« Les conseilleurs ne sont pas les payeurs », c’est toujours vrai !

Aujourd’hui, je remercie Nadja Ringart de « prêter » à A dire d’elles son texte sur le viol, publié pour la première fois dans  » les Temps Modernes » en février 1979 (dossier « Est-ce ainsi que les hommes jugent ?)
Nadja Ringart, militante féministe, sociologue et membre du collectif les Insoumuses avec Ioana Wieder, Delphine Seyrig et Carole Roussopoulos (« Maso et Miso…, SCUM »), l’a donc écrit il y a 32 ans, et sa mise en parallelle avec l’actualité du moment est édifiante.
Des évolutions, il y en a. Et une, majeure, c’est le contexte. Le texte de Nadja est écrit avant que le viol soit  devenu un crime qui va (même si trop peu souvnet) aux assises. Auparavant, c’était un crime (voir cet article, très intéressant), mais comme il n’était pas défini, la loi n’était pas appliquée. Aujourd’hui, un viol, c’est « tout acte de pénétration de quelque nature que ce soit commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ».

C’était donc avant, et il y avait débat sur l’utilité de la répression. Nadja y répond très clairement dans ce texte.

Pour le reste, on pourrait s’inquiéter du fait que finalement, il n’y a pas eu tant d’évolution, en reprenant par exemple cette phrase : » Si les hommes qui prétendent nous faire taire réfléchissaient à tout ce qui dans leur propre comportement fait partie du système de mépris et acceptaient de lutter contre le viol, nous pourrions peut-être reparler ensemble ».

Elle est malheureusement toujours valable aujourd’hui. Avec une différence :  les lois sont là. Mais les luttes se poursuivent, en témoigne la mobilisation du jour pour demander l’application de la loi du 9 juillet 2010 contre les violences faits aux femmes.

Et avec Nadja, on pourrait toujours conclure sur cette phrase d’une actualité brûlante : » Il n’y a pas de choix à faire entre une « moralisation» et une « libéralisation» qui nous logent à la même enseigne. Personne n’est dispensé de chercher une solution au problème du viol mais on ne voit pas pourquoi les femmes, qui en sont les victimes, en seraient spécialement chargées. Etant entendu que nous ne voulons plus être violées. »


LES CONSEILLEURS NE SONT PAS LES PAYEURS

par Nadja Ringart

Cette histoire de viol, ça me rappelle quand j’étais petite. Oh, pas toute petite, vers treize ans, quand j’ai commencé à « faire de la politique ». A l’époque, je passais une partie de mon temps à insulter les staliniens autour de moi et une autre, à peu près égale, à défendre l’URSS quand les attaques venaient de la « droite ». Pénible impression que de se retrouver à peu près dans la même situation lorsqu’il s’agit du viol ! Dès que l’on me dit: « La répression n’est pas une solution », je réponds sèchement: tu as peut-être autre chose à nous proposer? Mais dès que j’entends: «On n’a pas d’autre moyen que le recours à la justice », je m’inquiète: tu trouves ça malin de renforcer la légitimité des Assises et la bonne conscience des procureurs ? Je sais que cette façon de discuter n’est pas le meilleur moyen de faire avancer sa propre réflexion. Il n’est jamais très utile de s’asseoir sur un aspect de la contradiction pour regarder l’autre en ricanant. Il n’y a, à coup sûr, pas de meilleur moyen pour obliger la partie adverse à se cramponner à son argumentation. Quant à l’étalage subtil de contradictions douloureuses entre lesquelles il faudrait savoir nager, c’est un luxe élégant pour qui n’a aucune décision à prendre, ce qui n’est le cas ni des violées, ni de leurs avocates, ni même de toutes celles qui se sont mêlées de mener une campagne de solidarité avec elles.

Les remous provoqués par 1’affaire Détective m’intéressent peu (Le journal Détective, spécialisé dans les faits-divers scabreux, avait été interdit d’affichage et de vente aux mineurs en novembre 1978 NDLR de 2010) . La présence des affichettes de Détective dans les rues n’est pas ce qui m’y gênait le plus, mais je n’ai pas non plus la moindre larme disponible sur leur interdiction. Si j’y reviens cependant, c’est qu’il me semble que cette affaire a été traitée de façon bien peu nuancée. La hargne violente dont les féministes ont été l’objet – cette culpabilité de gauche qu’on veut à toute force leur faire endosser – n’est pas seulement due à la peur ressentie par certains de voir dangereusement menacée la liberté d’expression en France. Je crois qu’elle est aussi motivée par deux années, au moins, d’incompréhensions, d’insultes et de mauvais débats à propos du viol. C’est donc sur le viol que je voudrais revenir. Précisément parce qu’il n’est pas une opinion mais un acte.

