Lady Sapiens et nous

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire « Lady Sapiens », de Jennifer Kerner, Thomas Cirotteau et Eric Pincas. Un tableau revigorant de l’organisation des sociétés humaines de la préhistoire, au paléolithique (-40 000 avant le présent jusque -10 000). Et des questionnements qui émergent.

Découvrir que nos ancêtres préhistoriques avaient inventé le porte-bébé, qui permettait aux femmes de ne pas être domestiquées (contraintes de rester au foyer pour s’occuper des enfants), et de prendre part aux activités extérieures. Que ces activités, si elles étaient probablement contraintes par les limites de la force physique, étaient loin de se cantonner à des activités périphériques. Voila qui est revigorant.

Actrices majeures de la collecte, et notamment animale (poissons, coquillages), les experts estiment à 50 à 70% leur apport à la survie du groupe (dans certaines sociétés étudiées – attention à toute généralisation). Mais attention, les analyses poussées aujourd’hui le prouvent : elles participaient aussi à la chasse, on retrouve des traces de lésions sur les os évoquant le lancer de javelot. Artistes, dont la présence dans les grottes est démontrée par les efforts conjoints de pisteurs africains et d’anthropologues, cuisinières, pourquoi pas chamanes, tout semble possible à Lady Sapiens.

Les nombreuses statues évoquant le féminin, avec des vulves et seins évidents, sont aussi étudiées: celles qu’on désigne comme des « Vénus » sont-elles des odes à la fertilité ou tout autre chose ? Pourquoi sont-elles le plus souvent sans tête (ce que vous imaginez bien, si vous êtes déjà venu·es ici, me pose question) ?

Le plus fascinant, est cette découverte, par l’analyse d’éléments végétaux autour des sites du Paléolithique supérieur, qui tendent à démontrer que Lady Sapiens, maîtrisant le végétal, était celle qui – le plus souvent- détenait le savoir médical. Plantes abortives, plantes antiseptiques, « aspirine » naturelle, tout cela a été retrouvé à sa proximité notamment au Brésil. Les femmes, guérisseuses, ancêtres de nos sorcières bien-aimées, massacrées à la fin du Moyen-Age pour qu’advienne le pire du patriarcat ? L’hypothèse est séduisante.

Question séduction et sexualité, le livre émet des hypothèses. Et une certitude : nos ancêtres prenaient soin de leur apparence. Les parures -bijoux, vêtements- n’étaient pas réservés aux rites funéraires. Autre hypothèse, celui que la violence était également moins présente que « l’alliance » entre clans, tribus, groupes. De citer des « échanges de femmes » entre groupe pour assurer la survie de l’espèce. Mais note justement que parler « d’échanges de femmes » est peut être déjà une vision venue d’aujourd’hui. Il y aurait aussi eu des échanges d’hommes, et pas d’indications sur les proportions. Rien non plus sur les relations hors alliances liées à la survie du groupe, ni sur la « monogamie » ou « polygamie » ni sur les éventuelles relations entre individu·es de même sexe. Faute de traces, ou d’être sujet de recherche ?

Vision scientifique ou dictée par l’époque ?

Reste pour moi une question, à la lecture de tous ces éléments : très rassurants pour nous, les femmes, ils reposent souvent sur des faits, mais aussi sur une réflexion qui en appelle au bon sens humain. Il est souvent dit que la survie du groupe rendait nécessaire que chaque individu humain, puisse y participer non pas en raison de son sexe, mais de ses compétences. On dirait que les choix fait par les mini-sociétés de l’époque, seraient des choix liés à l’intérêt général. Et que les « identités » individuelles pour reprendre nos préoccupations contemporaines, n’auraient loisir de s’exprimer que si elles étaient en phase avec cet intérêt général.

On y voit une harmonie entre intérêt général et appelons-les désirs individuels (on ne parle pas de droit), qui nous fait pâlir d’envie, ou de nostalgie. Du bon sens, en somme, nos ancêtres en auraient-eu tellement plus que nous ? Cette vision de Lady et Mr Sapiens n’est-elle pas le summum du « c’était mieux avant » ? Mieux avant quoi ? L’écriture et la généralisation des concepts, l’agriculture (dont il est dit d’ailleurs que Lady Sapiens pourrait avoir joué un rôle majeur dans son émergence), l’argent ?

En refermant l’ouvrage, je me demande : nos ancêtres n’auraient-ils pas connu les « pêchés capitaux ». L’envie, la jalousie, la violence, la gourmandise, tout cela aurait-il cédé le pas à l’intérêt général ? La société ancestrale aurait-elle été, par ailleurs, une société non patriarcale, et qu’est-ce qui ferait qu’un jour elle le serait devenue ? Est-ce le Livre, et cet arbre de la connaissance, qui finalement, auraient fini par nous précipiter loin de ce Jardin d’Eden ?

L’hypothèse, dans notre atmosphère de fin du monde et j’ose, de culminance du patriarcat (avant la chute ? #dontlookup), est-elle une épiphanie de la compréhension de notre monde qui semble avoir perdu tout -bon- sens ? Ou, et dans quelle mesure (car il y a aussi les faits scientifiques importants qui sont exposés, bien sûr), peut-on y voir une nouvelle façon d’interpréter notre monde en fonction de qui nous sommes aujourd’hui ?

Sandrine Goldschmidt

Va-t-on légaliser l’inceste entre adultes (en mettant un seuil de consentement à 18 ans) ?

Eric Dupont-Moretti, « ministre de la justice, a annoncé dans un premier temps un seuil de non consentement à 15 ans, pour des relations sexuelles adultes-mineur·es, puis de 18 ans en cas d’inceste. C’est un premier pas, semble-t-il, salué par les associations féministes et de protection de l’enfance. Mais quand j’ai vu l’info, je me suis demandé : est-ce que cela ne vient pas renforcer la légalisation de l’inceste en France ? Et pourquoi cette différence avec les autres mineur·es. ? Et puis j’ai réalisé que l’inceste entre adultes…était déjà légal ! Ce qui m’a poussé à me poser de nombreuses questions sur les débats en cours… Et à faire un parallèle avec la prostitution, qui je pense, éclaire et nourrit la réfléxion (n’ai-je pas toujours écrit ici que c’étaient les deux verrous du patriarcat ?)

Depuis qu’on est enfant, on apprend que dans toutes les sociétés de tous les temps, partout, le seul interdit commun est celui de l’inceste. On apprend aussi aux enfants qu’on « n’épouse pas ses parents ».

Oeuvre de Niki de Saint-Phalle, elle même victime d’inceste paternel.

Et pourtant, aujourd’hui, l’inceste est et n’est pas interdit en France. Ce qui est interdit, en vertu de ce principe universel, c’est seulement le mariage consanguin/familial, et le viol incestueux de mineur·es quand le consentement n’est pas évoqué..

Voici la liste des cas d’interdiction du mariage consanguin :

  • frère et sœur, même en cas d’adoption (la loi sur le mariage homosexuel a précisé que le mariage entre frères ou entre sœurs est également interdit) ;
  • ascendant et descendant (le lien de parenté est direct entre enfant et parent), même en cas d’adoption ;
  • entre beaux-parents (parâtre, marâtre) et beau-fils ou belle-fille (ex. : une fille d’un premier mariage et le deuxième mari de sa mère). Cette interdiction peut être levée par le président de la République si la personne qui a créé l’alliance est décédée. Toutefois en pratique certains mariages ont pu être célébrés3 ;
  • oncle et nièce, ou neveu et tante (interdiction qui peut être levée par le président de la République).

Le droit français autorise cependant le mariage entre belle-sœur et beau-frère, entre cousins, entre oncle et nièce adoptive et entre tante et neveu adoptif4.

En revanche, les relations sexuelles entre adultes « hors mariage » ayant ces liens de parenté ne sont pas interdites.

«Le droit français, comme le droit espagnol ou le droit portugais, ne condamne pas les relations sexuelles librement consenties entre des personnes majeures appartenant à la même famille, écrivait la commission. Ce faisant, la France, l’Espagne et le Portugal se différencient d’autres pays occidentaux qui font au contraire de l’inceste une infraction spécifique, indépendamment de toute violence, au titre des infractions contre la famille et le mariage notamment. Par exemple, l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse punissent d’une peine d’emprisonnement toute personne qui a des relations sexuelles avec un descendant, un ascendant, son frère ou sa sœur, sauf si l’auteur de l’infraction a moins de dix-huit ou dix-neuf ans.»

