Va-t-on légaliser l’inceste entre adultes (en mettant un seuil de consentement à 18 ans) ?

Eric Dupont-Moretti, « ministre de la justice, a annoncé dans un premier temps un seuil de non consentement à 15 ans, pour des relations sexuelles adultes-mineur·es, puis de 18 ans en cas d’inceste. C’est un premier pas, semble-t-il, salué par les associations féministes et de protection de l’enfance. Mais quand j’ai vu l’info, je me suis demandé : est-ce que cela ne vient pas renforcer la légalisation de l’inceste en France ? Et pourquoi cette différence avec les autres mineur·es. ? Et puis j’ai réalisé que l’inceste entre adultes…était déjà légal ! Ce qui m’a poussé à me poser de nombreuses questions sur les débats en cours… Et à faire un parallèle avec la prostitution, qui je pense, éclaire et nourrit la réfléxion (n’ai-je pas toujours écrit ici que c’étaient les deux verrous du patriarcat ?)

Depuis qu’on est enfant, on apprend que dans toutes les sociétés de tous les temps, partout, le seul interdit commun est celui de l’inceste. On apprend aussi aux enfants qu’on « n’épouse pas ses parents ».

Oeuvre de Niki de Saint-Phalle, elle même victime d’inceste paternel.

Et pourtant, aujourd’hui, l’inceste est et n’est pas interdit en France. Ce qui est interdit, en vertu de ce principe universel, c’est seulement le mariage consanguin/familial, et le viol incestueux de mineur·es quand le consentement n’est pas évoqué..

Voici la liste des cas d’interdiction du mariage consanguin :

  • frère et sœur, même en cas d’adoption (la loi sur le mariage homosexuel a précisé que le mariage entre frères ou entre sœurs est également interdit) ;
  • ascendant et descendant (le lien de parenté est direct entre enfant et parent), même en cas d’adoption ;
  • entre beaux-parents (parâtre, marâtre) et beau-fils ou belle-fille (ex. : une fille d’un premier mariage et le deuxième mari de sa mère). Cette interdiction peut être levée par le président de la République si la personne qui a créé l’alliance est décédée. Toutefois en pratique certains mariages ont pu être célébrés3 ;
  • oncle et nièce, ou neveu et tante (interdiction qui peut être levée par le président de la République).

Le droit français autorise cependant le mariage entre belle-sœur et beau-frère, entre cousins, entre oncle et nièce adoptive et entre tante et neveu adoptif4.

En revanche, les relations sexuelles entre adultes « hors mariage » ayant ces liens de parenté ne sont pas interdites.

«Le droit français, comme le droit espagnol ou le droit portugais, ne condamne pas les relations sexuelles librement consenties entre des personnes majeures appartenant à la même famille, écrivait la commission. Ce faisant, la France, l’Espagne et le Portugal se différencient d’autres pays occidentaux qui font au contraire de l’inceste une infraction spécifique, indépendamment de toute violence, au titre des infractions contre la famille et le mariage notamment. Par exemple, l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse punissent d’une peine d’emprisonnement toute personne qui a des relations sexuelles avec un descendant, un ascendant, son frère ou sa sœur, sauf si l’auteur de l’infraction a moins de dix-huit ou dix-neuf ans.»

Source Slate

#metooinceste

Avec la révélation de l’ampleur des viols par inceste sur mineur·es ces dernières années et en particulier ces dernières semaines, on entend dire que « l’inceste est interdit en théorie, mais pas dans les faits ». Je crois qu’on se trompe. Ce n’est pas l’inceste parent (homme très majoritairement) adulte mineur qui est interdit ou tabou. Il est très répandu car il est le vestige de la propriété qu’avait le pater familias sur ceux qui peuplaient son foyer.

« L’interdit symbolique de l’inceste », c’est celui des relations sexuelles entre adultes (ou « en âge de se marier remplacé aujourd’hui par « de consentir à des relations sexuelles ») de même famille.