De quoi parle-t-on, au juste, quand il s’agit du viol ?

Depuis deux ans il n’est question que de la violence d’État et, plus récemment, de la moralisation de la société. Les féministes sont les instigatrices d’une répression brutale et du réarmement moral. Qui dit cela? Des gauchistes surtout, ils sont, comme chacun sait, à la pointe de la lutte contre la répression. Et, dans la foulée de ce débat sur l’Etat, on fait taire les femmes, on leur demande de retourner à l’obscurité d’où elles sont sorties et de rejeter le problème du viol dans le silence et l’oubli. Non? Ce n’est pas cela qu’ils nous demandent ? Quoi d’autre alors ? Ils nous ont demandé longtemps de comprendre (et de supporter) la misère sexuelle. Comme ça ne prend plus, ils ont trouvé autre chose, ils nous demandent de réfléchir aux conséquences de nos batailles. Mais quand et où nos culpabilisateurs ont-ils accepté de réfléchir à la spécificité du viol et à leur propre sexualité ?

Le bourbier gauchiste

Aucun recours à la loi, pas de répression, jamais ? Mais quand des racistes torturent à Toulouse, personne ne reproche aux associations d’avoir porté plainte. Leur démarche ne prête à aucune discussion. Il faut dire qu’on ne saurait pas trop par quoi la remplacer pour lutter contre de tels actes. Aux femmes qui se plaignent d’être agressées dans les rues, il a souvent été proposé de pratiquer l’autodéfense. Tout plutôt que le recours à l’institution judiciaire ! Les femmes dans les rues, armées de pistolets automatiques. Charmante perspective ! Il est vrai que certains conseilleurs semblent sincères puisque, si un viol ou une agression les touche de trop près, ils sont capables de blêmir et de rugir: «je le tuerai ! »

Apparemment ils n’ont pas peur de l’escalade de la violence dans les rues. Moi si ! Les réactions, unanimes à gauche, contre les associations de «Légitime Défense» me font espérer que cette proposition est désormais périmée. Mais où a-t-on vu cette contradiction soulevée et ses conséquences tirées? Il y a près de deux ans, parmi l’afflux de textes du Samizdat qui parvenaient à Paris (En URSS, avant la perestroïka, les textes du « samizdat » – écrits autoédités – circulaient clandestinement pour échapper à la censure du système soviétique (NDLR de 2010)) , certains, émanant du Groupe de Surveillance de l’Application des Accords d’Helsinki, nous apportaient des témoignages sur de nombreuses violations de ces accords en URSS. L’un d’entre eux rapporte la chose suivante: l’article 52 du Code soviétique de la Famille et du Mariage exige que les parents «élèvent leurs enfants dans l’esprit de la morale des bâtisseurs du communisme », en vertu de quoi les parents peuvent se voir retirer la garde de leurs enfants si, par exemple, ils essayent de les attirer « vers les voies empoisonnées du rituel religieux» et leur inculquent «une vision antiscientifique et dénaturée de la vie et de l’entourage ». Les témoignages font état d’une scène de violence au cours de laquelle on arrache une fillette à sa mère. Les habitants du village qui protestent le font au nom de «lois internationales reconnues en URSS» selon lesquelles «tous les citoyens ont un droit absolu de croire et de pratiquer une religion en toute liberté »…

Cette histoire m’a fascinée. Malgré mes réticences habituelles à reconnaître le droit des mères à bourrer le crâne de leurs enfants, mon refus du catéchisme d’Etat l’emportait. Mais, d’autre part, quand on demande l’application des Accords d’Helsinki (et quelle cause parait aujourd’hui plus importante que les Droits de l’Etre humain ?), n’est-ce pas le respect de textes que l’on demande? Ne demande-t-on pas le respect d’une forme de légalité, fût-elle supranationale? N’est-ce pas contre la violation de la propre constitution d’un pays que l’on proteste le plus souvent en ce moment? A qui veut-on faire croire que la loi ne protège jamais personne? Ou bien serait-ce qu’elle ne peut protéger personne d’entre nous, un nous mythique qui regrouperait tous ceux qui rêvent d’une autre société, sans tribunaux, sans lois et sans prisons ? Dans le cas où certains penseraient réellement en ces termes, on ne peut que vivement leur conseiller de se regarder en face et de regarder un peu la société dans laquelle ils vivent. Il n’y a plus grand monde pour avoir en tête un modèle de société et ce n’est pas moi qui vais le regretter. Cela implique, par exemple, que l’on se donne la peine de réfléchir à chaque situation concrète sans vouloir à tout prix la réduire à un schéma squelettique, en essayant au contraire d’en saisir la complexité. […]

