche ne lui ressemblait pas trop. C’est ici une adolescente, enceinte, qui est éloignée de sa mère et doit faire un choix pour sa vie future. Vie des foyers, emprise trompeuse, répétition et conséquences de la grossesse précoce, le film traite joliment du sujet. Un film qui m’a beaucoup plus et que j’avais envie de signaler.

De grandes espérances, de Sylvain Desclous

Voila un « feel good movie », une sorte de thriller conjugo-politique, remarquablement construit, et porté au sommet par une interprète exceptionnelle, Rebecca Marder. Un de ces films qu’on va voir pour se détendre, et qui non seulement détend, mais reste un grand moment de cinéma de l’année…

Je verrai toujours vos visages, de Jeanne Herry

Voilà un film qui n’a pas fait l’unanimité du monde féministe, avec notamment la tribune du Juge Edouard Durand appelant à se méfier de la justice restauration appliquée aux violences pédocriminelles et incestuelles. Pour ma part, j’ai trouvé ce film passionnant, nécessaire, toujours sur la corde raide mais qui parvient à ne jamais excuser l’auteur (en l’occurence le frère). Et si je comprends la critique sur l’idée même de justice restaurative appliquée à l’inceste (et le film ne parle pas que de ça), il me semble néanmoins qu’il est fondamental de poser la question de la répression…et après ?

Voila, j’ai encore plein de films sur ma liste, Past Lives (pour sa poésie), Women Talking, How To Have Sex (magistrale réflexion sur les limites du « consentement »), Blackbird Blackberry (très intéressant film géorgien), La famille Asada (beau faux « feel good movie »), L’innocence, Alis, Little Girl Blue (écriture passionnante du film, qui dénonce là encore des « monstres sacrés »), Mon crime (avec encore la formidable Rebecca Marder), Barbie (un film drôle et bien fait, mais qui ne mérite pas un grand débat féministe), Un petit frère, The Fabelmans (un grand film classique), Le cours de la vie (Agnès Jaoui!), Les ombres persanes (très beau film iranien sur l’individu et son double), Reality (époustouflante histoire vraie d’un interrogatoire du FBI), Bernadette (meilleur film de détente 😉

Et vous, quels films vous ont marqué cette année ?

PS : à propos de Depardieu, voici ce que j’écrivais sur Facebook, qui montre aussi comment notre regard évolue avec le temps, à propos du Dernier métro, chef d’oeuvre de Truffaut. C’est de tout cela aujourd’hui que parlent les films ci-dessus, mais tout à fait autrement…

Et si on parlait de la première scène du « Dernier métro » ?

Ce film de Truffaut que j’ai adoré les premières fois que je l’ai vu, avec Deneuve et Depardieu.

Dans la première scène, qui dure bien 5’, on a une magistrale scène de harcèlement de rue de Depardieu sur Andrea Ferreol qui repousse avec fermeté ses avances et poursuites répétées et menacantes.

Il finit par plus ou moins par la laisser…avant de la retrouver travaillant au théâtre où il se rend…

Cette scène en revoyant le film il y a un an ou deux m’a fait froid dans le dos. Je n’en avais aucun souvenir et le « héros résistant » séducteur du film n’en était pas entaché (même si je n’aimais pas le personnage sans savoir pourquoi à l’époque)

Pis, on apprend ensuite dans le film que la personnage d’Andrea Ferreol est lesbienne.

La celui de Depardieu réagit : « ah! C’est pour cela que vous m’avez résisté ».

Insupportable.

Comme si les femmes avaient envie d’être harcelées.

Comme si celles qui ne résistent pas le font parce qu’elles sont séduites par l’homme et non parce qu’elles sont sidérées par la violence.

Aujourd’hui j’y repense après avoir entendu justement que l’attitude de Depardieu ressemblait en pire à celle de son personnage sur le tournage…

Mères et filles à l’écran, femmes en résistance, culture essentielle, cinéma culte

Plus de 5 mois de fermeture des cinémas en 2020. Et j’y suis allée quand même 69 fois dans l’année. Alors, vous pensez que c’est essentiel pour moi ? La réponse est oui. Et bien sûr, pour celles et ceux qui font le cinéma. Voici une dizaine de films que j’ai beaucoup aimés en 2020. Et un trait commun : enfin, on montre, on parle des relations mères-filles à l’écran, de l’envie, ou pas, d’enfant. Du point de vue des filles, et des mères.

Cinéma culte, culture essentielle

D’abord, un petit détour par le cinéma classique et classiquement misogyne 😉 avec un mot sur la rétrospective Hitchcock à la cinémathèque. Pour moi, Hitchcock, c’est le cinéma culte. Misogyne, agresseur, peut être, au moins, je ne finance pas sa fortune puisqu’il est mort. C’est aussi la preuve par l’expérience que rien ne remplace d’aller dans un cinéma. J’ai revu tant de films que j’avais en DVD. Et le grand écran, ça change tout. Le talent de mise en scène n’apparaît que là. Aussi, j’ai vu Marnie (« pas de printemps pour Marnie » en français). Un chef d’oeuvre misogyne, mais un chef d’oeuvre dont je me rends compte qu’il m’a aussi rendue un peu plus féministe. Oui, il y a viol conjugal. Oui, il y a interprétation psychanalytique à la con de ce viol qui mettrait fin à la frigidité de Marnie. Mais il y a aussi et surtout, le mécanisme de la mémoire traumatique qui est admirablement montré, la violence sur les enfants, la violence prostitutionnelle des « clients », l’héroïsme de la mère de Marnie. Et ça, ce n’est pas parce que la critique n’en a jamais parlé, que cela n’existe pas dans le film. Et c’est cela que j’avais retenu en fait, une immense empathie pour Marnie et pour sa mère. Et l’évolution de leur relation, si longtemps brisée par la violence des hommes…

Mères et filles, maternité ou non maternité

Passons donc aux films qui m’ont le plus marquée en 2020. On dirait qu’une thématique y revient régulièrement.

Honeyland, de Tamara Kotevska et Ljubomir Stefanov avec Hatidze Muratova, Nazife Muratova.

Un documentaire d’une beauté fascinante qui se déroule en Serbie, et suit Haidtze, productrice de miel « à l’ancienne », écologique, délicieux, qui vit seule avec sa mère dans un village pas très loin de Belgrade. Leur relation, tendre et dure, traverse le film, un îlot d’humanité et de nature préservées face à un monde qui a perdu le sens. Le sens du temps, le sens de l’espace, le sens de l’amour.

Maternal, de Maura Delpero

Voici un nouveau film où on ne voit pas d’hommes. Le film se passe dans un couvent, en Argentine, à Buenos Aires. Un couvent où de jeunes adolescentes devenues mères, essaient de vivre malgré le passé (rupture familiale, viol incestuel), malgré l’enfermement -dans le couvent dont elles doivent demander l’autorisation pour s’échapper, dans la maternité qui empêche de vivre sa jeunesse. Un regard d’une grande tendresse, sans jugement, sur ces jeunes filles, sur l’envie de maternité ou non. Celle qui a le plus la fibre maternelle, est finalement la jeune apprentie bonne soeur italienne, qui n’est pas censée pouvoir devenir mère… Mais aussi sur les relations entre ces jeunes femmes, qui se débattent avec les interdits qui les entourent, et empêchent tant d’entre elles de s’accomplir…

Never Rarely Sometimes Always, de Eliza Hittman

Ce film est un voyage de quelques jours, de la Pennsylvanie à New York, celui de deux cousines adolescentes, l’une accompagnant l’autre pour qu’elle puisse avorter. L’atout du film est de ne pas être démonstratif et pourtant exceptionnel dans son féminisme. Un film états-unien, qui montre un avortement qui va à son terme, sans jugement, voilà qui est peu commun. Une scène est poignante, celle de l’interrogatoire par une femme du centre new-yorkais où l’héroïne va subir une IVG, qui permet de comprendre, sans que rien ne soit dit, qu’elle a été victime de son « copain » qui l’a mise enceinte…le viol n’est pas dit, mais évoqué par ces larmes qui coulent. Solidarité-sororité entre les deux cousines, démonstration de ce qu’est le choix et la liberté, et de l’obstacle des violences masculines sur le parcours, dans un récit tout en finesse. Un de mes musts.

