L’art de convaincre…convaincre avec l’art

Comment convaincre ? La question m’a été posée hier par une amie chère, et qui réfléchit ;-). Car oui, c’est une question qui pousse à réfléchir…Ainsi, cela fait 40 ans (et plus) que des féministes savent…que les femmes n’osent pas porter plainte pour viol, qu’elles ont du mal à prendre la parole, qu’elles sont les premières cibles de tous les extrémismes, qu’elles sont les premières oubliées des révolutions..et pourtant, il faut toujours remettre sur le métier  l’ouvrage.  D’abord, il  faut réussir à ne pas se décourager, si l’on n’obtient pas des résultats tout de suite. Certaines se battent depuis 20 ans pour l’abolition de la prostitution, et je trouve que si on peut se espérer, comme la suédoise Gunilla Ekberg, que peut-être l’Europe y viendra dans 10-15 ans, c’est formidable. ..

Mais donc, je voudrais développer ici cette idée qui tourne dans ma tête depuis que j’organise le festival « Femmes en résistance », dont la ligne est de ne pas dissocier qualité des films et discours politique féministe, qui tourne aussi dans ma tête par des discussions avec des amies féministes, que pour convaincre, il faut prendre son temps, et réfléchir à la forme et au fond de notre action. Faire de l’art et de la politique en même temps, et montrer que les deux sont indissociablement liés.

Dans un pays qui reconnaît l’égalité entre tous les êtres humains et celle entre les femmes et les hommes, comment convaincre que l’égalité n’est pas faite, que ce ne sont pas des extrémistes qui demandent des choses incroyables comme, par exemple, la modification de la langue pour la rendre un peu moins représentative d’une époque révolue : celle de la monarchie absolue, de l’inexistence de l’égalité et des droits humains, d’une époque ou la question de l’égalité entre les sexes ne se posait pas, parce que la « supériorité » du mâle était une évidence.

Comment convaincre qu’on est bien dans un combat de progrès ? Que notre but est une avancée de l’humanité, pour toutes ET tous ? Que c’est un projet de réforme de la société entière ? Non pas pour renverser un système de domination au profit d’un autre, mais pour renverser le principe de relations entre les êtres. Comment exprimer de façon compréhensible que ce à quoi on s’attaque, c’est le mode de fonctionnement actuel global, qui est fondé sur la domination, est inculqué dès l’enfance par l’autorité parentale qui dérive en possession parentale (je n’aurai pas le temps de parler en détail de la revendication -non progressiste- qui émerge, d’un « droit d’être parent » , droit qui ne prend pas en compte l’individu-e dont on sera parent-e… comme s’il pouvait y avoir un droit de posséder/créer un autre être humain), et est assis par la violence envers les enfants -plus tard envers les femmes ou toutes les personnes considérées comme en position de dominées, et en particulier la violence la plus tue, la violence sexuelle.

Comment convaincre, dans une société qui se dit démocratique ou tente de construire une démocratie -depuis quelques décennies ou depuis des révolutions récentes, celles et ceux qui font confiance au dominant quand il affirme qu’il travaille pour le bien de la société -l’humanité- entière (en prenant pour cela le prétexte de Dieu qui le déresponsabilise, ou celui de l’intérêt général) ? Comment faire voir qu’en réalité, celui qui est en position privilégiée n’a aucune raison de vouloir céder ses privilèges ? Ce n’est pas pour rien que l’événement fondateur de la République en France n’est pas la prise de la Bastille – pourtant fête nationale- mais l’abolition des privilèges, dans la nuit du 4 au 5 août 1789. Sauf que  ce fut en réalité l’abolition de certains privilèges, pas de tous les privilèges de domination..c’était une révolution bourgeoise, et masculine (même si des femmes se sont battues, elles n’ont pas été entendues ni même historicisées).

En résumé, que faire, pour aider celles qui, là-bas, se battent pour ne pas être emportées par un fondamentalisme qui écrase les femmes, ici pour ne pas être au mieux considérées comme des extrêmistes puritaines liberticides ? Cette question je la pose souvent ici, alors je vais essayer d’aller un tout petit peu plus loin avec des exemples de ce qui se fait, sans prétendre être le grand soir – mais fait avancer à sa façon les choses. Car oui, comment convaincre ? D’abord en acceptant qu’on ne convaincra pas tout de suite de notre pensée complète et radicale, mais qu’on pourra faire naître un questionnement, en pointant de façon subtile et juste certains faits, à l’aide de l’expression artistique.

Il y a aussi, bien sûr, les manifestations, les discussions. Mais il faut renouveler ces moyens, qui se noient dans la masse, pour éveiller l’intérêt de celles qui ne voient dans les féministes qui défilent que des femmes aigries. Il faut inventer, et oser la performance, il faut réfléchir à mêler l’objet du politique et le moyen. Pour sortir de la platitude et la vacuité des medias actuels, quel autre chemin que l’ artistique ?

D’ailleurs, ce n’est pas tant que ça une nouveauté.

