Il y a quelques mois, au moment de la marche de Rosen, nous brandissions un beau slogan trouvé par Claire : « le Sénat piétine, Rosen marche ». Aujourd’hui, le Sénat a changé de majorité, et c’est encore pire. Il ne piétine même plus, mais il vient de faire reculer un combat vers le progrès pour les femmes. En effet, comme je le disais la semaine dernière, les sénateurs ont voté pour le maintien du délit de racolage passif et contre la responsabilisation-pénalisation des clients-prostitueurs. 1/ L’hypocrisie : la prostitution est une violence, il ne faut pas pénaliser les femmes, alors pénalisons-les ! En clair, cela veut dire qu’ils ont décidé de revenir à une politique d’un autre âge, celle qui consiste à pénaliser les victimes -tout le monde en effet pendant les débats n’a cessé de dire que la prostitution était une violence et qu’il ne fallait pas s’en prendre aux femmes (et aux hommes, très minoritaires), mais a conservé la seule mesure qui les pénalise à coup sûr; une hypocrisie dénoncée par le Mouvement du Nid (voir lien en fin d’article). Mieux, Jean-Pierre Godefroy, curieux député socialiste qui connaît très bien la violence de la prostitution (il a été l’auteur avec l’UMP Chantal Jouanno d’un rapport sans ambiguité sur le caractère violent et forcé de la prostitution), qui est celui qui a fait piétiner le Sénat pendant 16 mois avant de devoir démissionner dix jours avant le vote de la présidence de la Commission spéciale, s’est fendu d’un argumentaire dont la logique lui est propre. Il n’a cessé de dire qu’il était du côté des femmes, que c’est à elles qu’il pensait lors de ses interventions. Pour au final, affirmer qu’elles ne devaient surtout pas être pénalisées. Et du coup, il fallait donc les pénaliser par le délit de racolage, mais surtout il ne fallait pas pénaliser les clients-prostitueurs, car cela pénaliserait…les femmes. Allez savoir ! Mais au final, il se déclarait favorable à une pénalisation des clients qui « achèteraient » des des actes sexuels à des femmes qui se prostituent sous la contrainte. Curieuse idée qui a curieusement eu l’aval de Chantal Jouanno -mais qui aurait rendu la mesure caduque et dangereuse (l’amendement déposé par Chantal Jouanno a été retoqué).
En effet : soit la mesure était appliquée, et ladite contrainte était systématique (et donc la précision inutile) : en effet, en matière d’acte sexuel, la règle est l’acte libre de toute contrainte. Or, un contrat, s’il règle des principes entre deux parties, instaure une contrainte : en effet, en échange d’argent, une personne DOIT un service. C’est donc une contrainte, légale, mais une contrainte. Or, en matière sexuelle, il ne peut y avoir de contrainte légale, car la contrainte fait partie de la définition des agressions sexuelles et viols. C’est donc absurde. Ou alors -et malheureusement c’est ce qui je crois se passerait, on applique la mesure à la façon dont la justice traite les affaires de violence sexuelle. C’est la connaissance du fait que la personne prostituée est sous contrainte, qui déterminerait la culpabilité du client -autant dire qu’il lui suffirait de dire, comme un triste sire célèbre, « qu’il ne savait pas » qu’elle était contrainte, et que cela suffirait -encore une fois, à rendre la mesure caduque et l’impunité des hommes totale. La vraie raison de cette proposition, était la défense du « droit du client », encore une fois…et de celui de se prostituer « librement ». En effet, selon Godefroy, il faudrait que la loi affirme haut et fort que celles qui le veulent ont le droit qu’on leur achète un acte sexuel, tout en reconnaissant que l’activité est source de violence, et qu’elles sont très minoritaires. Ainsi, on ferait une loi pour l’ultra-minorité qui -en suivant le raisonnement ci-dessus- permettrait de généraliser la situation à toutes…rendant encore une fois toute forme de pénalisation du client-prostitueur caduque. La liberté de quelques unes et de tous les prostitueurs étant décrétée plus importante que l’esclavage subi par l’immense majorité ! Pénaliser des personnes pour les protéger, la dernière trouvaille de la droite