Rocks, de Sarah Gavron

Plutôt que de parler de Mignonnes (j’ai écrit un article ici -> Mignonnes), je vais parler ici de Rocks. Un film encore une fois qui se déroule en un souffle, un souffle pendant lequel l’héroïne, Rocks, dont la mère est partie en lui laissant à peine d’argent, tente d’échapper avec son petit frère au destin des mineur·es isolés. L’absence de jugement sur l’abandon de la mère, et la solidarité des amies de Rocks, une fois que celle-ci n’est plus enfermée dans le secret, font le souffle de ce film, qui nous aide à respirer.

Adam, de Maryam Touzani

Pour illustrer le film, je choisis cette affiche en arabe, plutôt que la française qui montre la mère et l’enfant. Car si le film est titré sur l’enfant, ce qui fait ce film, c’est la relation entre Samia, la jeune femme enceinte rejetée, et Abla, veuve et mère d’une fillette de 8 ans. Une fillette qui va permettre aux deux femmes de connecter, et de dépasser la méfiance et la honte, le rejet et l’enfermement imposé aux femmes. Très émouvant et très beau film.

Little Women, de Greta Gerwig

Je le mets à cet endroit car la « couleur » du film m’évoque le précédent. On en a beaucoup parlé, le film de Greta Gerwig est une version féministe du roman, imaginant que l’autrice, Louise May Alcott, aurait probablement souhaité une fin moins conventionnelle, éloignée de l’obligation du happy end hétéro… dans tous les cas, quoi qu’un peu longue, cette adaptation de Little Women (je refuse catégoriquement de dire le titre en français et pour cause) est belle, et Saoirse Ronan fait une superbe Joe. Les relations de sororité (au sens le plus littéral) y sont également très belles.

Kajillionaire, de Miranda July

Celui là est un de mes préférés de l’année, une vraie belle surprise, un film un peu déjanté (normal avec la réalisatrice), un peu froid au début, qui évoque les relations parents-enfants (comment ont-ils pu appeler leur fille Old Dolio ?), les parents ont élevé leur fille en remplaçant l’amour par l’argent. Dotée d’un corps élastique doué pour les escroqueries mais incapable de contact, elle évolue pendant le film, aidée par l’apparition de Melanie, qui vient mettre un grain de sable dans la routine du trio (Selena Gomez). Et la très belle surprise de la fin. Sans la dévoiler, je dirais que le désir surgit quand l’autre survient 😉 Evan Rachel Woods est par ailleurs formidable en Old Dolio.

La femme qui s’est enfuie, de Hong Sang Soo

Ce film, un peu lent, sans beaucoup d’action, m’a finalement beaucoup marquée et plu. En Corée, un film sans violence, c’est bien. Un film avec presque que des femmes, c’est mieux. Je copie colle ici ce que j’avais mis sur facebook quand je l’ai vu.

La personnage principale, qui est éloignée pour la première fois de son mari depuis 5 ans (car lui pense qu’ils doivent se voir tous les jours) sort pour la première fois de l’emprise et rend visite successivement à trois amies dans ce qui est pour elle une échappée du quotidien. Selon moi, il est évident que la première, divorcée, qui vit avec une « colocataire » cheveux courts, jean et chaussures de marche, toutes deux en grande proximité, est lesbienne. D’ailleurs, elle garde cachée son dernier étage probablement pour que l’évidence n’apparaisse pas. Et que ce soient la deuxième, célibataire plus âgée qui a des aventures, ou la dernière, qui lui a « piqué » son copain devenu mari et lui demande pardon, toutes ces femmes, à la fin du film, sont plus proches les unes des autres, moins isolées par les hommes, et développent une formidable tendresse. Elles se tiennent la main, se touchent, se regardent. Et celle qui leur a rendu visite finit plus vivante et apaisée de ces quelques jours de sororité. Et je concluais : si le film avait été fait par une femme, ou par une lesbienne, on entendrait sûrement que c’est horrible cette façon d’écarter les hommes ( les 3 hommes qu’on aperçoit dans le film sont des nuisances )… 😉 mais là, c’est un mec qui a fait le film, alors…

L’adieu, de Lulu Wang

Film d’une réalisatrice chinoise, l’adieu évoque ici la grand-mère et non la mère, et la crainte de sa mort prochaine. La culture chinoise ne veut pas qu’elle sache qu’elle va mourir, mais la petite fille qui vit aux Etats-Unis n’est pas de cet avis. Un film beau et émouvant, et qui montre une relation grand-mère petite fille complexe et tendre, ce qui n’est pas si fréquent…

J’aurais aussi pu vous parler de Beloved, mais je l’ai déjà fait ici, des Enfants du temps ou Violet Evergarden (l’animation japonaise est merveilleuse), ou encore d’Histoire d’un regard de Mariana Otero, mais c’était plus hors sujet. N’hésitez pas à commenter et partagez vos moments de cinéma en commentaire ?

Femmes en résistance

Et pour finir, un mot pour dire mon sentiment de reconnaissance, que notre festival féministe de documentaires, Femmes en résistance, ait pu avoir lieu en septembre !

Que vivent la culture et le cinéma en salles en 2021 !

Sandrine Goldschmidt

« Le consentement », de Zola à Springora

Je vous le disais ici fin 2019, j’ai décidé de lire tous les Rougon-Macquart, les 20 romans d’Emile Zola qui décrivent la société sous le second empire, dans toutes ses classes sociales. Parallèlement, je me réjouis que, grâce à Vanessa Springora, l’imposture Matznef et ses défenseurs soit révélée.

Dans « Le consentement », l’ex-victime du « grand écrivain » révèle à la fois les mécanismes de l’emprise, et comment les adultes de son époque (la même que la mienne, mais dans un tout autre milieu – j’ai été beaucoup mieux protégée) autour d’elle, parfaitement au fait des agissements de Matznef, ont préféré croire au « consentement » d’une fille de quatorze ans plutôt que de s’en prendre à l’ordre établi, au grand écrivain, qui pourtant avouait ses crimes dans ses écrits.

Quel rapport entre les deux ? La question du « contexte » et de l’historicisation dont on nous parle beaucoup avec l’affaire Matznef, et, la question centrale, celle du consentement.

En effet, certain·es nous disent qu’il faut recontextualiser « l’évidence ». Que, dans les années 70, une certaine tolérance à la pédocriminalité aurait eu pour cause la nécessaire libération des moeurs, d’une sexualité jusque là taboue. Les enfants seraient des victimes collatérales de cette libération. Mais quelle libération ? Qu’est-ce qui était tabou ? La sexualité des hommes l’était-elle vraiment ?

Retourner du côté du grand tableau de la société du Second Empire que fait Zola nous donne une autre forme de remise en contexte. Ainsi, synchronicité oblige, en même temps que je lisais Le consentement, j’en étais dans les Rougon-Macquart à « Pot-Bouille ». Pot-Bouille, c’est l’histoire d’Octave Mouret, jeune bourgeois commerçant monté à Paris, mais c’est surtout l’histoire d’un immeuble bourgeois parisien et de ses occupants. A le lire aujourd’hui, avec un regard féministe, (défini comme regard qui sait décrypter l’oppression sexuelle et sexiste des hommes sur les femmes), c’est un livre absolument sidérant. L’immeuble incarne génialement l’hypocrisie bourgeoise de l’époque, qui se livre derrière les portes closes à toutes les « turpitudes » (entendez viols), à condition que la façade reste immaculée, les apparences soient sauvées. Seule l’arrière-cour, où les bonnes, domestiques, déversent (au sens propre et figuré) les ordures accumulées par leurs maîtres qui se font passer pour des parangons de vertu, montre la véritable saleté de la bourgeoisie patriarcale.

C’est la saleté des « adultères » qui, tant qu’ils ne sont pas sus, règnent à tous les étages. Celle des « coucheries » des jeunes et moins jeunes bourgeois avec toutes les domestiques, y passant parfois à plusieurs dans la même nuit – ça coûte moins cher que le bordel. Celle enfin des enfants faits à ces femmes qui, lorsqu’elles sont domestiques, doivent les abandonner. Mais d’adultères, ou de « coucheries », ou d’enfants, il s’agit bien sûr de viols à tous les étages, et de la violence envers des gamines, des enfants, menant au meurtre de bébés.

Ce qui est frappant dans Pot-Bouille, c’est que Zola parle à peu près à chaque rapport sexuel évoqué des conditions dans lesquelles les femmes bourgeoises y ont consenti. C’est toujours l’insistance, la brutalité, le harcèlement qui en sont la première clé. Octave, le « héros », à chaque fois, insiste jusqu’à ce que l’une ou l’autre finisse par se laisser faire. A aucun moment un autre désir que le sien n’est pris en considération. Et d’ailleurs, Zola le dit très vite et à plusieurs reprises : il veut beaucoup de femmes, mais il les déteste (fin du premier chapitre) : « …il céda à son fond de brutalité, au dédain féroce qu’il avait de la femme, sous son air d’adoration amoureuse ».

