« Le consentement », de Zola à Springora

Je vous le disais ici fin 2019, j’ai décidé de lire tous les Rougon-Macquart, les 20 romans d’Emile Zola qui décrivent la société sous le second empire, dans toutes ses classes sociales. Parallèlement, je me réjouis que, grâce à Vanessa Springora, l’imposture Matznef et ses défenseurs soit révélée.

Dans « Le consentement », l’ex-victime du « grand écrivain » révèle à la fois les mécanismes de l’emprise, et comment les adultes de son époque (la même que la mienne, mais dans un tout autre milieu – j’ai été beaucoup mieux protégée) autour d’elle, parfaitement au fait des agissements de Matznef, ont préféré croire au « consentement » d’une fille de quatorze ans plutôt que de s’en prendre à l’ordre établi, au grand écrivain, qui pourtant avouait ses crimes dans ses écrits.

Quel rapport entre les deux ? La question du « contexte » et de l’historicisation dont on nous parle beaucoup avec l’affaire Matznef, et, la question centrale, celle du consentement.

En effet, certain·es nous disent qu’il faut recontextualiser « l’évidence ». Que, dans les années 70, une certaine tolérance à la pédocriminalité aurait eu pour cause la nécessaire libération des moeurs, d’une sexualité jusque là taboue. Les enfants seraient des victimes collatérales de cette libération. Mais quelle libération ? Qu’est-ce qui était tabou ? La sexualité des hommes l’était-elle vraiment ?

Retourner du côté du grand tableau de la société du Second Empire que fait Zola nous donne une autre forme de remise en contexte. Ainsi, synchronicité oblige, en même temps que je lisais Le consentement, j’en étais dans les Rougon-Macquart à « Pot-Bouille ». Pot-Bouille, c’est l’histoire d’Octave Mouret, jeune bourgeois commerçant monté à Paris, mais c’est surtout l’histoire d’un immeuble bourgeois parisien et de ses occupants. A le lire aujourd’hui, avec un regard féministe, (défini comme regard qui sait décrypter l’oppression sexuelle et sexiste des hommes sur les femmes), c’est un livre absolument sidérant. L’immeuble incarne génialement l’hypocrisie bourgeoise de l’époque, qui se livre derrière les portes closes à toutes les « turpitudes » (entendez viols), à condition que la façade reste immaculée, les apparences soient sauvées. Seule l’arrière-cour, où les bonnes, domestiques, déversent (au sens propre et figuré) les ordures accumulées par leurs maîtres qui se font passer pour des parangons de vertu, montre la véritable saleté de la bourgeoisie patriarcale.

C’est la saleté des « adultères » qui, tant qu’ils ne sont pas sus, règnent à tous les étages. Celle des « coucheries » des jeunes et moins jeunes bourgeois avec toutes les domestiques, y passant parfois à plusieurs dans la même nuit – ça coûte moins cher que le bordel. Celle enfin des enfants faits à ces femmes qui, lorsqu’elles sont domestiques, doivent les abandonner. Mais d’adultères, ou de « coucheries », ou d’enfants, il s’agit bien sûr de viols à tous les étages, et de la violence envers des gamines, des enfants, menant au meurtre de bébés.

Ce qui est frappant dans Pot-Bouille, c’est que Zola parle à peu près à chaque rapport sexuel évoqué des conditions dans lesquelles les femmes bourgeoises y ont consenti. C’est toujours l’insistance, la brutalité, le harcèlement qui en sont la première clé. Octave, le « héros », à chaque fois, insiste jusqu’à ce que l’une ou l’autre finisse par se laisser faire. A aucun moment un autre désir que le sien n’est pris en considération. Et d’ailleurs, Zola le dit très vite et à plusieurs reprises : il veut beaucoup de femmes, mais il les déteste (fin du premier chapitre) : « …il céda à son fond de brutalité, au dédain féroce qu’il avait de la femme, sous son air d’adoration amoureuse ».