Il faut se débarrasser des principes abstraits, ceux qui actuellement refusent d’entendre les femmes ne nous combattent qu’à coups de principes. Face à chaque situation le choix peut être différent; il est parfois difficile, parfois il s’impose avec évidence. J’ai peur d’une certaine violence d’Etat; pourtant au bout d’un couloir de métro, autour de minuit, je peux me sentir rassurée par la présence de képis. C’est comme ça! Le contrôle social des femmes ne passe pas seulement par les flics dans la rue mais par le pouvoir sexuel des hommes. Même si chaque flic est un violeur en puissance, ce n’est pas uniquement de leur protection que nous aimerions nous passer dans la rue, mais aussi de celle des pères, frères ou maris. Je crois pouvoir imaginer que si certains prisonniers se révoltaient à nouveau sur les toits, nombre de femmes qui manifestent contre le viol se retrouveraient au bas des prisons pour les applaudir. Cette solidarité-là existe aussi. Mais elle n’est pas faite de sympathie à l’égard de chacun de ceux qui se révoltent. Elle est souvent résultat de choix et de réflexions, plus rarement réaction à une situation vécue personnellement. Rien à voir avec la révolte ressentie la nuit, dans les rues. A l’heure de la peur, le féminisme n’est pas idéologie, il est désir d’action lié à la révolte et c’est sans doute ce qui le distingue de beaucoup de courants issus et morts du gauchisme. Les femmes sont dans la situation très particulière d’être dans leur révolte en accord avec un mouvement social. A l’heure où tout militantisme est remis en question, des femmes prétendent encore sensibiliser l’opinion et agir collectivement. Elles font donc les frais des débats de principe de leur milieu. Ce qui est une impasse, ce n’est pas le chemin sur lequel s’est engagée la lutte, c’est le sentier dans lequel on a conduit le débat. L’histoire du mouvement féministe n’est faite que d’apparitions et de disparitions successives des femmes. Chaque époque a inventé de fausses réponses à leurs questions, provoquant la fin de leurs luttes spécifiques. La guerre de 1914 et surtout l’adhésion au mouvement communiste, au début du siècle, ont provoqué la disparition de groupes et de journaux féministes, l’étouffement des thèmes mis en avant. Je me demande aujourd’hui si l’union sacrée contre l’Etat n’est pas en passe de devenir le nouveau marécage dans lequel on voudrait nous voir nous embourber.

Pour comprendre le pourquoi de cette manœuvre, il suffit presque de dire que la lutte contre le viol touche au pouvoir sexuel des hommes. Bien entendu, ils ne sont pas assez stupides pour nous le dire tout net – quand ils se l’avouent à eux- mêmes.

Quand ils nous disent: pas de recours aux Assises contre les violeurs, cela sous-entend que, à l’inverse de la torture, le viol n’est pas un acte très grave, n’est pas un acte fasciste. Quand ils nous disent: il faut comprendre les problèmes sexuels des violeurs, cela sous-entend que le viol le plus fréquent ne serait pas commis par Monsieur Tout le Monde, mais par Monsieur Misère Sexuelle ou Monsieur Cas Pathologique. Le viol n’aurait surtout rien à voir avec la sexualité quotidienne. Dans cette hypothèse, les propositions de remèdes sont tout aussi inexistantes. Car on n’osera pas non plus prôner telle quelle la psychiatrisation! Ni la lobotomie pratiquée en Allemagne4. Il y a ceux qui disent que s’ils ne disent rien, c’est que leur prise de position contre le viol va de soi, qu’elle est évidente, que point n’est besoin de la redire. Eh bien non! Cela ne va jamais de soi. Quant à l’idée que les femmes ont à mener seules leurs batailles elle est, dans ce cas, d’autant plus ridicule qu’il s’agit, en fin de compte, de réfléchir à la sexualité des hommes. Mais il n’est pire sourd…

Rentrez vos poules, je sors mon coq.