Pour Marie, sa première maîtresse qu’il a approchée en lui prêtant un roman (Chapitre IV, édition Folio poche p109) : « il ne parla plus, ayant une revanche à prendre, se disant tout bas, crûment « toi, tu vas y passer! ». Comme elle refusait de le suivre dans la chambre, il la renversa brutalement au bord de la table ; et elle se soumit, il la posséda, entre l’assiette oubliée et le roman, qu’une secousse fit tomber par terre ».

L’autre « gage » du consentement, c’est l’argent. En effet, les femmes bourgeoises ne sont pas autonomes. Pour survivre, il leur faut se vendre. Ce n’est même pas une question. Soit en mariage, soit en maîtresse. Ainsi, Berthe, qu’il faut absolument marier, mais pour cela, comment contourner la dot, comment faire semblant de donner les 50 000 francs requis ? Ensuite, comme le mari est avare, et qu’il ne veut lui donner de l’argent, que fait-elle, pour acquérir foulards, bijoux, chapeaux, vêtements qui sont les seuls choses qu’elle désire ? Elle « consent » après moulte insistance, à céder à Octave, qui déjà, lui a fait quelques cadeaux.

A aucun moment, une des femmes décrites n’a de désir sexuel pour un homme. Elle a -parfois- du désir pour un objet, et l’homme est là pour lui offrir, en échange de sexe. On n’est pas loin de ce que certain·es appellent aujourd’hui michetonnage, qui est bien sûr de la prostitution.

Et quand l’adultère est pris en flagrant délit -évidemment, le problème n’est pas l’adultère, mais bien le flagrant délit, qui empêche de rester dans l’apparence- alors, qui est la seule qui en subit les conséquences (quoi que pas très longtemps) ? La femme, Berthe, qui doit rentrer chez ses parents. Octave, lui, en profitera pour retourner au Bonheur des dames puis épouser la patronne et se « lancer dans la vie ». Pour elle, la vie est finie, pour lui elle commence.

Domestiques : bonnes à violer

Quant aux domestiques, elles n’ont aucun pouvoir de refuser. La pauvre Adèle, voit même passer dans la même nuit plusieurs hommes, jusqu’à 4 heures du matin, alors qu’évidemment elle n’en voudrait aucun. Son absence de choix ne fait aucun doute : « Et on ne savait ni où ni comment il s’était jeté sur Adèle : sans doute derrière une porte, dans un courant d’air, car cette grosse bête de souillon empochait les hommes comme les gifles, l’échine tendue, et ce n’était certes pas au propriétaire qu’elle aurait osé faire une impolitesse ». (Chapitre XIII, p 328, édition citée). Elle aura ensuite un enfant, seule, sans que personne s’en aperçoive, qu’évidemment elle abandonnera.

Zola évoque donc l’abandon, et l’infanticide, conséquences de ces violences sexuelles. Une des habitantes éphémères de l’immeuble est une ouvrière (piqueuse) enceinte, sur qui le concierge et tous les bourgeois.es jettent l’opprobre, car sa « faute » encore une fois, a le tort d’être visible. Elle est mise à la rue quelques jours avant ses couches, livrée à elle même. À la fin du roman, on a de ses nouvelles. Elle est passée en procès pour l’infanticide de son enfant. Et là, bien sûr, elle est la seule coupable, même si elle révèle la vérité devant la justice.

« La mère dénaturée, une véritable sauvagesse, comme il le disait, se trouvait être précisément la piqueuse de bottines, son ancienne locataire, cette grand fille pâle et désolée, dont le ventre énorme indignait M. Gourd. Et stupide avec ça ! car, sans même aviser que ce ventre la dénoncerait, elle s’était mise à couper son enfant en deux (…). Naturellement, elle avait raconté aux jurés tout un roman ridicule, l’abandon d’un séducteur, la misère, la faim, une crise folle de désespoir devant le petit qu’elle ne pouvait nourrir : en un mot, ce qu’elles disaient toutes ». (dernier chapitre, p461). On note ici combien déjà, la parole des femmes était balayée d’un revers de « roman ridicule ».

Après Nana, qui décrivait la ruée des bourgeois sur les femmes pour la satisfaction d’un désir sexuel vanté comme irrépréssible et le sort de l’enfant prostituée (elle meurt à la fin du roman, elle a 18 ans!), Pot-Bouille nous livre donc le constat plus qu’amer de Zola sur la société de l’époque. Les femmes n’y sont bien que des objets à vendre ou à prendre gratuitement, pour des hommes qui ne contrôlent pas leurs désirs. Et ce sont elles évidemment, qui sont désignées, à chaque fois, comme les coupables.

Qu’en conclure, de 1870 à aujourd’hui en passant par les années 1980 et Matznef ? Que c’est bien une lente révolution sexuelle qui s’opère et que promouvoir la liberté du désir pour les femmes, est bien encore aujourd’hui le plus subversif des combats, face à tous ceux que la commercialisation du désir masculin tente encore…

Il y a 6 ans, j’écrivais ceci: https://wordpress.com/stats/post/7969/sandrine70.wordpress.com

#8mars22h : des femmes à la rue

logo-femPour ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, je suis en révolte… car en 2019, alors que le féminisme progresse, que de nombreux événements et campagnes importantes sont menées, que des condamnations sont enfin prononcées contre les agresseurs, que la langue devient moins masculiniste (Académie française) et que je peux facilement utiliser la règle de proximité…

Des femmes qui viennent d’accoucher dorment dehors, sans qu’on puisse leur proposer de solution. C’est insupportable.

#8mars22h, parce que c’est l’heure limite après laquelle, ce soir, des femmes qui n’ont pu avoir de solution au 115, dormiront dehors.

Ainsi ce 8 mars, le Samu social de Paris publie ceci :

-« En moyenne en 2018, 40 femmes chaque jour ayant appelé le 115 sont restées sans solution ». Rien qu’à Paris.
2 900 ont appelé pour la première fois, soit 31% de plus que l’année précédente.
4 400 femmes seules avec enfants ont appelé, 5 % pour les secondes.
Et maintenant, on agit ?
https://www.samusocial.paris/8-mars-noublions-pas-les-femme…

-Par ailleurs, cette semaine est parue dans Libération une tribune fondamentale sur l’hébergement des femmes et en particulier des femmes avec enfants. Le Mouvement du Nid Paris, Voix de femmes et l’association FIT Une femme un Toit y lancent un cri d’alarme :  « Nous, professionnel-les et bénévoles de l’accompagnement de femmes victimes de violences devons désormais composer avec cette réalité : il n’y a plus de places d’hébergement d’urgence à Paris en nombre suffisant. Même pour les femmes et les nouveau-nés. Même en plein hiver. La décision politique de couper le budget de l’hébergement d’urgence de 57 millions d’euros démontre bien que la situation va encore empirer ! »

Les femmes et les bébés dehors ?

Cette situation est intolérable. Je n’en veux pas aux personnes qui gèrent au quotidien l’hébergement d’urgence. Mais à l’absence de réaction de la société face à l’urgence qui monte un peu chaque jour.

Aujourd’hui, je voudrais qu’on pense à elles, et j’ai un peu l’impression que la société française est un peu dans un bocal comme la grenouille qu’on a renoncé à ébouillanter pour mieux augmenter la température progressive de l’eau…on sait que le résultat est le même…sauf qu’on a encore le temps d’arrêter le processus !

S.G

 

 

 

Guerre contre les filles : Etat d’urgence

-Cette semaine, la journaliste Claudine Legardinier a observé une semaine de presse parlant de la prostitution et de proxénétisme. Elle publie ses observations dans Prostitution et Société, dans cet excellent article  : « Chronique d’une semaine ordinaire »

arton871-d7250On y apprend que 26 ados nigérianes, probablement destinées aux trottoirs de nos villes, pour la « satisfaction sexuelle » des clients hors-la-loi  de notre pays et l’enrichissement des réseaux, ont péri en Méditerranée, peut être assassinées…une enquête a été ouverte. Mais qui s’en offusque ? Qui décrète un état d’urgence pour que cesse ce trafic d’être humain à des fins d’esclavage sexuel ?