Source Slate

#metooinceste

Avec la révélation de l’ampleur des viols par inceste sur mineur·es ces dernières années et en particulier ces dernières semaines, on entend dire que « l’inceste est interdit en théorie, mais pas dans les faits ». Je crois qu’on se trompe. Ce n’est pas l’inceste parent (homme très majoritairement) adulte mineur qui est interdit ou tabou. Il est très répandu car il est le vestige de la propriété qu’avait le pater familias sur ceux qui peuplaient son foyer.

« L’interdit symbolique de l’inceste », c’est celui des relations sexuelles entre adultes (ou « en âge de se marier remplacé aujourd’hui par « de consentir à des relations sexuelles ») de même famille.

Dans l’ensemble, cet interdit là -non légal- est plutôt bien respecté. L’ordre symbolique est suffisamment fort pour que la loi soit rarement nécessaire. Elle pourrait l’être pourtant, comme dans le cas de cette jeune femme majeure, incestuée mineure puis majeure par son père violent (D.Mannechez). Elle l’a soutenu, s’est dit consentante, a eu des enfants avec lui, avant d’être à nouveau sa victime conjugale et de finir par être assassinée par lui – un fémincide conjugal type…

Seuil d’âge pour les mineur·es

Qu’il faille instaurer un seuil d’âge de consentement me semble une évidence, je ne vais pas rediscuter de cela. Pour moi, c’est l’âge qui se discute. 15 ans me semble trop jeune pour des relations sexuelles avec un adulte (et je ne parle pas des relations entre mineur·es ou avec très faible écart d’âge (genre 17 ans et demi / 18 ans et demi, qui n’entrent pas dans ce champ selon moi). Je l’ai déjà dit ici il y a des années, dans tous les cas, un homme de 50 ans avec une fille de 18 ou 19 ans, je pense que cela pose problème (et je ne dis pas non plus qu’il faut l’interdire, je dis que ça pose problème). Mais qu’on puisse évoquer le consentement pour une mineure de 16 ans avec un adulte beaucoup plus âgé me paraît compliqué. A tout prendre, 18 ans, l’âge de la majorité en tout, pourquoi ne serait-ce pas l’âge de la majorité sexuelle ? Et on pourrait faire des adaptations pour exclure les relations sexuelles entre gens d’âges proche (cf Canada(1)).

En revanche, qu’il faille instaurer un seuil de consentement pour les mineur·es différent en cas d’inceste (une circonstance aggravante suffirait), cela pose la question de la légalisation de celui-ci pour les adultes. Revenons à l’interdit de l’inceste. Il n’est donc dans la loi, que celui du mariage.

Faudrait-il alors l’interdire spécifiquement dans la loi ? De nombreux pays le font. Qu’est-ce qui le motiverait ? Il y a la question de la consanguinité, mais aussi celle des conséquences psychologiques et psychogénéalogiques dévastatrices, ce qu’on apprend enfant, que cela créerait des « lignés de débiles -car cela reproduit les tares génétiques. Mais surtout, il y a la question de l’emprise que les relations familiales créent, de la nécessité d’évoluer d’être élevée dans un espace de sécurité, ou la limite entre soi et l’autre est identifiable et identifiée. Une petite fille, un petit garçon, une petite soeur, une nièce, sont particulièrement sous « l’autorité paternelle » qui, si elle n’est plus exclusive, reste très prégnante symboliquement. On « obéit » à son père (et peut être aussi, à sa mère dans certains cas que je n’exclus pas), on lui doit obéissance, et cela ne s’arrête pas à 18 ans. On ne devient pas d’un coup « l’égal symbolique de son parent » parce qu’on est adulte.

De la même manière, un petit garçon ou une petite fille face à un grand frère, ne « fait pas le poids », et cela ne s’arrête pas « par miracle » à la majorité. Pour toutes ces raisons, l’inceste entre adultes pose problème. De violence, de lignée. Et c’est là que le parallèle avec la prostitution devient intéressant. Dans la prostitution non plus, « cela ne s’arrête pas à 18 ans et un jour ». Ce que tout le monde admet comme anormal avant 18 ans (tout en ne faisant pas grand chose contre ceux qui paient pour avoir des relations sexuelles avec des mineur·es), certain·es prétendent que d’un coup, adulte, du jour au lendemain, ce ne serait plus un problème, qu’on pourrait consentir à se voir imposer un acte sexuel en échange de rémunération, alors qu’on est dans une situation de vulnérabilité.

Pas si simple d’interdire…

En revanche, faut-il interdire l’inceste dans la loi ? Ce n’est pas si simple. En effet, si on l’interdisait purement et simplement, cela voudrait dire que les deux parties prenantes seraient pénalisées (c’est le cas en Allemagne, cf plus haut, ou au Canada). La victime et l’agresseur de la même manière.

Poussons le paralèlle avec la prostitution. Dans le modèle abolitionniste, on ne pénalise que celui qui a le pouvoir, le « client prostitueur » (et le proxénète) celui qui peut, parce qu’il a quelque chose dont l’autre a besoin -de l’argent, de la nourriture, une chambre- lui imposer un acte sexuel. On ne pénalise pas – ou plutôt on ne pénalise plus la victime. Cela ne fait que 5 ans que, grâce à la loi de 2016, le délit de racolage est aboli en France.

Ne pourrait-on réfléchir, dans les cas d’inceste, à interdire l’acte perpétré par celui qui a le pouvoir d’emprise sur l’autre et ne pénaliser que lui ? Et protéger sa victime ?

Pour l’inceste, cela peut paraître plus compliqué. Il n’y a pas l’argent. L’est-ce ?

… mais est-ce impossible ? pas souhaitable ?

Pour les relations père-fille, c’est plutôt facile à régler, comme dans le cas Mannechez (cité plus haut). La structure patriarcale de la famille est là pour indiquer qui a le pouvoir sur qui. Dans le cas de l’inceste mère-fils, cela peut être plus compliqué. Notamment si le fils a été inscestué par le père dans un contexte de violences conjugales classiques, on sait que la violence peut se retourner contre la mère. (mais soit les cas sont rarissimes, soit ils sont tellement tabous qu’ils ne sont pas ou peu documentés ; je ne sais rien non plus d’incestes adultes père-fils, sauf dans des cas d’adoption notamment de jeunes hommes ou d’adolescents par des « clients » prostitueurs, ou mère-fille).

En cas d’inceste frère-soeur (frère-frère ? Soeur-soeur ?), cela paraît plus compliqué. Sauf qu’enfant, la différence d’âge compte énormément. Et donc à tout le moins, si l’inceste a commencé enfant(2), il y a certainement eu emprise de l’un sur l’autre. Des témoignages de #Metooinceste, nombreux sur Twitter, l’ont montré.

En suivant le fil de l’exemple de la prostitution, on pourrait donc imaginer interdire l’acte sexuel par autorité familiale sur une personne en situation de vulnérabilité pour tout le monde, et en aggraver les circonstances quand c’est sur mineur·e (de 18 et encore plus de 15 ans), parce que cela vient de quelqu’un qui est censé vous protéger. (sur la prostitution des adultes, la peine est largement symbolique – une amende, délit en cas de récidive- mais c’est un début). Aujourd’hui en France, la prostitution n’est pas interdite. En dépit de ce que dit la loi sur la prostitution des mineur·es, elle ne l’est pas (3)! Ce qui est interdit, c’est le fait de solliciter un acte sexuel en échange de rémunération ou promesse de rémunération. C’est donc celui qui profite de la vulnérabilté d’autrui qui est visé, sa victime doit être protégée (mais l’est encore très imparfaitement).

