La torture, ça n’est pas esthétique ni artistique, encore moins subversif…

Pendant 4 jours au festival lesbien et féministe, Cineffable, mon coeur, mon cerveau et mon âme ont fait des montagnes russes…j’y ai rencontré plein de camarades, d’amies, eu des discussions formidables, eu le temps de parler à des femmes que je ne connaissais que de vue…j’ai vu des films qu’on ne voit pas ailleurs, sur des femmes lesbiennes en Iran ou à Hong Kong ou en Afrique du sud. J’y suis intervenue dans un débat sur la lutte contre les violences faites aux femmes pour dire qu’on ne peut pas lutter contre les violences masculines sans un discours politique et radical, qu’on ne peut pas s’affirmer féministe en luttant contre le viol en nous traitant nous même de salopes. J’ai pu discuter ouvertement avec les programmatrices des points sur lesquels je n’étais pas d’accord, comme la présentation de burlesque, l’affiche du partenariat avec la Womexx, etc…

Sur un plan artistique et cinématographique, j’ai vu des choses bien et plusieurs moins bien…et n’ai pu qu’être conforté dans ma vision des choses : je ne crois pas qu’il soit possible d’être subversive en se faisant l’illusion de détourner les codes du dominant. Ce n’est pas ainsi qu’on déconstruit le système patriarcal ni même le genre.
En cela, deux portraits d’artistes lesbiennes et/ou féministes, nous montrent deux opposées : celui de Zanele, photographe sud-africaine (« Difficult Love ») et celui de Louis(e) de Ville, artiste burlesque qui s’affiche lesbienne et féministe.

L’une, Zanele, lesbienne noire, filmée dans son environnement et son appréhension du monde, même si elle ne se dit pas -dans le film- ouvertement féministe, lutte  pour la visibilité lesbienne dans un pays où le viol correctif est trop souvent la sanction de l’amour entre femmes. Elle photographie le genre, les femmes, en s’interrogeant sur les codes. C’est un travail subversif, parce qu’elle prend des risques, parce qu’elle ne cesse de s’interroger sur tout. Ainsi, comment l’apartheid est aujourd’hui encore présent en Afrique du sud, sa compagne blanche et elle, noire, en ont un dialogue et elle en a fait une photo, très forte. On peut avoir le sentiment qu’elle ne va pas assez loin, notamment en en faisant un triptyque, qui, une fois encore, vient morceler le corps des femmes. Mais on sent une réflexion continue, une vraie déconstruction, un rôle essentiel et politique dans son environnement.

L’autre, Louis-e de Ville, (« portrait d’une « Bad girl ») artiste burlesque qui a beaucoup travaillé avec Wendy Delorme, est lesbienne et se dit féministe. Pendant les 20 minutes du film que j’ai suivies, j’ai pu faire ce constat : décidément, le burlesque porte bien son nom, c’est juste une façon burlesque – et où je n’arrive toujours pas à voir de réflexion- de caricaturer les codes sexistes tout en les reproduisant à l’identique. Ainsi, elle affirme déconstruire le genre et se présente comme une artiste subversive, rappelant même avoir été une fois arrêtée aux Etats-Unis. Mais ensuite, quand on voit les images des performances, on ne voit pas où est la subversion : par exemple, . lorsqu’avec Wendy Delorme elle fait une performance où elle joue un mari sur son lit de mort. Sa femme, éplorée, qui vient le voir et d’un coup se met à lui sauter dessus pour faire une fellation avec une bite sex toy… »what’s the point ? » »quel intérêt ? » pas d’explication…

Son credo, est annoncé dès le départ : elle est venue en France pour être «  diplomate et faire Sciences-po, est devenue strip-teaseuse : chacun sa façon de changer le monde ». Ou plus loin : « j’ai une esthétique de beauté et de joie », d’ailleurs je fais partie du cabaret des filles de joie…ou enfin :  « tout est possible, tout est un choix« . Désormais tout est clair : on est dans une perspective totalement individualiste et libérale. Je fais ce que je veux et je le décide….je ne vais pas m’étendre sur son choix à elle, juste souligner qu’il semble que le message politique revendiqué soit donc uniquement destiné à soi…que l’immense majorité des autres femmes, des autres lesbiennes dans le monde, n’aient pas ce choix, ne compte pas ? Et ici, franchement, je ne vois rien de subversif.