En parlant d’esclavage sexuel, Claudine Legardinier souligne le nombre d’articles présentant des affaires où des adoes françaises, de 14,15, 16 ans, sont entraînées, parce qu’elles sont en situation de vulnérabilité (fugue, détresse, …), dans des réseaux de proxénétisme et de prostitution. Lesquels réseaux sont grandement aidés par la facilité de vendre et louer des jeunes filles sur Internet, via des sites de petites annonces qui prétendent ne pas savoir ce qui se passe.

Mais comme le signale le Mouvement du Nid dans un « thread » sur Twitter, déjà, depuis l’an dernier, 4 médias se sont prêtés à l’exercice d’enquêter sur ces sites, comme par exemple Vivastreet, pour voir si les petites annonces de rencontres, ou « Erotica », étaient de la prostitution. Du Monde à France Info en passant par Les Inrocks et Complément d’enquête, la réponse est sans ambigüité.

La question est donc maintenant : pourquoi, si les journalistes parviennent si facilement à prouver qu’il y a bien de la prostitution sur ces sites, la police et la justice ne le font-elles pas ?

Pourquoi laisse-t-on faire cette prostitution via les sites internet, prostitution qui se développe à toute allure ? Pourquoi des politiques ne s’emparent-ils pas de la question, la portant sur les bancs du Parlement, comme le font des Sénateurs aux Etats-Unis ? Ces derniers, qui luttent rien moins que contre les géants d’internet, viennent d’obtenir l’inscription d’une loi de lutte contre le trafic sexuel d’enfants qui cesserait de dédouaner les sites internets comme Backpage (lire sur l’affaire Backpage cet article)

-Cette semaine, des féministes et personnalités ont lancé une pétition qui a déjà recueilli plus de 120.000 signatures, pour demander au Président de la République un plan d’urgence contre les violences sexuelles. 5 mesures, assez simples à mettre en oeuvre dont :

-doublement des subventions aux associations accueillant des femmes victimes de violences (de la violence conjugale en passant par les enfants violées et les victimes de prostitution) : disons-le, c’est peanuts, rien, à peine une aumône. On pourrait les multiplier par 10 que cela ne serait pas encore trop.
-Pareil pour le doublement des places d’hébergement d’urgence, dont les femmes manquent cruellement.

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Cette semaine, on se réveille avec un mal au crâne tenace, alors qu’ éclate un nouveau scandale judiciaire : un homme adulte a été acquitté du viol d’une fillette de 11 ans, au prétexte que les éléments constitutifs du viol (menace, surprise, contrainte, violence), ne seraient pas prouvés. Aucun doute sur le fait que le rapport sexuel ait eu lieu : il est reconnu, et l’enfant est tombé enceinte et a accouché…mais des juges semblent estimer « qu’on ne sait pas si la petite était consentante ou pas ». A 11 ans !

Comment ne pas penser qu’on nous fait la guerre ? Une enfant ! Alors oui, une proposition de loi pour que les juges ne puissent plus faire cela a été déposée par Laurence Rossignol, et le Secrétariat d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes soutient la présomption de non consentement. Mais c’est tellement violent de penser que la loi puisse aujourd’hui être appliquée de cette façon, qu’on se demande ce que trouveront les juges dans la prochaine loi pour faire durer l’impunité !!!!

-Cette semaine, le Samu Social, le fameux 115, ce numéro tellement envahi de demandes (et donc lui aussi sous-financé), injoignable et qui ne peut pas répondre aux 3/4 des demandes pour les femmes, a lancé une campagne alertant sur le sort des femmes sans abri. C’est dire combien la situation doit être grave pour qu’on fasse enfin une campagne spécifique pour demander du soutien pour les femmes sans abri ! On ne les voit pas -elles se cachent, elles tentent d’éviter les viols. Et quand on les cherche, quand on essaie de les aider, on entend juste la réflexion suivante, si elles sont majeures : « on ne peut rien faire ». C’est la liberté individuelle. Seulement parce qu’elles sont majeures ? Même pas, et on revient à cet extrait de « Complément d’enquête », lorsqu’une mère, dont la fille de 14 ans est exploitée via des sites internet, explique qu’on lui répond, tout le temps, qu' »il n’y a rien à faire »…

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Cette semaine, on se dit alors : rien à faire ? Faire, ce serait sûrement possible. Mais pour cela, il faudrait reconnaître que partout, tout le temps, à la maison ou dans la rue,  au lit ou au trottoir, au travail ou à l’école, c’est la guerre contre les femmes, c’est la guerre contre les fillettes. Mais pour cette guerre-là, qui fait des dizaines de milliers de victimes (des centaines ?) il ne semble pas pour l’instant, que nos pouvoirs publics, et l’opinion, soient prêts à décréter l’état d’urgence.

Seule consolation, les voix se font plus nombreuses, surtout chez les féministes et les abolitionnistes, pour dire, avec Anne Sylvestre, « IL FAUT QUE CELA S’ARRÊTE » !

Sandrine Goldschmidt

Ce qui nuit aux personnes prostituées, ce n’est pas la loi, c’est la prostitution.

Je publie ce matin une tribune d’Abolition 2012, collectif d’associations pour la lutte logo_abolition2-3contre le système prostitueur

A entendre les détracteurs de la loi, les violences se seraient abattues sur les personnes prostituées depuis le 13 avril 2016. Leur santé se serait subitement dégradée. Le Collectif Abolition 20121 tient à rétablir les faits.

La précarité, l’insécurité et un état de santé dégradé ont toujours été le lot quotidien des personnes prostituées. Selon l’étude ProSanté de 20132, au moins 38% des personnes prostituées avaient été victimes de viols (contre moins de 7% pour les femmes en général), 51% avaient subi des violences physiques, 64 % des violences psychologiques au cours des 12 derniers mois.

Ce n’est pas la loi du 13 avril 2016 qui en est la cause. C’est la prostitution elle-même. C’est la prostitution, en soi, qui exploite les plus précaires des précaires, qui met à profit leurs vulnérabilités, qui leur inflige des violences répétées, dont les premiers auteurs sont les clients, un « détail » prouvé par les enquêtes mais étrangement passé sous silence. C’est la prostitution qui pèse sur la santé, physique et psychique, des personnes prostituées.

La loi du 13 avril 2016 a précisément pour but de faire reculer cet état de fait dont beaucoup, en ne touchant à rien, semblent vouloir s’accommoder.

Dépénalisation des victimes, responsabilisation des clients

La loi du 13 avril 2016 a mis fin à une aberration des politiques françaises qui consistait à pénaliser les victimes de ce système prostitueur, les personnes prostituées, et à garantir l’impunité aux clients de la prostitution. Imposer un acte sexuel par l’argent est une violence. Alimenter financièrement les réseaux proxénètes et de traite en achetant un acte sexuel, c’est contribuer au système prostitueur. Les clients sont aujourd’hui responsabilisés, 937 d’entre eux ont été verbalisés (chiffres du Ministère de l’Intérieur), et c’est une bonne chose.

Oui, la loi est appliquée. Oui, son objectif est de faire diminuer le recours à la prostitution (qui aujourd’hui touche de plus en plus de mineur.e.s) et de lutter contre cette atteinte à la dignité, cette violence incompatible avec les efforts menés pour l’égalité femmes-hommes.

La répression policière est si peu l’objet de la loi que nous ne rencontrons pas moins de personnes prostituées sur les lieux de prostitution. En revanche, elles comptent sur les alternatives que met en place la nouvelle loi comme le montre le nombre croissant de celles qui nous demandent de l’aide pour sortir de l’impasse prostitutionnelle.

Pas plus de violences, mais de nouveaux droits

Rien ne permet d’affirmer que les personnes prostituées sont aujourd’hui davantage victimes de violences, d’autant que la loi française crée justement une circonstance aggravante pour les violences qu’elles subissent. Depuis plus d’une décennie, nos associations tiennent le sinistre décompte des agressions et des meurtres dont elles ont été victimes dans l’indifférence générale, dans un contexte de totale impunité pour les clients. Huit d’entre elles ont été tuées en France en 2014, donc avant la loi ; aucune en Suède depuis qu’a été votée la même interdiction de l’achat d’actes sexuels en 1999. En revanche, dans les pays qui ont prétendu légaliser la prostitution et ont donc entraîné une explosion du « marché », comme l’Allemagne et les Pays-Bas, le bilan en matière d’agressions et de meurtres est lourd.

Depuis le 13 avril 2016, plus aucune personne prostituée n’a été arrêtée pour racolage et les condamnations précédentes sur ce chef d’accusation ont été supprimées des casiers judiciaires. Les personnes prostituées sont cependant toujours arrêtées dans certaines villes qui ont prononcé des arrêtés anti-prostitution, ce contre quoi nous nous élevons et demandons leur abrogation.