Dans l’ensemble, cet interdit là -non légal- est plutôt bien respecté. L’ordre symbolique est suffisamment fort pour que la loi soit rarement nécessaire. Elle pourrait l’être pourtant, comme dans le cas de cette jeune femme majeure, incestuée mineure puis majeure par son père violent (D.Mannechez). Elle l’a soutenu, s’est dit consentante, a eu des enfants avec lui, avant d’être à nouveau sa victime conjugale et de finir par être assassinée par lui – un fémincide conjugal type…

Seuil d’âge pour les mineur·es

Qu’il faille instaurer un seuil d’âge de consentement me semble une évidence, je ne vais pas rediscuter de cela. Pour moi, c’est l’âge qui se discute. 15 ans me semble trop jeune pour des relations sexuelles avec un adulte (et je ne parle pas des relations entre mineur·es ou avec très faible écart d’âge (genre 17 ans et demi / 18 ans et demi, qui n’entrent pas dans ce champ selon moi). Je l’ai déjà dit ici il y a des années, dans tous les cas, un homme de 50 ans avec une fille de 18 ou 19 ans, je pense que cela pose problème (et je ne dis pas non plus qu’il faut l’interdire, je dis que ça pose problème). Mais qu’on puisse évoquer le consentement pour une mineure de 16 ans avec un adulte beaucoup plus âgé me paraît compliqué. A tout prendre, 18 ans, l’âge de la majorité en tout, pourquoi ne serait-ce pas l’âge de la majorité sexuelle ? Et on pourrait faire des adaptations pour exclure les relations sexuelles entre gens d’âges proche (cf Canada(1)).

En revanche, qu’il faille instaurer un seuil de consentement pour les mineur·es différent en cas d’inceste (une circonstance aggravante suffirait), cela pose la question de la légalisation de celui-ci pour les adultes. Revenons à l’interdit de l’inceste. Il n’est donc dans la loi, que celui du mariage.

Faudrait-il alors l’interdire spécifiquement dans la loi ? De nombreux pays le font. Qu’est-ce qui le motiverait ? Il y a la question de la consanguinité, mais aussi celle des conséquences psychologiques et psychogénéalogiques dévastatrices, ce qu’on apprend enfant, que cela créerait des « lignés de débiles -car cela reproduit les tares génétiques. Mais surtout, il y a la question de l’emprise que les relations familiales créent, de la nécessité d’évoluer d’être élevée dans un espace de sécurité, ou la limite entre soi et l’autre est identifiable et identifiée. Une petite fille, un petit garçon, une petite soeur, une nièce, sont particulièrement sous « l’autorité paternelle » qui, si elle n’est plus exclusive, reste très prégnante symboliquement. On « obéit » à son père (et peut être aussi, à sa mère dans certains cas que je n’exclus pas), on lui doit obéissance, et cela ne s’arrête pas à 18 ans. On ne devient pas d’un coup « l’égal symbolique de son parent » parce qu’on est adulte.

De la même manière, un petit garçon ou une petite fille face à un grand frère, ne « fait pas le poids », et cela ne s’arrête pas « par miracle » à la majorité. Pour toutes ces raisons, l’inceste entre adultes pose problème. De violence, de lignée. Et c’est là que le parallèle avec la prostitution devient intéressant. Dans la prostitution non plus, « cela ne s’arrête pas à 18 ans et un jour ». Ce que tout le monde admet comme anormal avant 18 ans (tout en ne faisant pas grand chose contre ceux qui paient pour avoir des relations sexuelles avec des mineur·es), certain·es prétendent que d’un coup, adulte, du jour au lendemain, ce ne serait plus un problème, qu’on pourrait consentir à se voir imposer un acte sexuel en échange de rémunération, alors qu’on est dans une situation de vulnérabilité.

Pas si simple d’interdire…

En revanche, faut-il interdire l’inceste dans la loi ? Ce n’est pas si simple. En effet, si on l’interdisait purement et simplement, cela voudrait dire que les deux parties prenantes seraient pénalisées (c’est le cas en Allemagne, cf plus haut, ou au Canada). La victime et l’agresseur de la même manière.

