Dworkin et sexualité : d’où vient le malaise ?

Demain mercredi 20 mars à la librairie Violette and co (102, rue de Charonne, Paris 12e), une présentation très attendue : « Les femmes de droite », deuxième livre de la théoricienne féministe radicale Andrea Dworkin à être traduit en français ! Car si l’auteure qui, avec Catharine McKinnon, a réussi à révéler les dangers de la pornographie, est souvent citée voire décriée en France (cf Badinter, « Fausse route », E.Jouvet, etc.), elle a peu été lue, et donc comprise, et peu discutée.

Le livre est paru aux « Editions du remue-ménage » et a été traduit par Martin Dufresne et Michèle Briand. C’est Christine Delphy, qui a écrit une préface lumineuse à cette ouvrage, qui viendra le présenter à la librairie féministe mercredi à 19h. N’ayant pas eu le temps de finir le livre, je ne peux pour l’instant vous en parler, mais d’autres l’ont déjà fait, comme @Antisexisme ou Entre les lignes entre les mots

Je reviendrai juste un instant sur la préface, qui explique pourquoi l’absence de traduction de Dworkin est à la fois « stupéfiante et révélatrice » : « La première raison du silence fait sur elle est sans doute que Dworkin est radicale. Elle écrit sur un sujet qui, alors qu’on prétend en parler, est en réalité toujours aussi tabou : la sexualité, et plus précisément l’hétérosexualité, et plus précisément encore, sa pratique et sa signification dans un contexte précis : la société patriarcale. Elle parle de sexualité dans un régime de domination, et de sexualité entre dominants et dominées« . Delphy souligne qu’en fait, le sujet n’a pas été abordé en France depuis le  la deuxième vague féministe. Et ce malaise a bien une raison : « D’un côté, aujourd’hui, la majorité des femmes essaie de redéfinir la sexulaité comme le lieu du désir et du plaisir, de la redéfinir comme non seulement opposée mais contraire à la violence, au viol, à l’inceste, à la prostitution : de la raboter pour n’en garder que ce qui est bon, pour faire autre chose de l’acte sexuel que de la ‘baise ». De l’autre côté, pourrait-on dire, Dworkin iniste et démontre dans ce livre la continuité entre toutes ces formes de sexualité : faire l’amour c’est baiser, la baise c’est le viol, et la baise c’est la prostitution« . Selon elle, les féministes mainstream voudraient débarrasser la sexualité de ses scories violentes, alors que la volonté « d’humilier, de rabaisser, d’annihiler la personne-femme (…) existe dans la définition, dans le coeur -qu’on voudrait pur- de l’acte hétérosexuel ».

A la lecture de cette introduction, on comprend mieux les origines des résistances à toute discussion autour de la pensée de Dworkin,

Quand on voit combien même le féminisme le plus « modéré » s’attire sarcasmes et sanctions de la société patriarcale, il y a de quoi avoir des craintes.  Quand on est sur le champ d’un intime dans lequel il est bien difficile de distinguer le plan politique du plan personnel, quand, en clair, on veut aimer et être aimée dans ce contexte, le malaise est palpable. Enfin, il y a, semble-t-il, dans cette pensée décrite par Delphy, une crainte du pessimisme fondamental, et du désespoir. Et pourtant, cette déconstruction radicale est porteuse d’espoir, dit la féministe française. Car ce qui caractérise l’oeuvre de Dworkin, écrit Delphy, c’est que : « ce qui paraît le plus noir, c’est ce qui est éclairé par l’espoir le plus vif ».

On pourrait bien sûr ne pas être d’accord avec ce que dit Dworkin. Mais pour cela, il faut accepter de l’avoir écoutée, lue, entendue. N’est-ce pas le propre de la pensée critique, de la pensée tout court, de vouloir tout entendre, analyser, essayer de comprendre, pour ensuite, si jugé pertinent, critiquer et en démontrer les limites ? Il est donc plus que temps que ses ouvrages soient disponibles à la discussion !

S.G