Pour la première fois en France, nous disposons d’une politique publique qui fait des personnes prostituées des publics prioritaire en matière d’hébergement d’urgence et de logement social, qui délivre automatiquement des titres de séjour à celles qui participent à une enquête contre leur réseau de proxénétisme ou de traite, qui permet l’accès à un titre de séjour aux personnes souhaitant sortir de la prostitution avec une aide financière et un accompagnement global (social, sanitaire, juridique et insertion professionnelle). Dans chaque département, une politique de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains doit être mise en place.

Pas de lien entre l’interdiction d’achats d’actes sexuels et le SIDA

Certains affirment à coup d’études et de rapports que la pénalisation des clients de la prostitution augmenterait le taux de prévalence du VIH chez les personnes prostituées. Or, toutes les études épidémiologiques sérieuses montrent qu’il n’y a pas de lien entre l’interdiction d’achat d’actes sexuels et le taux de prévalence du VIH. Nous renvoyons notamment à la méta-analyse publiée en mars 2013 dans le British Medical Journal qui synthétise de manière exhaustive toutes les études publiées entre 2000 et 2011 sur les facteurs de risque d’infection par le VIH chez les femmes prostituées en Europe. Les pays ayant adopté des positions réglementaristes visant à encadrer la prostitution comme les Pays-Bas et l’Espagne n’ont pas des taux de séroprévalence du VIH chez les personnes prostituées particulièrement bas, bien au contraire. Et utiliser le récent article paru dans The Lancet pour prouver le contraire est malhonnête. Cet article affirme noir sur blanc qu’on ne constate aucune différence notable entre les pays qui pénalisent les clients et ceux qui permettent l’achat et la vente d’actes sexuels. Par ailleurs, le pays ayant selon cette étude le plus haut taux de prévalence du VIH est la Lettonie, qui dépénalise les clients et les personnes prostituées…

Une autre ambition pour notre société

Le Collectif Abolition 2012 tient à rappeler enfin que la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées ne peut se résumer aux maladies sexuellement transmissibles, comme le soulignait l’IGAS en 20123. L’activité prostitutionnelle est porteuse de nombreux autres risques pour la santé, moins visibles mais aussi sévères, notamment la santé psychique.

Nos associations ont une autre ambition pour les futures générations que la résignation à la précarité, à l’insécurité et à la violence. Notre pays s’est doté d’outils concrets qui doivent non seulement permettre aux victimes de la prostitution d’en sortir mais aussi à la société tout entière de franchir une marche décisive : changer les mentalités pour que les personnes prostituées ne soient plus stigmatisées mais considérées comme les victimes d’un système patriarcal archaïque, qui rejaillit sur l’ensemble de la société et notamment sur les femmes, sur leur image et sur leur statut.

Nous attendons plus de sérieux de la part d’associations qui disent se soucier des personnes prostituées : qu’elles s’intéressent enfin aux nouveaux outils créés pour répondre globalement à l’enjeu, et améliorer ainsi concrètement la situation des personnes prostituées.

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1 Le collectif Abolition 2012 lutte contre le système prostitueur. Il est composé de 62 associations (www.abolition2012.fr) .

2 Etude ProSanté de l’InVS et la FNARS de 2013

3 Prostitution, les enjeux sanitaires, IGAS, Décembre 2012 (http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/RM2012-146P_sdr_Sante_et_prostitutions-2.pdf)

Women against Trump

Wonderful weather and light in Paris for a great demonstration. To support the hundreds thousands of women who marched in The US of A.

Très beau temps et lumière à Paris ce samedi pour une belle manif’ de soutien aux dizaines, centaines de milliers de femmes ayant défilé contre le nouveau Président Donald Trump.

Galerie de photos  : vous pouvez cliquer sur chaque photo pour les voir en grand.

Les femmes victimes, responsables ?

Jacqueline Sauvage est libre. Mais l’affaire n’en finit pas d’être commentée. Et son éventuel « statut de super-victime » de créer la polémique. En effet, une partie des féministes seraient trop complaisantes avec elle, et leur féminisme serait « victimaire ». Oubliant que dans notre société, la « puissance paternelle » est ancrée dans les fondations de la famille.

xlesangdesfemmesLe « dénouement » de l’affaire Jacqueline Sauvage a eu lieu quelques jours avant la fin de 2016 avec la grâce présidentielle du reliquat de sa peine accordée par le Président de la République. Au total, cette femme a passé 4 ans en prison pour le meurtre de son mari violent avec elle et ses enfants depuis 47 ans. Je ne sais pas si elle est “sympathique”, ou pas – comme j’ai pu lire ici ou là. Je ne la connais pas, je n’ai pas assisté au procès, j’en ai entendu parler par d’autres, mais ne l’ai pas rencontrée, évidemment, je n’ai pas non plus échangé avec ses avocates. Et surtout, il ne me semble pas qu’il s’agisse là d’un propos pertinent quand il s’agit de juger un acte -ôter la vie à quelqu’un- d’une telle gravité dans notre société. De très nombreux hommes violents sont d’ailleurs considérés comme tout à fait sympathiques par une grande partie de leur entourage. 

400.000 personnes ont signé une pétition demandant la grâce de Jacqueline Sauvage, que la justice avait condamnée, à 2 reprises, à 10 ans de prison pour meurtre, lui reconnaissant des circonstances atténuantes et admettant qu’elle avait été victime de violences.  Mais elle a considéré que le fait qu’elle l’avait tué de trois balles dans le dos, avec une arme de chasse dont elle savait se servir, constituait des circonstances qui ne permettaient pas de caractériser la légitime défense, que ses avocates avaient choisi de plaider.

Aux récits publics du second procès, étalant dans le détail l’atmosphère familiale de terreur qui a régné pendant 47 ans dans cette famille, terreur instaurée par le père, s’est ajouté le soutien accordé par les filles de Jacqueline Sauvage, elles-mêmes victimes de la violence du père, de très nombreuses Françaises et Français ont estimé qu’il n’était pas juste de la maintenir en prison. A 68 ans, enfermée dans des violences depuis l’âge de 17 ans, puis en prison, il semblait qu’elle avait « assez payé », fut-ce ses propres erreurs. Sous la pression populaire et face au refus réitéré de la justice de lui accorder une libération anticipée après la première grâce (je ne me prononcerai pas sur l’action du PR ni de la justice en l’affaire ce n’est pas mon propos du jour), François Hollande a donc fini par la faire remettre en liberté juste avant la nouvelle année. Le procédé est ce qu’il est – ce n’est pas un déni de justice- c’est une des prérogatives régaliennes du Président. Depuis la révolution et jusqu’à maintenant.

Alors, pourquoi ce billet ? Parce que je pensais qu’après cette affaire, on aurait avancé sur la prise de conscience des phénomènes issus de l’héritage ou de la perpétuation du système familial fondé sur la « puissance paternelle » du code napoléonien…et du système patriarcal. En effet, l’exposition médiatique avait permis de pointer  la difficulté de traiter des violences conjugales et de leurs conséquences par une société où les institutions et la justice n’ont pas dans leur ADN la compréhension des mécanismes de cette violence. Des institutions qui reconnaissaient que les violences du mari-père étaient de notoriété publique.
Eh bien non, car suite à la décision du Président et à la libération de Jacqueline Sauvage, des voix du côté de la mouvance féministe, se sont fait entendre pour contester le « féminisme victimaire » qui aurait présidé à la lutte collective pour sa libération (voir références en bas de page).

Un sentiment permanent de danger de mort imminente 


Ainsi, les féministes auraient pris fait et cause pour la victime sans tenir compte de sa responsabilité dans les violences qu’elle – et ses enfants- avaient subi. Et la légitime défense invoquée ne serait « en aucun cas constituée » puisqu’elle n’aurait pas été en danger de mort imminente au moment où elle a tiré 3 balles dans le dos. Sur ce dernier sujet, je laisse la parole à Catherine Le Magueresse, juriste et ancienne présidente de l’Avft, qui elle, a assisté au procès et réfléchit à ces questions depuis plusieurs dizaines d’années. Elle explique en quoi selon elle il y avait danger de mort imminente.
https://blogs.mediapart.fr/catherine-le-magueresse/blog/271215/de-la-legitime-defense-des-femmes-victimes-de-violences-conjugales

Je dirais juste que ce sont ces mécanismes qui font que dans plusieurs Etats des Etats-Unis, des groupes se battent depuis des décennies pour faire appliquer cette forme de légitime défense obtenue dans la loi, en créant des commissions qui permettent aux accusées du meurtre de leur mari de prouver le climat de terreur permanent qui faisait qu’elles finissent par considérer à chaque instant leur mort imminente.