Poussons le paralèlle avec la prostitution. Dans le modèle abolitionniste, on ne pénalise que celui qui a le pouvoir, le « client prostitueur » (et le proxénète) celui qui peut, parce qu’il a quelque chose dont l’autre a besoin -de l’argent, de la nourriture, une chambre- lui imposer un acte sexuel. On ne pénalise pas – ou plutôt on ne pénalise plus la victime. Cela ne fait que 5 ans que, grâce à la loi de 2016, le délit de racolage est aboli en France.

Ne pourrait-on réfléchir, dans les cas d’inceste, à interdire l’acte perpétré par celui qui a le pouvoir d’emprise sur l’autre et ne pénaliser que lui ? Et protéger sa victime ?

Pour l’inceste, cela peut paraître plus compliqué. Il n’y a pas l’argent. L’est-ce ?

… mais est-ce impossible ? pas souhaitable ?

Pour les relations père-fille, c’est plutôt facile à régler, comme dans le cas Mannechez (cité plus haut). La structure patriarcale de la famille est là pour indiquer qui a le pouvoir sur qui. Dans le cas de l’inceste mère-fils, cela peut être plus compliqué. Notamment si le fils a été inscestué par le père dans un contexte de violences conjugales classiques, on sait que la violence peut se retourner contre la mère. (mais soit les cas sont rarissimes, soit ils sont tellement tabous qu’ils ne sont pas ou peu documentés ; je ne sais rien non plus d’incestes adultes père-fils, sauf dans des cas d’adoption notamment de jeunes hommes ou d’adolescents par des « clients » prostitueurs, ou mère-fille).

En cas d’inceste frère-soeur (frère-frère ? Soeur-soeur ?), cela paraît plus compliqué. Sauf qu’enfant, la différence d’âge compte énormément. Et donc à tout le moins, si l’inceste a commencé enfant(2), il y a certainement eu emprise de l’un sur l’autre. Des témoignages de #Metooinceste, nombreux sur Twitter, l’ont montré.

En suivant le fil de l’exemple de la prostitution, on pourrait donc imaginer interdire l’acte sexuel par autorité familiale sur une personne en situation de vulnérabilité pour tout le monde, et en aggraver les circonstances quand c’est sur mineur·e (de 18 et encore plus de 15 ans), parce que cela vient de quelqu’un qui est censé vous protéger. (sur la prostitution des adultes, la peine est largement symbolique – une amende, délit en cas de récidive- mais c’est un début). Aujourd’hui en France, la prostitution n’est pas interdite. En dépit de ce que dit la loi sur la prostitution des mineur·es, elle ne l’est pas (3)! Ce qui est interdit, c’est le fait de solliciter un acte sexuel en échange de rémunération ou promesse de rémunération. C’est donc celui qui profite de la vulnérabilté d’autrui qui est visé, sa victime doit être protégée (mais l’est encore très imparfaitement).

Envisager l’inceste de cette manière, pourrait être une solution ? Les violences sexuelles sont un continuum, dans les formes (de l’éducation sexiste, l’insulte, au harcèlement, violence conjugal, viol, viol conjugal, viol par inceste ou prostitution) issu de l’ordre patriarcal de notre société. Elles se placent aussi dans un continuum d’âge, de bébé à vieillard·e. Elles ne sont pas une question qui se résume à « des relations sexuelles entre adultes consentants », concept purement théorique et idéologique qui ne permet pas d’opérer la réalité, mais de perpétuer l’ordre social. La violence, sexuelle en particulier, c’est d’abord un droit que s’accordent des humains sur plus faibles qu’eux, parce qu’ils le peuvent, et qu’ils ont peu de risque d’être punis. En patriarcat, c’est le cas dans l’immense majorité d’hommes sur des femmes, parce que le patriarcat fait tout pour que les femmes soient « en position de faiblesse » (physiquement, économiquement, juridiquement, et en termes de différence d’âge).

18 ans, seuil miracle?

