Les « pro »(s) de la manipulation rhétorique

"La domination masculine, je peux pas l'encadrer" 😉

Suite à mon article sur la GPA (gestation pour autrui), je détecte un point commun dans tous les mouvements aujourd’hui qui militent à mon sens pour un retour en arrière du droit des femmes à disposer de leur corps.

Une manipulation rhétorique qui consiste à nous faire passer, féministes et autres personnes qui ne sont pas d’accord avec eux, pour ce que nous ne sommes pas.
En trois points principaux :

-d’abord, ils parviennent à se faire appeler les « pro ». Ne les laissons pas faire. N’employons pas leurs termes.

Chronologiquement, cela a d’abord été « provie », puis « prosexe », et maintenant « profemmes ». Ainsi, les détracteurs de l’avortement seraient « provie ». Et pas les défenseur-es de l’avortement. Nous n’avons évidemment rien contre la vie, ce n’est pas cela qui fait le débat de l’avortement. C’est « à partir de quand ce que porte une femme dans son utérus est une personne humaine » ? Tous les mois, les femmes qui ont leurs règles et n’ont pas fait des enfants seraient des tueuses de vie, si on pousse leur raisonnement jusqu’au bout.

Ensuite, cela a été « prosexe ». Revendiquer que vendre son corps (services sexuels, dit-on) c’est être prosexe. En quoi ? Ce n’est qu’être pro le sexe de celui qui veut l’acheter. On peut être pour la liberté sexuelle, liberté qui comme toute autre a ses limites. En face, nous avons plutôt des « pro-achat-de-sexe » et marchandisation des corps. Disons-le ainsi.

Enfin, le dernier, qui m’hallucine personnellement (et je fais exprès de le dire mal), c’est « pro-femmes ». On parle de féminisme profemmes. Si encore, on disait féminisme proféminité, essentialiste (celles qui se définissent comme féministes pro-femmes sont par exemple celles qui pratiquent le burlesque, strip-tease qui serait une expression de la liberté des femmes). Mais pro-femmes !. Comme si depuis des siècles, les féministes faisaient autre chose que d’essayer d’améliorer la condition des femmes. Eh bien, en utilisant ce genre de termes, on accrédite la thèse que les féministes ne chercheraient pas l’intérêt des femmes. Ne nous laissons pas faire.

-Si on refuse de se ranger à leurs arguments (faits d’amalgames), on est rétifs au débat, mais surtout, on est des hérauts du conservatisme et de la morale chrétienne. Voire des liberticides. Histoire de nous faire culpabiliser. En vrai, à force de défendre la liberté de quelques uns (et rares unes), on ne s’intéresse pas aux droits fondamentaux des plus nombreux-ses.  C’est un peu comme de dire « c’est normal que tout le monde bosse le dimanche si c’est un choix ». Pour les quelques un-es que ça ne dérangera pas, on va imposer à tout le monde cette règle. « Moi je veux acheter du sexe »si je veux, donnons un contrat à la nana en face comme ça on aura l’illusion qu’elle le veut bien. Et disons qu’elles le font par choix…même si elles sont 2…sur cent.

-Le monde a changé, ça se passe comme ça ailleurs et ça se passe mal quand ce n’est pas encadré, alors autorisons-le, encadrons-le et comme ça, ça se passera bien…alors là, c’est magnifique. On justifie l’autorisation d’un truc chez nous parce que c’est autorisé et mal fait ailleurs ! Mais en quoi cela protègera-t-il les enfants d’ailleurs ? En quoi cela empêchera-t-il le couple qui ne trouve pas une « sainte » prête à prendre des risques pour le bonheur du « don’ ou une femme en difficulté d’aller payer ailleurs ? En rien ! Et le problème des enfants sans état civil restera…

Encore une fois, la rhétorique est la même dans la prostitution : si on pénalise le client nous dit-on (ce que font les abolitionnistes) et le proxénète, on va créer des plate-formes dans les eaux internationales, des « bordels délocalisés ». Jusqu’à preuve du contraire, on essaie de faire avancer les choses là où on est en mesure de le faire.  On ne va pas attendre que le monde entier soit abolitionniste pour le faire, on ne va pas attendre que le monde entier interdise la GPA pour le faire…on le fait, si on pense que c’est le signe qu’on respecte la personne humaine.

En autorisant et « encadrant » enfin, on ne protège pas les autres dans le reste du monde. Il y aura toujours des trafics. C’est clair sur la prostitution. En Allemagne, la prostitution illégale a explosé avec celles qui ne sont pas concernées par la réglementation…les étrangères…et les mineur-es.

Bref, la rhétorique anti-féministe est très forte : elle se fait passer pour les « pro », elle fait passer les autres pour les conservateurs, mais les pro-interdiction de l’avortement, les pro-achat-de-sexe et les pro-continuer-à-enfermer-les-femmes-dans-la-féminité, comme les pro-utiliser-les-femmes-comme-ventre, sont en fait celles et ceux qui veulent maintenir un état de fait. Ce sont eux et elles qui disent que « la société est comme ça, on ne la changera pas. » C’est un de leurs arguments massue : ça existe, alors encadrons-le.

En résumé, la domination masculine existe, c’est comme ça, faut faire avec, contentons-nous de l’encadrer ? Désolée, moi, je peux pas l’encadrer…

Sandrine Goldschmidt

13 réflexions sur “Les « pro »(s) de la manipulation rhétorique

  1. Merci pour la réflexion et placer le débat à un niveau qui sort du machisme ambiant. Il y a encore tant à faire pour libérer la pensée, au-delà des sexes.

  2. Le pouvoir des mots … serait-il également possible de voir émerger un « féminisme pro-homme » ou un « masculinisme pro-femme » .. finalement on s’empare des mots mais plus du sens .. qui tombe en désuétude comme peau de chagrin..

    Tious ces mots et ces concepts qui se bousculent ne signent-ils non plus là une période de bouleversement, de changement, d’évolution positive pour un renouveau dans l’intérêt des femmes et dans l’intérêt également des hommes. En bref, l’intérêt des femmes est-il encore dans le féminisme et notamment si ces femmes ont moins de 10 ans ?

    Réponse d’un homme au féminisme lâche et nauséabond !

  3. Malheureusement, article toujours d’actualité.

    Les prétendus progressistes pragmatiques s’accomodent de tout, défaitistes comme pas une (il y aura toujours de la violence, il y aura toujours des clients, il y aura toujours un ciel au dessus de nos têtes), et négatifs en diable.

    En gérance ou en gestion confinés, l’on descend d’une case pour toujours patauger en technique. Mais administrer avec principe à l’appui, voyons, voyons, c’est beaucoup trop de travail. Pas de nettoyage de printemps.

    « Prolego », en m^me temps pour le lego du corps, réification marchandisante de pièces en kit de prétendue libération, qui n’est qu’ individuelle, nombriliste qui voudrait passer pour collective, et légalisateur par règlementation qui s’incline devant les vieilles coutumes phallocrates ! Atomiser le corps ne le rend pas plus libre, ce n’est qu’entrave supplémentaire.

    Faire passer la coutume en droit, ça fait plus propre, alors que ce n’est que de la cosmétique. Liberté d’apparence, factice, poudres aux yeux, miroir aux alouettes…

    Ce ne sont que les attributs de l’aféminisme du libéralisme en temps phallocrite.

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