Envisager l’inceste de cette manière, pourrait être une solution ? Les violences sexuelles sont un continuum, dans les formes (de l’éducation sexiste, l’insulte, au harcèlement, violence conjugal, viol, viol conjugal, viol par inceste ou prostitution) issu de l’ordre patriarcal de notre société. Elles se placent aussi dans un continuum d’âge, de bébé à vieillard·e. Elles ne sont pas une question qui se résume à « des relations sexuelles entre adultes consentants », concept purement théorique et idéologique qui ne permet pas d’opérer la réalité, mais de perpétuer l’ordre social. La violence, sexuelle en particulier, c’est d’abord un droit que s’accordent des humains sur plus faibles qu’eux, parce qu’ils le peuvent, et qu’ils ont peu de risque d’être punis. En patriarcat, c’est le cas dans l’immense majorité d’hommes sur des femmes, parce que le patriarcat fait tout pour que les femmes soient « en position de faiblesse » (physiquement, économiquement, juridiquement, et en termes de différence d’âge).

18 ans, seuil miracle?

Si l’on veut combattre toutes les violences sexuelles, et en particulier les plus graves (viols par inceste, pédocriminels et prostitution/prostitution filmée où les actes de torture sont légion), il faut prendre d’abord en compte ce facteur là : la position de faiblesse; Ce qui fait que la peine doit être alourdie ce n’est pas l’âge de la victime « en soi » mais le fait que cet âge la place en situation de vulnérabilité extrême de dépendance. Dans l’inceste, ce qui aggrave encore, c’est qu’elle est sous la protection, la responsabilité de celui qui la viole et donc avec encore moins de recours et un a priori de confiance. C’est la vulnérabilité de la victime au pouvoir de l’agresseur, qui fait qu’elle n’est pas en mesure de « consentir » à un acte sexuel, quand bien même elle le désirerait ou penserait le désirer (c’est le cas de Camille ou d’Ariane dans l’excellente série d’Arte « En thérapie » – il ne s’agit pas là d’inceste, mais de pédocriminalité, mais c’est très proche, les deux hommes incriminés étant des « pères de substitution »).

La minorité ne crée pas le crime ou le délit, mais l’aggrave. A contrario, avoir 18 ans n’annule pas toute vulnérabilité et ne fait pas « de facto » de l’individu un être libre. La loi doit encore être en mesure de déterminer dans quels cas elle ne peut être libre de porter atteinte à son propre corps – ou à son propre psychisme. Comme Muriel Fabre-Magnan, maîtresse de conférence en droit, dans cette interview que j’avais faite dans la revue « Prostitution et Société » « Consentir à se mettre à disposition d’autrui, n’est pas la liberté » :

« On peut parler d’une liberté de disposer de son corps si on entend par là la faculté de porter atteinte à son propre corps, par exemple en cessant de manger, en buvant, ou encore en s’entaillant le corps voire en se coupant un doigt. On a même le pouvoir de mettre fin à ses jours. Toutes ces « libertés » sont cependant plutôt des pouvoirs de fait, car le droit n’interviendra pas vraiment pour les soutenir (quelqu’un qui empêcherait une personne de se suicider ne pourrait ainsi sans doute pas être condamné pour entrave à la liberté d’autrui). Dès qu’il s’agit en revanche d’un rapport à autrui, c’est un principe d’indisponibilité du corps humain qu’il faut appliquer. Le consentement à ce qu’autrui porte atteinte à notre corps est alors inopérant (en dehors de cas particuliers comme la médecine bien sûr). La prostitution entre dans ce cas, où l’on prétendrait appeler liberté le consentement des personnes à se mettre à la disposition d’autrui. »

On pourrait envisager que l’inceste entre également dans ce cas, car on ne peut appeler liberté le consentement d’adultes pris dans des rapports d’emprise familiale les poussant à se mettre à disposition d’un autrui qui les a élevé·es dans ce système pervers.

Sandrine Goldschmidt

(1)

Au Canada, quelques exceptions à la règle générale, fondées sur la « proximité d’âge ».

Premièrement, lorsqu’une personne est accusée d’une infraction prévue aux articles 151 ou 152, au paragraphe 173(2) ou à l’article 271 à l’égard d’un plaignant âgé de 12 ans ou plus, mais de moins de 14 ans, le fait que le plaignant a consenti aux actes à l’origine de l’accusation constitue un moyen de défense si l’accusé, à la fois :

  • est de moins de deux ans l’aîné du plaignant;
  • n’est ni une personne en situation d’autorité ou de confiance vis-à-vis du plaignant, ni une personne à l’égard de laquelle celui-ci est en situation de dépendance, ni une personne qui est dans une relation où elle exploite le plaignant.
  • Deuxièmement pour un·e plaignant·e de 16 ans ou plus qui se dit consentante, écart d’âge de 5 ans.

(2)(et on voit mal comment il pourrait en être autrement sauf l’inceste « par hasard » de deux personnes qui ne se connaissaient pas et qui pourrait être, peut être, « le » cas non pénalisable, donc forcément celui dont on a déjà entendu parler)

(3) la prostitution est très mal définie juridiquement à part depuis la loi d’avril 2016 par l’interdiction d’achat d’acte sexuel.

Justice pour Julie, justice pour les femmes

Si vous avez suivi l’affaire #JusticepourJulie, vous saurez à quel point l’affaire de cette jeune fille violée de 13 à 15 ans par près de 20 pompiers incarne le scandale du déni de justice patriarcale envers les femmes. Mercredi, la Cour de cassation doit décider si elle revient sur la décision de la cour d’appel de ne pas requalifier en viols ce qui a été pour l’instant seulement scandaleusement qualifié d’atteinte sexuelle.

Je vous renvoie vers les communiqués de presse notamment celui d’Osez le féminisme qui a également fait de nombreux visuels très didactiques sur Instagram ou encore vers Les Effronté·es, le Collectif droits des femmes, ou les Femen qui ont mené hier une action spectaculaire devant le ministère de la justice et ont toutes reçu une amende de 135 euros…

Dans toute la France à 14h30 avaient lieu des rassemblements en soutien à la demande de Justice pour Julie, voici quelques photos prises au rassemblement à la Fontaine Saint-Michel à Paris, ou Corinne Leriche, la mère de Julie qui se bat sans relâche pour sa fille, ainsi que son père, étaient présents.


L’assassinat d’Amy Winehouse

Capture d’écran 2015-07-22 à 10.54.31Oui. La star internationale est morte à 27 ans d’un arrêt cardiaque, pas d’un assassinat en bonne et due forme. Mais après avoir vu le film « Amy », documentaire sorti récemment sur Amy Winehouse, chanteuse au talent et à la voix tout à fait exceptionnelles, je voudrais écrire combien sa mort est le produit du sort réservé aux femmes dans nos sociétés patriarcales, et aux femmes qui menacent l’ordre établi par leur exceptionnel talent. Ainsi, si la jeune britannique est morte aussi jeune, en n’ayant pu « sortir » que deux disques -mais deux disques exceptionnels, dont « Black to Black » (digression : je l’ai acheté par hasard le 31 décembre 2006, voulant me faire un cadeau après avoir enfin retrouvé mon passeport et effectué une dans mémorable depuis rebaptisée « danse du passeport » et j’avoue combien j’ai été scotchée…écoutant ensuite le CD en boucle pendant longtemps), c’est bien parce qu’elle a été la victime systématique de violences répétées du patriarcat, et d’un certain nombre d’hommes en particulier. Probablement, on ne retiendra du film que la duplicité d’un père, la cruauté du monde du show biz, les ravages de la drogue et le revers de la célébrité. Mais pour peu qu’on veuille bien entendre ce qui est dit, clairement, à plusieurs reprises, par différents protagonistes du film, dont les principaux intéressés (Amy, son père, son « mari », son manager, son garde du corps, ses amies), on comprend qu’il s’agit d’une sorte de « fatalité patriarcale », du sort réservé aux femmes en général et qui l’a privée d’une vie épanouie et longue, et nous a privées d’une femme exceptionnelle et d’une artiste unique.

