Dénoncer l’oppression sans la reproduire

Nous vivons dans une société d’images.
Impossible d’y couper. Images omniprésentes, formatées par les intérêts de ceux qui les produisent et les vendent. Donc, images de mortes, femmes sans tête, vous l’aurez compris…images pornographiques : la peur des femmes est source de violence à leur encontre. La peur du viol est omniprésente dans tous les films faits par des hommes, les cris des femmes qui seraient jouissance envahissent les écrans.

Du coup, les viols ne sont que rarement reconnus comme tels au cinéma. Je pense à une des premières scènes que je croyais alors « sexuelle » que j’ai vue de ma vie à la télévision. j’étais adolescente, je n’avais pas jusqu’à tard le droit de regarder la télé,et je suis tombée sur un film qui vous paraît sûrement inoffensif, avec Deneuve et Piccoli, par Alain Cavalier. Dans ce film, qui s’appelle « la chamade », il y avait une scène censée décrire l’amour fou, où Piccoli ou un autre homme, je ne sais plus, violait Deneuve dans la baignoire. Et soi disant c’était merveilleux pour elle.

Je crus alors que le malaise que je ressentais, le fait que cela me choquait qu’elle soit montrée comme heureuse d’avoir été violée (mais combien de fois elle disait non, dans ce film, et rien n’y faisait), venait du fait qu’il y avait quelque chose que je ne comprenais pas. Eh bien non, je sais aujourd’hui que c’est l’adolescente qui avait raison : les hommes (des hommes, mais j’attends d’en voir qui font autrement) montrent des viols et disent que c’est de la sexualité. L’adulte pose la question : doit-on en conclure que c’est parce que cela leur procure à eux, du plaisir ?

Bis repetitita, début des années 2000, le film de François Ozon, 5×2. Valeria Bruni-Tedeschi qui divorce, est violée par son ex, dans une chambre d’hôtel, et rien dans la façon dont c’est filmé ne dit que le réalisateur ici dénonce un viol. Et pourtant, là encore, combien de fois dit-elle non ?

Jamais il n’est dit que ces films montrent des viols, il est dit qu’ils parlent d’amour. Non. Ils ne parlent pas d’amour, ou alors, il n’y a d’autre amour par les hommes que le viol ? Cela voudrait dire qu’il n’y a d’autre sexualité pour les hommes que celle de l’identification au violeur ?

Enfin, tout cela m’inquiète encore davantage parce que même dans les campagnes de sensibilisations on ne fait que reproduire, dans tous les sens du terme, les viols subis.

Deux exemples :

un clip video circule en ce moment sur le net. Il est fait pour dénoncer la prostitution, ou plutôt, le fait que des jeunes femmes croient qu’elles vont devenir danseuses et se retrouvent derrière des bocaux du quartier rouge à Amsterdam. Ici, on les y voit, entamant une danse qu’on croirait, comme dit une amie, transe de dénonciation du trauma et de la dissociation, du démembrement de l’être qu’elles subissent ? Non, ce n’est qu’un danse censée symboliser leur « échec de carrière ». Et les hommes qui se rincent l’oeil pendant 95% du clip, sans souffrir de voir ces femmes souffrir, ont, oui, l’air interloqués de voir à la fin un message qui montre que c’était une dénonciation de l’exploitation.Mais qu’est-ce qui restera important pour eux ? La contrariété à la fin de se dire que les femmes qu’ils prennent plaisir à voir se démembrer derrière ces vitres ne l’ont pas voulu, qui ne dénonce pas le fait que voulu ou pas, il y a problème à ce qu’ils y prennent plaisir ?  D’autant plus que l’image donnée reste glamour.

Autre exemple, plus surprenant encore : pour dénoncer la fermeture du seul centre d’hébergement pour femme à Paris, ce qu’il faut absolument faire, une video circule : une femme qui ne peut entrer dans le centre se fait poursuivre longuement par des hommes, jusqu’à se retrouver « piégée », ne pouvant entrer dans le centre. Cette video fait exactement tout ce que les films mentionnés ci-dessus font. D’ailleurs, elle est réalisée par un homme de cinéma, Frédéric Schoenderffer. La caméra du point de vue de l’homme derrière la caméra, pas du tout de celui de la femme. On n’y voit ni plus ni moins que n’importe quelle scène de violence non dénonciatrice de la plupart des films. Et là encore, l’image l’emporte sur les quelques mots censés dénoncer. L’image prend plaisir à voir souffrir.

