Evénement : Sortie du « livre noir des violences sexuelles » de Muriel Salmona

Précision : cet article ne reprend qu’une partie de ce qu’il y a dans le livre. En particulier, je n’entre pas dans les chiffres, qui sont pourtant une mine d’informations précieuses de l’ouvrage. J’ai choisi de mettre en avant certains aspects qui me touchent plus particulièrement et dont j’avais envie de parler. Il y a en a plein d’autres
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C’est demain que sort en librairie le livre attendu de Muriel Salmona, psychiatre psychotraumatologue et Présidente de l’Association mémoire traumatique et victimologie. Le livre noir des violences sexuelles qui sort chez Dunod est un indispensable pour comprendre la violence du monde qui nous entoure envers les femmes et les enfants.

Récemment, Muriel expliquait qu’elle avait déjà transmis le livre à Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des droits des femmes, et que celle-ci avait été particulièrement marquée par l’ampleur des violences sexuelles faites aux enfants. C’est en effet un des plus grands intérêts de l’ouvrage de Muriel, montrer l’ampleur des violences sexuelles subies, et leurs conséquences pour les victimes, et pour la société. A la fois, il explique comment surviennent les violences et la mémoire traumatique dans un contexte de domination patriarcale :  de pères -et parfois de mères, qui possèdent leur enfant comme leur chose et ne lui permettent pas de se construire comme une personne libre et indépendante. C’est à ce moment là que se construit la perversion suprême : celle qui consiste à désigner comme coupable des violences qu’ils subissent, et coupables des crimes et dysfonctionnements de leur parents des enfants qui ne sont bien évidemment coupables de rien, et au final seulement responsables d’être venu-e-s au monde, et d’exister. Montrer l’ampleur des violences et en particulier des violences sexuelles qu’ils subissent, permet de comprendre comment le système oppresseur peut se perpétuer.

1/ Les violences sexuelles, et en particulier sur les enfants, ou comment fabriquer le monde à l’envers, faire de la victime la coupable. Et comment le remettre à l’endroit

Cela devrait paraître évident que les victimes ne sont pas les coupables, et pourtant, les violences s’exercent sur des enfants dès le berceau, et la société ne cesse de les justifier, les cacher, les laisser impunies. Ainsi l’absurde domine : en effet, quel sens peut avoir le monde si on désigne les enfants comme coupables d’exister ? D’être là, et responsables et coupables, de tout ce que font leurs parents ? Alors que la responsabilité des parents, leur autorité, consiste à permettre aux petits êtres humains qu’ils ont mis au monde, et aujourd’hui, avec la possibilité de l’avoir désiré, de devenir des personnes autonomes, conscientes et capables de choisir entre le crime et la justice ?

Qui a eu un bébé ou été proche d’un bébé sait combien le petit être qui vient de naître est totalement dépendant de ceux entre les mains desquels il tombe. Sa seule arme est le cri, et quelques mouvements. Et l’amour qu’on lui porte. Ainsi, c’est normal qu’un enfant crie, mais c’est risqué. En criant, il émet sa première action propre. Il en est responsable. Il fait alors ce qu’il doit pour survivre (dire qu’il a besoin d’être nourri, qu’il a mal au ventre, qu’il se sent mal), et en même temps, il est mis en danger : celui de tomber sur ceux qui commenceront, dès cet instant, à le désigner comme coupable d’une intention (un caprice, l’envie de pourrir la vie de ses parents, toutes choses très couramment entendues, et très tôt). Aussi, alors qu’il pleure, si c’est un bébé garçon, on dira (comme le montre une expérience de psychologie célèbre) qu’il est fort et vigoureux, si c’est une fille, qu’elle est triste et plaintive. Et déjà, un peu de la capacité d’être elle même de la personne disparaît.

Et certain-e-s, au lieu de le prendre en compte comme un signe légitime -plus ou moins bien ou mal interprété, selon lequel l’enfant a besoin de l’adulte, et d’une réponse, vont tirer parti de cela pour exercer la domination, la contrainte. Et justifier la violence qu’ils s’autorisent alors à exercer sur un autre être humain. Il faut donc remettre les pendules à tourner dans le bon sens, et c’est ce que fait ce livre :

« la victime n’est pas responsable de la violence exercée contre elle. Rien de sa personne ni de ses actes ne justifie la violence. La victime est toujours innocente d’une violence préméditée qui s’abat sur elle. Ce n’est pas à elle, contrairement à ce qui est souvent dit, de faire en sorte que la violence n’explose pas ».