Mais je voudrais surtout revenir sur les reproches fait à un « soutien aveugle » aux victimes sans tenir compte de leur responsabilité, parce que Jacqueline Sauvage aurait une responsabilité dans les violences subies. Quels arguments sont employés ? 

-Elle n’est pas partie et n’a pas essayé de partir (a priori, c’est faux)
-Elle n’a pas dénoncé les violences envers ses enfants auprès des institutions publiques supposées capables de  la protéger (c’est vrai et faux) et elle en est complice.
-Elle n’a pas couru dans une des dizaines de refuges pour femmes battues qui existent en France (c’est vrai et faux)
-Elle n’aurait pas du avoir plusieurs enfants avec cet homme violent (sur ce point je ne m’étendrai pas au-delà du rappel des dates de naissance des enfants et de remise ne contexte…)

1-Elle n’est pas partie et n’a pas essayé de partir : c’est faux. Une fois ses filles adultes, elle est à plusieurs reprises allée chez celles-ci, où le mari violent est venu la chercher en la menaçant ou en menaçant –arme à la main – de tirer sur sa fille. (climat de terreur permanent). Depuis des années, nous essayons de sensibiliser l’opinion à la question de l’emprise, qui empêche de partir. Mais il n’y a pas que l’emprise qui empêche de partir : il y a la peur des représailles, le fait de ne pas savoir où aller, le fait -ici- d’avoir une entreprise familiale qui fait qu’on ne se « sépare » pas comme cela de tout contact avec l’homme violent. Or, on sait que la seule façon d’échapper à l’emprise est de pouvoir couper tout contact. Gérer un divorce familial et professionnel ne facilite pas la chose.

La puissance paternelle, une réalité persistante dans les faits
2-Elle n’a pas dénoncé les violences qu’elle a subi et celles subies par ses enfants. Pour bien comprendre ce qui se passe ici, il faut évoquer la question de la puissance paternelle et l’histoire des droits des femmes. Car parfois, il semble que l’enthousiasme lié à l’émergence du mouvement féministe laisse penser qu’il suffit d’un coup de baguette magique – ou de quelques années de lutte dans les années 1970, pour que tout change, même les mentalités, même l’ordre social qui perdure depuis des siècles !

Ainsi, la puissance paternelle est cette autorité du père que prévoit le code civil dit Code Napoléon. Elle fait de la femme une mineure, sous l’autorité de son mari, et qui n’a pas l’autorité sur ses enfants. Ce n’est plus le cas aujourd’hui où l’autorité parentale est conjointe.  Mais depuis quand ? Depuis 1970 seulement ! Cela veut dire que de nombreuses femmes, dont ma mère pour son premier enfant, dont Jacqueline Sauvage, au moment où elles se sont mariées, au moment où elles ont eu leurs enfants, n’avaient pas l’autorité parentale ! Elles n’avaient pas le droit de prendre seules les décisions les concernant et concernant leurs enfants. Elles n’avaient donc guère de droits -et pas non plus les devoirs afférents- à l’égard des personnes que non seulement elles avaient portées en elles et mises au monde (ce qui, même avec les progrès médicaux, reste loin d’être anodin), mais qu’ensuite c’est elles qui quasi exclusivement les soignaient et aidaient dans leur parcours vers l’autonomie !

Et donc, Jacqueline Sauvage, mariée à 17 ans, ayant déjà eu l’exemple de la violence conjugale chez ses parents, a 4 enfants mais n’a pas l’autorité parentale avant  la troisième, en 1970. Mais aujourd’hui on voudrait faire fi des effets de cette puissance paternelle comme si elle n’avait jamais existé, comme si elle n’avait pas été élevée là-dedans, comme si du fait que la loi avait changé, du jour au lendemain, elle avait la solution miracle ?

L’auteure d’un des articles, Anne Zelensky, insiste sur le fait que « maintenant, il existe des dizaines de refuges pour femmes battues », maintenant, c’est-à-dire depuis qu’elle a créé le premier, en 1978 dit-elle. Bon, d’accord, il en existe quelques uns, mais existaient-ils pendant les 30 premières années du calvaire conjugal de Jacqueline Sauvage ? Et quand bien même il y en aurait eu 10, par quel moyen en aurait-elle eu connaissance ? Si elle était allée porter plainte au commissariat du coin ? Là où, d’ailleurs, sa fille, d’une autre génération donc, est allée, espérant être entendue et protégée, mais où on n’a pas trouvé de meilleure idée que de faire venir le père pour lui demander : c’est vrai monsieur, que vous violez votre fille ? Le maire, premier magistrat de la commune a reconnu à l’audience que “tout le monde savait”, y compris dans les institutions.

Jacqueline Sauvage n’a pas cru sa fille à ce moment là, lorsqu’elle a raconté ce qu’elle vivait. Néanmoins, elle aurait parlé avec elle au retour de la gendarmerie, lui demandant ce qui s’était passé. Celle-ci s’est rétractée pour protéger sa mère et parce qu’elle avait eu la preuve que dénoncer la mettait en danger. Savait-elle avant, du fait qu’elle vivait sous le même toit ? Elle a dit qu’elle ne pouvait croire qu’il serait violent “comme ça”. Du déni, il y en a sûrement, mais complicité ?

Une des filles témoigne que toutes les filles de la famille étaient victimes de viol sans savoir que les autres l’étaient. C’est en effet le parcours classique des femmes victimes de violence et de viol au sein du foyer. Une stratégie de l’agresseur qui est très bien décrite par les associations qui luttent depuis 40 ans : isoler la victime, l’empêcher de trouver de la solidarité, lui dire que c’est de sa faute et qu’elle ne doit surtout pas en parler… 

Protéger ses enfants

3-Mais pourquoi n’est-elle pas partie, au risque de sa vie, ne serait-ce que pour ses enfants ? Oui, certaines femmes le font, parfois, et de plus en plus, parce qu’elles pensent qu’elles veulent protéger leurs enfants, parce qu’elles pensent aussi qu’elles vont être aidées, parce qu’aujourd’hui, la parole sur le sujet est un peu plus libre.
Malheureusement, souvent, cela se termine mal pour elles : 120 à 140 femmes assassinées par an, des batailles pour l’autorité parentale et la justice qui souvent n’hésite pas à laisser la garde des enfants -même partielle, à des pères violents. Alors oui, aussi, tous les humains ne sont pas égaux devant les actes de survie. Tous les humains ne savent pas réagir « au mieux » face aux violences subies par leurs enfants et par eux-mêmes. Certains sont plus influencés par la puissance paternelle que d’autres. Certaines ont plus la capacité que d’autres de s’en sortir, peut-être.

Ce n’est pas une raison pour dire que celles qui ne le font pas sont responsables ou complices des violences. Pour ma part, je n’absous pas par principe (ni ne juge par principe) les mères qui « auraient su » pour le viol de leurs enfants par le père ou le beau-père. Mais le déni et l’emprise sont des mécanismes puissants qui font que je n’affirmerais pas non plus « par principe » qu’elles sont complices.

Lorsque tout sera mis en place dans la société (au-delà d’affiches souvent culpabilisantes :« osez parler ») ! pour que les femmes et les enfants qui souhaitent dénoncer les violences soient entendus, lorsque les témoignages arriveront par dizaines qu’elles ont été entendues par la police et par leur entourage, accueillies avec compréhension par le médecin, aidées dans leurs démarches auprès des services publics, dans leurs recherches de logements, qu’on aura suffisamment fait planer la menace de rétorsion judiciaire à l’homme violent pour que celui-ci n’ait pas un sentiment d’impunité ou de bon droit, lorsque la violence envers les femmes ne sera pas étalée partout dans les images de la culture pornographique qui nous envahissent, alors oui peut être, il sera temps de se poser cette question.

Pour l’instant, il faut encore travailler à changer le contexte social qui rend possible la perpétuation de l’emprise et réfléchir à la question de créer des circonstances atténuantes constitutives de légitime défense lorsqu’il y a emprise reconnue sur une victime de violences à répétition ; on peut faire confiance à la justice : si ces circonstances existaient, on serait à mon avis loin d’un « permis de tuer ».