Il nous faut donc tout réinventer, nous éloigner progressivement de tout ce qui est le discours en images de l’agresseur, si puissant et dont nous avons tellement de mal à nous détacher.

Pour conclure, je finirais par mon obsession du moment :

« Laissons-nous vivre, cessons de montrer et reproduire des images de femmes sans tête. Au bas mot, j’en ai vu 10 depuis hier sur Internet, presque toutes dans des publications faites pour dénoncer. On ne dénonce pas l’oppression en la reproduisant! »

Sandrine GOLDSCHMIDT

12 réflexions sur “Dénoncer l’oppression sans la reproduire

  1. Je suis d’accord avec votre analyse, sur TOUT!
    Les têtes coupées…cela me fait penser que je viens de recevoir
    un livre d’art…d’un ami des Beaux-Arts à Lisbonne ( Années 7O…)
    loin tout ça.
    Il m’avait fait des photos habillées, nue, très sage.
    Il est devenu quelqu’un de très connu, fait un livre
    avec des photos de cette époque…
    je me revois soudain, mais sans tête!
    Drôle d’effet…je me souviens d’une discussion très chaude avec un programmatuer à une première du TH de la Ville sur une pièce de marionnettes de PH. Genty, il y avait un viol collectif sur la poupée de la part des manipulateurs que des hommes…j’ai bien vu la tête du type à qui je parlais, il n’avait rien VU…disait-il, non, quel viol?
    Et puis j’ai bien sentie que OUI, il le voyait aussi, mais impossible de l’avouer…c’était plus simple de dévier la chose vers un fantasme …
    je n’ai pas apprécie la chute, car en plus, personne voulait le dire…
    et c’était moi qui avait des fantasmes!J’ai jeté le malaise dans la discussion
    et cela a fâché d’ailleurs le groupe! Ils n’avaient pas vu…ou pas osé l’avouer, ils se sont retournés contre moi et non pas sur la tête pensante et actante de
    monsieur le créateur….allez, je retourne à ce monde d’ aveugles…LM

  2. Merci pour cette article des plus justifiés et perspicaces. Halte à cette propagation multiiplication. A force de vouloir montrer, se montrer, démontrer ce que l’on sait parfaitement, tout n’est plus que représentation et show.
    Les causes défaites par les mises en causes télé et photogéniques et de nouveaux effets.
    J’ajoute à votre moulin le buzz actuel de la photo de l’estocade dans le dos d’un joli corps de femme nu au sol ensanglanté sans visage pour combattre la corrida. Voulant toucher les hommes sur les taureaux, l’on met en scène un féminicide de la plus belle espèce !
    Et je serais reconnaissante à toutes celles et ceux qui commenteront mon blog au cas où de cette avalanche visuelle, j’aurais laissé passé une de ces publicités féminicides. Merci d’avance car malgré toute mes vigilances, je pourrais aussi être grégairement sensible à la pression sociale qui nous aveugle, à mon corps défendant.

  3. Témoignage :
    Plus de cent fois, j’ai entendu des hommes entre eux dire ceci : « Lorsqu’une femme dit non, en fait, c’est qu’elle attend de nous qu’on insiste car, en fait, elle le désire mais son éducation l’en empêche ! Elle attend de notre virilité que nous sachions nous imposer. Elle va sûrement crier mais, après, elle t’en remerciera. »

    Mon adolescence rejoint la tienne : j’ai toujours été choqué par ces constantes et répétitives scènes de viol. Aucun doute qu’elles servaient à vendre le film et donc voulues au lieu de montrer l’harmonie de l’amour (quelques films le montrent malgré tout).

    Mais, bien sûr, j’étais un enfant ayant subi des années d’agressions sexuelles : faut-il cela pour qu’un homme saisisse la portée de ces scènes ?

    Après être sorti de dix ans de dépression nerveuse, je suis apte à comprendre que les femmes sans tête et les scènes de viol filmées sont une transmission visuelle ou verbale de la veule tradition patriarcale et machiste.