Pour Marie, sa première maîtresse qu’il a approchée en lui prêtant un roman (Chapitre IV, édition Folio poche p109) : « il ne parla plus, ayant une revanche à prendre, se disant tout bas, crûment « toi, tu vas y passer! ». Comme elle refusait de le suivre dans la chambre, il la renversa brutalement au bord de la table ; et elle se soumit, il la posséda, entre l’assiette oubliée et le roman, qu’une secousse fit tomber par terre ».

L’autre « gage » du consentement, c’est l’argent. En effet, les femmes bourgeoises ne sont pas autonomes. Pour survivre, il leur faut se vendre. Ce n’est même pas une question. Soit en mariage, soit en maîtresse. Ainsi, Berthe, qu’il faut absolument marier, mais pour cela, comment contourner la dot, comment faire semblant de donner les 50 000 francs requis ? Ensuite, comme le mari est avare, et qu’il ne veut lui donner de l’argent, que fait-elle, pour acquérir foulards, bijoux, chapeaux, vêtements qui sont les seuls choses qu’elle désire ? Elle « consent » après moulte insistance, à céder à Octave, qui déjà, lui a fait quelques cadeaux.

A aucun moment, une des femmes décrites n’a de désir sexuel pour un homme. Elle a -parfois- du désir pour un objet, et l’homme est là pour lui offrir, en échange de sexe. On n’est pas loin de ce que certain·es appellent aujourd’hui michetonnage, qui est bien sûr de la prostitution.

Et quand l’adultère est pris en flagrant délit -évidemment, le problème n’est pas l’adultère, mais bien le flagrant délit, qui empêche de rester dans l’apparence- alors, qui est la seule qui en subit les conséquences (quoi que pas très longtemps) ? La femme, Berthe, qui doit rentrer chez ses parents. Octave, lui, en profitera pour retourner au Bonheur des dames puis épouser la patronne et se « lancer dans la vie ». Pour elle, la vie est finie, pour lui elle commence.

Domestiques : bonnes à violer

Quant aux domestiques, elles n’ont aucun pouvoir de refuser. La pauvre Adèle, voit même passer dans la même nuit plusieurs hommes, jusqu’à 4 heures du matin, alors qu’évidemment elle n’en voudrait aucun. Son absence de choix ne fait aucun doute : « Et on ne savait ni où ni comment il s’était jeté sur Adèle : sans doute derrière une porte, dans un courant d’air, car cette grosse bête de souillon empochait les hommes comme les gifles, l’échine tendue, et ce n’était certes pas au propriétaire qu’elle aurait osé faire une impolitesse ». (Chapitre XIII, p 328, édition citée). Elle aura ensuite un enfant, seule, sans que personne s’en aperçoive, qu’évidemment elle abandonnera.

Zola évoque donc l’abandon, et l’infanticide, conséquences de ces violences sexuelles. Une des habitantes éphémères de l’immeuble est une ouvrière (piqueuse) enceinte, sur qui le concierge et tous les bourgeois.es jettent l’opprobre, car sa « faute » encore une fois, a le tort d’être visible. Elle est mise à la rue quelques jours avant ses couches, livrée à elle même. À la fin du roman, on a de ses nouvelles. Elle est passée en procès pour l’infanticide de son enfant. Et là, bien sûr, elle est la seule coupable, même si elle révèle la vérité devant la justice.

« La mère dénaturée, une véritable sauvagesse, comme il le disait, se trouvait être précisément la piqueuse de bottines, son ancienne locataire, cette grand fille pâle et désolée, dont le ventre énorme indignait M. Gourd. Et stupide avec ça ! car, sans même aviser que ce ventre la dénoncerait, elle s’était mise à couper son enfant en deux (…). Naturellement, elle avait raconté aux jurés tout un roman ridicule, l’abandon d’un séducteur, la misère, la faim, une crise folle de désespoir devant le petit qu’elle ne pouvait nourrir : en un mot, ce qu’elles disaient toutes ». (dernier chapitre, p461). On note ici combien déjà, la parole des femmes était balayée d’un revers de « roman ridicule ».