Ce qui ne veut pas non plus dire encourager les femmes à se servir de leur reconnaissance en tant que victime pour « fuir leurs responsabilités », contrairement à ce qui est reproché, mais les aider à retrouver des ressources pour échapper à la violence et la dénoncer. L’accompagnement féministe des femmes victimes a au contraire pour but ce qu’on appelle « l’empouvoirement », c’est-à-dire faire que les femmes se sentent en capacité de reprendre une vie normale, où elles puissent être maîtresses de leur destin. Il est possible qu’il y ait parfois – à la marge- une tendance à l’héroïsation des victimes, jusqu’à leur interdire d’avoir du pouvoir sur elle même. Etre capable de se sentir responsable de ses actes, c’est un des sentiments les plus épanouissants qui soient. Mais pour pouvoir arriver à cela, il y a encore une fois quelques conditions indispensables : pouvoir avoir le sentiment que les violences subies ne sons ni normales ni justes, que la société reconnaisse, soigne et aide les victimes, que les agresseurs ne restent pas impunis, et encourage les hommes à ne pas tolérer les violences de leurs pairs.

Enfin, je voudrais ajouter ceci : même si certaines peuvent s’en sortir malgré la société telle qu’elle est, le fait que d’autres n’en aient pas à leur tour la capacité ne signifie pas pour autant qu’elles soient « un peu responsables ».  Les femmes qui s’en sont sorties peuvent constituer un exemple bénéfique pour les autres, à condition que cet exemple soit une aide bienveillante plutôt qu’une injonction culpabilisante.

Sandrine Goldschmidt

Merci à Catherine Le Magueresse pour les précisions qu’elle m’a permis d’apporter. 

Voici le lien vers un autre article qu’elle a écrit et est paru dans Libération : http://www.liberation.fr/debats/2016/02/09/catherine-le-magueresse-la-loi-a-ete-concue-pour-un-hypothetique-homme-raisonnable_1432176

Et un article paru hier en vue d’une proposition de loi sur le sujet : 

http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/01/11/creons-un-etat-de-legitime-defense-differee_4845003_3232.html

Et les articles qui ont provoqué ma réaction par ce billet :

https://christineld75.wordpress.com/2017/01/01/affaire-j-sauvage-du-grain-a-moudre/

http://www.causeur.fr/sauvage-hollande-feminisme-grace-victime-41959.html

 

 

Pauvres hommes chinois !

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NB, si jamais ce n’était pas clair : ce texte n’attaque pas particulièrement la réalisatrice qui a fait un gros travail de reportage et espère certainement dénoncer une situation, ce que les dix dernières minutes font en partie. Mais c’est la « recette » de ce que, pour rendre un docu visible en patriarcat, il faut surtout qu’il présente le monde à l’envers. C’est le point de vue qu’il faut adopter pour faire accepter qu’on en parle  ou être « original ».

Vous voulez la recette d’un « bon documentaire » ?

Regardez : « la peine des hommes », en replay sur Arte. 

Un sujet vous intéresse : le déficit de femmes en Chine. Un bon sujet direz-vous ? Faire une vraie enquête de terrain, mettre à jour les violences faites aux femmes que cela entraîne (ce qui existe en vrai dans le film) ? Mais non, cela ne suffit pas. Comment le traiter pour que cela ne soit pas trop tarte à la crème, ni trop féministe, c’est-à-dire vraiment pas fun ? Il vous faut réfléchir encore un peu.

Réfléchissons donc. Ce « déficit » de femmes est dû, bien sûr, à l’avortement sélectif pratiqué au moment de la politique de l’enfant unique (1979-2015). Cette politique + la tradition qui veut qu’une famille ait un héritier mâle qui puisse aussi nourrir les parents pour les vieux jours, voici un cocktail détonant pour éliminer les femmes (1).

Donc, en bonne logique (mais apparemment, personne n’y avait pensé au départ !!!), au moment où 25 ans plus tard, les jeunes garçons nés de ces familles, arrivent en âge de se marier, oh choc : il manque de femmes ! Or, vous le savez, les hommes ont des besoins irrépressibles. Ils ont besoin de posséder une femme. Cela fait partie de leur virilité.

Je vous imagine, vous auriez pu penser que cela allait « donner plus de valeur ou de respect » aux femmes, qu’il faudrait conquérir. Mais dans ce cas, c’est que vous seriez très naïf ou naïve, ou vous croiriez que la domination masculine et le patriarcat n’existent pas…Donc, la vraie conséquence, que ce soit en Inde ou en Chine (1), est bien la suivante : on vole, viole ou achète des femmes en développant un trafic international. Des millions de femmes qui ne naissent pas, des millions de femmes violentées, exploitées, marchandisées, qui souffrent. C’est tellement banal. Rien de nouveau sous le ciel patriarcal. Pas de quoi faire un film !

Continuez à chercher une bonne idée.  Ah, ça y est ? vous avez trouvé ? Il suffit de mettre le monde à l’envers. S’il manque de femmes, alors, on l’a dit, les hommes sont seuls. Mais c’est terrible ! Que n’y avions-nous pensé plus tôt? On les a laissé naître, mais on ne leur donne pas leur dû ! Une femme à posséder ! Alors forcément, ces pauvres hommes sont bien malheureux ! Désespérés, même, nous explique en ouverture spectaculaire de ce film exceptionnel, un industriel bien malin qui a décidé d’apaiser les souffrances de ces pauvres célibataires chinois en leur fabriquant des poupées grandeur nature.

Car il faut faire quelque chose. Ce désespoir des hommes est, dit-il, à l’origine d’une crise qui menace la stabilité du pays. Et le commentaire de nous dire : « les chiffres donnent raison à l’industriel ».

Comprenez bien. C’est la surenchère. Nos pauvres hommes, qui ont de la peine, donc. Oui le documentaire s’appelle très justement « la peine des hommes » c’est quand même beaucoup plus intéressant que l’élimination systématique des femmes, qui ne serait pas fun. Peine des hommes – male tears, c’est ça ? -les féministes comprendront(1).

Ecoutez les :

« à force de ne pas trouver de femme, je sens mon coeur…vide ».

A propos de ses co-villageois qui ont acheté une femme à l’étranger : « Ils ont mon âge. Eux vivent, et moi, je cherche toujours une femme ». 

Et le commentaire : ces hommes sans femmes, les Chinois les appellent les branches mortes, qui ne porteront jamais de fruits.

J’espère que vous pleurez, là.

Donc, nos pauvres hommes montrés ici, doivent travailler dur, et même quitter leur village, pour espérer un jour gagner assez d’argent pour qu’une femme les accepte. Les PAUVRES !!!

Mais ce n’est pas fini : ils doivent donc travailler à l’usine, et pensez-vous qu’ils sont plus heureux ? Mais non, car les femmes ne veulent pas toujours d’eux, s’ils n’ont pas assez d’argent. Bien sûr, cela doit être pour cela que le nombre d’agressions sexuelles augmente sur les lieux de travail,  La violence des hommes contre les femmes n’y est pour rien…

Et la direction de regretter que les femmes y soient moins majoritaires (à l’usine, pour bosser comme des bêtes), qu’avant.« les hommes sont moins précis, ils apprennent moins vite. on a de plus en plus de problèmes de discipline. ils se battent tout le temps » (sic)

Ce n’est pas parce qu’on est dans un système qui encourage les hommes à ne pas se sentir mâles si ils ne possèdent pas une femme, mais non, c’est parce que leur coeur est vide, nous vous l’avons dit.

« Leur frustration et leur solitude, il les comblent avec leurs téléphones portables ». 

Et pas qu’avec les téléphones portables (en regardant de la pornographie, summum des violences contre les femmes ?). D’autres hommes pleurent, eux, parce qu’une femme, ils en avaient une. Mais on leur a volée. Il y a des trafics de femmes de plus en  plus importants. La police chinoise s’emploie, bien sûr, à empêcher cela, nous montrent des images. On nous montre même que parfois ils arrêtent des trafiquants. Ou peut être des maris voleurs ? Des hommes criminels ? Mais non, ce ne serait pas une bonne recette. On nous montre deux femmes, intermédiaires trafiquantes arrêtées, c’est beaucoup plus intéressant (là, le docu n’est pas en cause ce sont peut être les seules images données par la police chinoise mais ça revient au même).

