« Louisa Cheba », ou Djemila et Emma, sans Ken ni Aladdin

Les critiques cinémas n’aiment pas les bons sentiments. Ni la télé. Ni les femmes.

Hier, par hasard, je suis allée voir « Cheba Louisa », histoire ultra-classique du parcours d’une jeune femme d’origine algérienne qui acquiert peu à peu son indépendance, tout du téléfilm, quoi. Mais, ce qui m’a attirée, c’est le résumé et la bande-annonce. Il s’agissait d’un film qui se centrait sur deux personnages de femmes, qui -ô surprise- n’étaient pas rivales, ni cantonnées à un rôle de victimes qui serait un statut et contre lequel elles ne pourraient rien sans l’aide d’un homme (prince charmant, …)

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Plus étonnant encore, je lisais rapidement le nom de la personne qui avait réalisé le film…et c’était un homme, qui écrivait l’histoire d’une amitié entre deux femmes et de ses conséquences positives sur leur vie. Vous en avez vu souvent au cinéma ? Oui, il y a Thelma et Louise (auquel il est fait explicitement référence dans le film). Mais à part Thelma et Louise ? Alors que les films, souvent très moyens, sur des amitiés entre deux hommes ? Ah oui, c’est un genre, (Francis Veber, etc.)

Tout au long du film, qui, avec une très belle distritution (les magnifiques actrices Biyouna, Isabelle Carré, Rachida Brakni), fait du bien (et pourtant n’est peut-être pas un chef d’oeuvre « cinématographique » selon les canons esthétiques), je me disais : « c’est vraiment très étonnant que ce film soit fait par un homme ». En effet, les réactions des femmes dans le film semblaient à la fois possibles, réjouissantes et lucides souvent sur les hommes. Pis, il y avait une dérision sur les amis/amants/promis de l’héroïne, Djemila, qualifiés de « Ken et Aladdin », qu’on attendrait pas d’un homme. Préjugés de ma part ? Peut-être, mais je me réjouissais surtout qu’un homme vienne les casser…

Et le film se poursuivait ainsi d’une façon dont le cinéma n’a pas l’habitude. Pour devenir vraiment libre dans sa vie, Djemila, forte de sa rencontre avec Emma, se rend compte que ni l’homme avec qui elle est ni celui qu’elle doit épouser selon le voeu de sa famille ne correspondent à ce qu’elle veut vraiment dans la vie. Alors, au lieu, comme cela aurait été le cas dans les films classiques, de devenir une pauvre victime éplorée qui finit soit par aller vers le prince charmant (le 3e homme, le propriétaire du bar) qui la sortirait de sa situation inextricable, soit par renoncer, elle finit célibataire, et heureuse !

Pour le personnage d’Emma, jeune veuve, caissière et mère de deux enfants en galère, mais dotée d’un don extraordinaire pour la joie de vivre et pour la combativité (oui, ça aussi, c’est dur à voir pour les misogynes), même chose : dans la cité, on l’appelle la « p… » c’est une femme qui s’habille comme elle veut, qui n’a pas sa langue dans sa poche, et qui se débrouille. Du coup, face à une galère financière de trop, au désespoir de perdre ses enfants si elles ne rend pas le lendemain matin les 900 euros qu’elle a pris dans la caisse pour qu’ils puissent aller, comme les autres, en classe verte, on la voit se diriger vers le trottoir, et monter en voiture avec un prostitueur.

Son amie qui lui court après pour l’en empêcher, arrive à temps, mais ce n’était même pas nécessaire. Car dans une scène qui vraiment fait beaucoup de bien à la militante abolitionniste de la prostitution que je suis et qui met en avant l’indignité des clients-prostitueurs, pas celles des femmes en situation de prostitution, elle se retourne contre l’homme qui l’humilie dans une belle situation d’empowerment, et sort de la voiture.

Deux femmes qui réussissent à échapper à leur « destin patriarcal », une de devoir être prostituée pour pouvoir faire manger ses enfants ou d’aller en prison, l’autre se mettre en couple soit selon les voeux de sa famille soit d’une illusion, visiblement c’est trop de bons sentiments pour la critique(1).

Et les bons sentiments, et des femmes qui s’en sortent, ils ne supportent pas, à en croire Télérama.Et bien moi, je dis que voir des femmes qui rigolent, se soutiennent, pleurent, se battent et finissent seules mais un peu plus indépendantes, c’est une formidable nouvelle. Tant pis si « ça fait sitcom ».

Ah, mais j’oubliais. En fait, j’avais lu trop vite. J’avais lu François au lieu de Françoise. En fait, c’est une femme qui a fait le film, son premier : Françoise Charpiat. Dommage pour la fin de mes préjugés ;-). Mais merci à elle !

S.G

(1) Ils préfèrent visiblement les Polanski ou Ozon (sélectionné à Cannes) qui les ramènent à ce que le cinéma et la société machiste veulent faire d’elles : des objets.

 

 

Une réflexion sur “« Louisa Cheba », ou Djemila et Emma, sans Ken ni Aladdin

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