Peut-être le choix et la fameuse liberté d’expression ultra-libérale explique-t-elle  le clip « Kidnapping » vu (enfin non, je ne me suis pas fait la complice de le regarder, j’ai fermé les yeux), hier soir avant une séance sur « Le Tigre », les riot girrrrlz. On y voit une femme qui ramène à sa compagne dans un pick-up une autre femme kidnappée, en sang et pieds et poings liés, pour la soumettre à toutes sortes de tortures pseudo-sexuelles. Je n’ai pas regardé, je ne peux donc pas en dire plus. Mais non seulement je ne comprends pas que des femmes, des lesbiennes puissent revendiquer que ça n’est pas faire le jeu du monde patriarcal dans lequel nous sommes, mais je ne comprends pas pourquoi les organisatrices l’ont choisi (il semble d’ailleurs qu’il n’y ait pas eu consensus) et l’ont montré.

Pour moi, le fait que des femmes « performent » ces horreurs dont on a tant de mal à dire dans le monde hétéropatriarcal qu’elle sont de la torture et pas de la sexualité, alors que lors de viols sado-masochistes, donc avec tortures, certains tribunaux n’hésitent pas à en faire des circonstances atténuantes en changeant le principe humain fondamental d’impossibilité du consentement aux coups et à la torture,  ne change rien à l’affaire ! Le fait que ce soit un clip de musique, ne change rien à l’affaire ! On ne peut pas faire de la musique ou de l’art avec de la torture, à moins que le message soit sans ambiguïté politique, dans le but de la dénoncer ! On ne peut pas tout produire ou montrer sans réfléchir à notre responsabilité dans la banalisation de représentations qui nous sont intolérables et contre lesquelles nous essayons de changer le monde…on ne l’accepte pas quand OrelSan dit que ce qu’il dit est de la fiction, on ne l’accepte pas ici non plus !

J’espère que ce kidnapping du terme féministe pour des ignominies ne va pas emporter ce festival très important et unique qu’est Cineffable…

12 réflexions sur “La torture, ça n’est pas esthétique ni artistique, encore moins subversif…

  1. Je ne connais pas les personnes dont tu parles, mais je ne peux que te féliciter de pointer les choix personnels présentés névrotiquement comme des engagements politiques ou sociaux.
    Les gens qui ne s’engagent que pour trouver une justification à leurs propres comportements (tout en, dans une belel contradiction, revendiquant leur mépris des conventions) sont des manipulateurs egotiques, quelle que soit la légitimité de leurs choix de vie. J’aimerais que ce soit plus couvent souligné.

  2. Je suis totalement d’accord avec vos analyses.
    Et comme vous, je trouve inquiétant que le terme « féminisme » ou « féministe » soit de plus en plus galvaudé et que certain.e.s qui s’en réclament le vident de tous son sens.
    Encore merci pour ce texte intelligent et vigilant.

  3. subversion (du latin subversio subvertere : renverser) (nom féminin)

    Robert : bouleversement des idées et des valeurs reçues, surtout dans le domaine de la politique.

    Larousse : Action visant à saper les valeurs et les institutions établies. Qui est de nature à troubler ou à renverser l’ordre social ou politique.

  4. C’est le sens commun qui est kidnappé. Quant à toi, Sandrine, tu as de la patience: non seulement tu vas voir des films ayant un intérêt très limité, en plus tu décortiques, analyses leurs faux-pas. Moi, j’avoue être trop fainéante pour exercer regard ou critique, alors merci deux fois!

  5. IL Y A UN MOMENT OU IL FAUT SORTIR LES COUTEAUX. C’EST JUSTE UN FAIT PUREMENT TECHNIQUE. IL EST HORS DE QUESTION QUE L’OPPRESSEUR AILLE COMPRENDRE DE LUI-MÊME QU’IL OPPRIME PUISQUE CELA NE LE FAIT PAS SOUFFRIR : METTEZ-VOUS A SA PLACE… CE N’EST PAS SON CHEMIN, LE LUI EXPLIQUER EST SANS UTILITE.
    L’OPPRESSEUR N’ENTEND PAS CE QUE DIT SON OPPRIME COMME UN LANGAGE MAIS COMME UN BRUIT. C’EST DANS LA DEFINITION DE L’OPPRESSION. EN PARTICULIER, LES PLAINTES DE L’OPPRIME SONT SANS EFFET CAR NATURELLES. POUR L’OPPRESSEUR, IL N’Y A PAS D’OPPRESSION, FORCEMENT, MAIS UN FAIT DE NATURE.