J’ai beaucoup aimé cet argument du « il nous faut le délit de racolage, parce que sinon, il n’y a aucun moyen de démanteler les réseaux : arrêter les femmes, c’est pour les protéger. En brandissant la menace de peines de prisons et d’amende, c’est tout à fait logique…on imagine en effet, qu’elles se sentent protégées depuis dix ans par le délit de racolage…à noter que le rétablissement du délit de racolage, voulu par l’UMP, qui l’a majoritairement voté (grâce à un scrutin public qui permet de voter pour les absents…il n’y avait quasiment personne dans l’hémicycle), n’a pas trouvé d’autre argument que celui-ci. Alors même que tout le monde reconnaît qu’en douze ans, il n’a en aucun cas aidé à renforcer la lutte contre les réseaux de proxénétisme. Sur la pénalisation du client ensuite, Jean-Pierre Godefroy -toujours lui- est allé très loin dans la logique de l’absurde : en effet, il a affirmé qu’être sanctionnable met le client en position de force face à la personne prostituée. Etant pour la première fois dénonçable par les personnes contre lesquelles il exerce des violences, il se retrouverait donc en position d’imposer des violences supplémentaires. Allez comprendre… Alors que la Suède montre que lorsqu’un client-prostitueur est arrêté, sa victime est guidée vers des associations qui peuvent l’aider. Bref, Jean-Pierre Godefroy, qui a donc été président de la Commission spéciale pendant 16 mois, nous a alors encore gratifié hier d’un argument imparable : « il faudrait encore du temps pour réfléchir ». Faut-il lui rappeler que c’est depuis le rapport Bousquet-Geoffroy en 2011, fruit d’une longue enquête, que la politique est discutée par les politiques, à l’Assemblée puis au Sénat ? Quatre ans de travail parlementaire ne seraient pas suffisant ? Est-ce une façon de nous faire croire qu’il n’avait pas, dès le départ, une idée bien précise de ce qu’il voulait et ne voulait pas, c’est-à-dire qu’il ne voulait pas du tout de la pénalisation des clients…pour protéger ce « droit de l’homme »?
2/ Le mensonge sur la Suède, pour décrédibiliser la pénalisation
Lors du débat, on a beaucoup entendu des copié-collé des discours des associations « de travailleuses du sexe », celles qui s’autoproclament représentantes des personnes prostituées. Ainsi, la décrédibilisation des chiffres concernant le modèle suédois. Malheureusement, le cadre du débat ne permettait pas vraiment de répondre à ces arguments. Mais pour l’opinion, il est important d’y revenir. -La pénalisation fragiliserait les personnes, et la violence augmenterait ? On a beaucoup entendu cela. En effet, Médecins du Monde, Act-up n’ont de cesse de dire que la pénalisation repousserait la prostitution dans des lieux encore plus reculés ou sur Internet, exemple de la Suède à l’appui. Or, quelle est la réalité des chiffres, ceux avancés par les adversaires de la pénalisation, comme la sénatrice Esther Benbassa, qui s’est drapée dans sa « formation scientifique » pour donner des chiffres « indiscutables »? Ainsi, si la prostitution de rue aurait diminué en Suède, mais elle aurait explosé sur Internet. Chiffres à l’appui d’un tout récent rapport commandé par le gouvernement, qui dit que « Le nombre d’annonces d’escorte a nettement augmenté au cours des huit dernières années entre 304 et 6965 annonces ». Certes, mais si l’on veut bien lire un peu plus loin : « les autorités qui ont étudié les annonces d’escorte sur internet constatent qu’une même personne prostituée se retrouve souvent sous différentes identités, et que chaque annonce peut être reprise sur de nombreux sites, portails, qu’il y a aussi d’anciennes annonces inactives… etc. (Ainsi les experts constatent qu’un même numéro de téléphone se retrouve sur de nombreux sites. Ceci est également confirmé par d’autres experts qui travaillent sur le terrain.) Il est écrit dans le rapport que : « DANS CE CONTEXTE, IL N’Y A RIEN QUI INDIQUE QUE LE NOMBRE RÉEL DE PERSONNES PROSTITUÉES A AUGMENTÉ. » . Voilà donc pour cette belle affirmation scientifique. Ce n’est qu’un exemple de la façon dont un même chiffre peut être sorti de son contexte et utilisé pour dire le contraire de ce qu’il dit. Et cela sans compter que l’augmentation de ce type de chiffres sur internet, n’est absolument pas plus forte en Suède qu’ailleurs, et donc qu’on ne peut pas en tirer une comparaison. Il y aurait nombre d’autres exemples à tirer de ce rapport, mais il faut un peu de temps pour les traiter sérieusement, et des articles à ce sujet paraîtront probablement dans les semaines qui viennent. Celui-ci, mis en ligne sur la mine d’informations « Ressources prostitution », est à lire : « Les données montrent que mettre fin à la demande fonctionne » (voir le lien en fin d’article) On a également entendu dire donc, que la violence envers les personnes prostituées n’aurait pas diminué, et que le modèle suédois ne marcherait pas. Pourtant, voilà deux chiffres incontestables qui viennent nous signaler que ce n’est peut-être pas tout à fait exact. Ainsi, alors qu’il y a en moyenne 5 prostituées assassinées par an en France, il n’y en a pas eu depuis dix ans en Suède. Par ailleurs, le taux de prévalence du SIDA en Suède chez les personnes prostituées est 5 fois inférieur à ce qu’il est chez nous. Comment interpréter dans ce contexte, ce « haro sur la Suède », sinon comme un effet de propagande, qui arrange le législateur ?