    Nota : y a-t-il un moyen d’être averti des réactions commentaires sur ton blog ?

  4. Oui c’est ô combien crucial cette analyse féministe des images. Merci infiniment pour ce post.

    Il est indispensable d’épargner au maximum les femmes d’images qui érotisent les violences sexuelles contre elles par les hommes, car l’effet de ces images n’est pas contournable, étant incrusté dans la mise en scène et la position de la caméra (l’image est subjective donc on s’identifie de force au sujet, même si celui-ci peut être absent du plan). Surtout, les effets de ces images sont indissociable de ses objectifs patriarcaux: dissocier les femmes de leurs souffrances, faire en sorte qu’elles s’habituent à s’identifier aux hommes agresseurs et non à elles-mêmes lorsque ceux-ci les agressent – et donc à s’identifier au plaisir qu’en ressentent les hommes tout en déréalisant le mal-être, le sentiment de violation et de souffrance qu’elles vivent lors des agressions – c’est donc une mise en danger permanente et d’autant plus si les femmes sont déjà dissociées, cela ne fait que renforcer leur état.

    Nous vivons effectivement dans un monde où la seule chose qui détermine le sujet dans toute image ou production quelconque c’est le pénis en érection, qui pilonne dans l’orifice des femmes. Le langage, les institutions, les arts, la médecine, l’agriculture, les armes de guerre (etc) patriarcaux sont tous basés sur cette réalité là. Nous vivons dans un porno-land où l’œil sujet de la société c’est le pénis en érection, avec comme cible l’orifice des femmes. Le patriarcat doit maintenir cet état de fait et le perpétuer ad infinitum car c’est par la pénétration du pénis en érection dans le vagin des femmes (donc le coït) que les hommes s’approprient les femmes et par là-même, la reproduction humaine.

    Donc toutes les images patriarcales, toutes sans exception (il y a toujours une référence subliminale quand elle n’est pas directe) promeuvent les érections des hommes pour que les hommes continuent de les pénétrer dans les vagins des femmes, à les utiliser comme moyens pour cette fin, coûte que coûte, et surtout que ça continue à leur procurer du plaisir – cet instant où ils se déchargent qui n’est autre qu’un réflexe de disjonction et au final, une illusion de plaisir.

  5. Tu as bien fait de re-dire encore cela dans ton article. Je ne regarde que très peu la télé, films, etc. mais j’ai déjà été saisie de la même manière. Par ex. s’il y a une scène de viol dans un livre, et que ce livre est adapté au cinéma, tu peux être sûre que cette scène de viol va être exploitée et devient finalement le moment fort du film (climax > orgasme), que la scène sera reprise sur les trailers, la bande de présentation du film. C’est – tout simplement et tristement – que le machisme se recombine à l’infini dans tout, à la fois dans la violence et dans la dénonciation de la violence. Les femmes ont peur, sont mal à l’aise, les hommes bandent. Pas tous bien sûr, ou il y en a qui sont mal à l’aise de ces spectacles de torture, de ces allusions à la torture.
    On trouve ces scènes ou leurs allusions dans tellement de films, téléfilms, livres, où finalement d’un bout à l’autre, une femme est une proie, et tout se joue entre le violeur et le héros (un homme ‘bien’ façon justicier), et la femme est un objet entre eux.
    Je crois que c’est à nous à identifier le problème et à en parler (on article permet de préciser la chose, d’aider celles qui n’ont pas encore ‘compris’ à se dire que oui, le malaise ressenti a une cause, elles ne sont pas « folles » d’éprouver ce malaise)… donc identifier et en parler autour de nous, à nos filles, fils, compagnons, amis. Des hommes aussi ressentent un malaise à ces scènes, un malaise peut être d’en jouir, expliquer, qu’ils comprennent eux aussi, et que la société évolue, lutte contre ces dominations mortifères, cette tendance ‘humaine’ à réduire l’autre, l’écraser, l’humilier, le dominer… un autre monde est possible sans doute ;o)

  6. « L’image prend plaisir à voir souffrir. » Je viens de voir cette saleté de video pour le samu social. Je suis hyper d’accord avec toi ! J’ai écouté ton intervention hier sur Femmes Libres, ainsi que les autres intervenant-es, c’était super ;o) merci et bravo pour ton humanisme !