Ainsi, quand les Italiens nous font frémir en chantant « Va pensiere » de Nabucco pour pointer le danger  que le gouvernement de Berlusconi faisait peser sur la culture, ils reprennent un mode d’action qui a déjà existé sous la monarchie de juillet et a eu un rôle dans la révolution de 1848. Il n’y avait pas de liberté d’expression, ou si on l’applique à aujourd’hui, de se faire entendre dans les « medias » mainstream (j’entends par là ce que les gouvernants sont obligés de prendre en compte) : pendant des jours et des jours, deux vers d’une pièce de théatre (dont j’ai malheureusement oublié le nom ce matin) qui parlaient de la liberté ont été bissés, à la demande du public, par les acteurs, en signe de protestation contre l’absence de liberté d’expression.

Quand La Barbe utilise la performance de genre pour investir les lieux de pouvoir masculin, c’est aussi ce qu’elle fait. Pas besoin alors  de mobiliser 50.000 femmes dans la rue, une action bien ciblée suffit à faire parler d’elle.

En Israël, quand le 6 décembre à Beth Shemesh, 250 femmes arrivent de partout pour un flash mob de danse merveilleuse pour protester contre le danger que constitue pour la liberté des femmes la poussée des extrêmistes religieux qui veulent leur interdire l’espace public, elles l’occupent, dansent, et leur crient d’arrêter. C’est une manifestation hautement politique, c’est beau, et c’est juste. Inspirons nous en pour nos actions (pas forcément pour faire exactement pareil), en cherchant toujours à adapter la forme à la revendication politique. Voici la vidéo :

C’est ce que Le manifeste « Pas de justice, pas de paix », tentera de faire en 2012, non pas pour convaincre par un coup de baguette magique, mais pour continuer le travail entrepris depuis 40 ans et plus pour faire prendre conscience à la société, à la justice, et surtout aux femmes, que ce sont elles qui sont concernées, ne sont pas seules, et doivent faire changer les choses. Parce que si l’on oblige pas les dominants à abandonner leurs privilèges, ce ne sont pas eux qui le feront….

Sandrine GOLDSCHMIDT

9 réflexions sur “L’art de convaincre…convaincre avec l’art

  1. Merci pour cet article. Petit point de détail, l’expression consacrée est « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » : on remet l’ouvrage sur le métier, pas l’inverse ! 😉

  2. Cela fait un moment que je me pose également cette question de comment convaincre, comment communiquer avec des mots, des images, une expression artistique ou un autre moyen sur le sujet des victimes. Selon moi, voilà encore un sujet qui mérite l’attention du plus grand nombre parce qu’il est fondamental. Et même si nous sommes une société d’information, nous sommes noyés par des infos véhiculées par des médias bourrés d’a priori et de partis pris.

    Concernant le sujet de l’égalité entre les hommes et les femmes et des violences faites aux femmes, Lotta Antonsson, photographe suédoise et Professeure à l’école supérieure de photographie de Göteborg a présenté I could be the rain en 2006. Elle montre des photos de femmes, qui pourraient être le mur de leur maison, la pluie qui coule contre les vitres car elles ne sont plus considérées comme des êtres humains mais comme des objets.

  3. Je suis assez persuadée (!) que persuader, c’est inutile. Ce que je veux dire par là: les jugements ou les préjugés sont très puissants, il est très difficile voire impossible de les démanteler. De fait, il est quasiment impossible de faire changer quelqu’un d’avis sur des choses qui lui tiennent à coeur, comme son système de valeurs, parce que cela remettrait en cause sa vie entière, son milieu de socialisation, etc. Il me semble que nous pouvons faire ce constat jour à jour. Ce ne sont pas les meilleurs avis qui convainquent, ce sont d’autres facteurs, plus émotifs (la peur, par exemple, et les politiciens le savent et l’exploitent).

    Il existe une illusion comme quoi l’on pourrait persuader avec des arguments intelligents ou rationnels. Or, il faudrait dans un premier temps reconnaître à quel point la communication est difficile, à quel point nous n’écoutons que ce que nous avons déjà en nous. De la même manière, nous ne pouvons espérer convaincre, gagner à notre cause, que ceux/celles qui le sont déjà. On peut améliorer nos/leurs arguments, se/leur donner de meilleures raisons, mais non pas convaincre un opposant.

    Ceci n’enlève pas toute sa teneur à la question « Que faire pour changer la société? » « Que dois-je faire, comment, et surtout, avec qui? ».

    Je me formule donc la question plutôt dans d’autres termes: comment élargir mon message, comment trouver les personnes qui ont les dispositifs favorables au changement dans le sens démocratique, féministe, utopique, comment aller de l’avant?

    Ce blog en est une bonne réponse.

    1. je suis assez d’accord sur la question : il s’agit de planter des petites graines de doute, qui peu à peu peuvent se développer et grandir, transformer des certitudes et faire évoluer des mentalités…si la pensée est radicale, le chemin pour la faire entendre de l’autre ne peut être que progressif…et ça marche aussi pour ce qu’on apprend soi même…ainsi, on peut un jour entendre un mot, une phrase, une idée, une émotinon…elle fait son chemin, et si c’est 30 ans après qu’elle prend forme, ce n’est pas si mal…

    1. Violer en quasi impunité (70.000 viols pour lesquels pas de plainte), gagner à compétence équivalente près de 20% de plus, avoir une fois et demie de plus la parole que les femmes, occuper 80% des postes de direction, être quasiment les seuls à être reconnus dans le langage et dans l’histoire, ce n’est qu’un tout petit début de liste des privilèges des dominants, qui sont ici « la catégorie construite socialement » que sont les hommes…

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