    AUSSI EST-IL VAIN DE SE POSER COMME VICTIME : ON NE FAIT PAR LA QU’ENTERINER LA NATURE. QUE S’INSCRIRE DANS LE DECOR PLANTE PAR L’OPPRESSEUR. L’OPPRESSEUR QUI FAIT LE LOUABLE EFFORT INTELLECTUEL D’ECOUTER N’ENTEND PAS MIEUX. CAR MÊME LORSQUE LES MOTS SONT COMMUNS, LES CONNOTATIONS SONT RADICALEMENT DIFFERENTES. C’EST AINSI QUE DE NOMBREUX MOTS ONT POUR L’OPPRESSEUR UNE CONNOTATION JOUISSANCE ET, POUR L’OPPRIME, UNE CONNOTATION SOUFFRANCE. OU « divertissement/corvée » OU « loisir/travail » ALLEZ DONC CAUSER SUR CES BASES…

    C’EST AINSI QUE LA GENERALE REACTION DE L’OPPRESSEUR QUI A ECOUTE SON OPPRIME EST, EN GROS, MAIS DE QUOI DIABLE SE PLAINT-IL ?

    TOUT CELA EST EPATANT.
    AU NIVEAU DE L’EXPLICATION, C’EST DEFINITIVEMENT SANS ESPOIR. QUAND L’OPPRIME SE REND COMPTE DE CELA, IL SORT LES COUTEAUX.
    A PARTIR DE LA, ON COMPREND QU’IL Y A QUELQUE CHOSE QUI NE VA PAS.
    PAS AVANT.
    LE COUTEAU EST LE SEUL MOYEN DE SE DEFINIR COMME OPPRIME.
    LA SEULE COMMUNICATION « AUDIBLE ».
    PEU IMPORTENT LE CARACTERE, LA PERSONNALITE, LES MOBILES ACTUELS DE L’OPPRIME. C’EST LE PREMIER PAS HORS DU CERCLE. C’EST NECESSAIRE.

    CHRISTIANE ROCHEFORT.

    Il y aura celles et ceux qui le feront et celles et ceux qui ne le comprendront jamais.

  6. Perso, je (membre de la prog de cineff) vois les choses plutot comme toi, mais cineff n’est pas femmes en resistance, nous sommes le plus grand evenement lesbien de france, et nous essayons d’avoir une large gamme de films – politiques, mais aussi « bleuts romantiques », comiques, etc. De meme, nous montrons une gamme de point de vues féministes/lesbiens. Donc, nous trouvons légitime de passer un film sur une performeuse (louis/e de Ville) qui interroge le genre en reprenant les clichés (en les detournant aussi, car si elle joue des femmes potiches, elle se travestie aussi en homme, et montre qu’on peut etre les 2 à la fois).
    Nous sommes 60 femmes dans l’équipe de cineffable à l’année, plus une 20aine qui prêtent main forte pendant le festival. Et nous essayons de faire en sorte que le festival réflète cette diversité. Il y en a déjà qui trouvent que nous sommes “trop politiques”, et d’autres qui trouveront que nous ne le sommes (voire, ne le serons jamais ?) assez. Tant pis, pour moi, la beauté du festival tient en partie à ce mélange. En proposant du leger, en espérant tirer ainsi certaines vers le plus politique, mais aussi en offrant aux plus politisées un espace de détente, néanmoins non-mixte – ce qui est un acte politique en soi.
    Si certaines décisions peuvent heurter, et tout membre de la prog que je suis, moi-même j’étais mal à l’aise avec la décision de programmer “kidnapped”, en même temps, j’oserai croire qu’on ne va pas jeter le beau bébé cineffable — avec ces qq 60 heures de films cette année – avec les 5 minutes d’eau de bain de “kidnapped” que nous avons programmé pour des raisons de notoriété des artistes, pierrette et george, sur la scène musicale lesbienne, car nous voulons aussi promouvoir les artistes lesbiennes, qu’elles soit cinéastes, plasticiennes, musiciennes ou autre…
    Bref, autant que je peux comprendre tes réticences sur certains films, autant je pense que cineffable fait de son mieux à équilibrer politique et plaisir, à être non-mixte, certes, mais ouvert au plus grand nombre que possible des lesbiennes.
    Je précise que je parle en mon nom, n’ayant consulté avec personne. Alors si qq’une n’est pas d’accord, qu’elle s’en prenne à moi seule, et non pas à tout cineff,

    1. Bonsoir,
      je suis d’accord avec toi, cineff n’est pas femmes en resistance. D’ailleurs, je ne conteste pas nécessairement le choix d’avoir programmé Louis(e) de Ville, ce que je ne ferais pas à femmes en resistance…et je dis que j’ai apprécié que c’est un lieu d’expression et de débat. Je ne souhaite donc pas du tout jeter Cineffable avec l’eau du bain…mais je dis en même temps ce que ça m’inspire. parce qu’aussi, si le côté politique est -comme tu sembles l’indiquer- pas forcément majoritaire, c’est mieux de faire savoir que d’autres pourraient avoir envie que ça soit autrement…
      🙂

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