Une vie de violences patriarcales

En effet, de sa naissance à sa mort, les hommes qui l’ont entourée et ont le plus compté pour elle se sont livrés à un pillage systématique fondé sur le chantage à l’amour. Son père, son mari, son deuxième manager. Ainsi, son père, qui l’a abandonnée lorsqu’elle avait 8 ou 9 ans, a réussi à lui mettre dans la tête que son « amour » lui était en vérité indispensable, que son « rôle séparateur » tel que la psychanalyse misogyne l’a établi lui aurait été nécessaire. Ainsi, son père s’intéresse à elle à partir du moment où elle devient une artiste reconnue. Mais surtout, il prend alors le contrôle de sa vie -non pas pour la protéger- mais dans son intérêt à lui. Lorsque son entourage l’encourage à aller en « Rehab » (désintox) alors qu’elle n’est pas encore une star internationale, et qu’elle se rend à l’avis de son père, il affirme qu’elle n’a pas besoin d’y aller (c’est d’ailleurs l’épisode qui l’a inspirée pour son plus grand succès : « they wanted me to go to rehab, I said « no, no, no ». Quand ensuite, elle veut aller finalement en désintox mais seulement avec son mari (ce que tout le monde sait dans le monde médical être un danger pour elle), son père et son manager lui trouvent une clinique où ils sont acceptés ensemble. Enfin lorsqu’elle est mise à l’abri des paparazzi suite à l’arrestation de Blake le mari, sur l’île de Santa Lucia, elle réclame la venue de son père, qui vient avec…une équipe de tournage !!!

Le père absent de son enfance, qui ne s’est pas préoccupé une seconde de sa boulimie ou de sa dépression semble-t-il, est donc omniprésent à l’âge adulte, dès lors qu’elle peut lui assurer le succès. Autre acteur clé, le mari drogué. Caricature là encore de l’homme parasite…il la quitte pour son ex jusqu’au moment où elle a un grand succès, et qu’elle écrit l’amour qu’elle a pour lui (et qui lui assure le succès international). C’est là qu’il trouve le « filon », à travers celle qui lui permettra d’avoir de la drogue à volonté, et qui n’a aucun intérêt à ce qu’elle soit « clean ». Elle est clairement sous son emprise (un soir de défonce, il se taille le bras avec un morceau de verre, elle le fait aussi « parce qu’elle veut tout faire comme lui »), et lui trouve encore le moyen de se plaindre d’elle, de façon posthume.

Male tears et absence de culpabilité

Le manager enfin, qui se justifie en disant que lui « a fait son job », et que ce n’était pas à lui de décider d’annuler les concerts alors qu’il était évident qu’elle n’était pas en état de les faire (ainsi, à Belgrade, elle refuse de chanter devant des dizaines de milliers de personnes qui la huent). Car c’était une question d’argent. L’argent, dont elle se fichait et qui ne lui a rien apporté. Les hommes autour d’elle, en revanche, avaient absolument besoin de son succès…Tous les trois sont encore là, alors qu’elle est morte, et continuent certainement à tirer profit de son talent, et le tout, avec apparemment aucun sentiment de culpabilité. On les entend dans le film, le mari avec ses « male tears », se posant en victime, le père pour dire « qu’il a fait tout ce qu’il pouvait », le manager pour dire que « ce n’était pas son affaire »…Le comble, c’est que les seulEs qu’on sent touchéEs par la culpabilité sont celles et celui (le premier manager) qui n’ont en rien encouragé sa dérive et qui ont toujours été là.

L’humour, arme de destruction massive

Enfin, violence supplémentaire, celle du jugement de la société sur la star en dérive. Les images sont d’une immense violence, celles des humoristes de télévision, tous des hommes, qui gagnent leur vie en faisant de l’humour sur sa souffrance, d’une façon ultra-violente, misogyne et sexiste…les extraits sont insupportables. En résumé et pour boucler la boucle, le film est une démonstration implacable du sort réservé en général aux femmes : les condamner à vouloir et quémander un amour de la part d’hommes dont l’objectif est en réalité de les détruire et de les utiliser à leurs fins, et du sort réservés aux femmes artistes en particulier : les punir d’égaler ou de dépasser les hommes artistes, tout en récupérant les profits que leur talent engendre.

Un moment de grâce

Et le film, comment traite-t-il de cette histoire ? C’est un travail exceptionnel de montage d’images d’archives (il y en a énormément), et d’interview de tous les témoins, qui font qu’on sait tout de chaque épisode…j’ai regretté pourtant que la caméra insiste trop à la fin sur les clichés de la déchéance, pas toujours indispensables dans la longueur à la démonstration. Pour finir sur une note positive, il y a un moment assez exceptionnel vers la fin du film : l’enregistrement du duo Amy Winehouse/Tony Bennett, grand moment d’émotion, ou pour la première fois, on voit un homme la traiter normalement, avec bienveillance. Un moment de grâce qui, en nous montrant ce qu’aurait pu être, ce qu’aurait dû être la vie d’artiste d’Amy Winehouse, une longue vie de création musicale et d’expression vocale exceptionnelle, nous donne encore plus l’impression d’un immense gâchis patriarcal. Sandrine Goldschmidt

Saint-Valentin ou la défaite de l’amour

Aujourd’hui c’est la Saint-Valentin. Pas elle, me direz-vous ? Elle ne va tout de même pas en parler elle aussi ?

Pourtant, si. Je vais en parler, pas de la Saint-Valentin, mais de l’amour. Déjà, je vous en parle tous les ans en re-publiant l’article de Melanie, mon arrière-arrière-grand-mère, dybbuk issu de mon imagination qui a son propre blog. Tous les ans, elle vient nous rappeler que le principal événement historique accolé à la Saint-Valentin en France est un acte qui signe la défaite de l’amour, et la victoire de l’obscurantisme religieux, sur fond de « grande peur » (la peste)  : « Le samedi 14 février 1349, jour de la Saint-Valentin, on cerna le quartier juif. Tous ses habitants furent traînés par la foule au cimetière de la communauté, où on les entassa sur un immense bûcher. Deux mille Juifs furent brûlés vifs. Seuls échappèrent un certain nombre d’enfants et quelques adultes qui abjurèrent leur foi ». 

D’une religion dont le message nous dit-on était un message d’amour, naît la haine, la destruction, et meurt ce qui fait la vie : le lien d’amour, c’est-à-dire la reconnaissance de l’autre, vivant comme moi, comme une personne vivante que je dois respecter. Voila qui résonne fort cette année à nos oreilles, avec la question de l’obscurantisme religieux,  et de la haine des juifs sur le devant de la scène.

Quel rapport avec la Saint-Valentin aujourd’hui ? 

Mais l’obscurantisme ne s’arrête pas là, se nourrit aussi de la haine des femmes, par le biais de l’amour réifié. L’obscurantisme de l’amour, n’a rien à voir pour le coup avec la religion, mais bien avec la nouvelle religion de notre monde : l’argent, et l’ultime forme de notre société qui tente de transformer tout ce qui fait le vivant -le désir, le lien, la finitude qui pousse à se reproduire- en marchandise inerte.

Et c’est là qu’entre en jeu l’arnaque de la Saint-Valentin, l’arnaque de la société capitaliste. Tout notre système contribue aujourd’hui à transformer la pulsion de vie, le désir, le plaisir d’être en objet marchand, qu’on consomme et qu’on jette. Alors que dans le même temps, on essaie de transformer l’humain en une machine intelligente et éternelle -qui ne mourra pas. C’est la pulsion de mort qui s’exprime.

securedownload-2C’est en effet extraordinaire comme d’un côté on cherche à prolonger au maximum le vivant, oubliant que ce qui fait la vie, c’est qu’elle s’arrête, ce qui pousse au désir de créer la vie, c’est qu’elle se renouvelle, et comme de l’autre, on détruit le vivant en le réifiant. On assimile l’amour à des actes marchandisables, la sexualité à des techniques inertes à l’objectif d’atteindre un orgasme normé (1). On impose à toutes et tous un devoir de jouir pour imposer sur le marché des objets (sex-toys, mais aussi être humains entraînés dans la prostitution et qu’on assimile à des objets (2), on impose aussi une façon de jouir qui transforme l’autre -la femme en général- en objet masturbatoire, au profit de la consommation de sexe par des hommes qu’on élève à ne pouvoir ressentir autre chose. Ainsi la femme-objet devient instrument masturbatoire pour l’homme, et reçoit aujourd’hui l’injonction « d’aimer » cela, même s’il s’agit d’être violentée(3). Enfin, la Saint-Valentin associe l’expression de l’amour à l’échange commercial, la réduisant encore une fois à l’inerte (4).