Mais j’exagère : le documentaire dénonce incontestablement le trafic, il faut le reconnaître. Il est même un peu trop direct je trouve. On pourrait croire que les femmes sont les victimes. En tout cas, c’est ce que ceux qui ont rédigé le résumé qu’on trouve sur le replay ont du penser, car il est tout de même un peu plus proche de la réalité :

« De désespoir, certains kidnappent des femmes. »

Vous comprenez, c’est pas de leur faute, c’est le désespoir…

« Je me sens moins seul. Ca y est, je suis heureux »

Dernière partie du documentaire, la « love story », le « happy end ». Un jeune homme,  qui était donc désespéré de ne pouvoir donner d’héritier à sa famille, car il habite dans un village de célibataires, a économisé avec sa famille pendant plusieurs années. Enfin, il a amassé assez d’argent pour s’acheter une femme en Indonésie. Cette jeune fille, c’est Lai. Aux grand maux les grands remèdes, et vous n’allez pas nous embêter avec des idées comme « les humains ne s’achètent pas » . C’est beau de voir son regard amoureux. A lui. Son émerveillement, quand, alors qu’il allait la chercher et avait promis de l’argent aux trafiquants et au père de Lai, « elle a dit oui ». Quel formidable preuve de consentement et d’amour qui met fin à son calvaire ! Il conclut donc : « je me sens moins seul. Ca y est, je suis heureux ».

Et elle ? Encore une question mal placée. Même si, là, le documentaire ne l’esquive pas. Elle, nous dit-on, on l’a convaincue que ce serait une vie moins dure qu’en Indonésie. Et puis, comme ça, son père a reçu de l’argent, alors en plus, elle fait une double bonne action:  mettre fin au désespoir du célibataire, et nourrir son père.

Evidemment, elle n’a jamais quitté son pays, elle parle un peu chinois mais pas le patois local, et on ne la laissera certainement jamais revoir sa famille, nous dit-on, alors qu’on la voit, le regard perdu. On verrait presque à cet instant la perle d’une larme dans ses yeux.Le commentaire alors, laisse poindre une critique vaguement féministe :

« combien de femmes achetées, de vies volées, avant que ces campagnes mettent fin à la tradition, laissent vivre les filles » ? (…) et de finir , pour commenter la fin de la politique de l’enfant unique :

« peut-être se souviendront-ils alors de cet autre proverbe chinois : les femmes portent la moitié du ciel »

Ah mais non, vous allez gâcher le happy end ! Ca ne va pas du tout cette fin… c’est le féminisme qui envahit nos écrans, là ! Non mais pas grave. De toutes façons, le résumé (3) et le titre sont là pour bien vous rappeler ce que vous devez retenir d’une bonne propagande patriarcale. Ne pas développer de l’empathie pour la souffrance des femmes, mais bien se soucier de  « la peine des hommes ». N’oubliez pas !

S.G

(1) NB c’est la même chose « à l’envers en Inde » : en Chine, on ne fait pas de filles car on a besoin d’un garçon pour ses vieux jours. En Inde, on ne fait pas de filles car il faudra payer la dot pour qu’elle aille à la famille d’un autre…

(2) male tears est une expression qu’on utilise pour souligner quand les hommes (sans par ailleurs se préoccuper de plaindre les femmes) se plaignent d’être eux mêmes des pauvres victimes, du patriarcat, des féministes, etc…

(3) » Des millions de jeunes célibataires affluent vers le sud du pays, et travaillent nuit et jour dans les usines du Delta des Perles, l’atelier du monde, tout en tentant de trouver l’âme soeur. Mais, là aussi, les filles se font de plus en plus rares. De désespoir, certains kidnappent des femmes. D’autres partent s’en acheter une à l’étranger. Des Birmanes, des Vietnamiennes, des Indonésiennes « importées » en Chine. Alors que la Chine vient de mettre fin officiellement à 35 ans de politique de l’enfant unique — grandement responsable de ce déséquilibre entre les sexes — des célibataires, broyés par cette impossibilité mathématique de trouver une femme, témoignent et nous emmènent au coeur du trafic, prêts à tout pour ne pas rejoindre les rangs des célibataires endurcis. Ceux que les Chinois appellent « guang gun », les branches mortes, qui ne porteront jamais de fruits ».

Arrêtez de nous tuer ! #8mars

Capture d’écran 2016-03-08 à 11.07.38Aujourd’hui, je publie le cri et l’appel d’une femme, Pauline Arrighi, militante féministe, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes,. Un cri contre les violences commises tous les jours à notre encontre à travers le monde. Un massacre, dont les auteurs sont toujours des hommes. Merci à elle.

 

« C’est le 8 mars aujourd’hui, et comme je suis une femme, on va me proposer des roses et des réductions sur le maquillage et les strings. On va me souhaiter bonne fête.

Non, je ne passerai pas une bonne fête, pas cette année non plus.

2016 n’a que deux mois et une semaine, et je voudrais faire un bilan. Il est trop tôt pour un bilan de l’année? Pourtant, on peut déjà parler de massacre.

5 femmes tuées par balles, 6 femmes poignardées (pour l’une d’elles, de 120 coups de couteau dans le corps, une autre a été tuée sous les yeux de sa fille de 6 ans), 3 femmes égorgées ainsi que les 2 enfants de l’une d’elles, âgés de 6 ans et 10 mois, 2 femmes violées puis étranglées, une autre étouffée.
Par un mari ou un “compagnon jaloux”, ou par un ex qui “ne supporte pas la rupture”.

Messieurs les tueurs, Ingrid, Géraldine, Marina, Elvira, Chantal, Sylviane, Fabienne, Sonia, Tatiana, Nathalie, Jocelyne, Carine et cinq autres femmes anonymes ne méritaient pas la mort.

Selon vos propres dires, vous les avez tuées parce qu’elles ont voulu vous quitter,

vous étiez jaloux, colérique… violent ?

Dans la majorité des cas, les femmes tuées par leur conjoint ou ex avaient porté plainte pour des violences conjugales. Elles étaient en danger de mort et elles le savaient. Leurs enfants aussi étaient en danger. Humiliées, menacées, frappées, violées, terrorisées. Si elles restent, c’est la mort. Si elle partent, c’est la mort.

A partir de combien de femmes tuées pourra-t-on parler de massacre ? Une par jour, dix par jour ? Chaque victime a son bourreau, chacune est isolée, enfermée dans un foyer qui était pour elle une prison et une chambre de torture. Ignorée par la police qui n’y voit que des chamailleries de couple, puis dénigrée par la Justice qui conclura à un “crime passionnel”. Chacune n’aura droit qu’à un article dans la presse locale.

Chaque victime est isolée, et pourtant chacune est tuée par la même rage de possession, la même hargne à faire d’une femme sa chose. Non, quand un homme tue sa femme après l’avoir torturée pendant des années, ce n’est pas un “drame conjugal dans un contexte de séparation”.

Comment appelle-t-on, dans le langage courant, un homme qui

-pense que sa femme peut être traitée comme sa bonne, son objet sexuel ou son punching ball ?
-pense que si elle le trompe, il doit “laver son honneur”, éventuellement dans le sang ? On appelle ça un macho.

Et un homme qui tue une femme par rage de la posséder est un criminel machiste, comme il y a des criminels racistes, antisémites ou homophobes. La haine des femmes, de celles qu’ils considèrent comme “leur” femme, est meurtrière.

Le massacre des femmes en France peut être empêché. Si les femmes victimes de violences masculines sont prises en charge et protégées avant qu’elles ne soient tuées. Si la police, la Justice, mais aussi le voisinage, c’est-à-dire nous-mêmes, se rendent compte, enfin, que la violence d’un homme contre sa compagne ou son ex n’est pas de l’amour, mais de la haine, et que cette haine tue.

Pour le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, prenons la décision de mettre fin à un massacre. Prenons la décision de conquérir notre droit à vivre réellement libres
Chaque femme a le droit de quitter son compagnon, d’en changer tant qu’elle veut, aucune n’est la propriété d’un homme, quelle que soit la relation qui a pu les lier dans leur passé.

Aujourd’hui, en France, une femme qui dit à un homme : “je ne t’appartiens pas” risque la mort. Au nom des mortes et des vivantes, au nom de nos filles, de nos sœurs et de nous-mêmes, j’ai envie de crier : laissez-nous accepter ou refuser, rester ou partir, et surtout : arrêtez de nous tuer !

Pauline Arrighi

xlesangdesfemmes

 

Photo en haut: panneau « inser » dans Maso et miso vont en bateau, de Delphine Seyrig, Carole Roussopoulos, Ioana Wieder et Nadja Ringart.

Photo en bas : pastel « pas de justice pas de paix », ©Sandrine Goldschmidt