Saint-Valentin, de la haine des juifs et de la haine des femmes



HorvilleurAujourd’hui, 14 février, c’est la Saint-Valentin. Je vais donc vous parler d’antisémitisme. Oui, car la Saint-Valentin symbolise l’antisémitisme. C’est en effet la triste date anniversaire du plus gros pogrom antisémite du Moyen-Age en France, à Strasbourg en 1349 (comme l’avait écrit Mélanie dans Mortelle Saint-Valentin)

Aujourd’hui, Saint-Valentin, je vais aussi vous parler de misogynie, et je dirais plutôt haine des femmes. Car la Saint-Valentin, c’est plus selon moi « la défaite de l’amour » et une manifestation de la haine des femmes de notre société, qui les objectifie, les transforme en marchandises.

Antisémitisme, haine des femmes. Deux sujets qui ont été malheureusement sur le devant de la scène de l’actualité, encore, cette semaine. Avec les tags sur les portraits de Simone Veil, à Paris, et la révélation du déchaînement de désamour des hommes envers les femmes avec l’affaire de « la ligue du LOL ».

Deux sujets qui sont plus étroitement liés encore qu’il n’y paraît. Liés par un même obscurantisme, qui reproche à l’autre d’exister. C’est une des réflexions de Delphine Horvilleur, femme et rabbin·e française, dans « Réflexions sur la question antisémite », le livre qu’elle vient de publier.

Elle y montre comment les haines des Juifs·ves et des femmes sont étroitement liées. Ainsi, on apprend dans cet ouvrage que souvent, ce que l’on reproche aux Juifs, c’est d’avoir plus, et que ce « plus » ferait que l’antisémite aurait « moins ». On apprend surtout que ce que l’on reproche aux hommes juifs, c’est de troubler le genre, d’être efféminés. On les accuse même des mêmes maux que les femmes : « La féminisation du Juif ne touche pas que son caractère, de nombreux textes antisémites suggèrent que la virilité fait biologiquement défaut au corps juif, et pas simplement à son esprit. Dès le Moyen-Age, fleurit une littérature antijuive qui affirme que le corps de l’homme juif saigne chaque mois, par l’un ou l’autre de ses organes, nez ou anus de préférence » (Je vous laisse découvrir à ce sujet dans le livre la blague juive sur les hémorroïdes qu’elle cite).

Au XXe siècle, l’antisémitisme crée une théorie pseudo-scientifique destinée à montrer que « l’homme juif est comme la femme ». « C’est ce qu’affirment des « recherches » scientifiques, qui énumèrent la longue liste des caractéristiques communes : l’hystérie, l’infiabilité, la manipulation ou même l’intérêt pour l’argent »,  (…) et plus loin, selon des écrits antisémites : « comme la femme, le juif serait dominé par le plaisir, les sens et la chair ».  

Ainsi, c’est bien la virilité, l’identité masculine que haine des femmes et des juifs s’imaginent défendre. C’est une identité statique, un TOUT qui n’existe pas, une complétude qu’on reproche à l’autre de vous empêcher d’avoir…  Masculinité toxique, dirait-on aujourd’hui, qu’incarnent entre autres les harceleurs du LOL.

Delphine Horvilleur aborde encore de nombreux sujets passionnants, dont la question de « l’élection des Juifs ». L’occasion d’en apprendre beaucoup ou peut-être rien ?, de ce que « Dieu » a révélé à ce « peuple élu » au Mont Sinaï (là encore, je n’en dis pas plus). Elle traite aussi de l’antisionisme, et de la façon dont, qu’on distingue ou non celui-ci de l’antisémitisme, il y a d’incontestables points communs entre une certaine fixation sur Israël et sur les Juifs·ves.

Le totalitarisme du « nous »

Et elle fait aussi un sort à la revendication identitaire contemporaine, qui parfois, transforme la lutte légitime pour la reconnaissance des discriminations faites à certains groupes, minorités ou parfois majorité (les femmes), en idéologie (c’est moi qui le dit).

Cette idéologie crée une hiérachie entre les victimes, et les statufie, les rendant à la fois incapables de se mouvoir, d’évoluer, donc d’être, et les exonère de toute forme de responsabilité. Elle menace aussi les droits individuels, poussant à juger l’individu non plus sur ses actes (ce qui est le fondement du droit humain), mais sur son appartenance à une identité.

J’ai enfin beaucoup apprécié ses réflexions sur le « nous », qui donnent aussi un élément de réponse à ce que j’appelle pour ma part  « la dictature des personnes concernées ».

Elle écrit, citant Résistances de la psychanalyse : « Nous est toujours le dit d’un seul. C’est toujours « moi » qui dit « nous », c’est toujours un « je » qui dit le « nous », supposant en somme par là, dans la structure disymétrique de l’énonciation, l’autre absent ou mort ou en tout cas incompétent, voire trop tard venu pour objecter. L’un signe pour l’autre » . (…)« la parole identitaire, même portée par un individu, est toujours celle qui signe pour l’autre, pour celui qui ne s’y reconnaît pas mais qui en devient malgré lui l’otage ».

Ou quand le « nous »  (ou nou·e·s) prend le pas sur le « je », il énonce la vérité d’un seul, et interdit la parole de tous/tes les autres.

Pour finir, en lisant le chapitre « l’antisémitisme est une guerre des sexes », je me suis dit à un  moment : « Mais alors, si l’antisémitisme a à voir avec la misogynie, cette dernière -contrairement à l’antisémitisme, ne se réduit pas aux antisémites, mais traverse toutes les sociétés patriarcales. Et côté patriarcat, le judaïsme n’est pas en reste, comme le montre le très beau film « Seder masochisme » de Nina Paley, Cela me donne donc très envie d’aller voir du côté du premier livre  de Delphine Horvilleur : « En tenue d’Ève : féminin, pudeur et judaïsme », pour voir comment elle tente de démêler cette question là.

 

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