Il semblerait donc  que notre société, fondée sur  patriarcat+capitalisme, soit empêtrée dans la spirale de la pulsion de mort, qui se manifeste jusque dans la volonté d’être éternellement jeune, de faire disparaître la vieillesse, la mort et l’amour. Etre effacé par la mort plutôt que vieux et mourant (suicide assisté) pour ne pas perturber la jeunesse éternelle, être inerte plutôt qu’aimant et désirant, donc être immobile plutôt qu’en permanent mouvement vers nous-mêmes. C’est le modèle qu’on nous propose, mais contre lequel heureusement nous résistons encore !

Sandrine GOLDSCHMIDT

(1) sur la norme hétérosexuelle, écouter l’excellent documentaire de F.Pollet-Rouyer sur France Culture)

(2) Dans les jours prochains je ferai une Revue de presse sur le #Carlton et l’inscription de la PPL prostitution à l’ordre du jour du Sénat. Déjà un lien http://www.humanite.fr/proces-carlton-une-plaidoirie-pour-labolition-565586

(3) sur comment le cinéma (et pas que la pornographie) apprend aux femmes à « aimer » ne pas être actrices de leur désir, cf le même documentaire, + son contre-exemple absolu, preuve de nos dires : 50 nuances de Grey.

(4) Le Gorafi a encore frappé : bien meilleur que tout billet sur l’horreur de la Saint-Valentin, cet article :http://www.legorafi.fr/2015/02/13/saint-valentin-recrudescence-des-theories-du-complot-qui-affirment-que-lamour-existe/

 

 

R.Schembri : l’injustice française

pdjpdpx.pngJe ne vais pas écrire long alors que d’autres l’ont déjà fait et mieux. Je n’arrive juste pas à comprendre intellectuellement et humainement ce monde.
Même s’il est patriarcal et donc au service du dominant et privé d’empathie par un dressage à la violence faite aux femmes, je n’arrive pas à comprendre l’équation.
30 ans de tortures dont viols (non qualifiés par la justice comme tels mais reconnus pendant le procès) = 10 ans de prison.

Comment après ne pas dire que c’est parce que c’est « juste une femme » ?

Comment ne pas y reconnaître ce que toutes les victimes vivent et ressentent face à l’injustice française (et patriarcale) ?

Comment espérer qu’un jour les victimes puissent « briser le silence » qu’on leur enjoint perpétuellement à briser ?

Comment espérer qu’elles portent plainte ?

Comment ne pas soupçonner la justice de minimiser systématiquement les violences des hommes contre les femmes et ainsi d’encourager à ce qu’elles perdurent ?

Mais je vous laisse à la lecture du communiqué de l’AVFT, qui a été partie civile au procès, et dit tout cela beaucoup mieux et précisément que moi :

R. Schembri : 10 années de réclusion théoriques pour 32 ans de tortures réelles
Et avec la lecture du dernier article de Muriel Salmona, avec le désespoir qu’elle, nous soyons encore obligé d’expliquer que la victime n’est pas consentante mais sous emprise…

Colette, torturée pendant 30 ans par son mari, arrêtons de culpabiliser les victimes

http://www.humanite.fr/societe/muriel-salmona-des-femmes-dans-un-mode-de-survie-e-558734

 

Pas de justice, pas de paix !

Ce soir ou jamais : une féministe à la télé !

Si vous n’avez pu la voir en direct, voici le replay de l’émission « Ce soir ou jamais » animée par Frederic Taddei, où Typhaine D., comédienne, féministe radicale, membre de Femmes en résistance a été  brillante. Face à d’autres qui pensent que le monde n’existerait que depuis l’ORTF (« le patriarcat, on se croirait au temps de l’ORTF »…)… l’émission commence vers la 30e minute.

L’émission s’intitulait « la guerre contre le sexisme se trompe-t-elle de cible », en réaction aux réactions à une phrase de Stéphane Le Foll qui induisait que les femmes seraient moins techniciennes que les hommes. C’est d’une telle évidence  c’est tellement vrai, que la phrase est sexiste, comme l’a dit Typhaine, que cela n’a pas énervé que les féministes. Et c’est tellement une montée en épingle médiatique d’une façon de pointer les féministes qui ne s’attaqueraient pas aux vrais problèmes, qu’il fallait bien quelqu’une pour dire que : « mais si, tout cela est un système ». Et que si peut être cette phrase sexiste n’est qu’un petit rouage, il faut bien aussi la dénoncer.

Mais surtout, le comble est de partir des réactions à cette phrase pour critiquer les féministes, comme si ce n’étaient pas elles, et ELLES SEULES ! qui luttent au quotidien contre les crimes sexistes, quand les médias préfèrent se gorger de polémiques à deux balles.

Il fallait donc beaucoup de courage pour affronter ces médias (et je dois reconnaître que l’animateur a été moins pire que je n’imaginais), et y porter une parole, qu’on n’avait peut-être jamais entendue de cette façon à la télévision. En espérant que certaines et certains prendront la perche tendue par Typhaine.

Un grand bravo à elle !

Vous pouvez revoir l’émission ici : http://www.pluzz.fr/ce-soir–ou-jamais—2012-10-30-22h50.html

Plus tard je serai femme de ménage…en rage

Bon, je n’ai rien contre le métier de femme de ménage. Dans un monde idéal. Où les hommes feraient le ménage autant que les femmes. Ou tout le monde en ferait un peu moins. Ou les horaires de travail permettraient à tout le monde de s’occuper de sa propre saleté. Mais aujourd’hui, c’est un métier dévalorisé, mal rémunéré, un lieu d’exploitation des travailleuses (bon, ce n’est pas parce que j’ai rencontré un homme de ménage récemment que j’en oublie que c’est une rare exception). Mais alors, quand je lis qu’on promeut ce métier de la façon suivante, mon sang ne fait qu’un tour.

Un livre pour enfant « plus tard je serai femme de ménage », a en effet tout pour plaire ! En quelques pages (et dans une collection intitulée « ethique et toc »), il nous explique que femme de ménage c’est formidable. C’est un métier dont il ne faut pas avoir honte. Jusque la on est d’accord. Mais pourquoi ? Je mets en rouge mes commentaires, pour que vous puissiez les distinguer de l’histoire telle qu’elle est racontée.

Je résume : une enfant voit son père perdre son travail. Du coup, la mère abandonne la famille (voilà qui est réaliste, crédible, et valorisant pour les femmes…) et s’en va.
Le père est triste. Il n’a plus personne pour faire le ménage gratuitement ! La saleté s’accumule. Alors, il embauche une femme de ménage.
Elle s’appelle…Maria, vient d’un pays du sud de l’Europe. Elle est très efficace comme femme de ménage. Ainsi, quand elle a fini de s’occuper des cafards dans la maison…elle s’occupe du cafard de monsieur ! (et là, vous avez vu, je n’invente rien, c’est dit tel quel).

Du coup, évidemment, que se passe-t-il ? Monsieur commence à trouver formidable Maria (pensez-vous, une immigrée, docile et soignante, c’est merveilleux)

et…lui offre des fleurs…pour la demander en mariage ! Et tout est bien qui finit bien..

Ce n’est pas formidable, femme de ménage ? Pour la femme, une occasion merveilleuse de rencontrer le prince charmant, l’homme à qui vous servez de serpillère !

Et pour l’homme, c’est tout bénéfice…une femme ET un femme de ménage, pour le même prix…

Bon ironie de rage à part, c’est si significatif de ce pourquoi dans l’état actuel des choses, on ne peut pas envisager femme de ménage comme un emploi de qualité…il s’agit bien de domination patriarcale, de colonialisme et de domesticité…la preuve, en quelques dessins pour enfants. DU BALAI !*

S.G

Ah oui, regardez particulièrement la première image où la minuscule femme de ménage va soigner le cafard du monsieur (pour mieux être mangée par lui), est inouïe.

 

*Référence à l’excellent ouvrage de François-Xavier Devetter et Sandrine Rousseau sur la question.

Du Sofitel à #jenaipasportéplainte

Hier, le New York Post a affirmé que DSK portait plainte contre Nafissatou Diallo pour fausses accusations et lui réclamerait 1 million de dollars. La nausée continue, même si l’on est pas étonnées. Pour le manifeste pas de justice pas de paix, nous revenons avec Muriel Salmona sur le site Slate.fr sur une année qui a provoqué de nombreuses réactions de féministes et de femmes, dont la campagne #jenaipasportéplainte

A lire sur Slate.fr : un an après, les enseignements féministes pour la lutte contre le viol  :    http://www.slate.fr/tribune/55019/dsk-un-an-apres-feminisme

 

 

 

Qui sommes « nous, féministes » ?