Si l’on veut combattre toutes les violences sexuelles, et en particulier les plus graves (viols par inceste, pédocriminels et prostitution/prostitution filmée où les actes de torture sont légion), il faut prendre d’abord en compte ce facteur là : la position de faiblesse; Ce qui fait que la peine doit être alourdie ce n’est pas l’âge de la victime « en soi » mais le fait que cet âge la place en situation de vulnérabilité extrême de dépendance. Dans l’inceste, ce qui aggrave encore, c’est qu’elle est sous la protection, la responsabilité de celui qui la viole et donc avec encore moins de recours et un a priori de confiance. C’est la vulnérabilité de la victime au pouvoir de l’agresseur, qui fait qu’elle n’est pas en mesure de « consentir » à un acte sexuel, quand bien même elle le désirerait ou penserait le désirer (c’est le cas de Camille ou d’Ariane dans l’excellente série d’Arte « En thérapie » – il ne s’agit pas là d’inceste, mais de pédocriminalité, mais c’est très proche, les deux hommes incriminés étant des « pères de substitution »).

La minorité ne crée pas le crime ou le délit, mais l’aggrave. A contrario, avoir 18 ans n’annule pas toute vulnérabilité et ne fait pas « de facto » de l’individu un être libre. La loi doit encore être en mesure de déterminer dans quels cas elle ne peut être libre de porter atteinte à son propre corps – ou à son propre psychisme. Comme Muriel Fabre-Magnan, maîtresse de conférence en droit, dans cette interview que j’avais faite dans la revue « Prostitution et Société » « Consentir à se mettre à disposition d’autrui, n’est pas la liberté » :

« On peut parler d’une liberté de disposer de son corps si on entend par là la faculté de porter atteinte à son propre corps, par exemple en cessant de manger, en buvant, ou encore en s’entaillant le corps voire en se coupant un doigt. On a même le pouvoir de mettre fin à ses jours. Toutes ces « libertés » sont cependant plutôt des pouvoirs de fait, car le droit n’interviendra pas vraiment pour les soutenir (quelqu’un qui empêcherait une personne de se suicider ne pourrait ainsi sans doute pas être condamné pour entrave à la liberté d’autrui). Dès qu’il s’agit en revanche d’un rapport à autrui, c’est un principe d’indisponibilité du corps humain qu’il faut appliquer. Le consentement à ce qu’autrui porte atteinte à notre corps est alors inopérant (en dehors de cas particuliers comme la médecine bien sûr). La prostitution entre dans ce cas, où l’on prétendrait appeler liberté le consentement des personnes à se mettre à la disposition d’autrui. »

On pourrait envisager que l’inceste entre également dans ce cas, car on ne peut appeler liberté le consentement d’adultes pris dans des rapports d’emprise familiale les poussant à se mettre à disposition d’un autrui qui les a élevé·es dans ce système pervers.

Sandrine Goldschmidt

(1)

Au Canada, quelques exceptions à la règle générale, fondées sur la « proximité d’âge ».

Premièrement, lorsqu’une personne est accusée d’une infraction prévue aux articles 151 ou 152, au paragraphe 173(2) ou à l’article 271 à l’égard d’un plaignant âgé de 12 ans ou plus, mais de moins de 14 ans, le fait que le plaignant a consenti aux actes à l’origine de l’accusation constitue un moyen de défense si l’accusé, à la fois :

  • est de moins de deux ans l’aîné du plaignant;
  • n’est ni une personne en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis du plaignant, ni une personne à l’égard de laquelle celui-ci est en situation de dépendance, ni une personne qui est dans une relation où elle exploite le plaignant.
  • Deuxièmement pour un·e plaignant·e de 16 ans ou plus qui se dit consentante, écart d’âge de 5 ans.

(2)(et on voit mal comment il pourrait en être autrement sauf l’inceste « par hasard » de deux personnes qui ne se connaissaient pas et qui pourrait être, peut être, « le » cas non pénalisable, donc forcément celui dont on a déjà entendu parler)

(3) la prostitution est très mal définie juridiquement à part depuis la loi d’avril 2016 par l’interdiction d’achat d’acte sexuel.

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