  7. A reblogué ceci sur michelcarriere and commented:
    Le viol et la violence sexuelle constituent, je crois, la tare fondamentale de nos sociétés androcentrées, patriarcales et phallocratiques. Elle est à l’origine de toutes les autres, car elle fonde le principe de discrimination entre êtres humains et la pratique de la domination d’un groupe socio culturel, d’un genre, d’un sexe , d’une éthnie sur les autres ; ce principe est ensuite théorisé et sert de base culturelle aux systèmes théocratiques, politiques … qui exaltent la compétition, les privilèges, l’exploitation des êtres et de la nature…
    Ce sont les crimes dont la majorité des humains de sexe ou de genre mâle se servent pour dominer d’abord les femmes, puis tous les autres humains qu’ils exploitent en faisant triompher « l’État de fait du plus fort ».
    Dans ce contexte « les droits humains » ne sont que la stratification d’un rapport de domination favorables aux dominants.
    Les femmes en sont le premières victimes, et ensuite l’ensemble de tous les humains et notre planète elle même.
    Cela crée la culture du pouvoir, ou plutôt de la confiscation du pouvoir au profit d’un groupe.
    Le système patriarcal et androcentré corrompt le cœur et l’âme de tous les humains de sexe mâle en les rendant tous complices de l’oppression des humains de sexe féminin en leur faisant miroiter la domination qu’eux mêmes pourront exercer sur les femmes par la violence sexuelle et politique.
    C’est pourquoi tous les humains qui aspirent à la liberté et à l’égalité doivent dénoncer la culture machiste dominante et le viol, quelle qu’en soit la forme.
    Le pouvoir n’est pas à prendre mais à rendre à chacune et chacun d’entre nous !
    La puissance des tyrans n’est du qu’au consentements de celles et ceux qu’ils oppriment !

  8. Le viol et la violence sexuelle constituent, je crois, la tare fondamentale de nos sociétés androcentrées, patriarcales et phallocratiques. Elle est à l’origine de toutes les autres, car elle fonde le principe de discrimination entre êtres humains et la pratique de la domination d’un groupe socio culturel, d’un genre, d’un sexe , d’une éthnie sur les autres ; ce principe est ensuite théorisé et sert de base culturelle aux systèmes théocratiques, politiques … qui exaltent la compétition, les privilèges, l’exploitation des êtres et de la nature…
    Ce sont les crimes dont la majorité des humains de sexe ou de genre mâle se servent pour dominer d’abord les femmes, puis tous les autres humains qu’ils exploitent en faisant triompher « l’État de fait du plus fort ».
    Dans ce contexte « les droits humains » ne sont que la stratification d’un rapport de domination favorables aux dominants.
    Les femmes en sont le premières victimes, et ensuite l’ensemble de tous les humains et notre planète elle même.
    Cela crée la culture du pouvoir, ou plutôt de la confiscation du pouvoir au profit d’un groupe.
    Le système patriarcal et androcentré corrompt le cœur et l’âme de tous les humains de sexe mâle en les rendant tous complices de l’oppression des humains de sexe féminin en leur faisant miroiter la domination qu’eux mêmes pourront exercer sur les femmes par la violence sexuelle et politique.
    C’est pourquoi tous les humains qui aspirent à la liberté et à l’égalité doivent dénoncer la culture machiste dominante et le viol, quelle qu’en soit la forme.
    Le pouvoir n’est pas à prendre mais à rendre à chacune et chacun d’entre nous !
    La puissance des tyrans n’est du qu’au consentements de celles et ceux qu’ils oppriment !

  9. Bien vu, c’est l’éternel (( elles disent non, mais nous hommes au font ON sait qu’elles pensent oui)) !! orrible phénoméne, IL n’écoutera jamais ce que dit la femme. enternellllle probléme§ et si la dégradation sociale continue LA parole et l’envie de la femme seront de moins en moins écoutés et entendus. Nous reee-tournons dans les années noires; avant 60 ( femmes tenues, femmes enfantant, femmes au fourneaux etc… ) vous nous preniez pour des extraterestres des  » folles des sans foi ni loi) et non nous refléchissions.. courage

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