Avant-propos : ce texte, signé « Femmes en résistance » (association Résistances de femmes) se livre à une analyse radicale de l’appel intitulé « nous, féministes » paru entre les deux tours de l’élection présidentielle, et revient en fin de texte sur l’autre appel à voter Hollande qui a été publié. Il est également lisible sur le blog de Femmes en résistance.


« Il est temps qu’un autre féminisme prenne la parole », réclament les post-féministes.

Un manifeste a circulé entre les deux tours pour appeler à faire barrage à Nicolas Sarkozy. Ce dernier a été battu. Tant mieux. Maintenant, c’est le temps de l’analyse de ce texte par les féministes. Car il célèbre un « Nous » fédérateur d’une « internationale féministe ». Celles qui ne s’y reconnaissent pas ne seraient donc pas féministes. Seulement, ce texte est loin d’être ce qu’il paraît : un texte féministe, opposé à toute instrumentalisation des féministes par un pouvoir patriarcal qui attise le racisme et la haine.

Le pouvoir patriarcal n’est nullement nommé, mieux, les féministes, avant ce manifeste, semblent avoir été un instrument consentant voire même agissant dans ses actes colonialistes et impérialistes.

Une très bonne réponse qui lui est faite est lisible sur féministes radicalesou je putréfie le patriarcat. Ce texte souligne l’absence de dénonciation des violences sexuelles. Or elles structurent la société patriarcale. De notre côté, pour y répondre, nous voudrions simplement rajouter quelques éléments et nous attacher à l’analyse des mots employés, et des exemples choisis.

1 – Qui est derrière le « Nous, féministes » ? « Nous » sommes tout sauf des femmes.

Récapitulons les catégories qui forment ce « nous » :

« citoyennes et indigènes, immigrées et autochtones, bourgeoises et prolétaires, travailleuses et chômeuses, nationales et naturalisées, européennes et étrangères, militantes et universitaires : filles, mères, ménopausées, avortées ou hormonées, Noires, blanches, tsiganes, arabes, musulmanes, juives ou chrétiennes, croyantes, mécréantes, voilées, dévoilées, revoilées, sexy, grosses, anorexiques, valides ou non, straight, trans, gouines, queer, morales, immorales, amorales, victimes, putes, épargnées ou enragées, …».

Quelle logique organise cette accumulation ?

Que signifie le ET ? Opposition ou addition ? Des deux ? Selon quel critère ? Car on peut être militantes et universitaires, nationales et naturalisées, européennes et étrangères. En revanche on ne peut être immigrées et autochtones, ni bourgeoise et prolétaire. Que signifie le OU ? Il est probablement inclusif puisque avortées et hormonées ne s’opposent pas, tout comme grosse et anorexique. Pourquoi alterne-t-il avec le ET ?

Quelle cohérence politique a cette litanie ? Des catégories de femmes ? Pas toutes, il y a les trans dedans. Des catégories de « stigmatisées » ? Le ton queer et ses réappropriations d’insultes le laisse penser. Mais alors quid du mot « victime » ? En quoi est-ce un stigmate à accoler à « p… », « gouine », « immorale », « mécréante » ? Faut-il y entendre la tentative de dépassement du mépris que seuls les postmodernes et les agresseurs ont pour les « victimes » ? Car de larges groupes soi-disant « féministes » répugnent à constater que les femmes sont victimes de leurs oppresseurs. et assimilent « victime » à une faute morale : celle de « s’être couchée » devant l’ennemi.

Cherche-t-il l’exhaustivité ? – Alors il manque entre autres, les asiatiques et bouddhistes, indiennes et hindouistes, les « pas sexy », les « ni anorexiques ni grosses », etc. Car question analyse, il n’y en a aucune. Pêle-mêle sont citées des « stigmatisées », peu importe que le « stigmate » qui les caractérise soit la conséquence de l’oppression ou une stratégie de résistance ou des actes de langage à prétention subversive.

  • « Anorexique » et « pute » ne sont des étendards politiques que pour certains groupuscules qui mettent en danger les femmes. Les insultes citées et les épithètes « mécréante », « immorale » et « amorale » relèvent du discours de haine des agresseurs.

  • « Victime », « immigrée », « prolétaire », « chômeuse » sont les conséquences d’oppressions. « Anorexique » et « grosse » sont pour grande part les séquelles de violences sociales (politiques patriarcales [violences sexuelles et/ou matraquage médiatique de haine et de mépris pour le corps féminin] et politiques agro-industrielles, pour ne citer que les deux principales).

  • « Noires » avec une majuscule ou « avortées » ont été posés comme des actes forts de contestation de l’ordre raciste et sexiste.

Trois catégories manquent bizarrement.

Dans cet inventaire, il manque la catégorie « lesbienne ». A la place, deux mots bien politiques.

  • « Gouine », une insulte à prétention libératrice qu’une féministe ne peut pas aujourd’hui reprendre à son compte, à moins de se placer entre les mains de ses agresseurs. Car si à l’époque des gouines rouges, oser dire le mot pouvait être subversif, aujourd’hui, le système pornographique se délecte trop de l’emploi de cette insulte pour que le retournement puisse encore faire subversion.

  • « HomosexuelLEs ». Lesbienne, on ne le retrouvera qu’une fois dans le texte, pour présenter, comme elle le faisait elle-même, Audre Lorde – il ne sera de fait pas question de lesbophobie. « HomosexuelLes », ce mot « neutre », où le masculin revient encore parasiter le propos, ment sur la réalité que vivent les lesbiennes. Elles sont ciblées en tant que « femme » échappant pour part à l’hétérosexualité. Le système pertinent qui explique cette persécution n’est pas « la norme » abstraite de « pratiques sexuelles » hétérosexuelles, c’est le sexisme lui-même : l’expérience des gays et des lesbiennes est donc antagoniste. Cette lettre efface des noms aussi importants que Monique Wittiget Michèle Causse.

Un autre manque cruellement car c’est celui qui fonde tout le féminisme. Celui qu’on ne cesse de reprocher aux hommes, politiques, chercheurs, militants, d’ignorer : FEMMES ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, il ne semble pas judicieux aux auteures de mentionner ici, pour faire le lien entre toutes, ce mot qui désigne depuis Simone de Beauvoir celles que nous devenons à défaut d’être nées telles. Que signifie un manifeste féministe qui ne se réclame pas de la catégorie ou classe des femmes ?

Deux mots essentiels manquent encore : hommes et patriarcat. Il nous semble extraordinaire que les agresseurs ne soient jamais cités dans le texte. Mais cela, les deux blogs cités au début de l’article le disent mieux que nous.

2- Quel système de domination dénonce ce « Nous » ?

Une internationale « féministe » sans victime, sans classe de femme et sans oppression.

« Victimes » est une des catégories citées au début du manifeste et ne s’applique pas, semble-t-il, aux autres. Aucune des catégories de femmes citées, sauf une, ne serait victime ? Or puisque la société où nous vivons est sexiste, toute femme est une cible. Nous sommes toutes victimes, c’est ce qui nous fédère en une même lutte.

Alors pourquoi mentionner cette catégorie dans une série et non comme dénominateur commun ? Mais surtout que veut dire « épargnées » dans le manifeste ? Epargnées de quoi ? Quelle femme, ici ou ailleurs, est épargnée par la violence sexuelle masculine ? Nous avons toutes subi le sadisme de l’exhibitionniste, la menace de viol par le racoleur qui nous murmure ses « désirs » à l’oreille, le geste blessant de celui que l’on croyait notre ami … Quelle femme, ici ou ailleurs, est épargnée par la violence économique masculine ? Quelle femme peut échapper à la contrainte à la conjugalité et/ou à la mixité organisée par le monopole des richesses et des moyens de survie par les hommes ?  sont ces « épargnées » ? Nous n’en connaissons aucune.

