D’un côté, il y a l’actualité. De l’autre, il y a le monde du spectacle, avec ses divertissements, ses pas de danse. En général, le deuxième est fait pour oublier le premier. Ainsi, « se divertir », c’est oublier qu’on va mourir, c’est oublier tout ce qui nous enrage, nous rend triste, nous énerve dans l’actualité. C’est donc s’éloigner un instant du monde et penser à autre chose. Pourtant, bien souvent, ce soi-disant monde du divertissement, est un monde de dissociation violente. Des hommes y chantent nombreux, combien ils voudraient tuer les femmes qu’ils aiment ou prétendent avoir aimé. Le dernier énergumène du genre en date, j’en ai oublié le nom, mais ce n’est pas grave, il ne mérite rien de plus que l’oubli, a écrit : « je vais te tuer un jeudi ma chérie », s’amusant de faire des rimes de la violence masculine.
Ce double monde à l’envers, il nous dit dans la rue que certains clament « liberté » en demandant d’interdire aux femmes de décider de si elles voudront mettre au monde un enfant, en se mobilisant contre l’IVG, quand d’autres chantent les femmes comme des objets dont on se débarrasse. Mais il y a aussi un monde à l’endroit. Dans celui-là, de nombreuses femmes j’espère, rejoindront les militantes le 1 er février pour manifester en soutien aux Espagnoles.
Dans ce monde là, le monde à l’endroit, pendant que les premiers défilaient sur les Boulevards, Anne Sylvestre a chanté sur scène. Elle n’a pas repris sa chanson sur l’avortement, « Non tu n’as pas de nom » (voir ci-dessous) mais elle l’a évoquée. Et surtout, toutes ses chansons sont la preuve que ce monde à l’endroit existe, que l’on peut, pendant plus de 50 ans, chanter sur scène la vie sans en faire un divertissement de dissociation. Quand Anne Sylvestre chante sur scène, à bientôt 80 ans, avec une énergie et un regard qui portent la vie en ce qu’elle a de plus vrai, on est à la fois dans la réalité de ce monde et dans sa poésie. On n’est pas en train d’échapper à notre condition humaine, on l’incarne plus que jamais. On prend plaisir à entendre la vie, les mots, on rit, on tremble, on vibre.
Qu’elle parle du sort qui est fait aux femmes (« juste une femme ») ou de ce que les humains font à l’environnement (le lac Saint-Sébastien), qu’elle parle des femmes grandes (Gulliverte) ou du petit bonhomme avec son sac à dos, qu’elle parle des « grandes balades » qui ennuient tant les unes et enthousiasment tant les autres ou qu’elle nous cuisine de féministes et abolitionnistes « calamars à l’harmonica », toujours, c’est la vie qu’elle chante, cette vie qu’elle « écrit pour ne pas mourir ».
La Cigale ayant enchanté, elle a bien signalé à ses fidèles amoureux des fabulettes, qu’elle ne comptait pas s’arrêter, et nous comptons bien sur elle pour continuer à nous inspirer !