Muriel dénonce les points aveugles de la société, dans un aveuglement volontaire :

En gros, d’un côté on fait comme si ce n’était pas un crime qui était commis, par un criminel, qui commet un acte illégal, de l’autre on nie que ce qu’a subi la victime est intentionnel, qu’il y ait eu volonté de nuire :

« un autre point aveugle, « est l’absence de reconnaissance de l’intentionnalité de l’agresseur. Sa volonté de nuire, de détruire, de faire souffrir le plus possible, d’opprimer, de réduire sa victime à une chose, de la déshumaniser pour son intérêt et son plaisir, et même, comble de la cruauté, d’en jouir, est escamotée. Seules ses rationalisations et la mise en scène mensongère montée pour s’absoudre de toute culpabiilité sont relayées et prises pour argent comptant »

Le livre est par ailleurs très clair sur la disctinction agresseurs/victimes. Car oui, les agresseurs sont souvent d’anciennes victimes (1), eux-mêmes peuvent d’ailleurs souffrir de la mémoire traumatique, ce qui ne les excuse en rien : « Face à cette mémoire traumatique, si l’un des membres du couple se positionne comme dominant, supérieur à l’autre en rapport de force (et l’homme est aidé en cela par une société profondément inégalitaire), il peut instrumentaliser son conjoint pour échapper à l’angoisse déclenchée par les allumages de sa mémoire traumatique. Sa prétendue supériorité donnant plus de valeur à son bien-être qu’à celui du reste de sa famille, il impose que ce soit à l’autre et à ses enfants de mettre en place des conduites d’évitement efficaces pour qu’il ne s’allume pas, les transforomant en esclaves aux service de son bien-être physique,, psychique ou sexuel. Il aura recours à des conduites dissociantes : alcoolisation massive, violences verbales, physiques, sexuelles, à des mises en danger, à des menaces suicidiaires…qui vont les terroriser et ainsi lui permettre de « disjoncter, de se dissocier et de s’anesthésier ». 

2/Ainsi, en démontant, de façon féministe, le système qui produit tant de violences sexuelles que Muriel documente avec une très grande précision, elle réalise bien un « livre noir » qui peut enfin permettre de mesurer, évaluer, envisager l’ampleur du système et ses conséquences. Et donner des pistes pour en sortir, en comprenant la mémoire traumatique et son traitement.

Mais bien sûr, ce que le livre apporte de tout aussi fondamental et essentiel, c’est une compréhension de pourquoi et comment ces violences sexuelles sont dévastatrices pour le psychisme, pour la vie des personnes humaines, combien elles peuvent être déshumanisantes et combien elles portent en elles le mécanisme de leur impunité et de leur perpétuation.

En détaillant le mécanisme de la mémoire traumatique, elle permet à tout un chacun de comprendre et de redonner du sens à ce monde qui n’en avait plus. Pourquoi en effet, les victimes étaient-elles  désignées comme les coupables ?  Il y a l’explication donnée ci-dessus d’une société inégalitaire où certains être sont autorisés à se penser et vivre supérieurs et à utiliser/esclavagiser d’autres être humains.

PDJPDPXMais il y a aussi le mécanisme de la mémoire traumatique, qui fait que les victimes agissent d’une façon que l’entourage ne parvient pas à comprendre. Et qui donne l’impression qu’elles sont folles, ou trop fragiles, alors qu’en fait elles souffrent terriblement, qu’elles sont colonisées par la violence, par le biais de la mémoire traumatique.

Pourquoi ont-elles l’air d’avoir des comportements disproportionnés ? Imaginons une victime qui a connu un ou de multiples chocs traumatiques (voir le site de mémoire traumatique et victimologie), et qui vit des crises à répétition. Le simple fait de sentir par exemple une odeur, à un moment donné, qui serait celle qu’elle a senti au moment d’une des agressions subies, qui l’ont obligée à disjoncter et se dissocier, peut provoquer la libération de la mémoire traumatique (enfermée dans une partie du cerveau, comme l’explique Muriel). A ce moment là, elle ressent à nouveau et de façon identique, le stress émotionnel de l’agression. Et c’est même l’ensemble des stress subis au cours de différentes agressions s’il y en a eu plusieurs (ce qui est particulièrement vrai pour les enfants qui ont été victimes), qui lui tombe dessus. Un peu comme si d’un coup, pour un bruit, une heure de la journée, une odeur, une couleur ou autre, un 4 tonnes leur tombait dessus. Les voici dans une grande souffrance et totalement désemparées de ne pas comprendre elles-mêmes ce qui leur arrive. Alors que -et pour cause, il est invisible, puisque mémoriel- personne autour n’a vu de 4 tonnes tomber.

C’est donc très difficile à comprendre pour un entourage non averti. Et surtout, cela peut se produire souvent, à n’importe quel moment, quand il s’agit de personnes qui ont subi des viols et des traumatismes à répétition (enfants, personnes prostituées en particulier, c’est pour cela que je pense que ce sont les deux grands verrous de l’arme de la violence patriarcale auxquels il faut s’attaquer avec acharnement).

