Marchandisation et recul de l’humanité

ciel en feuAvant de partir en vacances, 2 sujets soumis à vos réflexions.

Quand l’information n’est plus qu’un produit, l’humanité recule

-Un article poignant d’une journaliste pigiste italienne en Syrie, qui montre admirablement que malgré l’immense qualité journalistique de certainEs, souvent les plus mal payés, l’information de nos jours n’est plus possible. Pour une seule et simple raison, comme elle dit : les rédactions veulent « faire savoir », et non pas « faire comprendre », et pour cela, Internet suffit, avec son instantanéité. Cela veut dire aussi, que l’information n’est plus une nécessité démocratique (et sûrement depuis longtemps mais le mythe subsiste, et chez celles et ceux qui deviennent journalistes, et celles et ceux qui pensent que les journalistes sont à la fois privilégiéEs et indépendantEs), mais devenue un produit marchand dont seule compte la rentabilité. Celle-ci ayant l’avantage -non pas de plaire à ceux et celles qui la reçoivent-, mais de servir les intérêts dominants (c’est bien la seule explication possible au fait qu’on paie si  cher pour enquêter sur les maîtresses de Berlu, ou pour un sommet institutionnel, quand on accorde à peine l’aumône à de vrais reportages).

Et que pour les faiseurs d’info, l’humain n’a plus d’importance. Voici comment commence son témoignage : « Aujourd’hui, mon rédacteur en chef a regardé les infos et a pensé que je faisais partie des journalistes italiens qui ont été kidnappés. Il m’a envoyé un e-mail: «Si tu trouvais une connexion, pourrais-tu tweeter ta captivité ?»

J’ajouterai qu’un drame en plus de celui de la guerre, c’est que les pigistes, et probablement les femmes encore plus (toujours plus précaires et maltraitées que les hommes) qui deviennent journalistes pour changer le monde et, comme elle le dit, au lieu de vivre et se protéger, s’exposent à la violence de ce monde rempli de testostérone… :

Si je suis effrayée, c’est parce que je suis lucide. Parce qu’Alep n’est que poudre à canon et testostérone et que tout le monde est traumatisé: Henri, qui ne parle que de guerre ; Ryan, bourré d’amphétamines. Et pourtant, à chaque fois que nous voyons un enfant taillé en pièces, c’est d’abord vers moi, la femme «fragile», qu’ils se tournent, pour savoir comment je me sens. Et je suis tentée de leur répondre : je me sens comme vous. »

La traduction française est donc à lire ici : Lettre d’une pigiste perdue dans l’enfer syrien

Quand l’être humain est vendu en morceaux, l’humanité recule

Ni poules pondeuses, ni vaches à lait

Autre sujet dont on a un petit peu parlé ces jours derniers : celui du fameux « e-loue », qui a l’habitude de faire commerce de coups médiatiques sur le dos des femmes…Après avoir proposé les services, ‘un coup plublicitaire » selon lui, de « loue une petite amie » il y a 3 ans, le voilà qui fait sa pub sur une femme qui veut « louer ses seins » pour vendre son lait à des couples homosexuels qui ne pourraient pas faire bénéficier leur enfant de lait maternel, et pour cause.
Malheureusement je le prédisais dans mon article sur la GPA il y a deux ans, et voila que cela se publicise. Dans la logique de marchandisation d’êtres humains en morceaux, les femmes, (depuis des siècles, mais en accéléré depuis des décennies, on représente les femmes comme séparées de leurs corps, sans têtes, morcelées, pour mieux faire accepter qu’on les achète en pièces détachées), deviendront-elles des vaches à lait pour ces messieurs ?

Car si, autrefois, il y avait déjà des nourrices, ne rêvons pas : déjà, elles étaient exploitées, socialement et la disparition de cette activité fut un progrès. Ensuite, entre temps, il est devenu parfaitement possible de nourrir un enfant sans lait maternel. Il n’y a donc à la fois aucune nécessité à cette activité et d’ailleurs, cela ne serait même pas une raison. En effet, accepter que des hommes puissent acheter à une femme du lait maternel, c’est les faire rentrer dans un lieu réservé aux femmes et où peu à peu on avait fini par faire -en général- admettre qu’elles étaient souveraines. Donc, par le bien d’une soi disant liberté de vendre ou louer des morceaux de soi, on redonne aux hommes tout pouvoir sur les femmes, qui peuvent être soumises, par la pression économique, à louer leurs seins. Pire, certains ne manqueront pas de dire que c’est une mesure égalitaire (que toutEs puissent bénéficier du « droit au lait maternel »). En outre, cela pose exactement les mêmes problèmes que dans d’autres formes de prostitution : Si elles veulent arrêter d’allaiter, ou de tirer leur lait, dans quelles conditions pourront-elles le faire ? Va-t-on créer des « usines à lait »(1), y aura-t-il, dans certains pays pauvres, des femmes dans des étables en batterie qu’on traira pour donner du lait à ceux qui ne peuvent allaiter leurs enfants ?

Bien sûr, je pousse l’image un peu loin, mais quand on voit ce qui se produit en Inde ou dans d’autres pays, en rapport à l’adoption, où des femmes sont dans des « usines » à produire des bébés, malheureusement, je ne suis pas si sûre de forcer le trait.

Enfin, je n’arrive pas à comprendre pourquoi il est évident qu’on n’a pas le droit de faire commerce du sang ou des organes, par peur que les trafics mènent au crime et à la déshumanisation, mais que certainEs continuent à penser que quand il s’agit de ce qui est féminin (le lait maternel, l’utérus), alors on aurait la liberté d’en faire une marchandise, sans réfléchir à la déshumanisation qui va avec… enfin plutôt, j’ai peur de comprendre…

et me dis qu’il vaut mieux partir en vacances…

S.G

(1) les banques de lait existent déjà, « pour le don de lait. Pourquoi pas, lorsqu’une femme veut arrêter d’allaiter, le temps que ce soit moins douloureux, tirer le lait pour une banque de lait. Mais ça sert à quoi ? Sinon à favoriser, encore et toujours l’idée que le lait maternel serait meilleur et qu’il faudrait que tous les enfants puissent en bénéficier ? Ce qui est faux, même pour les prémas et même il y a 43 ans (j’ai été élevée au biberon et cela ne m’a pas empêchée de grandir). Et quand bien même le lait maternel serait « un peu meilleur », en quoi est-ce déterminant pour la santé, par exemple, en comparaison du fait qu’on ne fait rien pour la prévention de la violence au sein de la famille ?

Deuxièmement, l’allaitement, on ne le dit jamais, mais c’est aussi un moyen pour les hommes de faire des économies…sur le « dos » des femmes, si l’on en croit la dernière phrase de cet article : « Le ministre Hébert croit par ailleurs que l’économie réalisée sur l’achat de lait commercial pour ces enfants contribuera à entraîner des économies pour le réseau ».

Enfin, je remplace donc le mot banque par « usine », pour mieux exprimer l’image que je voulais véhiculer.