3/ Le machisme du Sénat s’incarne dans la défense du « client »-prostitueur
En effet, avec le Mouvement du Nid, je ne peux que souligner que la question de la volonté de faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes et de faire reculer la violence envers les femmes est centrale dans le cas qui nous occupe. Ainsi, le fait qu’une société soit avancée en matière d’égalité ou non influence le vote. Je cite le CP du Mouvement du Nid : « Le Mouvement du Nid rappelle que dès le 8 juillet 2014 en commission spéciale, 75% des sénateurs ayant voté pour la pénalisation des clients étaient des femmes alors que 75% des sénateurs ayant voté contre étaient des hommes. Il rappelle aussi que dans son classement mondial sur l’égalité femmes-hommes, publié en octobre 2014, le Forum Economique Mondial indiquait que la Suède, la Norvège et l’Islande, trois premiers pays au monde à avoir dépénalisé les personnes prostituées et pénalisé les clients, faisaient partie des quatre pays au monde les plus avancés en matière d’égalité femmes-hommes. Il note enfin que la Suède comptait, dès 1999, 48% de femmes au Parlement au moment de l’adoption de sa législation abolitionniste. Dans cette continuité, le Mouvement du Nid tient à saluer la mobilisation remarquable de nombreuses sénatrices de tous bords qui se sont exprimés avec cohérence, force et clarté lors du débat. (…)Ce sont ces voix fortes et claires que l’Histoire retiendra très prochainement
. Je citerai pour ma part la formidable cohérence et clarté de la sénatrice Laurence Cohen (PC)…ce qui n’est pas étonnant puisqu’elle travaille sur la question depuis 15 ans !
4/ Pénaliser le « client-prostitueur », pour réaffirmer les droits humains En résumé si l’on analyse jusqu’au bout ce qui s’est produit au Sénat, on peut souligner en citant l’article du Monde « Le Sénat pénalise les prostituées mais pas leurs clients », que c’est le résultat logique du lobbying des associations hostiles à la pénalisation. En effet, en affirmant des contre-vérités sur les effets de cette mesure, ils ont non seulement mis à mal la cohérence d’un projet reposant sur 4 piliers dont la responsabilisation du client, un projet de progrès pour les droits humains, mais en plus ils ont encouragé les plus rétrogrades des législateurs à maintenir une pénalisation des prostituées, puisque tout le monde est obligé de constater, qu’avec 97% de personnes soumises au trafic, on ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas de problèmes et ne rien faire du tout. Sauf qu’au lieu de faire avancer les choses, on fait la même chose que ce qui ne marche pas depuis dix ans. En revanche, je reste optimiste, car l’abolition est en marche, et marche ! La France a toujours aujourd’hui la possibilité de faire changer les choses, en faisant adopter à l’Assemblée nationale un texte auquel aura été rendue sa cohérence. C’est ce pour quoi nous nous mobiliserons bien évidemment, et il n’y a pas de raison de penser que cela ne se produira pas. De nombreuses députées seront en effet là comme fin 2013 pour y réussir. Dommage qu’il ait fallu perdre de précieux mois qui font perdurer une situation actuelle qui est inique et insupportable pour les personnes prostituées.
5/ Revue de presse Une nouvelle tribune de médecins, dont le fondateur du SAMU social, Xavier Emmanuelli, en faveur de la pénalisation : Dépénaliser les prostitué(e)s, pénaliser les acheteurs de sexe!
réactions au vote L’article du Monde Article des Nouvelles News
CP du Mouvement du Nid : un vote réac, déshonorant et irresponsable !
CP d’Osez le féminisme : « Pour le Sénat, le client est roi » !
CP des Effrontées : une loi en avant, dix ans en arrière
CP du CNDF : « Ils ont osé » !
Marisol Touraine tient à la pénalisation du client
La décision d’un Sénat de machos
Réactions de Laurence Cohen et Brigitte Gauthier-Morin
Communiqué de Catherine Coutelle
Réaction de Zeromacho
CP d’Abolition 2012 avant le vote Haut comité à l’égalité F/H
Retours sur le modèle suédois :
Abolir le système prostitueur pour réaffirmer les droits humains
Pourquoi la Suède est un bon modèle
L’impasse du réglementarisme
Les données montrent que mettre fin à la demande fonctionne
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