Il faut attendre le troisième paragraphe pour que le mot « femmes» apparaisse enfin. Dans un contexte particulier :

« Filles de Virginia Woolf, nous dénonçons avec elle la propagande nationaliste qui prend les femmes en otage et prétend les défendre alors qu’on bafoue leurs droits fondamentaux : « En tant que femme, je n’ai pas de pays, en tant que femme, je ne désire pas de pays, mon pays c’est le monde entier… ».

Résumé politique : … je ne suis donc jamais femme en tant que classe opprimée. mais seulement en tant que citoyenne du monde face au système nationaliste.

De fait, la majorité des violences dénoncées par le texte sont les méthodes de pouvoir de l’état nation : ordre policier et douanier, fichage, surveillance, pénalisation des étrangers, persécution des syndicalistes et des citoyenNEs, le vote raciste, la fortification de l’édifice Europe, l’instrumentalisation colonialiste et nationaliste des droits des femmes, l’argument du choc des civilisations. En réponse, le manifeste affirme « que désormais, quiconque tente de nous instrumentaliser en prétendant défendre le droit des femmes sous couvert de progrès, d’identité nationale ou de défense des frontières européennes – rencontrera sur son chemin une internationale féministe que nous appelons de nos vœux. » Mais l’oppression des femmes n’est devenue que récemment nationaliste (deux siècles sur des millénaires d’oppression patriarcale) et le nationalisme n’est pas le tout de l’oppression des femmes : les femmes nationales sont maltraitées même dans les nations impérialistes, et les femmes migrantes sont maltraitées par des méthodes et dans des proportions que ne connaissent pas les hommes.

En dehors de tout concept de classe des femmes, quel sens à « l’internationale » féministe qu’appelle de ses vœux ce manifeste ? Nous disons qu’il n’est pas féministe, car le projet est androcentré (cf. le texte de réponse cité plus haut). Le sexisme ne s’effondrera pas avec la fin des états-nations. Il est antérieur à ce système de pouvoir, et il l’englobe, logiquement et dans les faits.

Le concept de patriarcat est absent de ce texte. Le concept de sexisme apparaît deux fois. Dans « hétérosexisme ». Ceci pour amalgamer touTEs les « hétéro » parmi les dominants face aux « anormaux » : pure négation des violences sexuelles masculines subies par toutes les femmes hétérosexuelles au profit de la classe des hommes. Enfin, le mot « sexisme » apparaît ici :

« Nous […], filles d’Audre Lorde, poétesse, lesbienne, caribéenne, traquant le racisme, le sexisme et l’homophobie jusque dans les rangs des mouvements féministes et des mobilisations anti-racistes… »

Voici le seul moment où le manifeste évoque le pouvoir organisé qui motive l’existence du féminisme : quand il s’agit de le dénoncer dans les rangs minoritaires, en particulier féministes ! Le manifeste focalise sur l’entre-soi féministe pour rechercher les traces de l’oppression des femmes. En parallèle, le manifeste laisse entendre que jusqu’à présent les féministes auraient participé, par consentement tacite ou explicite, aux politiques du patriarcat : néocolonialisme, impérialisme, persécution policières, mesures liberticides … et qu’il vient y mettre fin.

C’est partir du postulat qu’il n’y a pas de réflexion sur le néocolonialisme, le racisme, les classes sociales en France… oubliant encore et pour la enième fois la lutte des femmes et lesbiennes exilées en France.
 Par exemple la coordination des femmes noires d’Awa Thiam  de Maria Kalalobé, Epoupa Mizipo, Béatrice N’Goma, Gerty Dambury a interrogé le mouvement des femmes dans les années 70 sur la colonisation et l’esclavage, mais  l’Histoire n’a guerre pris en compte ces débats.
 Aussi de nombreux groupes ont œuvré  comme les Nanas Beurs dans les années 90. Aujourd’hui les Lesbiennes Of Color, Locs sont issues de cet oubli systématique et luttent contre le racisme jusqu’au sein des mouvements féministes et lesbiens Français.
D’autre part, cet oubli illustre le double thème récurrent des groupuscules queer et sex-positiv. C’est avec cette même rhétorique (série d’insultes et d’épithètes nominatifs pour toute identité politique, oppresseur sexiste jamais nommé, classe des femmes niée, violences sexuelles occultées) que ces groupes multiplient depuis des années les actions directes contre les groupes, associations ou individus féministes. Ils prétendent opposer un féminisme situé dans certaines expériences minoritaires (queer, racisées, prostituées, etc.) au féminisme institutionnel. Alors qu’elles peuvent très bien travailler ensemble, en discutant sur leurs divergences et dans l’exigence d’une écoute réciproque. 
Cette diabolisation légitime d’une part l’agressivité avec laquelle certains individus harcèlent et font des scandales publics à des féministes;  et d’autre part, la révision systématique des acquis féministes, en particulier ceux cités ci-dessus, ainsi que la non-mixité des femmes, le concept de classe de sexe et l’analyse de la prostitution et du sadomasochisme pornographique, comme moteurs majeurs des violences sexuelles masculines.


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Qui sont les références, comment sont-elles traitées ?

D’ailleurs, suit une longue généalogie féministe du « nous, féministes » qui cite bien du monde et oublie justement…SIMONE DE BEAUVOIR. Que signifie un manifeste féministe qui ne se réclame ni de Simone de Beauvoir ni de la catégorie ou classe des femmes ?

Il n’y a pas Beauvoir, en revanche, il y a Olympe de Gouges. Mais ne voilà-t-il pas que celle qu’il a fallu deux siècles pour sortir de l’oubli – et encore- doit désormais être citée tout en étant insultée par celles-là-même qui se réclament de sa filiation ? Olympe de gouges, demi-mondaine ? Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’insinue-t-on par là ? Définition : Au XIXème siècle, le terme de demi-mondaine désignait les femmes entretenues par de riches Parisiens. Autrement dit, des courtisanes. Peut-on ici faire une référence plus directe à un article  de Thierry Schaffauser (co-fondateur du STRASS)  que vous pouvez lire sur le site minorites ? En voilà une référence en tout cas en matière de généalogie féministe !  Ayant été veuve à 16 ans donc mariée de force et violée, elle se retrouva peut-être prostituée. Mais il nous semblerait nettement plus féministe d’interpréter l’histoire de cette façon plutôt qu’en se contentant de la traiter de « demi-mondaine », ce qui encore une fois est un retournement de l’insulte qui tombe à plat. Ou plutôt attise la haine des femmes. Un peu comme si des femmes juives disaient « nous, youtres » pour revendiquer leur place ? Cela serait-il admissible ?

Louise Michel, se rangea donc aux côtés des Kanaks . Mais elle fut aussi une virulente abolitionniste -un aspect fondamental de notre généalogie féministe qui est ici passé sous silence…Ensuite, la lesbophobie n’apparaît pas.
 Alors que homosexuellEs,  mot censé englober gays et lesbiennes apparaît, homophobie et islamophobie aussi  (un mot contesté), l’oppression faite aux lesbiennes, parce que lesbiennes ET femmes, n’est pas mentionnée.


3- « Il est temps qu’un autre féminisme prenne la parole » : que nous dit-on ici ?

A-t-on attendu que ces auteures interviennent pour dénoncer l’instrumentalisation du féminisme par la droite extrême qui a gouverné ? Qu’ont fait les féministes dans leurs luttes quotidiennes sinon toujours ramener sur le devant de la scène les violences sexuelles et l’oppression dans laquelle toutes les femmes sont maintenues et certaines, fragilisées, encore plus que d’autres ? Sinon réclamer en permanence des places d’hébergement, la régularisation de tous les sans papiers ?
« nous, féministes, refusons avec la plus vive détermination que les « droits des femmes » et des « homosexuelLEs » ou « l’égalité des sexes » servent des idéologies et des pratiques néo coloniales et liberticides. »
Et le patriarcat et le libéralisme n’ont ils donc rien à y voir ? Pourquoi sont-ils absents de l’énonciation ? N’y a-t-il pas, au dessus des pratiques coloniales et liberticides un patriarcat capitaliste qui y a un intérêt ? Ne serait-il pas a minima intéressant, voire nécessaire de le mentionner ?
Tous ces oublis nous semblent très significatifs. En voulant réparer ce qui leur semble être « l’oubli » anti-colonial et anti-fasciste d’autres féministes, les auteures oublieraient le système patriarcal ? Comment cela pourrait-il être un hasard, dès lors qu’on se revendique d’une généalogie féministe ?