Ce qu’on s’efforce d’occulter, c’est la spécificité du viol. Dire que le violeur commet un acte qu’il considère comme « normal », c’est dire qu’il peut fonder sa légitimité sur le pouvoir sexuel général des hommes. C’est dénoncer ce qui, dans la sexualité quotidienne, banalise l’acte du viol. Je me demande aujourd’hui si la violence des attaques contre les femmes n’a pas précédé l’alourdissement des peines. Ne s’est-elle pas déclenchée quand nous avons refusé de considérer le viol comme une aberration par rapport à la norme sexuelle ?

Je pense que l’acquis essentiel de la campagne féministe menée contre le viol a été de transformer les sentiments des femmes violées. Jusque-là, la plupart pleuraient beaucoup et se taisaient longtemps. Etre violée provoquait une colère plus impuissante qu’active. L’humiliation était tellement forte que le récit était impossible. La plupart des femmes qui ont eu l’occasion de raconter 1eur expérience au cours de réunions ont reconnu l’avoir longtemps tenue secrète, l’avoir refoulée en essayant ainsi de l’oublier. Les séquelles de ce refoulement sont peut-être évitées par les efforts faits depuis deux ans.

C’est le même discours quotidien, y compris dans sa version moderne de libéralisation des mœurs, qui légitime les violeurs et provoque la honte des violées. Si les hommes ont soi-disant des besoins sexuels irrépressibles, les femmes sont coupables d’avoir un corps et de se trouver au mauvais moment sur leur passage. Eux ont été aguichés, ou simplement assouvissent leurs besoins. Ah ! le lyrisme des avocats des violeurs, l’un parlant de son client comme d’un « mendiant d’amour », un autre, à propos de l’acte, écrivant: « un moment de fugue solitaire ». Si une peine un peu lourde en faisait flancher certaine, voilà de quoi perdre ses scrupules. Réfléchir au problème du viol, ce n’est pas s’inquiéter des conséquences de notre lutte, c’est refuser ce qui conduit à sa banalisation.

Je pense que le violeur moyen n’est pas autre chose qu’un homme qui profite d’une occasion. Il n’est ni normal ni anormal, il est banal. S’il a, prenons un exemple, cinquante ans, il a pu violer durant plus de trente ans, certain de son bon droit et de l’impunité. Il saura bientôt, s’il ne le sait déjà, que les deux sont menacés. Je crois peu à la vertu dissuasive de la répression dans d’autres cas de délit. Les voleurs et les assassins sont rarement étonnés de passer en justice, ils n’ignorent pas qu’ils ont commis un délit, un violeur peut penser encore qu’il a simplement été un peu loin. Le jour où le viol ne sera plus un acte banal, où on osera reconnaître qu’il est souvent le fait d’hommes comme les autres, il y a fort à parier qu’aucune campagne féministe ne s’acharnera à demander une répression féroce contre des psychopathes ou des maniaques sexuels. En cas d’assassinat ou de blessures graves associés au viol, la société s’est toujours chargée sans nous d’appliquer ses lois. Si les hommes qui prétendent nous faire taire réfléchissaient à tout ce qui dans leur propre comportement fait partie du système de mépris et acceptaient de lutter contre le viol, nous pourrions peut-être reparler ensemble.

Les pièges idéologiques d’une campagne.

A un moment donné de leur lutte, des femmes ont voulu faire davantage que de parler entre elles des viols qu’elles ont subis ou qu’elles vivent dans la crainte de subir. Pour faire éclater largement la réflexion, elles ont choisi de demander devant la loi la reconnaissance du viol comme un crime, sachant que la qualification de crime entraîne le passage du violeur devant la Cour d’Assises. Dès le début de la campagne, nous savions toutes, et les avocates mieux que quiconque, que la difficulté majeure était d’avoir recours à une juridiction dont certaines parmi nous souhaitaient, par ailleurs, l’abolition. C’est une contradiction de taille qui s’est largement exprimée. Ce problème, pas plus qu’aucun autre, ne peut trouver aujourd’hui de solution satisfaisante. On nous sert un discours moralisateur qui oublie qu’il est lui-même incohérent et impuissant. Il n’y a pas de pensée capable d’imaginer une solution à tous les problèmes de la société. On répète toujours: « Mais les violeurs sont des victimes. » Oui ! bien sûr ! Mais on lit aussi tous les jours que celui qui tire par erreur sur son fils ou sur sa femme est une victime de la peur !