Après Nana, qui décrivait la ruée des bourgeois sur les femmes pour la satisfaction d’un désir sexuel vanté comme irrépréssible et le sort de l’enfant prostituée (elle meurt à la fin du roman, elle a 18 ans!), Pot-Bouille nous livre donc le constat plus qu’amer de Zola sur la société de l’époque. Les femmes n’y sont bien que des objets à vendre ou à prendre gratuitement, pour des hommes qui ne contrôlent pas leurs désirs. Et ce sont elles évidemment, qui sont désignées, à chaque fois, comme les coupables.

Qu’en conclure, de 1870 à aujourd’hui en passant par les années 1980 et Matznef ? Que c’est bien une lente révolution sexuelle qui s’opère et que promouvoir la liberté du désir pour les femmes, est bien encore aujourd’hui le plus subversif des combats, face à tous ceux que la commercialisation du désir masculin tente encore…

Il y a 6 ans, j’écrivais ceci: https://wordpress.com/stats/post/7969/sandrine70.wordpress.com

5 réflexions sur “« Le consentement », de Zola à Springora

  1. Merci Sandrine. Ce rapprochement est très intéressant

    Amitiés

    Françoise

    De : Blog d’une humaine concernée (A dire d’elles) Envoyé : lundi 13 janvier 2020 19:06 À : francoise.picq466@orange.fr Objet : [New post] « Le consentement », de Zola à Springora

    sandrine70 posted:  » Je vous le disais ici fin 2019, j’ai décidé de lire tous les Rougon-Macquart, les 20 romans d’Emile Zola qui décrivent la société sous le second empire, dans toutes ses classes sociales. Parallèlement, je me réjouis que, grâce à Vanessa Springora, l’impo »

  2. Si je ne me trompe pas, d’après votre présentation, Zola ne fait qu’une description au scalpel, mais sans condamnation aucune, ce qui est ambigu. J’avais lu celà à propos de Germinal : les contrastes patron/ouvrière sont caricaturaux, mais personne n’a tort, tout le monde a ses raisons, c’est dans la nature (Zola serait un naturaliste/essentialiste social).

    1. En effet, le propos de l’article n’est -pas forcément- celui de Zola, mais celui du regard féministe sur ce qui est dit. Malgré l’auteur ? Des fois, on se demande comment c’est possible, mais je crois que oui. Je crois que cela montre surtout que à l’époque, tout est dit, mais personne ne le voit ou ne l’entend, et l’auteur peut être lui même (ou alors il le sait et c’est un phénomène Lolit/Nabokov).
      C’est la même chose quand on parle de « libération de la parole ». En vrai, c’est l’écoute qu’il faut libérer. Parfois, on a l’impression que quand une fille/femme parle, et dit « il y a un éléphant au milieu de la pièce » (la violence des hommes), à condition que personne ne réagisse et ne fasse mine de l’entendre, l’éléphant continue à passer inaperçu.
      J’ai l’intuition -il faudrait que je lise tous les écrits de Zola mais ce que j’en sais c’est en effet qu’il mécomprend les causes de ce qu’il décrit si bien. Il y voit l’hérédité où ce sont les structures sociales patriarcales qui sont les causes. POur la violence masculine, qu’il décrit sans vraiment la relier aux hommes qui l’exercent, ou plutôt à la position des hommes dans la société. C’est flagrant dans L’assomoir, Nana et Pot-Bouille.

      1. Le positionnement de Zola d’après ce que j’ai lu de lui est ambigu, d’un côté il est sans doute sincèrement choqué par les aspects les plus brutaux de la domination masculine, de l’autre il l’a lui-même exercée. Un retour sur sa vie privée n’est pas superflu quand on sait qu’il a pris comme maîtresse une de ses domestiques de près de trente ans sa cadette en cachant l’affaire le plus longtemps possible à sa légitime épouse. On ne peut pas parler de libre choix pour cette jeune femme, à cette époque ou de nos jours, une fille pauvre et sans famille n’a tout simplement pas la possibilité de dire non à un homme qui lui offre un toit et la sécurité matérielle…
        https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeanne_Rozerot

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