Alors, pourquoi ?
Une autre stratégie rhétorique du texte nous en donne une idée : le retournement. Il s’exprime dans le « demi-mondaine », l’insulte soi-disant là pour décrire une réalité, mais aussi dans l’emploi systématique des mots de ceux qui  luttent contre les féministes radicales  et abolitionnistes.

Oui, le patriarcat s’impose avec une violence  accrue sur des personnes étrangères et de façon post-coloniale. Mais il se tourne aussi contre toutes les autres, et dans tous les pays du monde. Oui, nous nous insurgeons contre le fait que TOUJOURS, ce sont les femmes contre qui le patriarcat se retourne, que ce soit dans la prostitution ou sur la question du voile. Mais non il n’y a pas « criminalisation » des femmes musulmanes ni « criminalisation » de la sexualité.

Criminaliser, c’est rendre passible des assises et de peines de 5 ans de prison minimum. Nous ne voulons pas que les femmes soient pénalisées parce qu’elles sont prostituées ou contraintes à porter le voile intégral. Nous ne voulons pas criminaliser les femmes ni même les pénaliser. Nous voulons criminaliser les hommes qui les violent, et pénaliser ceux qui achètent et contrôlent leur corps, et interdire que la société fasse la promotion du viol dans la pornographie. Quelle féministe peut raisonnablement s’opposer à cela ?

Et que veut dire ici le terme liberticide ? La façon dont la liberté des femmes est systématiquement soumise à l’ordre patriarcal ? Non, il s’agit là du refus de toute mesure « liberticide » profitant aux hommes. C’est une façon de nier aux féministes la possibilité de s’opposer aux libertés que se donnent les hommes à nous violer par toutes sortes de moyens presque tous légaux et tous caractérisés par l’impunité presque totale, avec leur arsenal de contrats plus ou moins tacites : pacte prostitutionnel, pacte domestique, pacte filial…

La suite nous montre bien qu’on est dans cette dialectique là :


 »En tant que féministes, comment ne pas exiger l’abrogation des lois qui criminalisent les femmes en raison de leur religion, le développement de modes de garde collectif, la réforme des manuels scolaires et le développement de la place de l’histoire des femmes, des études postcoloniales et de la notion de « genre » dans toutes les disciplines, l’éradication des publicités et des jouets prônant l’hétérosexualité obligatoire, la reconnaissance pleine et entière des droits sociaux des prostituéEs ? « …

Outre le fait qu’il n’y a pas de lien logique ou analytique entre les propositions, il y a confusion et retournement. D’un côté on nous dit qu’on « criminalise les femmes » en leur donnant des amendes pour port de voile intégral, (criminaliser, c’est aussi ce que les pro-prostitution reprochent aux féministes). De l’autre les auteures se contentent de vouloir « éradiquer » des publicités dont on ne dit même pas qu’elles servent la perpétuation d’un crime, celui du viol, qui n’est même pas cité ? Leur seul tort serait l’hétérosexualité obligatoire, sans préciser que l’hétérosexualité obligatoire est la justification du viol.

la reconnaissance des droits sociaux pleins et entiers des personnes prostituées ?

Et pour finir, cette affirmation que certaines trouveront consensuelles parce qu’elle se cache sous des atours généreux mais ne veut rien dire : vouloir la » reconnaissance des droits sociaux pleins et entiers des personnes prostituées ».
Pour elles, il faut beaucoup plus que cela ! Il faut exiger immédiatement une dépénalisation totale du racolage! Et reconnaître que c’est le client qui est responsable et l’achat d’acte sexuel qui doit être interdit. 
La réalité c’est que si on parle ici de droits sociaux,  c’est parce que c’est l’argument de ce courant réglementariste qui ne dit pas son nom mais s’oppose farouchement aux féministes. Elles sont, depuis Louise Michel en passant par Andrea Dworkin ou Marie-Victoire Louis,  Malka Marcovich, Sheila Jeffreys, Donna Hughes, Catharine MacKinnon, massivement abolitionnistes !
Les figures les plus importantes de cette mobilisation sont les cibles de campagnes de diffamations par les réglementaristes et légalistes ; de fait, aucune des Américaines n’est traduite en français, et aucune féministe qui débute dans le mouvement n’échappe aux fantasmes misogynes sur nos pionnières.


Nous posons avec force cette question : de quel « Nous », les auteures du manifeste se réclament-elles pour fédérer les féministes ? Vraisemblablement de ce « post-féminisme » qui ne peut exister que dans un « post-patriarcat ». Alors qu’au moins elles le disent, et nous laissent lutter politiquement, nous, féministes, dans le monde patriarcal qui est le nôtre aujourd’hui.
FEMMES EN RESISTANCE
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Addendum: « On n’aménage pas l’oppression, on ne négocie pas avec l’oppresseur » Sabine Lambert,préfacière de questions féministes

Le manifeste publié sur le blog d’lLeni Varikas répond sûrement pour partie à celui de Caroline de Haas et Martine Storti, sorti quelques jours plus tôt. Ce dernier appelait également à voter Hollande. En esquissant une généalogie féministe, liée certainement au fait que la seule que le texte des soutiens d’Hollande donnait était celle que serait d’après elle la gauche. Et définissait le « nous, féministes par un « nous, progressistes », sans préciser que la gauche ne les applique pas. Il avait toutefois l’avantage de nommer sinon le patriarcat du moins « une organisation sexuée de la société’, et les femmes.

Mais il ne nomme pas plus les hommes comme bénéficiaires du système patriarcal. Comme le manifeste dont il est question ici, il impute quasi-exclusivement la responsabilité de nos malheurs à la droite sarkozyste ou au capitalisme néo-libéral, en incluant la gauche dans une généalogie féministe.
La gauche serait « par nature » l’amie des droits des femmes ? On sait combien ce n’est malheureusement souvent pas le cas…
Même s’il faut parfois, reconnaît le texte, ne pas oublier de rappeler aux hommes qui y détiennent le pouvoir qu’ils restent avant tout des hommes peu enclins à déconstruire le patriarcat qui leur profite. « L’arrivée de la gauche au pouvoir est une condition importante de l’égalité entre les femmes et les hommes. Mais nous savons aussi que les mécanismes de domination, multimillénaires, d’invisibilité des femmes et de résistance à leur émancipation et à leur libération, sont puissants. »Oui, ils sont puissants, mais pas seulement « malgré eux », mais « avec eux » car « pour eux ». Et nous féministes, nous ne pouvons dédouaner la responsabilité de la gauche dans la perpétuation de ces mécanismes, commme l’affaire DSK l’a malheureusement trop vivement rappelé.
Par ailleurs, dans ce manifeste aussi, la défense de mesures féministes semble devoir à tout prix être incluse dans d’autres luttes, comme si elle ne pouvait être la racine, et prioritaire : « Il est temps de changer de politique, pour les femmes comme pour la société toute entière ». Oui, si les femmes existent enfin dans l’agenda politique, cela bénéficiera à la société entière. A terme. Mais en passant, il faudra bien que certains, les hommes, acceptent ou plus probablement soient contraints d’y perdre un peu…de leurs privilèges….

Enfin, dernier point commun entre les deux textes, ils ne font pas des femmes la première force du changement : ils en appellent tous deux aux féministes hommes et femmes. Comme si les intérêts des deux groupes de sexe n’étaient pas antagonistes en matière de révolution féministe. Demande-t-on aux patrons de signer un manifeste ouvrier, dans un même élan de solidarité magique ? Certains le demandent en effet : ils nomment cela le « dialogue social », scellé par des « accords ». En guise de féminisme, ces deux manifestes ne nous proposent qu’un dialogue social avec les institutions patriarcales (« pacte républicain » ou « contrat sexuel » tels l’hétérosexualité et le système prostitueur) ; en guise d’égalité et de liberté, ils nous vendent des accords collectifs ou individuels avec les profiteurs de ces institutions. Nous refusons ces pièges, ces voies de garages inventées par le système patriarcal.
Nous, femmes, aspirons à la libération, sans condition, sans clauses particulières (« accords » différentialistes) ni cessions de propriété (« accords » réglementaristes ou matrimoniaux). Libération totale pour Nous toutes.
FEMMES EN RESISTANCE