En luttant contre le viol je ne prétends pas prendre en charge tous les problèmes du monde actuel. Je ne sais pas comment traiter la psychose de peur. En Italie on fabrique actuellement des vêtements blindés en tissu spécial, biens de consommation à la portée de tous, PDG et kidnappeurs. Je n’ai de solution ni contre la peur ni contre les traumatismes sexuels de l’enfance. Ce n’est pas mon métier. Je demande que le viol soit reconnu comme un crime. Je .ne suis pas certaine que cette position soit celle de l’ensemble du mouvement féministe (pour autant qu’il existe). Ce qui a empêché une plus haute tenue du débat, ce n’est pas seulement la « maladresse » de nos contradicteurs. Pour dire, selon notre expression favorite: « à bas les alternatives pourries », il aurait fallu que nous sachions nous-mêmes éviter l’enfermement dans les principes. Il est difficile de mener une campagne de sensibilisation qui ne soit pas idéologique et d’accepter d’agir au coup par coup. Ce qui m’a gênée beaucoup plus que les peines encourues, ce sont certaines formes prises par cette bataille à coups de principes. Et de cela je peux me sentir responsable. On a oublié trop souvent de laisser à chaque femme le choix de ses réactions sans lui imposer, au nom d’une juste ligne politique, une démarche juridique que chacune n’a pas le désir ou la force de faire.

La difficulté à supporter d’être interrogée par la police et la justice est réelle. Il reste que si une femme décide elle-même de porter plainte, on ne peut l’aider qu’en évitant de plaquer sur sa situation des exigences qui ne sont pas les siennes. J’ai été effondrée d’apprendre qu’au procès d’Aix-en-Provence certaines femmes hurlaient dehors de manière à couvrir la voix des avocats des violeurs. Je préfère ne pas oublier des choses aussi fondamentales que le droit de tous à une défense (comme quoi… tout compte fait… il me reste des principes).

Si les hommes parvenaient à comprendre que le problème du viol est aussi le leur, à tous (même s’ils sont placés différemment par rapport à ce problème), nous n’aurions pas à ressasser ce qui pour nous constitue des évidences. Au lieu de répondre à des arguments au ras des pâquerettes, nous aurions aimé réfléchir.

La vraie question n’est pas celle de la responsabilité des femmes dans une offensive de moralisation. Nous ne nous sommes jamais battues au nom de la morale. Quand les pro- cureurs se sont empressés de réprimer les violeurs, c’est parce qu’ils voulaient protéger la famille et le droit de propriété des hommes sur les femmes. C’est exact. Mais je ne vois pas en quoi cela nous empêche de lutter contre la famille, nous savons mieux que quiconque qu’elle enferme et exploite les femmes. Si la tendance actuelle est à la moralisation (l’est-elle vraiment ?), nous ne sommes qu’une goutte d’eau dans la mer. Nous avons contribué bien plus que les hommes à la lutte contre un certain carcan moral. Finalement, on ne parle de moralisation que si l’on croit aux vertus de la libéralisation, et je refuse de confondre la pornographie avec une quelconque libération, elle n’est qu’une forme d’expression de l’aliénation. La liberté des mœurs se retourne souvent contre les femmes. Décréter la généralisation de l’union libre ou l’interdiction du port du voile participe du même système. Les hommes profitent de tout. Ce qui pose un problème dans l’expression des fantasmes sexuels, c’est le fait que le corps des femmes leur sert de support matériel. La question reste de savoir si l’expression débridée du sexisme produit une diminution ou une accélération des passages à l’acte. Si les femmes étaient reconnues comme sujets de désir, on saurait peut-être que la violence inhérente à la sexualité n’a rien à voir avec la contrainte, la brutalité, l’effraction. Nous n’en sommes pas là… Il n’y a pas de choix à faire entre une « moralisation» et une « libéralisation» qui nous logent à la même enseigne. Personne n’est dispensé de chercher une solution au problème du viol mais on ne voit pas pourquoi les femmes, qui en sont les victimes, en seraient spécialement chargées. Etant entendu que nous ne voulons plus être violées.

Une réflexion sur “« Les conseilleurs ne sont pas les payeurs », c’est toujours vrai !

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