C’est insoutenable pour la personne qui les vit. C’est incompréhensible pour l’entourage. Alors, que faire ?
C’est le dernier enseignement essentiel de ce livre à lire absolument : la mémoire traumatique se soigne, elle peut se résorber, et c’est un long parcours, difficile pour les personnes qui ont été victimes, mais salutaire, qui leur permet enfin de vivre. Pour cela, il faut lire et chercher à comprendre les mécanismes, et être capable de réagir, d’aider la personne qui souffre, et de l’amener à être capable elle-même de repérer ce qui provoque ses crises, et de les chasser.

Ce n’est pas Muriel Salmona qui le dit, bien sûr ici, mais c’est mon interprétation. C’est là qu’intervient une forme de « magie », qui est bien réelle. Pour bien la comprendre, une image (anagramme), celle d’Harry Potter. Harry Potter, enfant maltraité, est victime d’attaques du mal (des agresseurs) par des crises traumatiques, incarnées par les détraqueurs et Voldemort qui s’emparent de son esprit, le font souffrir et tentent de le vider de la vie qui est en lui, et de s’emparer de son psychisme pour le détruire et prendre le pouvoir et en jouir. Mais la capacité d’amour qu’il possède -qui n’est autre que son humanité profonde- + celle de son entourage, dont le fait d’être guidé par des « professeurs de défense contre les forces du mal » (en tête, le fameux Dumbledore), lui permettent de déminer son psychisme et de chasser de lui même ses crises traumatiques.

GRÂCE aux travaux sur la mémoire traumatique, et à l’aide de ce livre indispensable de Muriel Salmona, on pourrait donc enfin sortir de ce cycle infernal de la violence et de la domination, qui fait des millions de victimes. A condition que la société entende et s’en donne les moyens.

Pour cela, il faut que soient formés tous les professionnels, pour être, comme Muriel Salmona, capables de guider les personnes qui ont été victimes, vers la sortie du champ de mines qui ont été placées dans leur psychisme, et qu’en même temps, leurs entourages soient informés de ce qui se passe lors des crises et de comment ils peuvent aider. Il faut donc diffuser le plus largement possible l’information sur les mécanismes traumatiques. Et sur les moyens d’aider les victimes à ne plus l’être, mais à l’avoir été.

Et, comme conclut Muriel, il est GRAND TEMPS !

« Pour lutter contre les violences et leur reproduction de proche en proche et de génération en génération, il est temps de garantir l’égalité des droits de tous les citoyens, mais il est temps aussi que les « blessures psychiques » des victimes de violences et leur réalité neuro-biologique soient enfin reconnues, identifiées, comprises, prises en charge et traitées. Il est temps de considérer enfin que ces « blessures psychiques » sont des conséquences logiques d’actes intentionnels malveillants faits pour générer le maximum de souffrance chez les victimes, et organiser délibéréemnt chez elles un traumatisme qui sera utilse à l’agresseur pour s’anesthésier et mettre en place sa domination. il est temps que les victimes soient enfin réellement secourures, protégées et soutenues. Il est temps d’être solidaires des victimes, de s’indigner de ce qu’elles ont subi et de dénoncer les coupables. Il est temps de leur redonner la dignité et la valeur que leur a déniées l’agreseur en les instrumentalisant et en les colonisant. Il est temps de leur rendre justice et de les soigner ».

 

Sandrine GOLDSCHMIDT

Le livre noir des violences sexuelles, éditions Dunod, parution le 10 avril :

Avec son site ( informations, articles, nombreux témoignages, ressources et bibliographie actualisées, vidéos, etc. ) : 
Avec, à feuilleter, les premières pages du livre noir des violences sexuelles en cliquant ICI
Vous pouvez vous le procurer dans les librairies, 
et chez Dunod, à la FNAC , sur  Amazon ou sur Decitre (e-book-PDF)
 
Une première séance dédicace est organisée le 20 avril 2013 à Bourg la Reine de 15 à 19h30
pour toute information: drmsalmona@gmail.com
Et le contact presse Dunod :
Elisabeth Erhardy Attachée de presse,  01 40 46 35 12, presse@dunod.com
Extraits : (2) « Non, la violence n’est pas une fatalité, l’être humain n’est pas violent par essence, il le devient d’une part parce qu’il a subi lui-même des violences ou qu’il en a été témoin, le plus souvent très tôt dans son enfance, à l’intérieur de ces mondes comme la famille que l’on veut croire idéaux et sécurisants. Il le devient aussi parce qu’il peut s’autoriser à reproduire les violences sur des victimes plus faibles, plus vulnérables ou désignées comme telles pour soulager son mal-être, aidé en cela par une société inégalitaire qui cautionne la loi du plus fort »